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Date : 20170428


Dossier : T-1053-16

Référence : 2017 CF 426

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

BALRAJ SHOAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

SECTIONS  PAGE

Faits  2

La décision soumise au contrôle  6

Questions  7

Question préliminaire : Convient‑il de radier certaines parties de l’affidavit du demandeur?  8

Thèse du défendeur  8

Thèse du demandeur  10

Discussion  11

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?  18

Question 2 : Le gouverneur en conseil a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale à l'égard du demandeur?  20

Thèse du demandeur  20

Thèse du défendeur  24

Discussion  28

(1) Teneur de l’obligation d’équité  28

(2) Application du contenu de l’obligation d’agir équitablement  52

a) Avis  52

b) Possibilité de se faire entendre  63

c) La décision équitable et impartiale  68

Question 3 : La décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur était‑elle déraisonnable?  79

Question 4 : Réparation  89

Dépens  91

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du gouverneur en conseil en date du 23 juin 2016, qui mettait fin à la nomination du demandeur, Balraj Shoan, en tant que conseiller du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (le « CRTC ») pour un motif valable, dans le cadre du décret C.P. 2016‑651 (la « décision »). Cette demande est présentée en vertu des articles 18, 18.1, 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7.

Faits

[2]  Le demandeur a été nommé, le 3 juillet 2013, conformément au paragraphe 3(1) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, LRC 1985, ch C‑ 22 (la « Loi sur le CRTC »), à titre de conseiller du CRTC en vertu du décret CP 2013‑080, modifiée par le décret 2013‑0838. Il était nommé afin d’occuper le poste à titre inamovible pour un mandat de cinq ans.

[3]  La relation entre le demandeur et le CRTC était difficile, comme en témoigne le dossier qui m’a été présenté. En septembre 2014, la directrice exécutive, Communications et Relations externes du CRTC, a déposé une plainte de harcèlement à l’égard du demandeur. Conformément aux Lignes directrices du CRTC relatives aux méthodes de règlement des conflits en cas de plainte officielle de harcèlement, il incombait au secrétaire général du CRTC de gérer la plainte. Il a finalement renvoyé à plainte à un tiers, Laurin & Associates (l’« enquêteur sur la plainte de harcèlement ») aux fins d’enquête. L’enquêteur sur la plainte de harcèlement a rédigé un rapport où il concluait au bien‑fondé de la plainte (le « rapport sur la plainte de harcèlement »). Le secrétaire général a recommandé au président du CRTC d’accepter le rapport sur la plainte de harcèlement et de mettre en œuvre les mesures qu’il recommandait. C’est ce que le président a fait dans une lettre en date du 7 avril 2015. Le 28 avril 2015, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision devant la Cour.

[4]  Le 22 octobre 2015, le demandeur a aussi présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale afin de contester trois décisions prises par le président du CRTC, en alléguant que ce dernier n’avait pas le pouvoir de mettre en place des comités d’audition formés de conseillers du CRTC afin de trancher des cas qui leur sont présentés.

[5]  D’autres préoccupations diverses ont été soulevées, notamment les déclarations du demandeur dans les médias sociaux, que la ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles (la « ministre ») jugeait très critique à l’égard du CRTC, comme elle en a informé le demandeur dans une lettre en date du 1er mai 2015.

[6]  Ces préoccupations ont abouti à une lettre de la ministre en date du 26 février 2016 (la « lettre de la ministre »). Dans cette lettre, elle indiquait au demandeur qu’elle s’inquiétait de sa capacité à agir en tant que conseiller du CRTC, puisqu’on l’avait mise au fait de situations survenues qui donnaient à croire que le demandeur ne s’était pas acquitté de ses fonctions de manière éthique et responsable. Elle ajoutait que sa conduite avait nui à la capacité du CRTC de s’acquitter de ses fonctions, en plus d’effriter la confiance du public et des intervenants en sa capacité de le faire. La ministre a indiqué qu’elle écrivait au demandeur afin de lui faire part de ses préoccupations, de l’informer des renseignements sur lesquels ses préoccupations se fondaient et de lui permettre de lui présenter toute observation qu’elle devrait prendre en considération, selon lui, avant qu’elle ne prenne d’autres mesures. La ministre a précisé que le demandeur devait savoir qu’elle se demandait si elle devait recommander au gouverneur en conseil de mettre fin à sa nomination. La lettre précisait ensuite quatre catégories de préoccupations et elle était accompagnée d’un document de sept pages intitulé [traduction] « Norme de conduite attendue et sommaire des préoccupations » (le « sommaire ») qui s’accompagnait d’environ 1 200 pages de documentation sous forme d’annexes ou de renvois. La ministre a demandé au demandeur de lui présenter, au plus tard le 14 mars 2016, toute observation écrite qu’elle devait prendre en considération, à son avis, avant de déterminer s’il pouvait continuer de jouer son rôle de conseiller au CRTC; elle étudierait attentivement chacune de ces observations avant de déterminer si elle allait formuler une recommandation au gouverneur en conseil ou pas.

[7]  Le 14 mars 2016, le demandeur, par l’intermédiaire de son avocat, a présenté sa réponse, dans laquelle il répondait aux préoccupations soulevées par la ministre (la « réponse du demandeur » ou la « réponse »).

[8]  La ministre a finalement recommandé de mettre fin à la nomination du demandeur et, comme il est indiqué ci‑dessus, c’est ce que le gouverneur en conseil a fait dans le cadre d’un décret en date du 23 juin 2016.

[9]  Par la suite, le 2 septembre 2016, le juge Zinn de la Cour a conclu que l’enquête menée par l’enquêteur sur la plainte de harcèlement avait dépassé la portée de son mandat et qu’elle avait été menée avec un esprit fermé (Shoan c Canada (procureur général), 2016 CF 1003). Ainsi, étant donné que le processus menant à la décision du président avait été exécuté d’une façon qui privait le demandeur de l’équité procédurale et de la justice naturelle, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie et la décision du président d’accepter le rapport sur la plainte de harcèlement et de mettre en œuvre les mesures qu’il recommandait a été annulée. Le juge Zinn a toutefois refusé d’ordonner que l’affaire soit renvoyée aux fins d’examen par une autre personne; en effet, cette ordonnance n’aurait aucune valeur puisque le gouverneur en conseil avait résilié la nomination du demandeur. Les dépens ont été adjugés au demandeur.

[10]  Le 9 septembre 2016, la juge Mactavish a refusé d’accueillir une requête déposée par le demandeur en vue d’ordonner la suspension de la décision du gouverneur en conseil et de le réintégrer dans ses fonctions de conseiller du CRTC, en attendant la décision à l’égard de sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa nomination (Shoan c Canada (procureur général), 2016 CF 1031).

[11]  Le 24 octobre 2016, la Cour d’appel fédérale, dans un jugement oral, a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard des trois décisions contestées rendues par le président du CRTC. La Cour d’appel fédérale a conclu que le président était pleinement autorisé à mettre sur pied les comités d’audition en litige. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur le CRTC prévoyait que le président était le premier dirigeant du CRTC et qu’à ce titre, il en assurait la direction, présidait ses réunions et contrôlait la gestion de son personnel. Le règlement interne du CRTC reconnaissait expressément l’autorisation d’attribuer des dossiers et des conseillers à des dossiers, implicite à ce pouvoir. La Cour d’appel fédérale a conclu que la demande était non fondée au point de justifier une adjudication supplémentaire des dépens à l’égard du demandeur (Shoan c Canada (Procureur général), 2016 CAF 261 (« Shoan CAF »)).

La décision soumise au contrôle

[12]  La décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur en tant que conseiller du CRTC se lit ainsi :

Attendu que, par le décret C.P. 2013-809 du 13 juin 2013, modifié par le décret C.P. 2013-838 du 21 juin 2013, Raj Shoan a été nommé conseiller à temps plein du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour la région de l’Ontario à titre inamovible pour un mandat de cinq ans, à compter du 3 juillet 2013;

Attendu que le 26 février 2016, la ministre du Patrimoine canadien a écrit à Raj Shoan pour l’informer que certaines des actions de ce dernier qui ont été rapportées à la ministre remettent en question sa capacité d’agir en tant que commissaire du CRTC; qu’elle lui a fourni également les renseignements relatifs à ces préoccupations, y compris la documentation sur laquelle ces dernières sont fondées, et qu’elle l’a invité à faire toute observation qu’il voulait qu’elle prenne en considération avant qu’une décision soit prise en ce qui a trait à la révocation de sa nomination pour un motif valable;

Attendu que le gouverneur en conseil a examiné attentivement la correspondance envoyée le 26 février 2016 par la ministre, ainsi que les documents communiqués à Raj Shoan dans cette correspondance, et les représentations faites par Raj Shoan le 14 mars 2016, ainsi que les documents accompagnant ces représentations;

Attendu que le gouverneur en conseil a conclu que les actions de Raj Shoan sont fondamentalement incompatibles avec ses fonctions et qu’il n’a plus la confiance du gouverneur en conseil pour agir à titre de commissaire du CRTC;

À ces causes, sur recommandation de la ministre aux fins de l’application de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et en vertu du paragraphe 3(2) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Son Excellence le Gouverneur général en conseil met fin, pour un motif valable, à la nomination de Raj Shoan à titre de membre à temps plein du CRTC pour la région de l’Ontario, à compter du 24 juin 2016.

Questions

[13]  Les parties affirment que la demande de contrôle judiciaire en l’espèce soulève les quatre questions qui suivent et je suis d’accord.

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Le gouverneur en conseil a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur?

  3. La décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur était‑elle déraisonnable?

  4. Quelle est la réparation appropriée?

[14]  Je dois également trancher une question préliminaire. Cette question découle d’une requête que le demandeur a déposée le 20 janvier 2017 afin de faire radier certains paragraphes de son affidavit fait sous serment le 4 juillet 2016 et déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce (« l’affidavit Shoan ») et certaines pièces y étant jointes, ainsi que certains paragraphes connexes de son mémoire des faits et du droit. J’ai été saisie de cette requête immédiatement avant d’entendre la présente demande de contrôle judiciaire, à la même date.

Question préliminaire : Convient‑il de radier certaines parties de l’affidavit du demandeur?

Thèse du défendeur

[15]  En ce qui concerne le moment choisi pour présenter la requête, le défendeur soutient que les demandes de contrôle judiciaire sont conçues pour être instruites à bref délai et selon une procédure sommaire. Par conséquent, on s’attend à ce que les requêtes en radiation de déposition par affidavit soient présentées devant le juge qui entend la demande sur le fond afin d’éviter des délais inutiles, autrement que plus tôt dans la procédure, par l’intermédiaire d’une requête interlocutoire (Canada (procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18 (« Quadrini »); Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 11 (« Association des universités et collèges »)).

[16]  Le défendeur fait valoir qu’il s’oppose à l’admissibilité de parties de l’affidavit Shoan selon les trois motifs qui suivent : i) il contient des opinions et des arguments inadmissibles; ii) il contient des notes et des explications du demandeur sur les documents qui se trouvaient devant le gouverneur en conseil lorsqu’il a rendu sa décision; et iii) il contient des éléments de preuve qui ne se trouvaient pas devant le gouverneur en conseil lorsqu’il a pris sa décision.

[17]  Les éléments de preuves à utiliser dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limitent au dossier dont le décideur, en l’espèce, le gouverneur en conseil, était saisi en raison des rôles différents du décideur et de la Cour. Même si cette règle générale prévoit une exception en ce qui concerne l’admissibilité d’éléments de preuve pertinents à une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de fin inappropriée ou de fraude qui n’ont pas été produits devant le décideur, ces éléments sont uniquement admis s’ils n’avaient pas pu être présentés au décideur. Qui plus est, un affidavit à utiliser dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire doit se limiter aux faits dont l’auteur a une connaissance personnelle. Les opinions, les arguments ou les conclusions juridiques ne sont pas des faits et sont donc inadmissibles. Les faits doivent être présentés sans notes et sans explications. Les commentaires sur des éléments de preuve au dossier dont le décideur est saisi afin d’exposer l’appréciation de la preuve de l’auteur à la cour de révision ne constituent pas un argument recevable (Règles des Cours fédérales, SOR/98-106, paragraphe 81(1) (« Règles »); Quadrini, au paragraphe 18; Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120 au paragraphe 2 (« Duyvenbode »); Société Canadian Tire Ltée c Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56, aux paragraphes 11 et 12 (« Société Canadian Tire »)).

[18]  Et, même si un argument peut contenir des observations pures et simples propres à diriger, ces éléments de preuve peuvent uniquement être admis dans le but limité de présenter des renseignements généraux à la cour de révision et ils ne peuvent pas s’engager dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position (Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 45 (« Delios »)). Le défendeur a ensuite relevé chacun des paragraphes de l’affidavit Shoan auquel il s’opposait en raison de son irrecevabilité et il a motivé chacune de ces oppositions. Il a aussi désigné les parties irrecevables correspondantes des observations écrites du demandeur.

Thèse du demandeur

[19]  Le demandeur reconnaît qu’en principe, le dossier de la preuve dont la cour de révision est saisie dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont le décideur administratif, le gouverneur en conseil en l’espèce, était saisi. Il soutient toutefois que cette règle prévoit des exceptions reconnues (Association des universités et collèges). Il prétend également qu’il ne faut pas déposer systématiquement des requêtes en radiation; il faut seulement le faire lorsque la preuve est hors de propos, qu’elle porte préjudice ou qu’elle se rapporte à une question controversée (Mayne Pharma (Canada) Inc c Aventis Pharma Inc, 2005 CAF 50 (« Mayne »)). Le demandeur soutient que la Cour, pour radier des allégations qui sont hors de propos, doit conclure que ces allégations sont abusives ou doit être convaincue qu’il vaudrait mieux trancher leur admissibilité à une étape antérieure à l’audition de la demande (Quadrini, au paragraphe 18). L’exercice du pouvoir discrétionnaire pour radier des parties d’un affidavit doit être exercé avec réticence, seulement dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire (Armstrong c Canada (procureur général), [2005] ACF no 1270 (CF), au paragraphe 40).

[20]  Le demandeur soutient que la requête en radiation aurait pu être déposée à une étape antérieure plutôt que cinq mois après avoir confirmé qu’il s’appuierait sur l’affidavit Shoan et deux mois après avoir déposé son mémoire des faits et du droit. Il serait injuste d’accueillir la requête à cette étape de l’instance.

[21]  Le demandeur soutient aussi que les parties contestées de l’affidavit Shoan contiennent des renseignements généraux importants sur les principales questions entourant le contrôle judiciaire, qui sont requis pour évaluer dans son contexte le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil. Qui plus est, ces renseignements sont pertinents parce qu’ils portent sur des questions entourant l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil. En particulier, la ministre avait l’esprit fermé, et elle a rejeté les explications des événements fournies par le demandeur et les questions qu’il a soulevées sur la conduite des autres. Le demandeur fait valoir que le défendeur n’a pas établi que les éléments de preuve contestés de l’affidavit sont hors de propos, qu’ils portent préjudice ou qu’ils sont controversés. En outre, l’article 221 des Règles ne s’applique pas en principe dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire afin de radier une plaidoirie; un juge peut radier des parties d’un mémoire des faits et du droit uniquement s’il est jugé nécessaire qu’il le fasse, ce qui n’a pas été établi. Le défendeur réplique aussi à chacun des paragraphes contestés.

Discussion

[22]  En ce qui concerne le moment choisi pour présenter la requête en vue de radier des parties de l’affidavit Shoan, je ne partage pas l’avis du demandeur selon lequel la requête aurait dû être présentée plus tôt ou il serait injuste de l’accueillir à cette étape.

[23]  Dans Association des universités et collèges, les demanderesses ont fait valoir que la question de l’admissibilité d’un l’affidavit devrait être jugée par la formation de la Cour qui examine la demande et non sous forme de décision préalable. Le juge Stratas de la Cour d’appel fédéral a indiqué ce qui suit :

[11]  La Cour jouit d’une totale latitude ce qui a trait à l’opportunité de rendre ou non une décision préalable. Ce pouvoir discrétionnaire n’est encadré que par la directive énoncée au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qui exige que la Cour « statue à bref délai et selon une procédure sommaire » sur les demandes de contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour n’exercera son pouvoir discrétionnaire de manière à rendre une décision préalable au sujet de l’admissibilité que lorsqu’elle estime que cette mesure est de toute évidence justifiée. Il est rare que notre Cour déroule le tapis rouge à l’intention de ceux qui tentent d’obtenir pareille décision interlocutoire.

[Non souligné dans l’original]

(Voir aussi Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 9 à 11 (« Bernard ») et Mayne, au paragraphe 16).

[24]  En l’espèce, le demandeur ne s’est pas opposé à la demande présentée par le défendeur en vue de mettre en rôle la requête visant à radier des parties de l’affidavit Shoan afin qu’elle soit entendue à la même date que l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Et, lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur n’a pas demandé d’examiner d’abord la requête et d’ajourner la demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce que la requête ait fait l’objet d’une décision. Par conséquent, étant donné qu’aucune des parties n’a demandé à obtenir une décision préalable en l’espèce, le moment où la requête a été déposée ne soulève aucune question puisqu’elle serait habituellement entendue par le juge saisi des demandes (Mayne, au paragraphe 16). En fait, avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur afin de contester le pouvoir du président de former des comités d’audition, la Cour d’appel fédérale a rejeté une requête déposée par le défendeur afin de radier des parties de l’affidavit à l’appui présenté par le demandeur, en partie parce que la ministre avait tenté d’obtenir une décision préalable (Shoan c Canada (Procureur général), 18 février 2016, dossier A-464-15 (CAF)).

[25]  Je soulignerais aussi que le demandeur n’a pas expliqué en quoi il serait injuste ou dommageable d’accueillir la requête à cette étape et que je ne vois aucune injustice potentielle. Il était selon moi approprié pour le défendeur, dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, d’avoir présenté la requête à un moment où le juge qui présidait l’audience elle‑même pourrait statuer à son égard.

