Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170502


Dossier : T-944-15

Référence : 2017 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2017

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

demanderesse

et

JANSSEN INC. ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC.

défenderesses

ET ENTRE :

MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC., JANSSEN INC., CILAG GMBH INTERNATIONAL, CILAG AG ET JANSSEN PHARMACEUTICA NV

demanderesses reconventionnelles

et

LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE REPRÉSENTÉS PAR LE DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES

breveté

et

TEVA CANADA LIMITÉE

défenderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Teva, après que les deux parties n’eurent pas déposé en conformité avec les règles applicables des documents sous scellé, a introduit une requête tardive d’ordonnance de confidentialité visant ces renseignements. La dispense demandée dépasse, et de loin, la portée des éléments de preuve déposés à son appui. Devant le choix de modifier sa requête ou de produire des éléments de preuve à l’appui, Teva a présenté ce qui ne peut qu’être qualifié d’éléments de preuve inexacts et trompeurs, remettant en question et entachant de façon définitive la crédibilité et la fiabilité de tous les éléments de preuve présentés avec sa requête. Par conséquent, la Cour ne peut pas se satisfaire du fait que les documents en cause devraient être considérés comme confidentiels, malgré l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[2]  Pour ces motifs, expliqués plus en détail ci-après, la requête de Teva est rejetée, et les documents déposés sous scellé par les parties seront versés au dossier de l’audience. La demande des parties de retirer certains éléments du dossier est toutefois accueillie, et ces portions seront retirées avant que ne soient levés les scellés concernant les autres portions des dossiers.

II.  Principes généraux

[3]  Le principe de la publicité des débats judiciaires revêt une importance cruciale dans une société démocratique, comme le reconnaît CBC c Québec (Procureur général), 2011 CSC 2. Il garantit aux citoyens l’accès aux tribunaux, leur permettant de commenter le fonctionnement de ces institutions et les procédures qui s’y déroulent. Les Cours sont financées par l’État. Les citoyens, dont les impôts paient pour les activités des tribunaux, sont en droit de s’attendre à ce que les ressources judiciaires soient attribuées équitablement et judicieusement pour satisfaire à de nombreuses exigences contradictoires. Ils ont le droit de savoir comment sont utilisées ces ressources.

[4]  De par leur nature même, les ordonnances de confidentialité portent atteinte à ces principes fondamentaux et droits importants. Les parties privées à des litiges sur des questions pharmaceutiques comportant des enjeux élevés préfèrent parfois que certains détails de leurs différends demeurent à l’abri du regard public. En revanche, leurs avocats, qui sont des fonctionnaires de la Cour, ont pour devoir de préserver l’indépendance et l’autorité de la Cour. Ils doivent aider la Cour à faire respecter les principes de justice fondamentaux, y compris l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. Il n’appartient pas aux avocats, dans la défense des intérêts privés de leurs clients, d’omettre leur devoir envers la Cour et de choisir de présenter à la Cour des renseignements incomplets ou trompeurs, ou encore de sciemment occulter la disponibilité de renseignements importants et pertinents, et d’omettre de présenter fidèlement tous les facteurs pertinents à la Cour, peu importe si certains d’entre eux n’appuient pas leur thèse.

[5]  Pour prendre une ordonnance de confidentialité, tel que le définit l’article 151 des Règles des Cours fédérales DORS/ 98-106 et tel que la Cour suprême du Canada l’a expliqué avec plus de détails et de précisions dans Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, il ne suffit pas seulement qu’une partie fasse valoir ou soit convaincue que des renseignements sont confidentiels ou qu’ils devraient être traités de façon confidentielle, mais il faut que la Cour en soit convaincue. Cette charge est lourde. Il ne suffit pas d’un consentement ni de simples déclarations (Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 693; Canada (AG) c Amalki, 2010 CF 733) pour s’en acquitter.

[6]  L’une des conditions à remplir est que l’ordonnance de confidentialité soit nécessaire pour éviter tout risque grave de préjudice à un intérêt important. Cette observation peut paraître banale, mais pour remplir cette condition, la partie requérante doit obligatoirement démontrer que les renseignements sont vraiment confidentiels. Une partie ne peut espérer convaincre la Cour de la possibilité d’un préjudice si les renseignements sont rendus publics, ou de la nécessité d’une ordonnance de confidentialité pour empêcher un préjudice, si les renseignements sont déjà accessibles au public et s’ils se trouvent hors de portée de la protection de la Cour.

