Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170505


Dossier : IMM-4632-16

Référence : 2017 CF 455

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

PITRA ELOGHENEVIANO MELFORD‑JOWOH
(aussi appelée PITRA ELOGHENEV MELFORD‑JOWOH)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Pitra Elogheneviano Melford‑Jowoh (aussi connue sous le nom de Pitra Eloghenev Melford‑Jowoh), est une citoyenne du Nigéria. Elle est arrivée au Canada en provenance des États-Unis le 21 février 2016 pendant sa grossesse et a présenté une demande d’asile le 9 mars 2016. Elle invoque sa crainte d’être persécutée par l’oncle de son époux, un ancien sénateur, et par d’autres membres du clan de son époux parce qu’elle refuse de participer à des rituels liés à la grossesse qui mettraient en danger sa santé et celle de son enfant à naître, et qui vont à l’encontre de ses croyances chrétiennes.

[2]  Dans une décision datée du 7 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse du fait qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur sûre et raisonnable ailleurs au Nigéria.

[3]  Le 6 octobre 2016, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel de la demanderesse et a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés concernant l’existence d’une  possibilité de refuge intérieur viable ailleurs au Nigéria. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la demanderesse ne s’exposerait pas à une possibilité sérieuse de persécution si elle se prévalait de la possibilité de refuge intérieur proposée et que, de plus, elle n’avait pas démontré que sa réinstallation dans la possibilité de refuge intérieur proposée serait déraisonnable dans sa situation.

[4]  La question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle du caractère raisonnable de la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable ailleurs au Nigéria. Il n’est pas controversé entre les parties que le fait de décider s’il existe une possibilité de refuge intérieur est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Asif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1323, au paragraphe 20; Bokhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1306, au paragraphe 14; Mchedlishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 630, au paragraphe 12 [Mchedlishvili]).

[5]  Pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit prendre en considération le bien-fondé, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[6]  La question de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable implique l’application d’un critère à deux volets. La Section de la protection des réfugiés doit être persuadée, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée dans la région du pays où, selon la Section de la protection des réfugiés, une possibilité de refuge intérieur existe. Dans un second temps, les conditions qui prévalent à la possibilité de refuge intérieur doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse y cherche refuge, dans toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA), aux paragraphes 9 et 12 (Q.L.) [Thirunavukkarasu];  Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), au paragraphe 10 (Q.L); Mchedlishvili, au paragraphe 16).

[7]  Il incombe à la demanderesse de démontrer qu’il n’existe aucune possibilité de refuge intérieur ou que la possibilité de refuge intérieur proposée est déraisonnable compte tenu de la situation de la demanderesse (Thirunavukkarasu, aux paragraphes 5, 9 et 12). Le critère auquel la demanderesse doit satisfaire, selon la prépondérance des probabilités, est exigeant (Okechukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1142, au paragraphe 35 [Okechukwu]; Mchedlishvili, au paragraphe 17).

[8]  La demanderesse soutient que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle il n’existe aucune possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée dans la région de la possibilité de refuge intérieur proposée est déraisonnable. Elle soutient notamment qu’elle a fourni plusieurs éléments de preuve pour démontrer ce qui suit : 1) l’oncle de son époux, un ancien sénateur, est très connu et a des relations, de sorte qu’il pourrait retrouver la demanderesse à la possibilité de refuge intérieur  proposée; 2) le fait qu’un membre de la famille de son époux habite à proximité de la possibilité de refuge intérieur proposée accroît la possibilité qu’elle y soit retrouvée; et 3) depuis le départ de la demanderesse, l’oncle de son époux a des motifs supplémentaires de la retrouver.

[9]  Je ne peux me rallier à l’argument de la demanderesse. L’appréciation de la Section d’appel des réfugiés concernant l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable ailleurs au Nigéria est fondée sur sa conclusion selon laquelle l’oncle et le reste du clan de l’époux de la demanderesse n’envisagent pas sérieusement de mettre à exécution leurs menaces contre la demanderesse. Cette conclusion repose notamment sur le fait que la demanderesse n’avait pas été ciblée pendant qu’elle vivait avec son amie pendant deux (2) mois avant de quitter le Nigéria, et que son époux, qui est resté dans la maison qu’il avait partagée avec la demanderesse, n’avait pas été pas ciblé. Il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés conclue que le fait que la demanderesse soit restée dans sa ville natale et qu’elle ait continué à aller travailler sans être ciblée pendant deux mois indiquait que l’oncle n’avait ni la motivation ni les moyens de la retrouver. Il était également raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de procéder par inférence pour conclure que, étant donné le fait que l’oncle n’avait pas pu la retrouver à son lieu de travail, il ne pourrait pas la retrouver à la possibilité de refuge intérieur proposée, laquelle est très loin du village de ses prétendus persécuteurs.