[26]  En ce qui concerne le contenu de l’affidavit Shoan, dans Association des universités et collèges, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a précisé qu’au moment de statuer sur la recevabilité d’un affidavit à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire, il faut garder à l’esprit les rôles différents que jouent la Cour et le décideur administratif. Le législateur a conféré au décideur administratif, et non à la Cour, la compétence pour trancher certaines questions sur le fond. En raison de cette distinction des rôles, la Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à la cour de révision lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont le décideur est saisi. Les éléments de preuve dont le décideur n’était pas saisi et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles, à certaines exceptions limitées près. Le juge Stratas a énuméré trois exceptions de ce type, et a relevé que la liste n’est sans doute pas exhaustive. Les exceptions sont un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; un affidavit portant à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; ou un affidavit faisant ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (aux paragraphes 19 et 20)

[27]  Le juge Stratas a revu la règle générale dans Bernard, en faisant allusion aux décisions antérieures rendues par la Cour d’appel fédérale dans Association des universités et collèges, Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 et Delios, et il a discuté en détail des trois exceptions reconnues :

[23]  L’exception des renseignements généraux existe parce qu’elle s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l’affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c’est‑à‑dire le décideur administratif. Rien n’incite le juge de révision à s’immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui‑ci par le législateur. Ajoutons que l’exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

[24]  La deuxième exception reconnue n’est en réalité qu’une forme particulière de la première. Quelquefois, une partie déposera un affidavit faisant état de l’absence totale de preuve sur une certaine question. En d’autres termes, l’affidavit dit au juge de révision non pas ce qui figure au dossier — objet de la première exception —, mais plutôt ce qui n’y figure pas. Voir à ce sujet Keeprite Workers' Independent Union v. Keeprite Products Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 513 (C.A. Ont.), et Access Copyright, précité, au paragraphe 20. Cela peut être utile quand une partie allègue qu’une décision administrative est déraisonnable parce que reposant sur une conclusion de fait essentielle en toute absence de preuve. Là encore, cela s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement, pour les motifs énoncés au paragraphe précédent.

[25]  La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond; voir Keeprite et Access Copyright, précités, ainsi que Mr. Shredding Waste Management Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux), 2004 NBCA 69, 274 N.B.R. (2nd) 340 (but illégitime), et St. John’s Transportation Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 1662, 1998 CanLII 18670, 161 Nfld. & P.E.I.R. 199 (fraude). En guise d’illustration, supposons que, après qu’une décision administrative a été prise et que le décideur a été dessaisi, une partie découvre que la décision a été amenée par un pot‑de‑vin. Supposons également que l’avis de demande de cette partie invoque une atteinte à la justice naturelle à cause de ce pot‑de‑vin. La preuve du pot‑de‑vin est recevable par voie d’affidavit déposé auprès du juge de révision.

[26]  Notons en passant que, si un élément de preuve était disponible au moment de l’instance administrative en ce qui concerne la justice naturelle, l’équité procédurale, le but illégitime ou la fraude, la partie lésée devait s’opposer et présenter cet élément de preuve devant le décideur administratif. Lorsqu’une partie peut raisonnablement être considérée comme ayant eu la capacité de s’opposer devant le décideur administratif sans l’avoir fait, l’opposition ne peut être faite par la suite lors d’un contrôle judiciaire : voir Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), 2000 CanLII 16575, ainsi que In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.).

[23]  La troisième exception reconnue s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. La preuve en question n’aurait pu être présentée au juge du fond et, ainsi, l’exception n’intervient en rien dans le rôle du décideur administratif à titre de juge du fond. Elle se trouve aussi à faciliter à la Cour la tâche de contrôler le décideur administratif à l’égard d’un motif admissible (tâche d’application de la primauté du droit).

[28]   La liste des exceptions n’est pas close. Dans certaines affaires, les juges de révision ont reçu en preuve un affidavit qui facilite leur tâche de contrôle et n’empiète pas sur le rôle du décideur administratif comme juge des faits et juge du fond. Voir à ce sujet Hartwig v. Saskatchewan (Commission of Inquiry), 2007 SKCA 74, 284 D.L.R. (4th) 268, au paragraphe 24. Par exemple, dans une affaire, le demandeur alléguait que la décision du décideur administratif était déraisonnable parce que celui‑ci avait interprété à tort certaines observations faites par l’avocat comme étant des aveux. Toutefois, les observations de l’avocat au décideur administratif ne figuraient pas dans le dossier présenté au juge de révision. La cour de révision a admis des éléments de preuve sur ces observations pour pouvoir évaluer si la décision était déraisonnable : voir Ontario Shores Centre for Mental Health v. O.P.S.E.U., 2011 ONSC 358. Dans une autre affaire, la cour de révision a admis en preuve la transcription partielle d’une instance devant un décideur administratif. La transcription avait été préparée par une des parties, et non par le décideur. Dans les circonstances, la cour de révision a jugé que la transcription partielle était fiable et qu’elle n’était ni inéquitable ni préjudiciable et était nécessaire à son contrôle de la décision administrative : voir SELI Canada Inc. v. Construction and Specialized Workers' Union, Local 1611, 2011 BCCA 353, 336 D.L.R. (4th) 577.

[28]  Dans Delios, le juge Stratas a indiqué ce qui suit à propos de l’exception des renseignements généraux :

[traduction]

[44]  Selon cette exception, une partie peut déposer un affidavit contenant « des informations générales qui sont susceptibles d’aider [la cour de révision] à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[45]  L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position – rôle de l’exposé des faits et du droit –, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

[46]   Toutefois, « [o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[29]  Le juge Stratas a ensuite précisé que, même si le tribunal de première instance dans cette affaire avait estimé que les éléments exposés dans l’affidavit étaient connus des parties et exacts, qu’ils avaient été communiqués rapidement et qu’ils ne donnaient lieu à nul préjudice, ils ne rendaient pas la preuve recevable (au paragraphe 51). Le critère d’admissibilité pour l’exception des renseignements généraux est présenté aux paragraphes 44 à 46 de ses motifs.

[30]  La Cour d’appel fédéral a aussi conclu qu’un affidavit doit se fonder sur une connaissance personnelle et qu’il sert à présenter des faits liés au litige, sans notes et sans explications. Il ne faut pas confondre l’objectif d’un affidavit avec les observations écrites qu’une partie est en droit de formuler à l’appui de sa demande (Duyvenbode aux paragraphes 2 et 3). Les affidavits ne doivent pas contenir d’arguments et le déclarant ne doit pas interpréter la preuve qui a déjà été examinée par un tribunal ou tirer des conclusions défavorables (Société Canadian Tire, aux paragraphes 9 et 10; voir aussi Quadrini, au paragraphe 18).

[31]  À l’annexe A aux présents motifs, j’ai abordé en détail les paragraphes, les parties de paragraphes et les pièces de l’affidavit Shoan faisant l’objet d’une contestation qui, en fonction des principes exposés ci‑dessus doivent être radiée, selon ma conclusion, ainsi que les motifs de cette radiation.

[32]  Disons simplement que l’affidavit Shoan, comptant 82 paragraphes, ne ressemble pas aux affidavits présentés habituellement à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire afin de présenter le contexte factuel entourant les événements survenus avant l’audition de la demande ou des renseignements généraux utiles afin d’aider la Cour à comprendre l’affaire. De tels affidavits pourraient par exemple décrire de façon neutre un régime réglementaire complexe afin de situer l’affaire dans ce régime pour la Cour et ainsi l’aider à comprendre son application. L’affidavit Shoan se rapproche davantage d’un mémoire, même s’il contient certains faits généraux pertinents. Bon nombre des paragraphes contiennent des opinions et des arguments, dont le contenu dépasse largement celui de renseignements généraux factuels. Certains des paragraphes attaqués contiennent aussi des renseignements qui n’ont pas été présentés au décideur, le gouverneur en conseil, et qui ne sont donc pas recevables à ce titre.

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

[33]  Le demandeur fait valoir que les questions liées à l’équité procédurale ne sont pas assujetties à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle et qu’elles ne commandent pas la retenue. La Cour a plutôt comme mission de déterminer le niveau d’équité requis, sur lequel elle se fondera ensuite pour trancher si une procédure était équitable ou non (Moreau-Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Grandmont, 2009 CF 1211, au paragraphe 13; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, aux paragraphes 102 et 103; Jogiat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 815, au paragraphe 36). Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à la conclusion de congédiement justifié du gouverneur en conseil selon la norme du bon comportement est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (« Dunsmuir »); Wedge c Canada (procureur général), [1997] ACF no 872 (CFPI) (« Wedge »)).

[34]  Le défendeur soutient quant à lui que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Il ajoute que la nature et l’importance de l’obligation d’équité procédurale sont éminemment variables et que son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21 (« Baker »); Re Sound c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 42 (« Re Sound »)). Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de fond de la décision du gouverneur en conseil. À cet égard, il faut déterminer si la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Étant donné que le législateur n’a pas limité le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en définissant précisément l’exigence selon laquelle un conseiller du CRTC est nommé « à titre inamovible », cela signifie que le gouverneur en conseil disposait d’un éventail élargi d’issues possibles acceptables au moment de déterminer si le demandeur devait être congédié pour cause (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56 aux paragraphes 88 à 91).

[35]  Je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Re Sound, aux paragraphes 34, 35 et 39). Le concept de l’équité procédurale est variable et son contenu est tributaire des circonstances et du contexte particuliers de chaque cas (Baker, aux paragraphes 21 et 22). Je suis aussi d’accord avec l’affirmation des deux parties selon laquelle la décision du gouverneur en conseil de congédier le demandeur pour un motif valable est soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une décision discrétionnaire prise par le gouverneur en conseil dans l’exercice d’un pouvoir que le législateur lui a délégué (Wedge, au paragraphe 29; Weatherill c Canada (procureur général), [1998] ACF no 58 (CFPI), aux paragraphes 26 à 28 (« Weatherill 1998 »); Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53; Vennat c Canada (procureur général), 2006 CF 1008, au paragraphe 80 (« Vennat »); voir aussi Canada (Procureur général) c Pelletier, 2008 CAF 1, aux paragraphes 48 et 55 (« Pelletier 2008 ») et Première Nation de Prophet River c Canada (procureur général), 2017 CAF 15, au paragraphe 30 (« Prophet River »)). Une décision discrétionnaire rendue par le gouverneur en conseil commandera un degré élevé de retenue (Première Nation de Prophet River c Canada (procureur général), 2015 CF 1030, aux paragraphes 46 à 48, confirmé par Prophet River précité; Peace Valley Land River Association c Canada (procureur général), 2015 CF 1027 aux paragraphes 31 et 68 (« Peace Valley »)).

Question 2 : Le gouverneur en conseil a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur?

Thèse du demandeur

[36]  Le demandeur soutient que le processus suivi par la ministre et la décision rendue par le gouverneur en conseil de révoquer sa nomination enfreint les règles d’équité procédurale qui s’appliquent afin de protéger l’indépendance des personnes nommées à titre inamovible des organes quasi‑judiciaires.

[37]  Le demandeur précise que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale s’étendent à tous les organes administratifs agissant en vertu d’un pouvoir légal (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, au paragraphe 14 (« Cardinal »); Baker, au paragraphe 20; Knight c Indian Head School Division No 19 (Saskatchewan Board of Education), [1990] 1 RCS 653, à la p. 669 (« Knight »); Kane c Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 RCS 1105, à la p.1113 (« Kane »)). La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker, au paragraphe 21). En outre, l’équité procédurale doit être imposée afin que le pouvoir public ne soit pas exercé de façon irrégulière, peu importe si la nomination est faite « à titre amovible » ou « à titre inamovible », même si la portée de l’équité procédurale due n’est pas identique (Dunsmuir, aux paragraphes 115 et 116).

[38]  Le demandeur s’appuie fortement sur la décision rendue par la Cour dans Vennat, y compris pour la proposition selon laquelle les personnes nommées à titre inamovible méritent de recevoir des protections procédurales plus importantes que celles nommées à titre amovible (voir aussi Keen c Canada, 2009 CF 353, aux paragraphes 46 à 48 (« Keen »)), ces dernières étant décrites comme des nominations intrinsèquement précaires (Pelletier 2008, au paragraphe 33; Keen, au paragraphe 48). Il s’en est aussi appuyé pour affirmer que le gouverneur en conseil avait l’obligation de lui donner une occasion réelle de répondre et qu’il incombait au gouverneur en conseil, et non au demandeur, de prévoir des garanties procédurales suffisantes (Vennat, aux paragraphes 80, 105 et 186). Il faut aussi témoigner un degré élevé de bonne foi aux personnes nommées par le gouverneur en conseil avant d’imposer des mesures disciplinaires à leur égard, y compris l’exigence d’être honnête, raisonnable et franc (Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10, aux paragraphes 86 à 96 (« Potter »).

[39]  Le demandeur fait valoir que l’obligation d’équité en l’espèce exigeait qu’il puisse avoir droit à une enquête personnalisée, que la ministre et le gouverneur en conseil étaient tenus d’agir de manière équitable et transparente et qu’on lui présente une analyse ou des motifs clairs de la décision du gouverneur en conseil.

[40]  À cet égard, le demandeur soutient que le gouverneur en conseil a commis une erreur puisqu’il n’a pas mené une enquête personnalisée sur les allégations faites à son endroit. Il s’agit d’une enquête relativement indépendante des faits qui vise la personne faisant l’objet de la procédure de révocation et qui doit permettre de faire la lumière sur le comportement spécifique de l’intéressé (Vennat, aux paragraphes 165 et 166, 169, 178 et 179). Les décisions rendues dans Wedge et dans Weatherill c Canada, [1999] ACF no 787 (CFPI) (« Weatherill 1999 ») soutiennent également ce point de vue, tout comme Keen (aux paragraphes 54 à 57). Qui plus est, aucune enquête n’a été menée en vertu de l’article 69 de la Loi sur les juges, LRC 1985, ch J‑ 1 (la Loi sur les juges) en l’espèce.

[41]  Le demandeur fait valoir qu’il a uniquement été informé que la ministre songeait à recommander au gouverneur en conseil de le congédier et qu’il avait uniquement l’occasion de présenter ses premières observations. Aucun autre dialogue n’a eu lieu et aucune enquête indépendante n’a été menée, sans compter qu’on ne lui a pas donné les renseignements adéquats sur les motifs exacts pour lesquels il était réputé ne pas s’être bien comporté. Il a aussi soutenu que bon nombre des préoccupations soulevées étaient [traduction] « périmées » puisqu’elles renvoyaient à des événements antérieurs à la nomination de la ministre actuelle que l’ancienne ministre avait jugé qu’elles ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures.

[42]  Le demandeur conteste aussi le moment où le gouverneur en conseil a rendu sa décision. Il affirme particulièrement qu’il n’était pas possible de mener une enquête substantielle avant la fin des contrôles judiciaires connexes. Même s’il avait demandé à ne pas lancer le processus exposé par la ministre avant la fin de ces affaires, on a ignoré cette demande, ainsi que sa demande de garanties procédurales. Le demandeur fait valoir que le contrôle judiciaire lié à la plainte de harcèlement était au cœur de la décision du gouverneur en conseil et que la décision du président à cet égard a été annulée peu de temps après que le gouverneur en conseil a rendu sa décision. Qui plus est, la décision rendue par le gouverneur en conseil constituait une attaque collatérale sur la procédure de contrôle judiciaire dont le juge Zinn était saisi. La décision rendue par le gouverneur en conseil en toute hâte s’est avérée une prolongation de fait de la « chasse aux sorcières » menée à son endroit.

[43]  En ce qui concerne la transparence et le franc jeu, le demandeur soutient que la ministre et le gouverneur en conseil étaient tenus de satisfaire à une norme de justice de haute qualité et de respecter la transparence et le franc jeu, ce qu’ils n’ont pas fait (Vennat, au paragraphe 221). À cet égard, on a ignoré ses demandes de garanties procédurales et de rencontre avec la ministre, on lui a présenté un sommaire à peine des allégations qui pesaient contre lui et de leur ampleur et on ne lui a pas indiqué que sa réponse avait été prise en considération et on ne lui a présenté aucune raison claire sur le fondement de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa nomination pour un motif valable. Le décret ne renvoyait qu’à une conduite fondamentalement incompatible avec ses fonctions, une norme qui n’est pas définie dans la Loi sur le CRTC ou dans toute autre loi applicable. Par conséquent, le demandeur ne comprend toujours pas véritablement le fondement à son congédiement.

Thèse du défendeur

[44]  Le défendeur soutient que le processus mené par le gouverneur en conseil respectait l’obligation d’équité à l’égard du demandeur.

[45]  En ce qui concerne la nature de l’obligation d’équité procédurale à laquelle il doit être satisfait, le défendeur soutient que le demandeur, en tant que personne nommée par le gouverneur en conseil, avait le droit de recevoir un avis et une possibilité d’être entendu (Wedge, au paragraphe 22; Canada (procureur général) c Pelletier, 2007 CAF 6, au paragraphe 49 (« Pelletier 2007 »); Pelletier c Canada (procureur général), 2005 CF 1545, au paragraphe 87, confirmée dans Pelletier 2007 précité (« Pelletier 2005 »); Pelletier 2008, au paragraphe 43; Keen, au paragraphe 57). Lorsqu’elle s’est penchée sur le processus suivi par le gouverneur en conseil dans des cas antérieurs de congédiement, la Cour a reconnu que le gouverneur en conseil dispose d’une marge de manœuvre importante pour déterminer quel moyen peut permettre d’atteindre l’objectif d’équité procédurale (Vennat, au paragraphe 148) et il n’est pas tenu de suivre des procédures lourdes, coûteuses et incompatibles avec sa nature (Pelletier 2005, au paragraphe 86). Les cas de congédiement ne sont pas des processus juridictionnels auxquels on peut appliquer des procédures complètes, officielles et quasi‑judiciaires (Wedge, au paragraphe 24). L’obligation d’équité procédurale, en raison de sa nature flexible, reconnaît qu’il est possible de participer sérieusement de diverses façons et dans différentes situations (Baker, au paragraphe 33; Pelletier 2007 au paragraphe 36), qu’il convient de garder en tête dans l’examen de la jurisprudence antérieure sur le congédiement de personnes nommées par le gouverneur en conseil.