III.  Les circonstances de l’affaire

[7]  La Cour est saisie d’un recours intenté par Teva Canada Limited pour obtenir, auprès de parties telles que Janssen Inc., réparation pour des dommages qu’elle prétend avoir subis lorsque l’entrée sur le marché canadien de son médicament bortézomib a été retardée, en application de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/ 93-133, dans sa version modifiée.

[8]  Les parties ont sollicité et obtenu de la Cour, sur consentement, une ordonnance conservatoire établissant les conditions auxquelles devait être assujetti l’échange de renseignements entre elles. L’ordonnance disposait :

[traduction] « […] la présente ordonnance conservatoire ne s’applique que pour régir la manière dont les parties traiteront les renseignements échangés au cours du présent litige et n’autorise aucune des deux parties à déposer de manière confidentielle devant la Cour des renseignements désignés comme renseignements confidentiels en vertu de la présente ordonnance conservatoire, en l’absence d’une ordonnance de confidentialité distincte, précise […] »

[9]  Une ordonnance de confidentialité a aussi été délivrée pour autoriser les parties à déposer des documents à l’appui sous scellé, exclusivement pour les fins de requêtes en vue d’obliger à répondre.

[10]  Indépendamment de ces conditions, les deux parties devaient déposer, en application de ces ordonnances, des documents sous scellé dans le contexte d’une requête présentée par Janssen pour modifier sa défense et sa demande reconventionnelle. Ces interprétations abusives des conditions des ordonnances conservatoires et de confidentialité sont malheureusement trop courantes dans les litiges en matière de brevets pharmaceutiques. Elles sont symptomatiques d’une désinvolture envers le principe de la publicité des débats judiciaires et d’une méconnaissance des devoirs de l’avocat à titre d’officier de la justice, notamment ceux de défendre l’autorité de la Cour et d’en respecter les ordonnances.

[11]  Devant les dépôts non conformes des parties, la Cour a donné une instruction les obligeant à justifier pourquoi les documents sous scellé ne devraient pas être ouverts et versés au dossier ou retirés du dossier. Les parties ont reconnu que certains des renseignements de Janssen et de Teva pourraient être retirés du dossier. Teva a reconnu que d’autres portions de ses renseignements devraient être versées au dossier public. Cependant, Teva a aussi présenté une requête pour permettre le maintien sous scellé de portions importantes de ses renseignements.

[12]  La requête en ordonnance de confidentialité présentée par Teva concernait deux catégories de renseignements, nommément le contrat d’approvisionnement entre Teva et le fournisseur de son produit bortézomib, y compris tous les renseignements qu’il contient ainsi que tous les documents faisant référence à ces renseignements, et des extraits de la PADN de Teva pour son produit bortézomib, y compris les portions des transcriptions des communications préalables et des observations écrites y faisant référence.

[13]  Janssen avait inclus dans son dossier de requête le contrat d’approvisionnement et y faisait référence, car certaines modifications qu’elle avait sollicitées alléguaient que Teva n’était pas la « seconde personne » autorisée à demander réparation en application de l’article 8, car les conditions et les modalités du contrat d’approvisionnement conféraient au fournisseur le plein contrôle des activités de Teva, et devait par conséquent être considéré comme la seconde personne. Teva a présenté les renseignements contenus dans la PADN pour démontrer qu’elle était la personne qui avait présenté la requête et qu’elle était nommée comme requérant dans la PADN, ce qui faisait d’elle la seconde personne.

[14]  L’identité du fournisseur et les modalités de l’accord d’approvisionnement sont par conséquent d’une importance fondamentale pour les modifications proposées et pour la décision de savoir si oui ou non elles présentent une défense valable et devraient être autorisées. En effet, les détails des modifications proposées reprennent les modalités de l’accord d’approvisionnement. Quant à la PADN, elle n’est pertinente que dans la mesure où elle désigne Teva, et non le fournisseur, comme requérant.

