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Date : 20170505


Dossier : IMM‑3796‑16

Référence : 2017 CF 456

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2017

En présence de madame la juge ROUSSEL

ENTRE :

RIZWAN (aussi connu sous le nom RIZWAN PARVAIZ MASIH ou RIZWAN PARVAIZ MASHIH)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Rizwan (aussi connu sous le nom Rizwan Parvaiz Masih ou Rizwan Parvaiz Mashih), est un citoyen du Pakistan âgé de vingt‑et‑un (21) ans, qui a vécu à Oman avec ses parents et sa fratrie depuis 2003. Il est arrivé au Canada le 18 mars 2016, en provenance des États‑Unis, et a présenté une demande d’asile.

[2]               Le demandeur est un chrétien issu d’une famille chrétienne pratiquante. Il prétend craindre d’être persécuté tant à Oman qu’au Pakistan par le père de son ami, qui l’accuse de tenter de convertir son fils, un musulman, à la foi chrétienne. Le demandeur allègue avoir invité son ami à une réception de Noël chez lui et l’avoir par la suite amené à une église chrétienne à Oman. Le père de son ami s’est mis en colère et a menacé de porter des accusations contre lui à Oman, ce qui aurait mené à son expulsion vers le Pakistan et à sa mise sous accusation pour blasphème au Pakistan.

[3]               Dans une décision du 16 août 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR a jugé que le demandeur n’avait pas établi, sur le fondement d’éléments de preuve suffisamment crédibles, qu’il courait un risque de préjudice au Pakistan de la part du père de son ami ou qu’il risquerait d’être persécuté du seul fait de sa religion.

[4]               Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en alléguant que la SPR a procédé à un examen déraisonnable de la crédibilité de ses allégations, ainsi que du risque de persécution auquel il fait face s’il est forcé de retourner au Pakistan.

[5]               Je commencerai par aborder la question préliminaire touchant l’admissibilité d’un affidavit. Le demandeur a déposé un affidavit d’un avocat exposant l’interprétation juridique de l’avocat des lois du Pakistan sur le blasphème et leur application au cas du demandeur. Le défendeur s’oppose à l’admissibilité de l’affidavit, puisque la SPR n’en disposait pas pour examiner la demande du  demandeur. Le demandeur répond que l’affidavit a été présenté en réponse à une nouvelle question soulevée par la SPR, soit celle de la capacité du père à déposer une plainte criminelle contre le demandeur au Pakistan.

[6]               Selon une règle de droit bien connue, le dossier de preuve présenté devant notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur (affaires Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19, et Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211, au paragraphe 16). Étant donné que le demandeur n’a pas démontré que l’affidavit de l’avocat appartient à l’une des quelques exceptions reconnues à la règle générale, je déclare l’affidavit inadmissible.

[7]               La seule question déterminante à trancher concernant la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir s’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne courait aucun risque au Pakistan.

[8]               La conclusion de la SPR soulève des moyens mixtes de fait et de droit et, de ce fait, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lors de l’évaluation du caractère raisonnable, la cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa], et Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Notre Cour doit faire preuve de retenue envers les conclusions de la SPR concernant la crédibilité et son évaluation des éléments de preuve, car la SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité du demandeur et pour tirer les inférences qui s’imposent (affaire Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.), au paragraphe 4 (Q.L.)).

[9]               De plus, il n’appartient pas à notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire de substituer l’issue qui serait à son avis préférable, ni de réévaluer les éléments de preuve présentés à la SPR (arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61. Il faudrait considérer la décision de la SPR  « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 16, et Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165, au paragraphe 7).

[10]           Contrairement aux prétentions du demandeur, je conclus qu’il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable du défaut du demandeur de présenter des éléments de preuve corroborante pour étayer ses allégations (affaire Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, au paragraphe 2). À l’exception du témoignage du demandeur et d’une lettre du pasteur de son église, le demandeur n’a produit aucun autre élément de preuve pour corroborer son allégation de persécution par le père de son ami et n’a fourni aucune explication raisonnable de son omission de le faire.