[46]  En ce qui concerne le droit à un avis, la ministre a informé le demandeur par écrit que son poste était en péril lui a présenté les raisons pour lesquelles il en était ainsi. Le demandeur a reçu un avis sur les allégations particulières d’inconduite qui pesaient à son égard et il a reçu un sommaire des préoccupations de la ministre, réparties en quatre catégories et faisant référence à des incidents dans chacune d’elles, ainsi que des documents à l’appui. Il n’y avait aucun différend factuel sur les événements survenus et le demandeur était au fait de tous les documents soumis. Les renseignements et les documents ont constitué un avis au demandeur du fardeau de la preuve qu’il avait à relever.

[47]  Le défendeur soutient que le demandeur a aussi eu une occasion réelle de répondre et d’être entendu. Il était représenté par un conseiller juridique et a présenté sa réponse substantielle par écrit. Il a eu l’occasion de répondre et c’est ce qu’il a fait en présentant sa version des événements, en relevant ce qui constituait à son avis des lacunes dans les éléments de preuve et en produisant ses propres éléments de preuve pour corriger ou compléter le dossier, en justifiant ses gestes et en présentant des observations sur l’interprétation que le décideur devrait faire de sa conduite. Le demandeur a accepté le processus exposé par la ministre dans sa lettre et son avocat n’a présenté aucune plainte selon laquelle on le privait d’une occasion réelle d’être entendu. Il n’a pas affirmé qu’on ne lui avait pas donné suffisamment de temps pour répondre et il n’a pas demandé plus de temps non plus. Il n’a pas affirmé qu’il lui était impossible de présenter une réponse adéquate sans qu’on lui divulgue d’autres renseignements et à aucun moment il n’a informé la ministre qu’il voulait présenter des observations supplémentaires ou que sa réponse était incomplète.

[48]  La ministre a suivi le processus qu’elle avait exposé dans sa lettre et elle a été transparente à cet égard. Le gouverneur en conseil a donné au demandeur une audience équitable puisqu’il a tenu compte des allégations qui lui avaient été communiquées, auxquelles il avait eu la possibilité de répondre. La suggestion du demandeur selon laquelle il n’a reçu qu’un sommaire à peine des allégations n’est pas fondée et aucune indication n’a été relevée quant à la mesure dans laquelle sa réponse a été prise en considération, ou si elle l’a été. Le gouverneur en conseil a indiqué dans le décret qu’il avait étudié minutieusement la preuve qu’il avait produite et ses observations avant de rendre sa décision et la validité d’une telle mention ne peut être examinée (Keen, au paragraphe 55; voir aussi Peace Valley, au paragraphe 63).

[49]  Le défendeur soutient aussi que l’équité procédurale n’exigeait pas de tenir des réunions en personne entre la ministre et le demandeur. Dans Weatherill 1999, il avait fallu tenir plusieurs réunions afin que M.  Weatherill demande de divulguer des documents et des renseignements supplémentaires et d’ainsi comprendre les allégations qui pesaient contre lui en vue d’y répondre adéquatement. En l’espèce, toutefois, la ministre a décidé de collecter d’abord les renseignements à l’appui à sa disposition et d’exprimer méthodiquement ses préoccupations avant d’entamer la procédure, éliminant ainsi le besoin d’avoir de multiples échanges. En l’espèce, le demandeur n’a pas montré non plus qu’il s’agit d’un cas complexe où une audience orale s’imposerait afin de garantir qu’il aurait une occasion réelle d’être entendu. Il ne s’agissait pas d’un cas où le décideur était incapable d’apprécier entièrement les faits ou les observations écrites présentées en réponse par le demandeur sans observations orales; il est donc raisonnable pour la ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas rencontrer le demandeur. Vennat se distingue au motif qu’elle portait sur un litige extraordinairement complexe.

[50]  Le défendeur soutient que Vennat se distingue aussi à d’autres égards. Dans cette affaire, l’iniquité du processus était attribuable au fait que le gouverneur en conseil s’était appuyé sur les conclusions d’un processus qui ne visait pas uniquement M. Vennat. En particulier, le gouverneur en conseil s’était appuyé sur les conclusions d’un processus dont le point de mire n’était pas la conduite de M. Vennat, mais plutôt une instance civile dans laquelle il était à peine un témoin. Par conséquent, il n’avait aucun droit de citer un témoin en réponse, de présenter des observations juridiques ou d’interjeter appel. Le processus en l’espèce vise uniquement le demandeur. Les préoccupations indiquées dans la lettre de la ministre portaient sur la conduite du demandeur; l’articulation de ces préoccupations et les documents à l’appui ont été préparés précisément pour un processus visant à déterminer s’il fallait révoquer sa nomination, qui n’était pas collatéral à un autre processus quelconque. Le moment où le processus décisionnel a été mené et sa durée n’étaient pas non plus inéquitables.

[51]  Le défendeur fait aussi valoir que la position du demandeur selon laquelle les allégations de la ministre étaient périmées ou le gouverneur avait pris une décision précipitée n’est pas fondée. La ministre a expliqué dans sa lettre que les préoccupations étaient cumulatives. Même si les incidents d’inconduite ont commencé pendant le mandat de la ministre précédente, ils se sont poursuivis jusqu’à ce que le comportement inapproprié récurrent exige à la nouvelle ministre de lancer le processus en vue de déterminer s’il fallait révoquer la nomination du demandeur. Qui plus est, même si les incidents antérieurs n’inconduite n’avaient pas poussé l’ancienne ministre à recommander sa révocation, elle a averti, dans sa correspondance, que tous les renseignements liés à cette affaire demeuraient à l’étude. Il n’était pas non plus inapproprié pour le gouverneur en conseil d’agir pendant que les procédures de contrôle judiciaire lancées par le demandeur étaient en cours. Dans Weatherill 1998, la Cour a refusé d’accueillir une injonction interdisant au gouverneur en conseil de prendre des mesures afin de congédier le demandeur et d’exercer ses pouvoirs prévus par la loi et sa prérogative (aux paragraphes 26 à 28). Qui plus est, toute insinuation de malice relativement au moment où le gouverneur en conseil a pris sa décision n’est pas fondée. Rien n’indique que la décision a été prise afin de faire échec ou de porter préjudice à la demande dont le juge Zinn était saisi.

Discussion

(1)  Teneur de l’obligation d’équité

[52]  Le CRTC, établi en vertu de la Loi sur le CRTC, est formé de treize conseillers tout au plus nommés par le gouverneur en conseil. Le paragraphe 3(2) prévoit que la durée maximale du mandat est de cinq ans pour tous les conseillers et que ceux-ci occupent leur poste à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée de la part du gouverneur en conseil. La Loi sur le CRTC ne définit pas les termes « à titre inamovible » ou « motivée » et ne prévoit aucun processus à suivre dans les cas où l’on songe à une révocation motivée.

[53]  Les parties s’entendent sur le fait que l’obligation d’équité procédurale s’applique à la décision du gouverneur en conseil (Cardinal, au paragraphe 14; Baker, au paragraphe 20). Elles s’entendent aussi sur le fait que le concept de l’équité procédurale est variable et que son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas et qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale (Baker, au paragraphe 21). À cet égard, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit dans Baker :

22  Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données. Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[54]  Il faut d’abord se demander quelle est la nature de l’obligation d’équité procédurale imposée au gouverneur en conseil dans cette situation. Ensuite, il s’agira de déterminer si le demandeur a eu droit aux garanties applicables en l’espèce (Pelletier 2005, au paragraphe 39).

[55]  Dans Baker, on a relevé plusieurs facteurs pouvant aider à déterminer ce qu’exige l’obligation d’agir équitablement dans des circonstances données. L’un de ces facteurs est la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir. Plus le processus administratif ressemble à une prise de décision judiciaire, plus les garanties procédurales requises sont importantes (au paragraphe 23). Le processus suivi par la ministre et le gouverneur en conseil en l’espèce ne ressemble pas à un processus judiciaire, ce qui signifie que ce facteur ne tend pas faire un niveau élevé d’équité procédurale (Vennat, aux paragraphes 77 et 78, 127 à 132 et 146; Wedge, au paragraphe 24; Pelletier 2008, au paragraphe 59).

[56]  Le facteur suivant est la nature du régime législatif et les termes de la loi (Baker, au paragraphe 24). Ici, la Loi sur le CRTC, hormis le paragraphe 3(2), n’aide pas vraiment à mener l’analyse. Je précise toutefois qu’aucun droit d’interjeter appel n’est prévu, même si le demandeur a la capacité de demander un contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du gouverneur en conseil.

[57]  Le troisième facteur est l’importance de la décision pour la personne touchée. La Cour suprême du Canada, dans Baker, a conclu que plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (au paragraphe 25). En l’espèce, la décision du gouverneur en conseil révoque la nomination du demandeur en tant que conseiller du CRTC; on peut donc raisonnablement supposer que cet événement pourrait avoir une conséquence négative sur sa carrière future. Ce facteur joue donc en faveur de garanties procédurales plus rigoureuses, exigeant une [traduction] « justice de haute qualité » (Baker, au paragraphe 25; citant Kane, à la p. 1113; Vennat, aux paragraphes 119 à 124).

[58]  Dans Baker, la Cour suprême du Canada a ensuite abordé les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; ce facteur n’entre toutefois pas en jeu en l’espèce. Enfin, l’analyse des procédures requises par l’obligation d’équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui-même (Baker, au paragraphe 27). C’est particulièrement le cas quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances. En l’espèce, la Loi sur le CRTC ne prévoit aucune procédure et la ministre et le gouverneur en conseil ont choisi le processus qu’ils estimaient approprié. Cela ne tendrait donc pas vers un niveau élevé d’équité procédurale.

[59]  Même si les facteurs exposés dans Baker donnent des directives importantes, ils ne sont pas révélateurs dans les circonstances en l’espèce et suggèrent généralement un niveau peu élevé d’équité procédurale. La Cour suprême du Canada a toutefois tiré la conclusion suivante, plus générale, également :

28  Je dois mentionner que cette liste de facteurs n’est pas exhaustive. Tous ces principes aident le tribunal à déterminer si les procédures suivies respectent l’obligation d’équité. D’autres facteurs peuvent également être importants, notamment dans l’examen des aspects de l’obligation d’agir équitablement non reliés aux droits de participation. Les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[60]  Le congédiement d’une personne nommée par le gouverneur en conseil est un événement plutôt rare. Il est approprié et utile, à mon avis, d’examiner les quatre décisions précédentes de révocation d’une nomination afin de confirmer le contenu précédemment déterminé de l’obligation d’agir équitablement dans les circonstances entourant ces affaires.

[61]  La première de ces décisions est Wedge, tranchée par le juge MacKay de la Cour en 1997. Dans Wedge, la demande de contrôle judiciaire portait sur une décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination à titre inamovible du demandeur en tant que membre du Tribunal d’appel des anciens combattants (« TAAC »). À la suite d’allégations de participation à des irrégularités électorales, aucune accusation criminelle n’a été déposée à l’égard de M. Wedge, mais une plainte a été déposée devant le TAAC. M. Wedge a ensuite reçu une lettre du Bureau du Conseil privé, faisant état d’un doute au sujet de la question de savoir s’il pouvait continuer de siéger au TAAC en raison de sa conduite en rapport avec les élections. Dans cette lettre, on lui indiquait que le Bureau du Conseil privé avait demandé à un représentant de ce bureau et au président du TAAC d’examiner sa conduite et de faire rapport sur la question. À la lettre était jointe une copie du compte rendu antérieur d’une enquête menée par des enquêteurs privés pour le ministère de la Justice. Après avoir exposé en détail les allégations donnant lieu au doute relatif à la pertinence que le requérant continue d’exercer ses fonctions, la lettre indiquait à M. Wedge qu’en vue de lui donner la possibilité de faire valoir tout autre fait ou toute autre circonstance dont il faudrait tenir compte, ou de commenter par ailleurs l’exactitude des faits inclus dans le rapport d’enquête, une réunion avait été prévue avec ces représentants.

[62]  À la réunion, M. Wedge et son avocat ont fait état d’un certain nombre de leurs préoccupations, y compris des oppositions générales quant à la façon dont l’enquête avait été menée. Les représentants ont ensuite préparé un rapport à l’intention du Bureau du Conseil privé. M. Wedge en a reçu une copie et a été invité à répondre à ce rapport en formulant des observations écrites qui seraient transmises au gouverneur en conseil pour examen. M. Wedge a répondu en exposant ses préoccupations. Ses observations écrites du requérant, le rapport, le rapport d’enquête antérieur et les documents connexes ont ensuite été transmis au gouverneur en conseil pour examen. Le gouverneur en conseil a par la suite statué que la conduite de M. Wedge au cours de l’Élection était incompatible avec le poste qu’il occupait au TAAC et il l’a révoqué.

[63]  M. Wedge a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le juge MacKay a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale. Il a conclu que M. Wedge avait été mis au courant des allégations le concernant et avait eu la possibilité d’y répondre. L’essentiel de ces allégations avait été décrit à l’intention du requérant dans la lettre de notification, leur fondement avait été décrit de manière plus complète dans le rapport d’enquête et les motifs de la mesure prise par le gouverneur en conseil avaient été exposés dans le rapport final. Ces deux rapports avaient été fournis à M. Wedge avec la possibilité d’y répondre de vive voix à la réunion et par la suite par écrit, en rapport au premier rapport et au rapport final. M. Wedge avait donc eu la possibilité de traiter des lacunes et des omissions alléguées dans le rapport final et de soumettre au décisionnaire les préoccupations qu’il avait. Le juge MacKay a conclu qu’il n’était pas raisonnable de laisser entendre que M. Wedge n’avait pas eu une occasion complète et équitable de soumettre ses commentaires au gouverneur en conseil avant que celui-ci se prononce. En ce qui concerne l’observation de M. Wedge selon laquelle on lui a refusé son droit à l’équité procédurale en ce sens qu’il n’avait pas eu l’occasion de contre-interroger des témoins, le juge MacKay a conclu que, même si l’enquête initiale et l’examen auxquels ont procédé les représentantes constituaient peut-être bien des étapes importantes dans le processus consistant à considérer l’avenir de M. Wedge en tant que membre du TAAC (au paragraphe 24) :

[…] ces étapes ne constituaient pas un processus d’arbitrage auquel devraient s’appliquer les formalités habituellement associées à une poursuite criminelle, comme un contre-interrogatoire. Le requérant n’avait donc pas le droit de contre-interroger des témoins déjà soumis à un interrogatoire, ou de bénéficier d’une audition complète, officielle et de nature judiciaire de l’affaire. À mon avis, les exigences de l’équité procédurale ont été remplies en l’espèce, en ce sens que le requérant a été mis au courant du fond des allégations formulées contre lui, ainsi que du rapport d’enquête et du rapport final concernant ces allégations, et il a eu une occasion équitable d’y répondre de vive voix, une fois à la réunion de juin 1994, et deux fois par la suite par écrit.

[64]  En ce qui concerne la norme de bonne conduite, le juge Mackay a indiqué que, bien que les membres du TAAC occupent leur poste « à titre inamovible », le paragraphe 4(4) de la Loi sur le Tribunal d’appel des anciens combattants, LC 1985, ch V‑12), autorise de manière générale le gouverneur en conseil à procéder à une révocation « motivée » d’un membre du TAAC et aucun de ces termes ne sont définis. Il s’agissait plutôt d’une décision de nature discrétionnaire qu’avait prise le gouverneur en conseil, en exerçant le pouvoir que lui avait délégué le législateur (au paragraphe 29). Le juge MacKay a conclu ce qui suit :

30  À mon sens, aucune preuve n’indique que le gouverneur en conseil a exercé indûment son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Pour déterminer si le titulaire d’une charge publique satisfait à la norme de bonne conduite qui est requise pour continuer d’exercer ses fonctions, le Cabinet, c’est-à-dire, le gouverneur en conseil, doit examiner le comportement de cette personne afin d’évaluer s’il est compatible avec le degré d’intégrité que le gouverneur en conseil juge nécessaire pour préserver la confiance du public dans les institutions fédérales et le processus fédéral de nominations.

31  En l’espèce, la décision du Cabinet de révoquer le requérant était fondée sur une analyse des observations du requérant, ainsi que du rapport Bloodworth-Whelan. Au vu de cette preuve, le gouverneur en conseil a jugé que le comportement du requérant au cours de l’élection provinciale tenue à l’Île-du-Prince-Édouard en 1993 était incompatible avec l’obligation de faire preuve de la « bonne conduite » (« good behaviour ») dont dépendait sa nomination en tant que membre du TAAC. La Cour n’a aucune raison d’intervenir à l’égard de cette décision à moins qu’il soit évident que le gouverneur en conseil s’est fondé sur un principe erroné ou a agi de manière inique, sans tenir compte des éléments de preuve soumis.