[15]  Teva a présenté l’affidavit de Glenn Ikeda à l’appui de sa requête en ordonnance de confidentialité. Les parties de l’affidavit qui ont trait à la confidentialité du contrat d’approvisionnement indiquent ce qui suit :

[traduction] « 3. Teva Production 0074 constitue un accord de licence, d’approvisionnement et de distribution entre Teva et son fournisseur associé. Le présent document fait référence au taux de redevance, à la structure de prix et aux modalités de paiement comme étant entre Teva et son fournisseur et, pour ce motif, a été désigné comme « Renseignements financiers — Confidentiel ». Le présent document comporte une clause de confidentialité, au paragraphe 12, qui oblige Teva et son fournisseur à maintenir la confidentialité de tout renseignement divulgué dans le cadre du présent accord, sauf dans le cas des experts-conseils, filiales et employés qui ont besoin des renseignements confidentiels ou qui ont droit de les connaître pour l’atteinte des objectifs de l’accord. L’accord renferme des renseignements commerciaux sensibles (les coûts de Teva et des renseignements concernant la chaîne d’approvisionnement de Teva) qui pourraient être utilisés par des concurrents au détriment de Teva lors d’un appel d’offres concurrentiel.

4. Teva considère que le présent document est confidentiel et le traitera comme tel, puisque le présent accord énonce les ententes en matière de prix pour le bortézomib entre Teva et son fournisseur, et ces renseignements n’ont pas été divulgués au public ni aux parties externes à Teva. »

[Non souligné dans l’original]

[16]  Même si le paragraphe renvoie à des [traduction] « renseignements concernant la chaîne d’approvisionnement de Teva », l’accent est mis sur les aspects financiers de l’accord, et non sur l’identité du fournisseur. Le paragraphe 3 reconnaît même que le fournisseur est relié à Teva.

[17]  Vu l’importance des modalités d’approvisionnement pour les questions évoquées dans la requête en modification, et vu le peu d’éléments de preuve à l’appui de leur nature confidentielle ou du préjudice que pourrait causer à Teva une divulgation publique de ces modalités, la Cour n’est pas convaincue qu’une ordonnance de confidentialité était justifiée à l’égard de quoi que ce soit d’autre que les aspects financiers de l’accord. Pour ce qui est de la PADN, l’affidavit ne traite que de la confidentialité des renseignements scientifiques qu’elle contenait.

[18]  Les désignations de confidentialité demandées par Teva dépassaient largement ces paramètres. Elles sollicitaient le scellé de l’ensemble de l’accord d’approvisionnement et de la PADN, ainsi que de toute référence à leur contenu. Les désignations visaient même les détails de l’acte de procédure proposé. Par conséquent, la Cour a convoqué les parties à une audience afin de permettre à Teva d’expliquer la portée de l’ordonnance de confidentialité proposée ou d’avancer une démarche plus adaptée.

[19]  Teva a reconnu à l’audience que certaines transcriptions dont elle avait sollicité la protection ne contenaient pas réellement de renseignements confidentiels et que la confidentialité n’était peut-être pas justifiée pour certaines portions de la PADN et de l’accord d’approvisionnement. Cependant, et étonnamment compte tenu de l’objet de l’affidavit et du fait que le fournisseur est une entreprise reliée à Teva, tel qu’il est déjà reconnu dans l’affidavit de M. Ikeda, l’avocat de Teva a fait valoir que l’identité du fournisseur devrait demeurer confidentielle.

[20]  Vu l’insuffisance des éléments de preuve et devant l’insistance de l’avocat, la Cour a donné à Teva jusqu’à la fin de la journée pour vérifier si l’identité du fournisseur était véritablement confidentielle et, le cas échéant, pour produire d’autres éléments de preuve démontrant la nécessité de la confidentialité. Pendant l’audience, la Cour a posé des questions ciblées pour établir comment la divulgation de l’identité du fournisseur pourrait être préjudiciable, vu qu’il s’agissait d’une entreprise affiliée, et a cherché à confirmer que l’identité du fabricant du produit n’était pas déjà connue ailleurs dans le monde, notamment dans des monographies de produits.