[11]           Le demandeur aurait pu facilement présenter des éléments de preuve, tel un affidavit fait sous serment, pour attester l’appel téléphonique qu’il avait reçu du père de l’ami, menaçant de rendre la vie du demandeur difficile advenant son retour à Oman. Le père du demandeur aurait tout aussi bien pu fournir des éléments de preuve concernant les discussions que le demandeur avait eues avec sa famille lorsqu’il a été décidé que le demandeur devait quitter Oman. De plus, le grand-père et la sœur du demandeur auraient pu attester la visite du père de l’ami à la maison du demandeur pour lui dire qu’il exerçait une influence néfaste sur son fils et qu’il tentait de convertir celui-ci au christianisme, puisqu’ils se trouvaient prétendument à la maison à ce moment. Ils étaient également présents lorsque des policiers sont allés à la maison du demandeur au mois de mars 2016 pour l’informer qu’ils avaient achevé leur enquête et qu’une accusation ne serait portée, mais qu’ils le surveilleraient tant et aussi longtemps qu’il serait à Oman. De même, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de s’attendre à ce que le demandeur présente des éléments de preuve corroborante concernant l’enquête policière menée à Oman. À mon avis, les éléments au sujet desquels la SPR aurait voulu voir élément de preuve, quel qu’il soit, étaient essentiels à la demande et n’étaient pas négligeables, comme l’a allégué le demandeur (affaire Tellez Picon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 129, aux paragraphes 11 et 12).

[12]           Je reconnais que la SPR a commis une erreur en affirmant que le demandeur n’avait pas établi l’existence de son ami. La lettre du pasteur corrobore l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait amené son ami à un service religieux au mois de janvier 2016. J’estime toutefois que cette erreur n’est pas déterminante, puisque le reste de la lettre du pasteur repose sur l’ouï‑dire et n’établit pas que les problèmes du demandeur avec le père de son ami.

[13]           De plus, je conclus qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le demandeur voulait quitter Oman pour d’autres raisons que sa crainte du père de son ami, étant donné la période au cours de laquelle les événements se sont prétendument produits à Oman, la situation précaire du demandeur à Oman et le rejet de ses deux (2) demandes de visa. La SPR a eu raison de constater que, « après avoir vécu plusieurs années sans problème à Oman », le demandeur a commencé à avoir des problèmes au moment où il tentait d’obtenir un visa pour aller étudier à l’étranger. Je constate également à la vue de l’affidavit du demandeur que sa demande de visa de résident temporaire et de permis d’études a été reçue et ultérieurement refusée au mois de décembre 2015, mois au cours duquel ses prétendus problèmes à Oman ont commencé.

[14]           La décision de la SPR n’est pas fondée exclusivement sur le manque d’éléments de preuve crédibles pour étayer les prétendus problèmes du demandeur à Oman. La SPR a également examiné le risque du demandeur au Pakistan et conclu que, même si l’existence des problèmes à Oman était établie, le demandeur n’avait pas démontré que ces problèmes le suivraient au Pakistan. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que, conjectures mises à part, bien peu de choses permettaient de penser que le père de l’ami serait au courant de la présence du demandeur au Pakistan ou qu’il aurait les ressources ou la motivation nécessaires pour faire porter des accusations de blasphème contre le demandeur au Pakistan. Quant à l’argument du demandeur selon lequel il était possible pour le père de son ami de le retrouver par l’entremise de Facebook, il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur pouvait ne pas dévoiler ces renseignements et que cela ne s’apparentait pas au fait de vivre comme un fugitif.

[15]           Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable relative à la crédibilité du fait qu’il avait accompagné sa famille au Pakistan à quatre (4) reprises, pendant environ un (1) mois par année de 2012 à 2015, pour rendre visite à sa grand-mère. Je ne suis pas d’accord. Il ne s’agit pas d’une conclusion relative à la crédibilité ni une question secondaire à la demande, comme l’a suggéré le demandeur. Les voyages répétés du demandeur au Pakistan démontrent plutôt une absence de crainte subjective et une absence de risque objectif de persécution au Pakistan.

[16]           La SPR a également conclu, sur la foi des éléments de preuve documentaire objectifs, que le profil du demandeur comme chrétien vivant au Pakistan n’était pas suffisant pour le mettre à risque, malgré l’existence de discrimination et de violence sectaire au Pakistan. En soutenant que la SPR n’a pas tenu compte d’autres éléments de preuve plus favorables dans les documents faisant état des conditions dans le pays, le demandeur demande en fait à notre Cour de réévaluer les éléments de preuve disposait la SPR et de tirer une autre conclusion. Tel n’est pas le rôle de notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[17]           Pour conclure, même si la conclusion de la SPR quant à l’existence de l’ami du demandeur n’est pas étayée par le dossier, ses autres conclusions le sont. En me rappelant qu’il faudrait considérer la décision de la SPR comme un tout en m’abstenant de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur, je conclus que la décision, examinée dans son ensemble, est raisonnable du fait qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3796‑16

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3796-16

INTITULÉ :

RIZWAN (aussi connu sous le nom RIZWAN PARVAIZ MASIH ou RIZWAN PARVAIZ MASHIH) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE l’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2017

COMPARUTIONS :

Me Peter Smilsky

Pour le demandeur

Me Sally Thomas

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Peter Smilsky

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Me William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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