32  L’argument soulevé par l’avocat du requérant, à savoir que le Cabinet a appliqué à tort une [traduction] « norme judiciaire [de] bonne conduite » au comportement du requérant, n’est tout simplement pas défendable, selon moi. La question que devait trancher le gouverneur en conseil était de savoir si la conduite du requérant était compatible avec l’obligation de faire preuve d’une bonne conduite (« good behaviour »), aux termes de l’article 4 de la Loi. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Loi elle-même ne comporte aucune norme ou définition relative à une bonne conduite (« good behaviour ») ou à un motif (« cause »). Au lieu de cela, le libellé du paragraphe 4(4) confère au gouverneur en conseil le vaste pouvoir discrétionnaire de révoquer un membre du TAAC à quelque moment que ce soit pour motif valable. En conséquence, selon moi, pour déterminer s’il existe un « motif », le gouverneur en conseil a le droit d’évaluer si le comportement du requérant était compatible avec les conditions de sa nomination, y compris si, selon lui, ledit comportement était susceptible de miner la confiance du public dans l’institution fédérale à laquelle le requérant avait été nommé.

33  En tant que membre nommé à une charge publique comportant des fonctions de nature quasi-judiciaire, le requérant avait été mis par le gouverneur en conseil dans une situation de confiance vis-à-vis du public. Pour préserver cette situation, le titulaire d’une telle charge est tenu de se conformer à l’obligation de faire preuve d’une « bonne conduite » et est soumis à la condition qu’en tout temps, le gouverneur en conseil peut le révoquer pour motif valable. À mon sens, vu la position de confiance qui est conférée aux personnes nommées à un office fédéral, y compris le Tribunal d’appel des anciens combattants, ainsi que l’influence qu’exercent ces personnes en tant que représentants de cet office sur la perception des citoyens, il n’appartient pas à la présente Cour de restreindre la portée du pouvoir discrétionnaire que le législateur confère au gouverneur en conseil. […]

[65]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Wedge a été rejetée et le décret dans lequel on révoquait sa nomination n’a pas été annulé.

[66]  La deuxième décision de ce groupe est Weatherill 1999, tranché par la juge Sharlow en 1999, dans laquelle elle s’est penchée sur la décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination à titre inamovible de M. Weatherill en tant que président du Conseil canadien des relations du travail (« CCRT »).

[67]  Dans cette affaire, le même jour où un rapport du gouverneur général examinant les dépenses de voyage, les allocations et les avantages remboursés au demandeur a été déposé devant le Parlement, la sous‑greffière du Conseil privé et avocate (sous‑greffière) a informé M. Weatherill dans une lettre que le gouverneur en conseil déterminerait, à la lumière du rapport du vérificateur général, s’il existait des motifs justifiant sa révocation aux termes du paragraphe 10(2) du Code canadien du travail, LRC 1985, ch L‑ 2. La lettre mentionnait les énoncés précis du rapport du vérificateur général qui posaient problème et se terminait par une invitation à M.  Weatherill de fournir tout renseignement qu’il considérait comme pertinent et de faire part de toute observation sur la précision du rapport du vérificateur général. On offrait également dans cette lettre au demandeur de le rencontrer au cours de la semaine.

[68]  Le 5 décembre 1997, l’avocat de M. Weatherill a rencontré la sous‑greffière et l’a informée que M.  Weatherill n’avait pas eu un délai suffisant pour répondre au rapport du vérificateur général et qu’il ne pouvait pas répondre adéquatement à sa lettre du 2 décembre 1997 sans avoir accès aux documents de travail et aux données collectées par le vérificateur général dans le cadre de la préparation de son rapport et sans jouir d’un délai suffisant pour les analyser. Le même jour, l’avocat de M. Weatherill a assisté à une rencontre organisée par la sous‑greffière avec des représentants du Bureau du vérificateur général, au cours de laquelle il a obtenu certains renseignements de façon verbale, mais les représentants désiraient examiner sa demande d’obtention de documents. Au moyen d’une lettre datée du 9 décembre 1997, M. Weatherill a requis les documents de façon formelle au vérificateur général. Par lettre, le lendemain, le Bureau du vérificateur général a fourni les documents de travail liés à ses dépenses, mais a refusé de lui donner accès à d’autres documents demandés. La sous‑greffière a écrit à M. Weatherill le 11 décembre 1997 et a reconnu qu’il aurait besoin de plus de temps pour se préparer. Elle a suggéré la tenue d’une rencontre le 17 ou le 18 décembre, et elle a mentionné qu’elle tenterait d’obtenir certains des documents requis en s’adressant directement aux autres organismes publics en cause. Elle a également mentionné que M.  Weatherill aurait l’occasion de répondre par écrit à son rapport et qu’on lui avait demandé de terminer ce rapport avant Noël.

[69]  Diverses correspondances ont été échangées et des conversations électroniques ont eu lieu, y compris une lettre envoyée par l’avocat de M. Weatherill le 14 décembre 1997 indiquant que le processus entrepris était contraire à l’article 69 de la Loi sur les juges et qu’il ne donnerait pas lieu à une audition équitable et impartiale. Il a aussi signalé qu’il n’avait toujours pas reçu les renseignements demandés relativement aux comparaisons ayant servi de fondement au rapport du vérificateur général. Le demandeur n’a finalement pas reçu de renseignements supplémentaires, et il n’y a eu aucune rencontre ultérieure entre la sous‑greffière et M.  Weatherill ou son avocat. La sous‑greffière a transmis un exemplaire de son rapport à M.  Weatherill le 24 décembre 1997 avec une lettre d’accompagnement indiquant que le rapport allait être soumis au gouverneur en conseil au plus tard le 16 janvier 1998. M.  Weatherill n’a fait part d’aucune observation, mais il a institué une demande de contrôle judiciaire cherchant à obtenir une ordonnance empêchant le gouverneur en conseil d’examiner la question de sa révocation vu l’absence d’une enquête faite en vertu de l’article 69 de la Loi sur les juges et il a déposé une demande d’injonction provisoire à cet égard. L’injonction a été rejetée le 23 janvier 1998 (voir Weatherill 1998). Le Bureau du Conseil privé a décidé que le processus se poursuivrait dans l’attente de l’audition de l’appel et a informé M. Weatherill qu’il devait faire parvenir ses observations au plus tard le 28 janvier 1998. L’avocat de M. Weatherill a demandé d’arrêter le processus en l’attente de l’audition de l’appel, fixé au 2 février 1998 et a rappelé qu’on n’avait toujours pas donné à M.  Weatherill l’ensemble des documents requis pour répondre au rapport. Le Bureau du Conseil privé a refusé d’arrêter le processus et, le 27 janvier 1998, a prononcé le décret de révocation.

[70]  Au contrôle judiciaire, M. Weatherill prétendait qu’il ne pouvait faire l’objet de révocation avant la tenue de l’enquête prévue par l’article 69 de la Loi sur les juges et qu’il y avait eu négation de la justice fondamentale dans le cadre du processus qui a mené au décret de révocation. La juge Sharlow a conclu que le paragraphe 69(1) s’applique uniquement à la discrétion du ministre de la Justice. Elle a aussi conclu que la révocation du titulaire d’un poste occupé à titre inamovible ne peut avoir lieu sans qu’une protection procédurale ne lui soit accordée. Elle était toutefois d’avis qu’une audition complète, comportant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins ainsi que la divulgation totale des documents, n’était pas essentielle pour l’exercice équitable du pouvoir de révocation (au paragraphe 87).

[71]  M. Weatherill prétendait aussi qu’on n’avait pas fait preuve d’équité procédurale à son endroit. Il soutenait qu’il existait une crainte raisonnable de partialité, comme le démontraient les articles de journaux indiquant que des députés avaient applaudi lorsqu’on avait annoncé qu’on avait l’intention d’entamer le processus de sa révocation. Il soutenait également qu’on aurait dû lui donner un meilleur accès aux documents utilisés par le vérificateur général et plus de temps pour répondre au rapport de la sous‑greffière. La juge Sharlow n’était pas convaincue que les articles de journaux soient suffisants pour établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et que M.  Weatherill n’avait pas été privé d’une occasion de répondre aux allégations faites contre lui et qu’il n’avait pas été traité de façon inéquitable. Elle a conclu qu’il avait bénéficié, essentiellement, des mêmes renseignements et de la même possibilité de se faire entendre que le demandeur dans l’affaire Wedge. La juge Sharlow n’a également pas retenu l’idée que la décision de M.  Weatherill de ne présenter aucune observation était attribuable à un manque de temps ou de connaissance et que le gouverneur en conseil n’avait pas agi de façon inéquitable en refusant d’accorder un délai supplémentaire à la suite du rejet à la première instance de l’injonction provisoire (au paragraphe 96).

[72]  La troisième décision de cette série est Vennat, tranchée par le juge Noël en 2006. Il a accueilli la demande, annulant ainsi la décision du gouverneur en conseil au motif d’un manque à l’équité procédurale. Dans cette affaire, M. Vennat avait été nommé président et chef de la direction de la Banque de développement du Canada (« BCD ») par décret. Il était nommé pour un mandat de cinq ans à titre inamovible, conformément au paragraphe 6(2) de la Loi sur la Banque de développement du Canada, LC 1995, ch 28. En février 2004, la Cour supérieure du Québec a rendu sa décision dans l’affaire Beaudoin c Banque de développement du Canada, [2004] J.Q. No. 705 (CS Qué) (« Beaudoin »), qui contenait des commentaires sévères à l’endroit de la BDC et de M. Vennat, qui était témoin au procès. Le 18 février 2004, le Conseil d’administration de la BDC a diffusé un communiqué de presse dans lequel il indiquait qu’il avait décidé de ne pas en appeler de la décision et il réitérait sa pleine confiance à l’égard de M. Vennat. Le 23 février 2004, M. Vennat a écrit au premier ministre du Canada afin de l’informer qu’il était très préoccupé à la lecture des journaux, selon lesquels le gouvernement s’apprêtait à prendre une décision au sujet de son avenir. Si ces rumeurs étaient vraies, il demandait d’avoir l’occasion d’être entendu de façon équitable, suivant la procédure applicable, en présence du président d’administration et du procureur, lors d’une rencontre à laquelle le greffier du Conseil privé et le sous-ministre de la Justice participeraient, avant qu’une quelconque décision ou annonce soit faite. En réponse, le jour suivant, la ministre de l’Industrie a fait parvenir à M. Vennat une lettre dans laquelle elle l’informait qu’à la suite de l’examen de la décision dans l’affaire Beaudoin et tenant compte des conclusions formulées relativement au comportement de M. Vennat et au rôle qu’il avait joué dans l’affaire, de sérieuses questions se soulevaient quant à savoir s’il existait des motifs valables justifiant qu’on mette fin à sa nomination. Elle l’informait qu’un décret avait été adopté par le gouverneur en conseil plus tôt dans la journée et avait pour effet de le suspendre sans solde. Il avait jusqu’au 1er mars 2004 pour faire valoir par écrit les raisons pour lesquelles le gouverneur en conseil ne devrait pas mettre fin pour motif valable à ses fonctions.

[73]  Le 25 février 2004, M. Vennat a écrit à la ministre de l’Industrie pour obtenir les motifs de reproches et pour solliciter une rencontre en présence du greffier du Conseil privé et du sous‑ministre de la Justice. La ministre de l’Industrie a répondu par une lettre le lendemain, dans laquelle elle informait M. Vennat que la décision rendue dans Beaudoin soulevait de sérieuses questions quant à son comportement et au rôle qu’il avait joué dans ce dossier. Elle a attiré son attention sur les paragraphes 597, 651 et 653 de la décision, en plus de lui demander de commenter onze autres paragraphes. Elle a ajouté que l’énumération des paragraphes ne constituait pas une liste exhaustive de tous les paragraphes qui le concernaient et que M. Vennat devait globalement répondre à l’ensemble de cette décision. La ministre de l’Industrie a accepté de rencontrer M. Vennat et l’a informé que la recommandation qu’elle formulerait à la gouverneure en conseil serait fondée sur la décision rendue dans Beaudoin, sur les explications fournies par M. Vennat lors de leur rencontre et sur les raisons écrites présentées par ce dernier.

[74]  Le 29 février 2004, l’avocat de M. Vennat a écrit à la ministre de l’Industrie, mentionnant le caractère déraisonnable du délai alloué pour présenter des observations écrites et soulignant que seule une première ébauche de la réponse du demandeur pourrait être produite dans ce délai. Dans cette lettre, on indiquait aussi que le jugement rendu dans Beaudoin comptait 1745 paragraphes sur 210 pages, et que les faits et la preuve sur lesquels il se fonde comprenaient 32 jours d’audition, 35 témoins, plus de 300 pièces et approximativement 8000 pages de notes sténographiques.

[75]  Une réunion de deux heures tout au plus a eu lieu le 1er mars 2004, au cours de laquelle M. Vennat a expliqué le contenu d’une lettre de six pages dans laquelle il donnait sa version des faits quant à différents aspects de la décision Beaudoin. Il a aussi passé en revue certaines parties du mémoire préliminaire préparé pour être transmis à la ministre de l’Industrie en même temps que la lettre. Dans une lettre datée du 10 mars 2004 envoyée à la ministre de l’Industrie et au ministre de la Justice en copie, M. Vennat a proposé qu’on lui donne l’opportunité de se défendre devant un tribunal impartial et indépendant en référant le cas au forum établi en vertu de l’article 69 de la Loi sur les juges. Le 12 mars 2004, la ministre de l’Industrie a écrit à M. Vennat afin de l’informer de son congédiement. Dans cette lettre, elle indiquait que la décision Beaudoin et les observations écrites et orales de M. Vennat avaient été examinées, mais que la gouverneure en conseil avait conclu qu’elle avait perdu confiance en lui en tant que président de la BDC et que sa conduite relativement aux questions visées dans les motifs de la décision rendue dans l’affaire Beaudoin était incompatible avec son maintien en fonction. Un décret adopté plus tôt ce jour‑là à cet égard était joint à la lettre.

[76]  Afin de déterminer le devoir d’agir équitablement, le juge Noël a d’abord mené une analyse selon les facteurs exposés dans Baker. Il a conclu que l’adoption de décrets par le gouverneur en conseil est un processus très éloigné de celui menant à une décision de nature judiciaire. Il s’agit d’une procédure non judiciarisée et non formaliste (paragraphe 77). Par conséquent, la nature de la décision donne lieu à des garanties procédurales [traduction] « d’une certaine souplesse visant à permettre à l’intéressé d’avoir une occasion réelle de se faire entendre » (au paragraphe 78). Il a toutefois conclu qu’en l’absence d’un texte prévoyant une procédure de révocation de nomination, le gouverneur en conseil conserve néanmoins l’obligation de donner à l’intéressé une « occasion réelle » de répondre aux motifs d’insatisfaction de l’employeur (au paragraphe 80).

[77]  Tout en reconnaissant qu’il ne fallait pas imposer au gouverneur en conseil une obligation de motiver de même nature que celle qui incombe aux tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires, le juge Noël a tout de même indiqué qu’une obligation de motiver s’imposait et que les motifs que le gouverneur en conseil avait présentés à M. Vennat n’apparaissaient pas remplir cette obligation. En effet, rien dans le décret de destitution ou dans la lettre ne pouvait être qualifié d’analyse ou de raisonnement, et les motifs ne faisaient aucunement mention de la position présentée par M. Vennat et de la raison du rejet des arguments présentés oralement et par écrit :

95  Il ne s’agit pas ici de chercher à imposer des contraintes de motivation d’ordre judiciaire ou quasi judiciaire à la gouverneure en conseil mais plutôt de demander à celle-ci d’expliquer les raisons de la révocation. La décision, sans être longuement motivée, doit comprendre un certain raisonnement tenant compte des représentations formulées par le demandeur dans son mémoire préliminaire (Pièce MV-15). La décision doit expliquer sommairement pourquoi les arguments présentés ont été rejetés. La lettre aurait pu contenir ces informations. Ces exigences ne sont certainement pas excessives lorsque l’on décide du sort, de la réputation et de la carrière d’un individu tout en sachant que la décision sera inévitablement hautement médiatisée.

[78]  Le juge Noël a abordé les mécanismes de révocation institués dans d’autres lois fédérales pour les personnes nommées à titre inamovible et, après en avoir donné quelques exemples, il a conclu que la notion d’inamovibilité en soi ne permet pas de conclure à la reconnaissance automatique et clairement définie de garanties procédurales précises. Il a toutefois conclu que l’emploi du vocable « inamovible » n’était pas insignifiant et qu’il s’agissait d’un indice important de sa volonté de donner aux personnes nommées [traduction] « des garanties procédurales rehaussées » (au paragraphe 105), comme l’absence d’un droit d’interjeter appel et l’impact prévisible de la décision du gouverneur en conseil sur le droit au travail et à la réputation de M. Vennat.

[79]  En ce qui concerne les choix procéduraux du décideur, le juge Noël a conclu qu’il ne serait pas approprié d’imposer une procédure semblable à celle prévue à l’article 69 de la Loi sur les juges (citant Weatherill 1999, au paragraphe 82) et que le gouverneur en conseil demeure libre de recourir ou non à semblables mécanismes (au paragraphe 130).

[80]  Le juge Noël s’est ensuite penché sur la question de savoir si M. Vennat avait droit à une enquête personnalisée. Il a conclu qu’une telle enquête s’imposait et que l’obligation n’avait pas été respectée. Il a indiqué que Wedge et Weatherill 1999 illustraient que le gouverneur en conseil, dans le contexte d’une relation employé-employeur, mène normalement une enquête personnalisée des faits même si ceux-ci apparaissent avoir été établis de façon générale dans un rapport d’enquête, et l’employé dispose d’un droit de réponse. Dans Wedge, les second et troisième rapports visaient M. Wedge personnellement, et il a pu y répondre. De même, dans Weatherill, le rapport no 2 visait M. Weatherill, et celui-ci a eu l’occasion de faire valoir son point de vue et de signaler des inexactitudes au dossier. Toutefois, M. Vennat n’avait pas eu une opportunité semblable (au paragraphe 166).