[21]  Teva a donc déposé un deuxième affidavit de M. Ikeda. Dans cet affidavit, il déclare ce qui suit :

[traduction] « 5. Teva Canada et le groupe mondial d’entreprises Teva maintiennent la confidentialité des détails de leurs chaînes d’approvisionnement de ces produits pour des raisons de concurrence commerciale. Les renseignements liés à l’emplacement ou à l’identité des entités qui fournissent les produits de bortézomib de Teva, y compris l’ingrédient actif et la formulation du produit fini, ne sont pas accessibles au public. Par exemple, ces renseignements ne sont pas indiqués sur les étiquettes du produit ni dans les monographies de produits. Les renseignements sur la chaîne d’approvisionnement, y compris l’emplacement, les coordonnées du fabricant, ainsi que les détails sur les procédés et les matériaux utilisés sont déposés auprès des organismes de réglementation, dont Santé Canada. Teva comprend et s’attend que le contenu de ces dépôts, dont celui pour le bortézomib, soit tenu en toute confidentialité par les organismes de réglementation, dont Santé Canada, et Teva ne divulgue pas ces renseignements à des tiers en l’absence d’un accord ou d’une ordonnance de la Cour de maintenir la confidentialité. L’identité et l’emplacement des fournisseurs de Teva liés à ses produits de bortézomib sont confidentiels et ne sont pas connus du public.

6. La diffusion au public des renseignements détaillés contenus dans les présentations règlementaires de Teva, en particulier les renseignements de nature scientifique sur les produits ainsi que les arrangements confidentiels pris par Teva avec les fournisseurs, y compris l’identité et l’emplacement de ces fournisseurs (qu’ils soient externes ou appartiennent au groupe d’entreprises Teva), a le potentiel de causer un préjudice aux intérêts commerciaux de Teva pour plusieurs raisons. »

[Non souligné dans l’original]

[22]  Ces déclarations semblaient contredire ce qu’avait constaté la Cour dans des litiges antérieurs sur le régime de réglementation en Europe. De ce fait, la Cour a demandé aux parties de clarifier ce qui suit :

[traduction] « D’après son expérience en matière de litige dans le domaine pharmaceutique, la Cour comprend que, pour les médicaments commercialisés dans des pays européens, l’identité et l’emplacement du fabricant du produit médicamenteux doivent être divulgués et être accessibles au public dans le feuillet de renseignements à l’intention des patients, ou la notice du produit.

Dans le but de s’assurer que les décisions de la Cour ne se fondent pas sur des renseignements incomplets ou trompeurs, on demande aux deux parties de présenter à la Cour des éléments de preuve exposant leur connaissance des renseignements ou leur conviction quant à la commercialisation du bortézomib de Teva dans tout pays de l’Union européenne et, le cas échéant, si l’identité de son fabricant est divulguée dans la ou les notices. »

[23]  En réponse à cette directive, Janssen a présenté une série de six documents qu’elle croyait savoir accessibles au public. L’un de ces documents est un feuillet de renseignements à l’intention des patients (FRIP) pour le bortézomib Teva de l’Irlande, qui désigne le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché comme étant Teva BV aux Pays-Bas, et désigne comme [traduction] « fabricant » TEVA Gyogyszergyar Zrt (TEVA Pharmaceutical Works Private Limited Company) en Hongrie, PLIVA Hrvatska d.o.o. (PLIVA Croatia Ltd.) en Croatie et Teva Operations Poland Sp z.o.o. en Pologne. Le FRIP indique aussi que [traduction] « ce produit médicinal est autorisé dans les États membres de l’EEE sous les noms suivants. » Vient ensuite une liste de noms sous lesquels la vente du produit est autorisée dans 29 pays. Les noms sont des variantes entre Bortezomib Teva, Bortezomib ratiopharm et Bortezomib Pliva.

[24]  Dans les documents présentés par Janssen, on trouvait aussi des documents intitulés Résumé des caractéristiques du produit pour Bortezomib Teva et Bortezomib Actavis, ainsi que les FRIP de Bortezomib Actavis pour la République tchèque, la Hongrie et la Bulgarie. Tous ces documents semblent divulguer le [traduction] « Fabricant » du produit; dans le cas d’Actavis, il s’agit de S. C. Sindan-Pharma S.R.L., en Roumanie.