[10]  Pour motiver sa conclusion selon laquelle l’oncle ne pourrait pas retrouver la demanderesse à la possibilité de refuge intérieur proposée, la Section d’appel des réfugiés a souligné que le Nigéria compte plus de 180 millions d’habitants et que la possibilité de refuge intérieur proposée en compte plus de deux millions. La Section d’appel des réfugiés a également examiné le manque d’infrastructure au Nigéria, en constatant, par exemple, que seulement 11,6 % des résidents des zones urbaines et 1,5 % des résidents des zones rurales ont accès à Internet. La Section d’appel des réfugiés a également eu raison de se fonder sur l’absence d’éléments de preuve établissant que les associations Obimo Ndigbo Youth Association et Obimo Ndigbo Indigene Association étaient en mesure de retrouver la demanderesse. Dans un même ordre d’idées, il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de se demander pourquoi la demanderesse s’attirerait les foudres de l’oncle de son époux alors que son époux n’avait pas consenti aux rituels et, aux dires de tous, appuyait son épouse dans sa décision.

[11]  De plus, en l’absence de tout élément de preuve établissant que l’oncle avait un autre parent habitant à proximité de la possibilité de refuge intérieur proposée, à part la personne membre de la famille de l’époux de la demanderesse, il n’était pas déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés déduise que cette personne ne signalerait pas la présence de la demanderesse, étant donné qu’elle avait consenti à signer un affidavit pour le compte de la demanderesse malgré la notoriété et l’influence de l’oncle.

[12]  La demanderesse soutient également que, lors de son examen du second volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur, soit de déterminer s’il serait déraisonnable que la demanderesse se réinstalle à la possibilité de refuge intérieur proposée, la Section d’appel des réfugiés a omis de prendre en compte ce qui suit : 1) la demanderesse est maintenant plus vulnérable, puisqu’il est plus difficile pour elle de demeurer en sécurité et moins visible à la possibilité de refuge intérieur proposée avec un bébé; 2) une évaluation psychologique selon laquelle elle avait les symptômes du trouble de stress post-traumatique, du trouble anxieux généralisé et du trouble dépressif majeur et que son état psychologique se détériorerait advenant son retour au Nigéria; et 3) les Directives no4 du Président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives), puisque la demanderesse a été victime de violence sexuelle et qu’elle devrait maintenant protéger sa fille contre la mutilation génitale féminine, une forme de violence très sexospécifique.

[13]  La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer sa déclaration selon laquelle la possibilité de refuge intérieur proposée est moins viable du fait d’avoir un bébé. Je répète qu’il incombe à la demanderesse d’établir les raisons pour lesquelles la possibilité de refuge intérieur proposée n’est pas raisonnable. Il n’appartient pas à la Section d’appel des réfugiés d’expliquer pourquoi la possibilité de refuge intérieur proposée serait sûre pour la demanderesse et son bébé.

[14]  Il était également raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure que l’évaluation psychologique de la demanderesse suffisait pour satisfaire à la norme élevée requise pour démontrer qu’il serait déraisonnable de chercher refuge à la possibilité de refuge intérieur  proposée. Bien que le rapport aborde l’effet psychologique du retour de la demanderesse au Nigéria, il ne fait aucune mention de ce qui suit : 1) la méthode par laquelle le psychothérapeute a formulé l’opinion médicale selon laquelle l’état psychologique de la demanderesse se détériorerait advenant son retour au Nigéria; 2) le type de traitement dont la demanderesse a besoin; et 3) sa capacité à recevoir le traitement à la possibilité de refuge intérieur proposée (Okechukwu, au paragraphe 39; Egbesola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, au paragraphe 15).

[15]  De plus, le rapport psychologique doit être interprété dans le contexte de la grossesse de la demanderesse et de l’effet que la menace de son retour au Nigéria avait sur son enfant à naître. En l’absence d’éléments de preuve sur l’état actuel de la demanderesse, sauf l’ordonnance d’un médecin, il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés d’accorder peu de poids au rapport en examinant la situation actuelle de la demanderesse.

[16]  Enfin, je conclus que la décision n’a pas été prise en contravention des Directives. La Section d’appel des réfugiés a précisé qu’elle les avait prises en compte. À la lecture de la décision, je ne peux conclure que la Section d’appel des réfugiés a manqué de sensibilité en abordant le dossier de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, le défaut de mentionner les Directives ne constitue pas à lui seul une erreur susceptible de contrôle (Chappell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1243, au paragraphe 18; Sargsyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333, au paragraphe 15).

[17]  La demanderesse soutient également que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte des éléments de preuve, ou les a mal interprétés, avant de parvenir à sa décision. Toutefois, dans la mesure où la Section d’appel des réfugiés aurait erré en appréciant le poids à accorder aux éléments de preuve, je juge ces erreurs non déterminantes.

[18]  Je rappelle qu’il faut considérer la décision de la Section de la protection des réfugiés comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54), et je conclus que la décision, examinée dans son ensemble, est raisonnable du fait qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[19]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’accord que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4632-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié en y substituant « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté »;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4632-16

INTITULÉ :

PITRA ELOGHENEVIANO MELFORD‑JOWOH
(aussi appelée PITRA ELOGHENEV MELFORD‑JOWOH) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 5 mai 2017

COMPARUTIONS :

Ameena Sultan

Pour la demanderesse

Susan Gans

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sultan Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.