[81]  Qui plus est, M. Vennat avait vigoureusement contesté la véracité de certains des faits sur lesquels le jugement rendu dans Beaudoin se fondait, offert à la gouverneure en conseil de lui présenter des témoins et des éléments de preuve contredisant ces faits, formellement demandé qu’une enquête soit menée et soutenu qu’il ressortait de la preuve qu’il avait un parcours professionnel exemplaire et une réputation sans taches avant la publication du jugement dans l’affaire Beaudoin. Le juge Noël a conclu qu’il s’agissait de circonstances qui contribueraient à justifier qu’une enquête plus élaborée soit menée, tout comme la complexité du dossier (aux paragraphes 168 et 169). Les faits dans Beaudoin impliquaient de nombreux acteurs qui se sont contredits à l’audience longue et complexe. La gouverneure en conseil se devait de procéder à une analyse spécifique du comportement de M. Vennat, laquelle ne pouvait que découler d’une enquête sérieuse et d’un examen personnalisé des faits. Pour que M. Vennat puisse renverser la présomption des faits présentés dans la décision Beaudoin, il aurait dû avoir la permission de présenter sa preuve par affidavit, entrevues ou contre‑moyens dans le cadre de cette enquête personnalisée. Il ne pouvait pas, en moins de huit jours, prendre connaissance de l’ensemble de la preuve pertinente en vue de réfuter la présomption. Le juge Noël a conclu que la situation factuelle et le type d’enquête mené ne témoignaient pas d’une norme de justice de haute qualité, et donnait ainsi lieu à un manquement à l’équité procédurale (aux paragraphes 169 à 174).

[82]  Le juge Noël a aussi expliqué pourquoi il avait choisi l’expression « enquête personnalisée » qui doit permettre de faire la lumière sur le comportement spécifique de l’intéressé :

178  Quant au terme « personnalisé » utilisé pour caractériser l’enquête, il signifie que l’enquête menant à la révocation doit viser la ou les personnes faisant l’objet de la procédure de révocation. Cela n’exclut pas qu’il puisse être possible que plusieurs personnes soient visées par une même enquête personnalisée, pour autant que l’enquête vise les agissements individuels de chacune de ces personnes et qu’elles eu un droit de réponse personnalisé. L’enquête doit, en somme, permettre de faire la lumière sur le comportement spécifique de l’intéressé.

179  Le choix que j’ai fait de retenir l’expression « enquête personnalisée » est fondé, d’une part, sur la nature de la procédure qui doit être suivie. À mon avis, il serait erroné de dire que la Gouverneure en conseil n’était tenue de réaliser qu’un simple examen concernant la conduite du demandeur, compte tenu de la complexité du dossier. La procédure suivie dans les affaires Wedge et Weatherill ne s’apparente pas à un simple examen : une recherche autonome des faits a été réalisée par le décideur, et cette recherche avait un caractère personnalisé. D’autre part, le choix que j’ai fait de retenir l’expression « enquête personnalisée » repose sur le choix de vocabulaire que le défendeur a lui-même fait. Le défendeur emploie à plusieurs reprises le terme « enquête » dans son mémoire, ce qui confirme qu’il s’agit d’une expression appropriée dans les circonstances (mémoire du défendeur, paras. 70 et 85 à 88).

[83]  Le juge Noël a aussi renvoyé à l’obligation de franc jeu et de transparence à laquelle le gouverneur en conseil est tenu (au paragraphe 185) et a conclu que trois éléments dans cette affaire démontraient une attitude inappropriée du décideur, contraire à la transparence et au franc jeu : c’est le demandeur qui exigeait le respect des garanties procédurales, alors que le décideur aurait dû offrir de lui-même ces garanties au demandeur et lui expliquer le cadre décisionnel (au paragraphe 186); le demandeur ne connaissait pas le fardeau qui lui était imposé par la gouverneure en conseil (au paragraphe 187); et les lettres par lesquelles M. Vennat exprimait ses inquiétudes après avoir pris connaissance de l’article du quotidien La Presse, et de la lettre demandant que la procédure de l’art. 69 de la Loi sur les juges soit suivie, qui sont demeurées sans réponse alors que M. Vennat y formulait des demandes concernant le processus décisionnel. Pourtant, rien n’empêchait la ministre de l’Industrie ou le Bureau du Conseil privé de répondre à ces demandes (au paragraphe 188). Le juge Noël a conclu que l’attitude qui se dégageait des gestes et omissions du décideur ne s’apparentait pas au travail des délégués du gouverneur en conseil dans les affaires Wedge et Weatherill 1999. Il a conclu que la gouverneure en conseil n’avait pas traité M. Vennat de façon transparente, en conformité avec le franc jeu (au paragraphe 190).

[84]  Le juge Noël a aussi mené une analyse des garanties procédurales reconnues dans Knight et a conclu que M. Vennat avait été mis au courant des raisons de l’insatisfaction de la gouverneure en conseil et qu’il connaissait l’essentiel des motifs aux allégations. Il a toutefois conclu que son droit de répondre n’avait été que partiellement respecté. En l’absence d’une enquête personnalisée, M. Vennat ne pouvait pas valablement répondre aux motifs d’insatisfaction compte tenu de la complexité du dossier et du délai relativement court pour préparer ses représentations, ce qui a eu un effet sur la qualité de son droit de réponse. Pour répondre valablement, M. Vennat et son avocat devaient avoir une connaissance très détaillée des faits entourant le procès dans l’affaire Beaudoin; or, M. Vennat était simple témoin dans cette affaire. Par conséquent, il ne pouvait pas avoir une connaissance détaillée des commentaires directs et indirects formulés à son égard dans cette décision et des éléments de preuve sur lesquels ces commentaires étaient fondés (au paragraphe 203). Un autre élément était l’absence de M. Ritchie, le président du Conseil d’administration de la BDC au moment où la décision a été rendue dans l’affaire Beaudoin, à la réunion du 1er mars 2004, comme l’avait demandé M. Vennat. M. Ritchie aurait pu parler de la décision de ne pas faire appel de la décision rendue dans l’affaire Beaudoin et du vote de confiance du Conseil d’administration à l’égard de M. Vennat. Son absence a aussi touché la qualité du droit de réponse de M. Vennat (aux paragraphes 206 et 207). Qui plus est, la norme appliquée par la gouverneure en conseil était très sévère et ne s’appliquait pas. En conclusion, le juge Noël a conclu ainsi :

[215]  Les garanties procédurales applicables sont les suivantes. D’abord, le demandeur avait droit aux garanties reconnues dans l’affaire Knight c. Indian Head School Div. No. 19, précitée, à la page 683, soit le droit de connaître le ou les motifs d’insatisfaction ainsi que le droit de répondre aux motifs d’insatisfaction. Ces garanties constituent la forme la plus élémentaire du devoir d’agir équitablement. De plus, mon analyse m’a amené à conclure que le demandeur avait droit à des garanties procédurales rehaussées, soit le droit à une enquête personnalisée des faits par le décideur et le droit d’y répondre ainsi que le droit à une décision minimalement motivée. Plus largement, je crois que le demandeur avait le droit de participer à un forum transparent et d’avoir affaire à un décideur qui joue franc jeu.

[216]  Finalement, mon analyse de la preuve m’a permis de constater que certaines des garanties procédurales n’avaient pas été respectées à l’égard du demandeur. C’est le cas de l’obligation de mener une enquête personnalisée, du droit d’avoir une occasion réelle de répondre à cette enquête et du droit à une décision minimalement motivée. De plus, il m’a semblé à la lumière de la preuve que le demandeur n’a eu qu’un droit très sommaire de réfuter les motifs d’insatisfaction. Un autre élément important viciant la procédure est l’application d’un fardeau trop exigeant tiré d’une décision de la Cour suprême qui n’était pas applicable dans les circonstances. La Gouverneure en conseil a exigé de M. Vennat qu’il démontre que les commentaires du juge dans l’affaire Beaudoin c. Banque de développement du Canada, précitée, sont irrémédiablement incorrects, entachés de fraude ou de malhonnêteté, ou qu’il apporte de la nouvelle preuve non disponible au juge. Ce fardeau n’était certainement pas approprié et n’était pas connu de M. Vennat. Il n’était donc pas possible pour ce dernier de renverser la présomption simple de faits qui reposait sur lui en raison de la décision dans l’affaire Beaudoin c. Banque de développement du Canada, précitée.

[85]  Enfin, et plus récemment, on trouve Keen, tranchée par le juge Hughes en 2009. Le juge Hughes examinait la décision rendue par le gouverneur en conseil afin de mettre fin à la désignation de Mme Keen en tant que présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la « Commission »). Mme Keen avait été nommée pour un mandat de cinq ans à titre inamovible en tant que commissaire permanent de la Commission, conformément à l’article 10 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, LC 1997, ch 9 (la Loi sur la sûreté nucléaire). Il n’était toutefois pas indiqué que sa nomination en tant que présidente, était inamovible et la Loi sur la sûreté nucléaire ne prévoyait rien à cet égard.

[86]  On a mis fin aux fonctions de Mme Keen à titre de présidente, mais pas à titre de commissaire, en raison d’un retard de la Commission à faciliter la remise en marche d’une installation nucléaire qui fournissait des isotopes nucléaires utilisés pour les diagnostics médicaux et le traitement de certaines maladies. Le 27 décembre 2007, le ministre des Ressources naturelles a écrit à Mme Keen dans laquelle il exprimait de grandes réserves quant aux mesures prises par la Commission à cet égard.

[87]  Mme Keen a répondu le 8 janvier 2008 dans une lettre de huit pages à laquelle étaient jointes les observations détaillées de 27 pages portant sur les faits et les mesures en question, y compris son affirmation selon laquelle la lettre du ministre des Ressources naturelles ne contenait absolument aucune allégation d’inconduite personnelle de sa part ni aucune allégation selon laquelle ses actes n’avaient pas été à la hauteur du rendement escompté.

[88]  Le ministre n’a pas répondu à la lettre du 8 janvier de Mme Keen. La gouverneure en conseil, sur recommandation du ministre, a plutôt pris un décret le 15 janvier 2008 mettant fin aux fonctions de Mme Keen à titre de présidente de la Commission, sans toutefois modifier son statut de commissaire permanent à temps plein. Ce court décret est présenté dans la décision et il fait état des motifs à la révocation de la nomination de Mme Keen, soit que l’arrêt prolongé du réacteur de recherche nucléaire universel de Chalk River et l’interruption de l’approvisionnement mondial en isotopes médicaux avaient engendré une menace sérieuse pour la santé des Canadiennes et des Canadiens et des autres et que Mme Keen, en tant que présidente de la Commission, n’avait pas pris les mesures nécessaires pour résoudre rapidement cette crise et qu’elle n’avait su faire preuve du leadership auquel s’attendait la gouverneure en conseil. Le décret indiquait que les lettres et les notes de Mme Keen avaient été étudiées avec soin, mais que cette dernière n’avait plus la confiance de la gouverneure en conseil à titre de présidente de la Commission.

[89]  Le juge Hughes a abordé les différences entre les nominations faites « à titre amovible » et celles faites « à titre inamovible ». Il a précisé que la nomination de Mme Keen ou de tout autre commissaire de la Commission, prévue au paragraphe 10(5) de la Loi sur la sûreté nucléaire, était faite à titre inamovible. Selon les paragraphes 10(3) et 10(4) de la Loi sur la sûreté nucléaire, le président était désigné par le gouverneur en conseil parmi les commissaires permanents à temps plein. La Loi sur la sûreté nucléaire n’indiquait pas si le président était désigné « à titre inamovible » ou à « titre amovible ». Le juge Hughes a précisé qu’on n’avait pas mis fin aux fonctions de Mme Keen en tant que commissaire; par conséquent, de ce point de vue, ni le ministre des Ressources naturelles ni la gouverneure en conseil n’avaient critiqué son comportement :

54  La Loi est muette quant à la désignation de Mme Keen, ou de tout autre commissaire, au poste de présidente. La désignation fut‑elle faite « à titre inamovible » ou bien « à titre amovible »? Si cette désignation était « à titre amovible », il ressort de la preuve que, suivant les paragraphes 115 et 116 de l’arrêt Dunsmuir, précité, le ministre a respecté l’équité procédurale à l’égard de Mme Keen. Le ministre, dans sa lettre du 27 décembre 2007, a avisé Mme Keen qu’il avait l’intention de recommander qu’il soit mis fin à sa désignation à titre de présidente et lui a donné l’occasion de présenter des observations. Mme Keen a présenté ses observations dans sa lettre du 8 janvier 2008. Le ministre n’a pas répondu à cette lettre, mais le décret pris le 15 janvier 2008 par la gouverneure en conseil mentionne que « […] la gouverneure en conseil a pris connaissance de la lettre et des notes […] ».

55  Comme l’a observé le juge Dickson au nom de la Cour suprême du Canada à la page 115, entre les lettres g et h, de l’arrêt Thornes’s Hardware Limited c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, la Cour ne peut examiner la validité d’une telle mention se trouvant dans un décret.

56  Je conclus donc que, si la désignation de Mme Keen fut faite « à titre amovible », alors l’équité procédurale a été respectée, et que le congédiement ne peut être annulé.

57  Par contre, si Mme Keen a été désignée présidente « à titre inamovible », c’est-à-dire si elle occupait ce poste sous réserve de mauvaise conduite, il est très clair que ni le ministre ni la gouverneure en conseil ne lui ont fourni des précisions justifiant leur conclusion que Mme Keen avait commis un manquement à la bonne conduite. Mme Keen, dans sa lettre du 8 janvier 2008, réfute adéquatement toute allégation de manquement à la bonne conduite. L’omission du ministre de discuter plus à fond de la situation ou de tenir une certaine forme d’enquête indépendante établit clairement la méconnaissance du principe d’équité procédurale. En outre, si le ministre ou la gouverneure en conseil croyait que Mme Keen avait commis un manquement à la bonne conduite lorsqu’elle était présidente, pourquoi lui ont‑ils permis de rester commissaire alors qu’une des exigences de la Loi prévoit clairement qu’un commissaire doit avoir une bonne conduite?

[90]  Le reste de la décision visait à déterminer si la nomination de Mme Keen à titre de présidente était faite à titre inamovible et, après avoir conclu qu’elle avait été faite à titre amovible, le juge Hughes a conclu que les circonstances entourant la révocation de son titre de présidente suffisaient à satisfaire aux exigences de l’équité procédurale.

[91]  Selon ce qui précède, je suis d’avis que le contenu de l’obligation d’agir équitablement à l’égard du demandeur en l’espèce était formé des éléments qui suivent : un avis, dans la mesure où il a été informé du fondement des préoccupations de la ministre et du fait que sa nomination était possiblement en péril; une occasion réelle de répondre et de présenter ses arguments complètement et équitablement; et le fait d’obtenir une décision équitable et impartiale afin de lui permettre de comprendre son fondement.

(2)  Application du contenu de l’obligation d’agir équitablement

a)  Avis

[92]  Je suis d’avis que le demandeur a reçu plus qu’un avis adéquat des allégations formulées à son égard.

[93]  La lettre remise par la ministre au demandeur constituait un avis officiel. Comme il est indiqué ci‑dessus, la ministre informait le demandeur dans cette lettre qu’elle lui écrivait pour lui faire part de ses doutes quant à sa capacité d’agir en tant que conseiller du CRTC. Elle indiquait qu’on l’avait mise au fait d’incidents survenus qui donnaient à croire que le demandeur ne s’était pas acquitté de ses fonctions de manière éthique et responsable. Elle ajoutait que sa conduite avait nui à la capacité du CRTC de s’acquitter de ses fonctions, en plus d’effriter la confiance du public et des intervenants en sa capacité de le faire.

[94]  La ministre a indiqué qu’elle écrivait au demandeur afin de lui faire part de ses préoccupations, de l’informer des renseignements sur lesquels ses préoccupations se fondaient et de lui permettre de lui présenter toute observation qu’elle devrait prendre en considération, selon lui, avant qu’elle ne prenne d’autres mesures. La ministre a précisé que le demandeur devait savoir qu’elle se demandait si elle devait recommander au gouverneur en conseil de mettre fin à sa nomination en tant que conseiller.

[95]  La ministre a indiqué que le demandeur avait été nommé à titre de conseiller afin de s’acquitter de ses fonctions dans l’intérêt du public, de manière irréprochable, et de maintenir les normes éthiques les plus élevées, le tout afin de maintenir et d’accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du CRTC. Ces attentes comprenaient d’agir avec intégrité, de façon collégiale, et de favoriser le respect et la confiance du public à l’égard du CRTC. Elles ont été communiquées au demandeur à plusieurs reprises, avant et après sa nomination. Le ministre a indiqué qu’elle comprenait le rôle du demandeur en tant que commissaire et que le besoin de rester indépendant dans le processus décisionnel pouvait parfois donner lieu à des désaccords quant aux décisions rendues par le CRTC, ce qui était son droit. Toutefois, il lui incombait aussi de soutenir le CRTC, son président et ses collègues conseillers de façon collégiale, surtout dans le domaine public. Le ministre a exprimé sa crainte que le comportement du demandeur, en plus de dénigrer le travail du président, puisse miner l’intégrité du CRTC, y compris de son personnel.

[96]  La ministre a indiqué que ses préoccupations se divisaient en quatre catégories, qu’elle a énumérées et décrites ainsi :

[traduction]

Ma première préoccupation concerne les déclarations négatives que vous avez faites en public à propos du CRTC. En avril 2015, au moyen de votre compte Twitter, vous avez fait la promotion de liens menant à votre déclaration personnelle sur une demande de contrôle judiciaire que vous avez entamée à l’endroit du CRTC. Votre déclaration, qui critiquait le CRTC et son président, a suscité une attention négative dans les médias à l’égard du CRTC. Ma prédécesseure, l’honorable Shelly Glover, vous a écrit afin de vous faire part de sa préoccupation quant à votre utilisation des médias sociaux et, particulièrement, au niveau auquel vos gestes portent préjudice au fonctionnement continu, à la crédibilité et à la réputation du CRTC. En octobre 2015, vous avez de nouveau envoyé par gazouillis un lien menant à votre déclaration personnelle sur une autre contestation juridique que vous avez lancée. Cette déclaration, qui critiquait aussi le CRTC et son président, a de nouveau suscité une attention négative dans les médias à l’égard du CRTC.