[25]  Avec le troisième affidavit de Glenn Ikeda, Teva a produit un FRIP pour Teva Bortezomib au Royaume-Uni, indiquant Teva UK comme [traduction] « titulaire de l’autorisation de mise sur le marché » et les mêmes trois entités Teva/Pliva comme [traduction] « Fabricant ». L’affidavit reconnaît que les FRIP deviennent parfois accessibles au public avant le lancement d’un produit, et que Teva et Actavis se sont fusionnées de sorte que les produits de bortézomib de la marque Actavis sont actuellement vendus par Teva dans certains pays européens.

[26]  Cette information contredit les déclarations contenues dans l’affidavit antérieur de M. Ikeda dans lequel, s’exprimant sur le groupe mondial d’entreprises Teva, il avait affirmé que [traduction] « les renseignements sur l’emplacement et l’identité des entités qui fournissent les produits de bortézomib de Teva […] ne sont pas accessibles au public », et [traduction] « ne sont pas indiqués sur les étiquettes du produit ni dans les monographies de produits ». Elle contredit aussi l’affirmation selon laquelle [traduction] « l’emplacement, les coordonnées du fabricant […] sont déposés auprès des organismes de réglementation », mais [traduction] « Teva comprend et s’attend que le contenu de ces dépôts […] soit tenu en toute confidentialité par les organismes de réglementation ». Elle démontre que la déclaration finale et sans équivoque du paragraphe 5 de l’affidavit de M. Ikeda, selon laquelle [traduction] « L’identité et l’emplacement des fournisseurs de Teva liés à ses produits de bortézomib sont confidentiels et ne sont pas connus du public » est fausse.

[27]  Mais, étonnamment et sapant tout vestige de crédibilité que ses affidavits antérieurs pourraient encore avoir devant ces nouvelles informations, M. Ikeda va jusqu’à affirmer que ces déclarations sont néanmoins correctes. L’argument alambiqué auquel recourt M. Ikeda pour s’expliquer est que les FRIP indiquent [traduction] « les endroits qui sont approuvés comme sites de commercialisation » de ces produits, mais non [traduction] « l’identité ou l’emplacement du fabricant qui est utilisé pour une étape précise de la fabrication », puisque les lieux [traduction] « approuvés pour le lancement du produit » [traduction] « pourraient être limités dans sa participation au travail de contrôle de la qualité ». Cependant, il défie toute logique d’avancer que l’entité à laquelle référence est faite dans les renseignements réglementés destinés aux patients comme un [traduction] « fabricant », et constitue l’entité qui donne l’approbation finale et rend le produit disponible à la vente n’est pas [traduction] « une entité qui fournit » le produit ou [traduction] « un fournisseur » du produit.

[28]  Ce que M. Ikeda a déclaré sous serment dans son affidavit du 20 avril 2017 n’est pas simplement que l’identité précise du fabricant du principe actif contenu dans le produit de bortézomib destiné au Canada n’est pas connue du public, mais bien que, en règle générale, le groupe mondial d’entreprises Teva tient pour confidentiels les renseignements [traduction] « relatifs à » l’emplacement ou à l’identité des entités qui [traduction] « fournissent » leurs produits. Or, il semble que ce soit absolument faux : Teva indique, dans les FRIP qu’elle sait accessibles au public, l’emplacement et l’identité des entités autorisées à fournir des produits de bortézomib aux membres de son groupe mondial d’entreprises.

[29]  Le recours de Teva aux détails pour expliquer l’inexplicable passe à côté de ce que l’affidavit initial était censé établir. En l’espèce, la question à trancher est de savoir si Teva subirait un préjudice grave si l’identité de son fournisseur, tel qu’il est indiqué dans l’accord d’approvisionnement, devait être divulguée au public.

[30]  Le préjudice décrit dans l’affidavit de M. Ikeda du 20 avril 2017 est que les concurrents de Teva ou d’autres fournisseurs pourraient tirer un avantage concurrentiel injuste en combinant [traduction] « l’identité ou l’emplacement par ailleurs confidentiels » des fournisseurs de Teva aux renseignements publics sur le fournisseur ou encore des questions liées à l’emplacement ou à la compétence où il mène ses activités. Par exemple, si ce fournisseur rencontrait des difficultés de fabrication, d’autres fournisseurs de Teva pourraient utiliser ces connaissances pour contraindre Teva à payer plus cher.