De telles déclarations m’apparaissent aller à l’encontre du principe d’esprit d’équipe et semblent être calculées pour inciter le public à critiquer le CRTC. Les gestes que vous avez posés ont mené divers médias à publier de nombreux articles dans lesquels ils mettent en évidence les problèmes que vous constatez au CRTC et se demandent si ce dernier est en mesure de s’acquitter de son mandat. Je crains particulièrement que vos gestes portent préjudice à l’intégrité du CRTC et à la confiance du public à l’égard de son fonctionnement efficace.

Ma deuxième préoccupation porte sur la divulgation de renseignements confidentiels. Les documents que vous avez déposés auprès de la Cour fédérale en avril dernier contenaient des renseignements personnels sur une personne qui avait déposé une plainte de harcèlement à votre égard : c’est inutile et inacceptable. Les documents que vous avez déposés auprès de la Cour d’appel fédérale en octobre contenaient des renseignements assujettis au secret professionnel. Le procureur général du Canada a dû demander à obtenir des ordonnances de confidentialité dans les deux cas afin de retirer les renseignements du dossier public. En outre, une plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’égard du CRTC a été déposée en raison de votre divulgation de renseignements personnels.

Cette divulgation de renseignements personnels faite par vous allait à l’encontre des politiques et procédures du CRTC et du gouvernement dans son ensemble. Ces politiques et procédures visent à promouvoir un milieu de travail où les auteurs de plaintes peuvent se faire entendre sans crainte et à favoriser la communication de conseils juridiques.

Ma troisième préoccupation porte sur des contacts inappropriés avec des intervenants du CRTC. Comme vous le savez bien, le CRTC a comme pratique de gérer avec soin les contacts ex parte afin de protéger la perception d’équité et de neutralité et de garantir que ces contacts ne mettent pas en péril la réputation et l’intégrité du CRTC. En juillet et en août 2015, vous avez rencontré seul des intervenants du CRTC dont les demandes étaient à l’étude par le Conseil. Vous l’avez fait sans respecter les pratiques en vigueur au CRTC. En fait, votre gazouillis public à propos d’une réunion a soulevé des préoccupations auprès d’une partie visée puisque vous aviez rencontré ex parte de façon inappropriée une autre partie à une demande dont le CRTC était saisi à ce moment. L’autre réunion soulève aussi des préoccupations quant aux perceptions entourant l’équité et la neutralité, vu les circonstances connexes décrites en détail dans le document ci‑joint.

Ma quatrième préoccupation concerne les gestes que vous avez posés dans le cadre des activités internes du CRTC. À titre d’exemple, vous avez formulé des affirmations non fondées de conduite contraire à l’éthique ou de conflit d’intérêts à l’égard d’employés et du président en tant que fondement à votre non‑respect des processus et procédures internes conçus pour permettre au CRTC de satisfaire aux exigences prévues dans la Loi sur l’accès à l’information. Le président et administrateur général a instauré ces processus et procédures internes afin de réduire au minimum les risques institutionnels et de veiller au respect des échéances prévues par la loi. Le fait de ne pas satisfaire à ces exigences prévues par la loi constitue un boulet pour l’organisation et son fonctionnement efficace.

Enfin, ces préoccupations se fondent sur des préoccupations antérieures qui ont eu des répercussions négatives sur le bien‑être interne du CRTC. À la suite d’une enquête menée par un tiers indépendant sur des allégations de harcèlement formulées contre vous par un employé du CRTC, il a été conclu que la plainte était fondée, ce qui a donné lieu à cinq conclusions de harcèlement. On a conclu que vous aviez harcelé une employée, notamment en minant sa crédibilité auprès de ses supérieurs et de ses employés, en l’humiliant devant ses collègues et en faisant subir votre comportement agressif à d’autres employés du CRTC.

Le 17 juillet 2015, ma prédécesseure vous a écrit afin de vous indiquer que vous n’aviez présenté aucune nouvelle preuve contraire aux conclusions du rapport selon elle. À ce moment, elle vous a dit que tous les renseignements liés à cette affaire demeuraient l’étude et vous encourageait à mener vos affaires de manière professionnelle et respectueuse. Il est particulièrement inquiétant que votre conduite continue de témoigner un manque de respect à l’égard des principes de l’esprit d’équipe, que vous ayez dénigré publiquement le CRTC, y compris la façon dont le président exerce son autorité et que vous contestez encore les cadres supérieurs dont les conseils et les opinions soutiennent ceux du président.

Ensemble, ces incidents mettent en doute votre capacité d’agir en tant que conseiller du CRTC. Les éléments de preuve obtenus permettent de conclure que votre conduite a eu une incidence défavorable sur l’esprit d’équipe requis pour assurer une bonne relation de travail entre le personnel et les conseillers du CRTC et des répercussions négatives sur la confiance du public à l’égard de l’objectivité et de l’impartialité du Conseil, qui tendent toutes à miner le fonctionnement efficace du CRTC. Il est particulièrement inquiétant que bon nombre des incidents soient survenus après que ma prédécesseure vous ait expressément exhorté à mener vos affaires de manière professionnelle et respectueuse.

[97]  La ministre a demandé au demandeur de lui présenter, au plus tard le 14 mars 2016, toute observation écrite qu’elle devait prendre en considération, à son avis, avant de déterminer s’il pouvait continuer de jouer son rôle de conseiller au CRTC au plus tard le 14 mars 2016; elle a indiqué qu’elle étudierait attentivement chacune de ces observations avant de déterminer si elle allait formuler une recommandation au gouverneur en conseil ou pas.

[98]  De plus, la lettre de la ministre était accompagnée du sommaire de sept pages, qui présentait des renseignements généraux sur les normes de conduite attendues d’un conseiller et des descriptions détaillées des incidents en litige, soit les déclarations publiques négatives, la divulgation de renseignements confidentiels, les contacts inappropriés avec des intervenants et les répercussions négatives sur le fonctionnement et le bien‑être internes du CRTC. Chacune de ces descriptions renvoyait à des documents connexes, qui faisaient partie des quelque 1 200 pages de documentation connexe.

[99]  Selon le contenu de l’obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur, ce dernier devait recevoir un avis des allégations qui pesaient sur lui et de leur fondement. Vu ce qui précède, il ne fait aucun doute dans mon esprit que cet aspect de l’obligation à l’égard du demandeur a été respecté. La ministre a informé le demandeur de la sanction qu’elle songeait à imposer, soit la révocation de sa nomination à titre de conseiller du CRTC et de la raison pour laquelle elle y songeait. La ministre a entièrement exposé ses préoccupations et décrit de façon détaillée leur fondement; les documents sur lesquels elles se fondaient ont été fournis. Par conséquent, le demandeur avait été entièrement mis au courant de la preuve à laquelle il devait répondre. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle les préoccupations soulevées au départ par l’ancienne ministre étaient « périmées », elle n’est pas fondée.

[100]  Le demandeur affirme toutefois qu’en raison de la nature de son poste et du fait qu’il l’occupait à titre inamovible et qu’il a été congédié pour un motif valable, on lui a refusé son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu droit à une enquête personnalisée sur les allégations, comme indiqué dans Vennat et son droit de répondre à cette enquête.

[101]  Selon moi, dans la mesure où, selon Vennat, une enquête personnalisée doit être menée, le demandeur y a eu droit en l’espèce. Cela comprend essentiellement un aspect de l’exigence de donner un avis, puisqu’il sert à prévenir le demandeur des préoccupations de la ministre afin qu’il sache ce qui lui est reproché et qu’il réponde en conséquence.

[102]  Il faut aussi se souvenir que, dans Vennat, les allégations étaient issues des commentaires sévères à l’endroit de M. Vennat formulés par le juge qui a tranché l’affaire Beaudoin, où M. Vennat n’était pas une partie, mais simplement un témoin. L’avis des préoccupations de la ministre fourni à M. Vennat renvoyait exclusivement à cette décision. Il citait divers paragraphes préoccupants et demandait à obtenir une réponse globale. M. Vennat a indiqué que le procès avait compté plus de 32 jours d’audition, que 35 témoins avaient témoigné, que plus de 300 pièces avaient été produites et que la décision elle‑même comptait plus de 210 pages et 1 745 paragraphes et approximativement 8 000 pages de notes sténographiques. En tant que témoin et non partie à cette instance, M. Vennat n’avait pas eu l’occasion pendant le procès de répondre aux questions pour lesquelles il avait fait l’objet de critiques. Qui plus est, dans cette situation, il lui aurait fallu plus de temps que ce que la ministre lui avait accordé pour qu’il puisse répondre valablement. Le juge Noël a aussi précisé que M. Vennat avait demandé à avoir la permission de faire témoigner le président du Conseil d’administration de la BDC à l’époque, qui aurait joué un rôle important afin d’expliquer pourquoi la décision rendue dans l’affaire Beaudoin n’a fait pas été portée en appel et pourquoi le Conseil d’administration avait réitéré sa pleine confiance à l’égard de M. Vennat à la suite de cette décision. Et, plus important, il a reconnu que c’était la complexité de l’affaire, surtout de la décision rendue dans l’affaire Beaudoin et sa distance par rapport à M. Vennat qui exigeaient la tenue d’une enquête « personnalisée ».

[103]  Selon moi, cette décision se distingue clairement de la situation en l’espèce. En l’espèce, la ministre a exposé en détail ses préoccupations relatives au comportement du demandeur. Ces préoccupations étaient liées à son comportement dans son rôle de conseiller du CRTC. Les détails entourant ce comportement ont été cernés et documentés. Ils étaient personnalisés et propres au demandeur, et n’étaient pas issus d’une instance complexe à laquelle il n’était pas une partie, comme c’était le cas dans Vennat.

[104]  Le demandeur fait aussi valoir que cette enquête personnalisée exigeait de présenter un rapport indépendant sur les faits sous‑jacents, ce que démontrent Wedge, Weatherill 1999 et Vennat. À cet égard, je précise que, dans Wedge, le demandeur avait reçu au départ un avis des allégations qui pesaient sur lui au moyen d’une lettre envoyée par une représentante du Bureau du Conseil privé, qui l’avait aussi informé qu’elle et le président du TAAC se pencheraient sur le comportement du demandeur et qu’il présenterait un rapport à cet égard. Comme c’est le cas en l’espèce, la lettre présentait en détail les allégations donnant lieu au doute quant à savoir si M. Wedge était apte à continuer d’exercer ses fonctions. Elle était accompagnée d’un rapport d’enquête antérieur et elle proposait de tenir une réunion entre les représentants et M. Wedge afin d’entendre ses commentaires sur la conformité de sa conduite alléguée par rapport à la norme de la bonne conduite. Cette réunion a eu lieu, M. Wedge a fait part de ses préoccupations, y compris le parti pris possible des représentants, la fiabilité des éléments de preuve exposés dans le rapport d’enquête et des oppositions générales quant à la façon dont l’enquête avait été menée. Les représentants ont ensuite préparé le rapport, qu’ils ont présenté à M. Wedge et au gouverneur en conseil. Le demandeur a eu l’occasion de répondre aux rapports par écrit, ce qu’il a fait.

[105]  Comme il est décrit ci‑dessus, la Cour n’a pas retenu l’idée que M. Wedge s’était vu refuser son droit à l’équité procédurale puisqu’il avait reçu un avis, il avait été mis au fait de façon détaillée des allégations qui pesaient contre lui et il s’était vu offrir la capacité de répondre de vive voix et par écrit au rapport d’enquête et au rapport final. La Cour a aussi conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale en s’appuyant sur des documents préparés par le personnel, y compris le rapport final préparé par la représentante du Bureau du Conseil privé et le président du TAAC :

26  En l’espèce, après avoir examiné le rapport Bloodworth-Whelan et les observations faites par le requérant en réponse à ce dernier, de même qu’à la suite de la recommandation du ministre des Anciens combattants, le gouverneur en conseil a décidé de révoquer le requérant en exécution du paragraphe 4(4) de la Loi. Ce faisant, le gouverneur en conseil n’a pas délégué indûment à ses subalternes son pouvoir décisionnel. De par sa nature, le gouverneur en conseil - un collège de ministres - est tenu de se fier aux conseils de subalternes et de ministres particuliers pour se prononcer sur la vaste gamme de questions dont il est chargé. La pertinence procédurale de cette dépendance à l’égard de subalternes comme source de conseils a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat du Canada et autre où le juge Estey a décrété ce qui suit :

Il faut, dans l’évaluation de la technique de révision adoptée par le gouverneur en conseil, tenir compte de la nature même de ce corps constitué. On ne peut priver l’Exécutif de son droit d’avoir recours à son personnel, aux fonctionnaires du ministère concerné, et surtout aux commentaires et aux avis des ministres membres du Conseil, responsables à ce titre, des questions d’intérêt public soulevées par la requête, que ces questions soient de nature économique, politique, commerciale ou autre.

[106]  Qui plus est, M. Wedge a été en mesure de répondre au rapport final, par l’intermédiaire de ses observations écrites, exposant les critiques et les préoccupations qu’il estimait appropriées. Il s’agissait donc d’une occasion complète et équitable de soumettre ses commentaires au gouverneur en conseil avant que celui-ci se prononce.

[107]  Ainsi, la procédure suivie dans Wedge ressemblait beaucoup à celle visée en l’espèce. Notons toutefois les différences qui suivent : étant donné que deux rapports avaient été préparés, il y avait deux occasions de répondre par écrit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et il y a également eu une occasion de rencontrer les auteurs du rapport final.

[108]  De même, dans Weatherill 1999, le gouverneur en conseil a rendu sa décision après avoir reçu un rapport préparé par la sous‑greffière. Dans cette affaire, l’avis des allégations se trouvait dans une lettre envoyée par la sous‑greffière, dans laquelle elle indiquait également qu’elle préparerait un rapport à l’intention du gouverneur en conseil, elle invitait le demandeur à répondre et elle offrait à M.  Weatherill de le rencontrer. La sous‑greffière a rencontré l’avocat de M.  Weatherill et a organisé une réunion avec un autre bureau afin de collecter des renseignements. Divers échanges de correspondance ont eu lieu, le rapport a été présenté et M. Weatherill a eu l’occasion d’y répondre, ce qu’il a refusé de faire au motif qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps et d’information. Comme il est indiqué ci‑dessus, la Cour a conclu dans cette affaire qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale dans ces circonstances.

[109]  Dans Keen, la question préliminaire visait à déterminer si la nomination de Mme Keen en tant que présidente de la Commission était faite à titre amovible ou inamovible. Le juge Hughes a finalement conclu qu’elle occupait le poste à titre amovible, ce qui signifiait donc que la lettre envoyée par le ministre des Ressources naturelles dans laquelle il l’informait de ses préoccupations et qu’il songeait à présenter une recommandation à la gouverneure en conseil en vue de mettre fin à sa désignation à titre de présidente et que l’occasion qui lui avait été offerte de présenter une réponse écrite répondaient aux exigences de l’équité procédurale. Le juge Hughes a toutefois aussi indiqué que, si sa nomination était inamovible, la lettre du ministre des Ressources naturelles et la décision de la gouverneure en conseil ne lui avaient pas donné des renseignements adéquats, c’est‑à‑dire exposer les motifs pour lesquels on croyait qu’elle n’avait pas eu une bonne conduite et que sa lettre présentée en réponse avait réfuté adéquatement toute suggestion de ce genre. Qui plus est, l’omission du ministre des Ressources naturelles de discuter plus à fond de la situation ou de tenir une certaine forme d’enquête indépendante établissait clairement la méconnaissance du principe d’équité procédurale.

[110]  Selon moi, Keen sous‑entend qu’il en faut plus qu’un simple avis et qu’une occasion de répondre par écrit dans ce genre de circonstances, où la nomination révoquée est inamovible. Il faut toutefois la situer également dans sa situation particulière. Dans cette affaire, il semblerait qu’aucun rapport sous‑jacent quelconque n’ait été préparé et que la révocation de la désignation à titre de présidente, poste occupé à titre amovible, mais pas à titre de commissaire, poste occupé à titre inamovible, semblait contradictoire et n’a pas été expliqué.

[111]  En fonction de ces décisions, je ne suis pas convaincue que l’équité procédurale exigeait en l’espèce qu’un rapport de tiers soit préparé et présenté au gouverneur en conseil. Dans Vennat, le juge Noël a indiqué qu’il aurait été incorrect d’affirmer dans ce cas que le gouverneur en conseil n’était tenu de réaliser qu’un simple examen concernant la conduite de M. Vennat, compte tenu de la complexité du dossier. Qui plus est, la procédure suivie dans les affaires Wedge et Weatherill ne s’apparentait pas à un simple examen : une recherche autonome des faits a été réalisée par le décideur, et cette recherche avait un caractère personnalisé (au paragraphe 179). En l’espèce, comme dans Wedge et Weatherill 1999, la ministre a mené une enquête (ou un examen) indépendante des faits et personnalisée, en plus de permettre au demandeur de connaître en détail le fond de ses préoccupations. Il ne s’agissait pas que d’un simple avis; cette procédure était appropriée selon le processus administratif et la décision envisagée. Je ne peux donc pas conclure que le demandeur s’est vu refuser son droit à l’équité procédurale à cet égard.

b)  Possibilité de se faire entendre

[112]  En l’absence d’exigences prévues dans la Loi sur le CRTC ou autre quant au processus à suivre si le gouverneur en conseil songe à congédier un conseiller, il était loisible au gouverneur en conseil de déterminer son propre processus. Et, comme il est indiqué dans Baker, l’obligation d’équité procédurale, en raison de sa nature flexible, reconnaît qu’il est possible de participer sérieusement de diverses façons et dans différentes situations (au paragraphe 33).

[113]  À cet égard, il est évident que la ministre n’était pas tenue de renvoyer l’affaire aux fins d’enquête aux termes de la Loi sur les juges (Weatherill 1999, au paragraphe 82; Vennat, au paragraphe 130). Qui plus est, étant donné que la nature du congédiement envisagé n’était pas semblable à celle d’un processus d’arbitrage, il n’était pas nécessaire de tenir une audience orale (Baker aux paragraphes 23 et 33; Vennat, au paragraphe 130; Wedge, au paragraphe 24).

[114]  Le demandeur a eu l’occasion de répondre par écrit aux préoccupations de la ministre, ce qu’il a fait le 14 mars 2016.

[115]  Dans sa réponse, le demandeur ne demandait pas la tenue d’une audience orale officielle. Il a indiqué qu’il se réjouissait d’avoir l’occasion de fournir des précisions sur sa conduite en tant que conseiller [traduction] « et de discuter de la conduite d’autres, qui exige votre attention et votre surveillance immédiates ». À cet égard, le demandeur a indiqué que, depuis la nomination de la ministre, son bureau afin joint le cabinet de cette dernière à de nombreuses reprises afin d’organiser une réunion en personne où il serait question des préoccupations du demandeur [traduction] « relatives au bon fonctionnement du CRTC »; ses efforts n’avaient toutefois pas porté leurs fruits. Aucun document n’a été présenté à l’appui de cette affirmation dans la réplique du demandeur; cette affirmation semble plus viser le fonctionnement du CRTC que répondre aux préoccupations entourant la conduite du demandeur. Citant Potter, dont, selon ce que prétend le demandeur, émane le principe qu’il faut témoigner un degré élevé de bonne foi aux personnes nommées par le gouverneur en conseil avant d’imposer des mesures disciplinaires, le demandeur a aussi indiqué qu’il demeurait disposé à discuter de ces questions avec la ministre et qu’il avait [traduction] « un vif intérêt à vous [la ministre] rencontrer en personne avec ou sans la présence d’avocats ». Dans sa lettre, il répondait ensuite à chacune des préoccupations exposées dans la lettre de la ministre.

[116]  En ce qui concerne l’allégation de divulgation de renseignements confidentiels, le demandeur a nié que sa conduite violait les politiques et procédures internes, en indiquant qu’aucune conclusion de la sorte n’avait été tirée dans le cadre des procédures judiciaires et qu’aucune préoccupation à cet égard n’avait été soulevée avant le 19 octobre 2015. Il a conclu en affirmant qu’il était [traduction] « prêt à aborder ces préoccupations de façon plus approfondie, mais je demanderais tout de même à obtenir des détails supplémentaires afin de pourvoir le faire ». Il a aussi indiqué n’avoir eu connaissance d’aucune plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P‑ 21 à l’égard du CRTC. Il a demandé à obtenir des détails sur cette plainte, en ajoutant qu’il aborderait avec plaisir les circonstances de celles‑ci dans la mesure où elles sont liées à sa conduite et à ses responsabilités.

[117]  En ce qui concerne les contacts inappropriés avec des intervenants du CRTC, le demandeur a présenté sa justification des événements en détail et a conclu qu’il demeurait prêt à discuter de cette question pour atténuer toute éventuelle inquiétude.

[118]  Dans le cas du rapport sur la plainte de harcèlement, le demandeur a indiqué qu’il était fortement en désaccord avec les conclusions et que la décision du président qui en a découlé ainsi que le processus sous‑jacent faisaient actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire. Il serait donc prématuré de s’appuyer sur ces conclusions. Et [traduction] « […] s’il y a d’autres préoccupations à l’égard des gestes posés par le conseiller Shoan et leur incidence sur les activités internes du CRTC, je vous prierais de présenter des détails supplémentaires afin qu’il [le demandeur] puisse y répondre complètement ».

[119]  En réponse aux inquiétudes entourant l’esprit d’équipe, le demandeur a indiqué qu’il ne pouvait être tenu l’unique responsable de la détérioration de l’environnement de travail et qu’il aurait également fallu se pencher sur le comportement des autres. À cet égard, il a renvoyé aux « éléments de preuve » produits dans chacune de ses demandes de contrôle judiciaire sur les gestes et les décisions du président avant de dresser la liste de ces éléments selon lui. Le demandeur a vivement conseillé à la ministre de tenir compte de l’ensemble des circonstances susceptibles de contribuer à l’effritement de l’esprit d’équipe au CRTC. Le demandeur a aussi précisé que la suggestion formulée par l’ancienne ministre dans sa lettre du 17 juillet 2015, soit que le président mène une évaluation en milieu de travail afin d’aborder les enjeux pouvant contribuer à ce qui semblait être un environnement de travail toxique, n’avait pas été suivie. Le président a plutôt concentré ses efforts à éliminer la voix cruciale du demandeur du CRTC. Le demandeur a aussi affirmé que le président avait fait preuve d’une animosité hostile et négative à son égard.

[120]  Dans son mot de la fin, le demandeur a de nouveau indiqué qu’il serait prématuré pour le gouverneur en conseil de rendre une décision sur sa nomination avant que la Cour n’ait tranché les contrôles judiciaires qu’il avait lancés, puisque le contexte et les faits sous‑jacents à chacune des instances étaient inextricablement liés à une grande partie des préoccupations soulevées dans la lettre de la ministre et les allégations soulevées par le président. Et, si la ministre choisissait de passer à l’acte, le demandeur contesterait vigoureusement la mesure, en présentant notamment une demande de contrôle judiciaire et de sursis. Finalement, il a indiqué qu’il demeurait prêt à discuter de ces questions de façon plus approfondie [traduction] « à votre [la ministre] discrétion et à votre guise ».

[121]  Vu ce qui précède, il est évident que le demandeur n’a pas demandé la tenue d’une audience officielle et qu’il n’en a pas exprimé le besoin dans sa réponse à la lettre de la ministre. Il n’a pas non plus exprimé de façon explicite qu’une réunion avec la ministre constituait une exigence nécessaire de l’équité procédurale dans cette affaire. Il n’indique toutefois pas clairement dans sa demande qu’une telle réunion serait souhaitable.

[122]  Dans sa réponse, le demandeur n’indique pas clairement non plus les renseignements supplémentaires qu’il juge nécessaires pour lui permettre de répondre valablement, à une exception près. À titre d’exemple, il a demandé à obtenir des détails supplémentaires afin de pouvoir répondre à l’allégation de divulgation de renseignements confidentiels. Pourtant, la lettre de la ministre et le sommaire étaient très précis et le demandeur n’indique pas les renseignements supplémentaires qu’il doit obtenir pour répondre à cette préoccupation. Et, même si la plainte réelle déposée à l’endroit du CRTC au Commissariat à la protection de la vie privée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’apparaît pas dans le dossier, il semble ressortir clairement du dossier que cette plainte est liée aux renseignements personnels de la plaignante produits par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur la plainte de harcèlement.

[123]  Cela étant dit, je suis d’avis que, si la ministre jugeait que les questions soulevées par le demandeur dans sa réponse ne justifiaient d’organiser une réunion avec elle ou ses représentants ou de mener une enquête plus poussée sur les éléments allégués (y compris l’affirmation du demandeur selon laquelle le manque d’esprit d’équipe n’était pas entièrement attribuable à ses gestes, le fait que le président affichait une animosité hostile et négative à son endroit et le fait qu’il serait prématuré pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte avant que la Cour ne rende sa décision sur le contrôle judiciaire du rapport sur la plainte de harcèlement), elle était tenue, selon l’équité procédurale, d’en informer le demandeur et de lui expliquer, sommairement du moins, pourquoi elle était parvenue à cette conclusion. Dans Vennat, Wedge et Weatherill 1999, même si les faits et les circonstances différentes, les demandeurs ont eu la possibilité de participer à une réunion. Dans Vennat, une réunion a eu lieu en présence de la ministre de l’Industrie, du greffier du Conseil privé et de l’avocat général interne du ministère de l’Industrie. Dans Weatherill 1999, une réunion a eu lieu en présence de la sous‑greffière. Et, dans Wedge, une réunion a eu lieu en présence d’un représentant du Bureau du Conseil privé et du président du TAAC.

[124]  Pour les motifs qui suivent, le défaut d’offrir au demandeur une telle réunion ou de répondre autrement aux questions soulevées dans sa réponse a mené à un manquement possible de l’équité procédurale, puisqu’il est impossible d’établir, selon le dossier, qu’il a fait l’objet d’une décision équitable et impartiale.

c)  La décision équitable et impartiale

[125]  À cet égard, la Cour a entendu la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision sur la plainte de harcèlement le 21 juin 2016. Il est bien établi que le juge Zinn a informé les parties qu’il devrait rendre sa décision en septembre 2016. Le défendeur soutient que l’on ne peut interdire au gouverneur en conseil de révoquer la nomination d’une personne nommée pour un motif valable simplement parce qu’une demande de contrôle judiciaire a été présentée. En fait, la Cour a conclu, dans Weatherill 1999, que le gouverneur en conseil n’avait pas agi de façon inéquitable en refusant de retarder de nouveau sa décision après le rejet d’une demande d’injonction et pendant qu’un appel était en cours (au paragraphe 96). J’ajouterais que, quand une demande de révocation de nomination d’une personne nommée est présentée, la personne visée peut demander à obtenir un sursis de cette décision pendant que la demande de contrôle judiciaire est en cours. C’est ce que le demandeur a fait en l’espèce; le sursis a cependant été rejeté pour les motifs exposés par la juge Mactavish.

[126]  Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le gouverneur en conseil a agi de manière inéquitable en poursuivant le processus décisionnel alors que la décision du juge Zinn était sous réserve. Toutefois, même s’il était loisible pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte, cette décision a des conséquences importantes. Cela s’explique ainsi : à la suite de la décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur, la Cour a annulé la décision du président relative au harcèlement allégué au motif que le rapport sur la plainte de harcèlement était vicié. Cette situation pose problème dans le contexte de la décision du gouverneur en conseil, puisque la lettre de la ministre et le sommaire renvoient à la conclusion de l’enquêteur sur la plainte de harcèlement, qui sous‑tend la décision du gouverneur en conseil et en constitue le fondement.

[127]  Le juge Zinn a annulé la décision du président relative à la plainte de harcèlement parce qu’il a conclu, selon les éléments de preuve dont il était saisi, que le tiers chargé de faire enquête sur la plainte de harcèlement avait un esprit fermé, avait outrepassé son mandat et, dans une certaine mesure, avait diabolisé le demandeur. On trouvait dans le rapport sur la plainte de harcèlement des déclarations du président sur le comportement du demandeur, y compris le fait qu’il avait tenté de l’intimider, qu’il avait nui à ses relations avec des employés clés du CRTC et qu’il avait rendu l’environnement de travail toxique. Le juge Zinn a conclu que les opinions exprimées par le président, même si elles pouvaient être exactes, dépassaient largement ce que l’enquêteur sur la plainte de harcèlement devait déterminer. Et, vu les opinions à l’égard du demandeur que le président a exprimées à l’enquêteur sur la plainte de harcèlement en tant que témoin à l’enquête, sa participation à la décision finale n’était pas équitable sur le plan procédural. En effet, il était impossible de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait prendre une décision équitable, consciemment ou inconsciemment, sur le rapport sur la plainte de harcèlement. Le juge Zinn a conclu que le rapport et les mesures correctives dans leur ensemble étaient douteux et peu fiables. Il a toutefois conclu qu’il n’avait pas à jouer ce rôle et qu’il n’avait pas déterminé si la plainte avait donné lieu à du harcèlement.

[128]  La difficulté avec laquelle je suis donc aux prises en l’espèce réside dans le fait qu’il est difficile de déceler, selon le dossier, dans quelle mesure le gouverneur en conseil s’est appuyé sur le rapport sur la plainte de harcèlement vicié pour rendre sa décision. La ministre exposait dans sa lettre quatre catégories de préoccupations et ajoutait qu’elles « se fondaient » sur des préoccupations antérieures ayant eu des répercussions négatives sur le bien‑être interne du CRTC. Elle a ensuite fait référence au rapport sur la plainte de harcèlement. Elle a aussi renvoyé à la lettre du 17 juillet 2015 envoyée par sa prédécesseure, qui indiquait que le demandeur n’avait présenté aucune nouvelle preuve contraire aux conclusions du rapport sur la plainte du harcèlement et qu’il était particulièrement inquiétant de constater que sa conduite continuait de témoigner un manque de respect à l’égard des principes de l’esprit d’équipe. Elle a conclu que [traduction] « ensemble, ces incidents remettent en question sa [le demandeur] capacité d’agir à titre de conseiller du CRTC ».

[129]  Il est possible que le rapport sur la plainte pour harcèlement n’ait pas joué un rôle déterminant dans la décision du gouverneur en conseil. Il convient toutefois de relever l’absence de réunion, même sommaire, avec la ministre, au cours de laquelle il aurait été possible d’aborder ce point, ou de réplique à la réponse du demandeur afin d’expliquer que ni la ministre, pour formuler sa recommandation, ni le gouverneur en conseil, pour rendre sa décision, n’avaient eu besoin de s’appuyer sur la décision, favorable ou défavorable, rendue par le juge Zinn relativement au rapport sur la plainte de harcèlement, étant donné les autres éléments de preuve ou motifs sur ce point dans la décision du gouverneur en conseil. Ainsi, l’exercice que je mènerais en vue de déterminer si le demandeur a fait l’objet d’une décision équitable et impartiale à la suite de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa nomination avant que le juge Zinn ne rende sa décision ne serait que pure spéculation. Il en irait de même pour le poids accordé au rapport sur la plainte de harcèlement et, par conséquent, pour le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil.

[130]  Qui plus est, la ministre a également indiqué dans sa lettre qu’elle s’inquiétait de la divulgation de renseignements personnels par le demandeur au moment de présenter sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour sans prendre de mesures pour protéger la confidentialité de ces renseignements. Il s’agissait particulièrement des renseignements personnels sur l’auteure de la plainte de harcèlement. La ministre a indiqué que le demandeur n’avait pas demandé à ce que les renseignements produits soient traités comme des renseignements confidentiels et qu’il n’avait pas informé la personne ou le défendeur de son intention de divulguer ces renseignements.

[131]  Pendant le contrôle judiciaire de la décision relative à la plainte de harcèlement, le juge Zinn a résilié l’ordonnance de confidentialité au motif que si l’affaire était demeurée à l’interne au CRTC, ce dernier était maître de son propre processus. Toutefois, lorsque la décision est devenue visée par un contrôle judiciaire, la Cour contrôle son propre processus et avoir l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires comme considération principale. Le juge Zinn était d’avis que rien dans l’affaire dont il était saisi ne lui permettait de croire que l’identité de la plaignante, du prétendu harceleur ou des témoins justifiait la délivrance d’une ordonnance de confidentialité.

[132]  Étant donné que le gouverneur en conseil a pris sa décision de révoquer la nomination du demandeur avant que le juge Zinn ne rende sa décision à cet égard, sa conclusion ne faisait pas partie des considérations du gouverneur en conseil. Encore une fois, il est impossible de connaître le poids accordé par le gouverneur en conseil sur cette préoccupation relative à la confidentialité, puisqu’il n’en fait aucunement mention dans ses motifs ou ailleurs. Cela s’explique peut‑être par le fait que la décision du gouverneur en conseil aurait été la même, puisqu’il demeure la question du bon jugement du demandeur, étant donné qu’il n’a pris aucune mesure de précaution afin de protéger les renseignements personnels. Notons par exemple que les lignes directrices du CRTC sur les mécanismes officiels de résolution des cas de harcèlement indiquent qu’il incombe à tous ceux qui participent à une résolution de conflit informelle ou à un processus d’enquête sur une plainte de harcèlement de veiller à respecter le principe de la confidentialité. Il était toutefois impossible de le confirmer.

[133]  Cela étant dit, je suis d’avis que le dossier ne soutient pas l’observation du demandeur selon laquelle la décision du gouverneur en conseil se voulait une attaque collatérale sur la procédure de contrôle judiciaire dont le juge Zinn était saisi, puisque la lettre de la ministre fait aussi état de préoccupations qui ne sont pas liées au rapport sur la plainte de harcèlement. Le demandeur ne présente non plus aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

[134]  Il y a enfin la question, elle aussi liée au rapport sur la plainte de harcèlement, de déterminer l’importance accordée par le gouverneur en conseil aux affirmations du demandeur selon lesquelles il n’était pas l’unique responsable de l’environnement de travail toxique au CRTC. L’enquêteur sur la plainte de harcèlement renvoie au commentaire du président selon lequel l’environnement de travail toxique était attribuable au demandeur. Dans sa réponse, le demandeur affirmait qu’il ne pouvait être l’unique responsable de la détérioration du milieu de travail et il conseillait vivement à la ministre de tenir compte de l’ensemble des circonstances susceptibles de contribuer à l’effritement de l’esprit d’équipe au CRTC. Notons aussi que la suggestion faite par l’ancienne ministre dans sa lettre du 17 juillet 2015 de mener une évaluation du milieu de travail afin d’aborder les enjeux pouvant contribuer à ce qui semblait être un environnement de travail toxique n’avait jamais été suivie. Il est toutefois impossible de déterminer, à la lecture du dossier ou des motifs, à quel point les observations formulées par le demandeur dans sa réponse à cette préoccupation ont été prise en considération. C’est‑à‑dire, quelle est l’importance accordée à la préoccupation de la ministre relative à l’esprit d’équipe issue du rapport sur la plainte de harcèlement, en ce qui concerne ce rapport en soi et en tenant compte de cette préoccupation avec d’autres indiquées dans la lettre de la ministre, et à dans quelle mesure s’est‑on appuyé sur elle?