[31]  Ce supposé préjudice relevait déjà de la spéculation. Conjugué aux faits tels que nous les connaissons maintenant, il manque de crédibilité : le fournisseur lié par l’accord d’approvisionnement en cause est la même entité connexe identifiée publiquement dans les FRIP du bortézomib de Teva en Europe. De ce fait, si ce scénario hypothétique venait à se réaliser, d’autres fournisseurs de Teva pourraient utiliser ces renseignements pour contraindre Teva à payer plus cher, que l’identité exacte du fournisseur canadien soit rendue ou non publique. Quoi qu’il en soit, tout comme le FRIP en Europe, l’accord d’approvisionnement ne contient aucun détail sur l’emplacement ou l’identité des entités devant exécuter l’une ou l’autre des étapes de fabrication, y compris la fabrication du principe actif. Tout préjudice que pourrait subir Teva Canada par la publication de ces renseignements serait également subi par les entités de Teva qui publient les mêmes renseignements en Europe. Or, la publication des coordonnées des fournisseurs semble courante en Europe.

[32]  Je conclus donc que le premier affidavit de Glenn Ikeda était incomplet et insuffisant et que son deuxième affidavit était, à bien des égards important, non conforme à la réalité et trompeur. Conjugué à son insistance obstinée, dans son troisième affidavit, selon laquelle les déclarations dans son deuxième affidavit étaient exactes, malgré des éléments de preuve clairement contraires, je conclus qu’aucun des éléments de preuve présentés par M. Ikeda n’est fiable ou mérite d’être cru. Cela signifie qu’il n’existe aucun élément de preuve fiable au dossier pour permettre de conclure qu’aucun renseignement de Teva ne devrait être considéré confidentiel. La requête de Teva pour une ordonnance de confidentialité doit par conséquent être rejetée.

[33]  La présente conclusion s’applique également aux parties de la PADN de Teva. L’affidavit de M. Ikeda soutient que les segments de la PADN contiennent des renseignements concernant les matériaux et procédés employés pour fabriquer le produit bortézomib de Teva, renseignements qui pourraient être utilisés par des concurrents pour produire des produits concurrentiels. Il ajoute qu’il considère le présent document comme confidentiel et que Santé Canada considère aussi le document comme confidentiel.

[34]  La Cour sait et reconnaît que les dépôts de PADN sont traités de manière confidentielle par Santé Canada et qu’il existe des motifs de politique publique importants pour maintenir la confidentialité de tels dépôts. Cependant, le fait que ces renseignements soient contenus dans une PADN n’est pas déterminant de leur nature confidentielle en soi, ni du maintien de la confidentialité des renseignements au fil du temps.

[35]  Par exemple, le simple fait qu’un fabricant de produits génériques ait déposé une PADN à l’égard d’un produit est traité dans la confidentialité jusqu’à la délivrance d’un avis de conformité. Cependant, la confidentialité est levée si le fabricant de produits génériques signifie un avis d’allégation concernant ladite PADN. La confidentialité est également levée lorsqu’un avis de conformité est délivré. De la même manière, l’ébauche de la monographie du produit intégrée à la PADN au Canada est considérée comme confidentielle, tout comme les renseignements qu’elle contient. Pourtant, une fois le produit approuvé et commercialisé, la monographie du produit devient publique et il devient impossible de raisonnablement prétendre que les renseignements qu’elle contient demeurent confidentiels.

[36]  De même, bien qu’une société pharmaceutique puisse faire valoir que les renseignements contenus dans sa PADN sur la composition et la méthode de fabrication de son produit sont traités dans la confidentialité, la confidentialité des renseignements pourrait être levée une fois que le produit est vendu sur le marché. La composition de produits pharmaceutiques peut souvent être établie par l’analyse d’un échantillon du produit; sa méthode de fabrication peut souvent être déduite par analyse ou peut être raisonnablement déduite en se fondant sur des connaissances scientifiques publiques.

[37]  Les circonstances en l’espèce mettent aussi en évidence le fait que le régime de réglementation européen est différent du régime canadien. Au Canada, les sociétés pharmaceutiques ne sont pas obligées de divulguer des renseignements tels que le fournisseur du produit, tandis que certains de ces renseignements sont rendus publics en Europe. Les renseignements sur la composition et la méthode de fabrication d’un produit pourraient également être traités différemment en Europe.

[38]  Les éléments de preuve de M. Ikeda quant à la confidentialité des renseignements scientifiques que l’on trouve dans la PADN est exclusivement fondée sur son affirmation que Teva et Santé Canada considèrent la PADN et les renseignements qu’elle contient comme confidentiels. Elle n’aborde aucun des moyens par lesquels ces renseignements pourraient être autrement accessibles au public. Vu le manque de crédibilité des éléments de preuve présentés par M. Ikeda, je ne suis pas disposé à accepter que les renseignements scientifiques contenus dans les extraits de la PADN produits au dossier de Teva ne soient pas autrement accessibles au public, ou qu’ils ne puissent raisonnablement être inférés à partir de renseignements publics.

[39]  Vu le manque global de crédibilité des éléments de preuve présentés par M. Ikeda, je ne dispose en outre d’aucun élément de preuve fiable ou crédible corroborant qu’un préjudice grave pourrait être subi par Teva si le taux de redevance, la structure des prix ou les modalités de paiement indiqués dans l’accord d’approvisionnement étaient rendus publics. Je ne dispose d’aucun élément de preuve fiable pour expliquer pourquoi les modalités financières convenues entre les sociétés liées [traduction]« pourraient être utilisées par des concurrents au détriment de Teva lors d’un appel d’offres concurrentiel » tel que le prétend M. Ikeda dans son affidavit.

[40]  Enfin, j’observe que parmi les renseignements dont le maintien de la confidentialité est demandé figurent les détails de certaines modifications de la défense de Janssen, mutuellement convenue entre les parties. Ces allégations veulent que Teva n’aurait pas pu pénétrer le marché du bortézomib avant mars 2015 puisque son fournisseur a constaté, en novembre 2014, qu’il ne fabriquait pas le produit conformément aux exigences définies dans la PADN et la FMM dans les registres de Santé Canada. Bien que l’ordonnance de confidentialité sollicitée par Teva place ces détails dans la portée de l’ordonnance sollicitée, aucun élément de preuve présenté ne mentionne ces renseignements ni explique pourquoi Teva pourrait subir un préjudice s’ils étaient connus du public. Bien que les détails évoquent la réaction utilisée dans la préparation du produit médicamenteux, il n’existe, tel que je l’ai déjà indiqué, aucun élément de preuve fiable démontrant que l’utilisation de ladite réaction n’est pas déjà connue du public, et que Teva pourrait subir quelque préjudice que ce soit si les allégations n’étaient pas protégées par une ordonnance de confidentialité.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

  1. Le greffe retire les pages suivantes des documents fournis par les parties, déposés sur requête en modification de Janssen :

- les pages à l’onglet 16 du volume 3 du dossier de requête de Janssen;

- les pages 0124 à 0142 inclusivement du dossier de requête de Teva.

  1. La requête de Teva pour maintenir la confidentialité des documents déposés sous scellé est autrement rejetée et le greffe lèvera les scellés et versera au dossier public les autres portions des documents produits par les parties.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-944-15

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITÉE c JANSSEN INC. ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC.

 

ET ENTRE :

BLANK/EN BLANC

INTITULÉ :

MILLENNIUM PHARMACEUTICALS INC., JANSSEN INC., CILAG GMBH INTERNATIONAL, CILAG AG ET JANSSEN PHARMACEUTICA NV c LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE REPRÉSENTÉS PAR LE DEPARTEMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES ET TEVA CANADA LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA Protonotaire Mireille Tabib

 

DATE :

Le 2 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Giraldi

Bryan Norrie

 

Pour la demanderesse

 

Adrian Howard

Jullian Brenner

 

Pour les défenderesses

 

Veronica Tsou

 

POUR LE TITULAIRE DE BREVET

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

Gowling WLG (Canada)

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE TITULAIRE DE BREVET

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.