[135]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, le fait que le gouverneur en conseil a rendu sa décision avant que le juge Zinn ne rende la sienne sur le contrôle judiciaire (dans laquelle il a finalement annulé la décision du président du CRTC d’accepter la recommandation de l’enquêteur sur la plainte de harcèlement) rend impossible de déterminer, selon le dossier dont je suis saisi, si le demandeur a eu droit à une audience équitable et si on a agi de manière équitable à son égard.

[136]  Vu ma conclusion ci‑dessus, il pourrait être nécessaire d’aborder les autres observations du demandeur quant à l’iniquité sur le plan procédural de la décision en fonction de son allégation selon laquelle la ministre ou le gouverneur en conseil avait l’esprit fermé et de l’insuffisance des motifs. Vu les circonstances, toutefois, il est prudent de le faire. À cet égard, je précise que, dans Pelletier 2008, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une destitution par un second décret, le premier ayant été annulé pour manquement à l’équité procédurale (aux paragraphes 1 à 6; Pelletier 2005, aux paragraphes 94 à 96), de l’ancien président du Conseil d’administration de Via Rail Canada Inc., qui occupait le poste à titre amovible. La Cour d’appel fédérale a confirmé que lorsqu’il s’agit de la révocation pour quelque motif que ce soit de la nomination d’une personne nommée à titre amovible, le gouvernement ne saurait être assujetti à l’obligation d’établir un motif valable, que des garanties procédurales minimes étaient requises, soit le droit d’être informé du fondement des préoccupations et le droit d’être entendu (aux paragraphes 42 et 43 à 45).

[137]  Dans ce cas, toutefois, le demandeur avait aussi fait valoir que le décideur avait un esprit fermé et qu’on lui avait donc refusé son droit à l’équité procédurale. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[59]  Le processus décisionnel, ici, est particulier et sort des modèles établis. Nous sommes au cœur du monde politique et hormis les exigences minimales d’équité procédurale décrites plus haut, il s’agit d’un monde dans lequel les tribunaux évitent de s’immiscer.

[60]  Il s’agit d’abord d’une décision du cabinet. Cette décision, par sa nature même, est collective et le processus qui y mène est secret. De l’esprit fermé de qui s’agit-il? Du cabinet? Du ministre de tutelle? Et comment en fait-on la preuve? Je suis prêt à accepter, ici, le fait que l’esprit du ministre de tutelle est des plus significatif, encore qu’il ne soit pas nécessairement déterminant.

[61]  Il s’agit ensuite d’une décision qui est déjà prise par le ministre de tutelle au moment où il en informe l’intéressé, bien qu’elle ne soit pas finale et qu’elle doive encore être sanctionnée par le cabinet. En d’autres termes, le ministre de tutelle a déjà formé son opinion au moment où il donne la chance à l’intéressé de se manifester. Un ministre ne s’aventure pas dans un processus de destitution sans s’être d’abord convaincu qu’il y a matière à destitution.

[62]  Il s’agit enfin d’une « audience » tout à fait informelle, qui permet tout au plus à l’intéressé d’inciter le ministre à revenir sur sa décision. Le ministre, quand bien même les explications de l’intéressé seraient bien fondées, n’est nullement tenu de modifier sa décision non plus que d’expliquer pourquoi il refuse de la modifier. C’est là pourquoi toute comparaison avec l’affaire Newfoundland Telephone où il y avait enquête, avis d’audience et audience formelles est boiteuse.

[138]  Je préciserais aussi que, dans Keen, où il était également question d’une nomination amovible, le juge Hughes a mentionné que le décret indiquait que [traduction] « […] la gouverneure en conseil a pris connaissance de la lettre et des notes » et :

[55]  Comme l’a observé le juge Dickson au nom de la Cour suprême du Canada à la page 115, entre les lettres g et h, de l’arrêt Thornes’s Hardware Limited c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, la Cour ne peut examiner la validité d’une telle mention se trouvant dans un décret.

[139]  Qui plus est, dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses), ultérieur à la décision rendue par la Cour dans Vennat, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit :

[20]  La question de l’équité procédurale n’a été soulevée ni devant le juge siégeant en révision, ni devant la Cour d’appel, et notre Cour peut la trancher aisément. L’arrêt Baker établit que, « dans certaines circonstances », l’obligation d’équité procédurale requiert « une forme quelconque de motifs écrits » à l’appui d’une décision (par. 43). Il n’y est pas affirmé que des motifs s’imposent dans tous les cas, ni que leur qualité relève de l’équité procédurale. En fait, après avoir jugé que des motifs s’imposaient dans la situation qui l’occupait, la Cour a conclu dans Baker que les simples notes d’un agent d’immigration suffisaient pour remplir l’obligation d’équité procédurale (par. 44).

[21]  Il m’apparaît inutile d’expliciter l’arrêt Baker en indiquant que les lacunes ou les vices dont seraient entachés les motifs appartiennent à la catégorie des manquements à l’obligation d’équité procédurale et qu’ils sont soumis à la norme de la décision correcte. Je fais mienne la mise en garde du professeur Philip Bryden selon laquelle [traduction] « les cours de justice doivent se garder de confondre la conclusion que le raisonnement du tribunal n’est pas adéquatement exposé et le désaccord au sujet des conclusions tirées par le tribunal sur la base de la preuve dont il disposait » (« Standards of Review and Sufficiency of Reasons : Some Practical Considerations » (2006), 19 C.J.A.L.P. 191, p. 217; voir aussi Grant Huscroft, « The Duty of Fairness : From Nicholson to Baker and Beyond », dans Colleen M. Flood et Lorne Sossin, dir., Administrative Law in Context (2008), 115, p. 136).

[22]  Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci.

[140]  En outre, dans Peace Valley, dans le contexte de la décision du gouverneur en conseil selon laquelle les répercussions environnementales qui, selon ce que le ministre de l’Environnement avait déterminé, découleraient sans doute de la construction d’un projet d’énergie propre en Colombie‑Britannique étaient justifiées dans cette situation, le juge Manson a indiqué ce qui suit :

[63]  Il existe une présomption selon laquelle la ministre a tenu compte du rapport de la CEC et de tous les renseignements utiles pour faire ses recommandations au GC. Il est tout à fait raisonnable de penser que le rapport de la CEC et tous les renseignements examinés par la ministre ont été examinés par le GC (Woolaston c Canada (Main‑d’œuvre et Immigration), [1973] RCS 102; Leo Pharma Inc c Canada (Procureur général), 2007 CF 306, paragraphe 41; plus récemment, Thamotharampillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 438, paragraphe 14).

[64]  De plus, je ne crois pas que le décret expose de façon exhaustive tout ce dont le GC a tenu compte. Il faut examiner l’ensemble du dossier pour déterminer si la décision était déraisonnable, et le faire en tenant compte de la preuve et du processus afin de pouvoir déterminer si le résultat s’inscrit dans un éventail d’issues possibles et raisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphes 14, 15 et 18). […]

[141]  Ainsi, dans la mesure où le demandeur suggère que l’absence de motifs supplémentaires dans le décret constituait un manquement à l’équité procédurale, je ne suis pas d’accord. Comme il est indiqué dans Newfoundland Nurses, l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision et la décision fait partie des issues possibles indiquées dans Dunsmuir (paragraphes 14 et 15). Je ne suis pas plus convaincue que le gouverneur en conseil, lorsqu’il présente un décret visant à destituer une personne nommée pour un motif valable est nécessairement tenu de présenter des motifs détaillés. Le contexte entourant le processus décisionnel du gouverneur en conseil ne soutient tout simplement pas une telle exigence.

[142]  Cela étant dit, et comme il en est question ci‑dessus, la concision des motifs en l’espèce empêche la Cour de comprendre à quel point le gouverneur en conseil s’est fondé sur le rapport sur la plainte de harcèlement, si tel est le cas (rapport qui, selon la conclusion tirée par le juge Zinn était profondément vicié) et sur la préoccupation connexe relative à la confidentialité, ainsi que de déterminer si la décision rendue par le juge Zinn aurait eu une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou pas. Même cela ne constituerait pas à lui seul une erreur susceptible de révision, il faut le voir en combinaison avec le fait que le demandeur ne s’est pas vu offrir de participer à une réunion avec la ministre au cours de laquelle il aurait pu aborder la mesure dans laquelle la ministre s’était appuyée sur le rapport sur la plainte de harcèlement contesté. Cela ne ressort pas clairement du dossier dont je suis saisie. Je ne peux établir, après examen du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, à quel point ce dernier s’est fondé sur le rapport sur la plainte de harcèlement et sur la décision connexe du président. Je ne peux non plus établir si la préoccupation relative à la confidentialité et la résiliation de l’ordonnance de confidentialité par le juge Zinn auraient pu avoir une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou sur l’étude que la ministre et le gouverneur en conseil ont faite sur l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas l’unique responsable du manque d’esprit d’équipe au CRTC. Je conclus donc que le demandeur s’est possiblement vu refuser son droit à l’équité procédurale. Qui plus est, si la dépendance du gouverneur en conseil à l’égard du rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes liées à la confidentialité et à l’esprit d’équipe ont joué un rôle déterminant, la décision du gouverneur en conseil n’était pas raisonnable. C’est pour ce motif que je juge nécessaire de renvoyer cette affaire au gouverneur en conseil aux fins de nouvel examen.

Question 3 : La décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur était‑elle déraisonnable?

[143]  Je n’ai pas à trancher cette question puisque j’ai conclu que le demandeur s’est vu refuser son droit à l’équité procédurale. Par souci d’intégralité, cependant, je ferais remarquer qu’il se dégage aussi clairement du dossier que le gouverneur en conseil aurait pu obtenir le même résultat, même si le rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes n’ont pas joué un rôle déterminant dans son processus décisionnel.

[144]  À titre d’exemple, la conduite du demandeur en ce qui concerne des contacts inappropriés avec des intervenants du CRTC, est très troublante. Dans sa lettre, la ministre précise que, comme le sait le demandeur, le CRTC a comme pratique de gérer avec soin les contacts ex parte afin de protéger la perception d’équité et de neutralité et de garantir que ces contacts ne mettent pas en péril sa réputation et son intégrité. Qui plus est, en juillet et en août 2015, le demandeur a rencontré seul des intervenants dont les demandes étaient à l’étude par le CRTC sans respecter les pratiques du Conseil. Son gazouillis public à propos de l’une de ces réunions a soulevé des préoccupations chez une partie visée, tandis que l’autre réunion a soulevé des inquiétudes sur la perception d’équité et de neutralité.

[145]  On aborde plus en détail cette préoccupation dans le sommaire. Il indique que le demandeur a reçu au moins deux séances d’information sur les contacts appropriés avec les intervenants. À cet égard, on renvoie à un courriel joint en date du 27 juin 2013 envoyé par le président au demandeur au sujet des demandes de réunions. Le président suggérait de vérifier auprès de Christianne Laizner, conseillère juridique principale du CRTC avant d’accepter de rencontrer des intervenants, puisqu’une mauvaise décision pourrait donner lieu à l’annulation de décision, et à des coûts de litiges, des coûts liés à la réputation et l’exclusion de comités, entre autres. En outre, la rencontre, si elle avait lieu, devait être tenue dans un contexte d’affaires (une salle de conférence plutôt qu’un restaurant), qu’il ne fallait pas, dans la mesure du possible, y participer seul et qu’il fallait présenter un compte rendu clair des points de discussion abordés. On renvoie aussi à une présentation PowerPoint préparée par Christianne Laizner jointe au courriel, dans laquelle on dresse entre autres la liste des risques que posent ces réunions et des éléments à prendre en considération au moment de déterminer s’il faut organiser une réunion. On indique notamment que la présence à une telle réunion ne doit pas entraîner un conflit réel ou perçu. Qui plus est, on mentionne qu’il faut toujours vérifier auprès de la conseillère juridique principale et des directeurs exécutifs pertinents afin de déterminer si le fait d’accepter l’invitation à la réunion entraîne un conflit réel ou perçu et s’il est possible d’atténuer le risque et, le cas échéant, de quelle façon s’y prendre. En outre, il faut demander au personnel de mener des recherches internes sur tout dossier visant le demandeur ou susceptible de le viser, demander à d’autres conseillers s’ils ont reçu la même demande de réunion et inviter un employé du CRTC à assister à la réunion. Dans cette présentation PowerPoint, on indique aussi que les réunions devraient également être confirmées par écrit et que des directives sont établies à cet égard. La présentation se termine par une déclaration selon laquelle l’apparence est tout aussi importante que la réalité pendant les audiences publiques.

[146]  Le 29 juillet 2015, le demandeur a rencontré seul un haut représentant de Shomi. Dans le sommaire, on indique que Shomi était partie à une demande présentée au CRTC à ce moment. À la suite de cette réunion, le demandeur a déclaré dans un gazouillis qu’il avait eu un déjeuner fabuleux avec David Asch, de Shomi et il se réjouissait à l’avance de voir si le lancement national de Shomi allait attirer les Canadiens et dans quelle mesure il le ferait. Il est indiqué dans le sommaire que Shomi a ensuite partagé ce gazouillis. Le 1er septembre 2015, le CRTC a reçu une lettre du Centre pour la défense de l’intérêt public (« CDIP ») dans laquelle ce dernier indiquait être la partie demanderesse dans le dossier du Conseil no 2015-0379-8, demande en vertu de la partie I – conformité de Shomi à la Loi sur les télécommunications et à l’ordonnance d’exemption des médias numériques. Dans cette lettre, le CDIP indiquait qu’il avait eu connaissance récemment du gazouillis, qu’il avait reproduit. Il indiquait que, selon ce gazouillis, il semblait que le demandeur avait dîné avec David Asch, vice‑président principal et directeur général de Shomi et qu’ils avaient tous deux parlé du lancement national de Shomi, un sujet faisait l’objet d’un litige dans la demande en vertu de la partie I présentée par le CDIP et qu’à la connaissance de ce dernier, sa demande en vertu de la partie I à l’égard du service offert par Shomi faisait toujours l’objet d’un examen devant le CRTC. Dans cette lettre, on abordait ensuite l’obligation d’équité dont le CRTC était tenu à l’égard des parties et on demandait à ce dernier d’indiquer si le demandeur était membre du comité qui allait trancher la demande présentée par le CDIP. Si tel était le cas, il devait se récuser.

[147]  Le président a fait part de cette situation au demandeur par courriel le 10 septembre 2015, en indiquant le lien menant au site Web du CRTC, où la demande présentée par le CDIP était accessible au public. En ce qui concerne la compréhension alléguée du demandeur selon laquelle la demande du CDIP avait été renvoyée, le président a répondu que le personnel l’avait informé que le demandeur avait été officiellement mis au courant, le 28 mai 2015, que la demande n’avait pas été renvoyée et que le dossier demeurait actif, en renvoyant à un courriel joint (qui n’est pas inclus dans le dossier). Le président renvoyait aussi aux pratiques du CRTC sur les réunions ex parte et demandait au demandeur de lui répondre avant la fermeture des bureaux ce jour‑là. Dans sa réponse, le demandeur a indiqué qu’il se trouvait à l’extérieur du bureau et qu’il n’aurait pas le temps d’examiner les documents ou de consulter son conseiller juridique. Il a ensuite proposé de régler cette affaire la semaine suivante. Le président a répondu que l’affaire présentée par le CDIP revêtait une importance cruciale, puisqu’il en allait de l’intégrité de l’institution, et il demandait au demandeur de répondre d’ici le 14 septembre 2015 à midi et d’indiquer entre autres s’il entendait se récuser ou pas.

[148]  Le demandeur a indiqué ce qui suit dans sa réponse :

[traduction]

Je trouve le ton de vos courriels menaçant et très agressif. La nature exigeante de ces courriels est inappropriée, particulièrement parce que vous vous trouvez en ce moment opposé à moi devant la Cour fédérale afin de défendre vos gestes en tant que président, sans compter les enquêtes distinctes menées par le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le commissaire à l’intégrité du secteur public et le Commissariat à l’information. Je vous suggère de prendre du recul et de revoir votre approche générale à l’égard de cette affaire.

Comme je l’ai indiqué, je consulterai mon conseiller juridique et je répondrai une fois que j’aurai le soutien dont j’ai besoin. En tant que personne nommée de façon indépendante par le gouverneur en conseil, je ne me laisserai pas intimider par vous vous n’avez aucun pouvoir de gestion à mon égard.

[149]  Soit dit en passant, je précise que le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique, dans une lettre datée du 17 septembre 2015, informait le président que sa participation à une demande en vertu de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (« AIPRP ») ne semblait pas donner lieu à un conflit d’intérêts comme le prétendait le demandeur. Qui plus est, le 24 octobre 2016, la Cour d’appel fédérale, dans Shoan CAF, a rejeté la contestation du demandeur, fondée sur un défaut de compétence allégué, de trois décisions du président en vue d’établir des comités. Rien dans le dossier ne porte sur le Commissariat à l’information ou sur le Commissariat à l’intégrité du secteur public.

[150]  Le 15 septembre 2015, le demandeur a envoyé un courriel dans lequel il indiquait avoir examiné la demande du CDIP et la demande exigeant sa récusation, que le demandeur a rejetée. Il a indiqué, entre autres, avoir payé personnellement le repas et qu’il n’avait pas été question de la demande présentée par le CDIP. Il a ensuite indiqué que la demande du CDIP portait sur l’intégration juridique de la loi et sur une ordonnance d’exemption et que [traduction] « le fait que j’ai eu un déjeuner de présentation avec M. Asch n’a aucune incidence sur l’analyse juridique ou sur la discussion entourant la demande ». Il indiquait ensuite que les faits avaient changé depuis le dépôt de la demande et qu’elle ne comprenait plus l’activité de Shomi, ce qui signifiait que [TRADUCTION] « par conséquent, le fondement de la demande du CDIP semble douteux; je suis quelque peu surpris que la demande soit toujours étudiée à l’interne et qu’elle n’ait pas été renvoyée au CDIP. Nous ne sommes plus en mesure d’accorder au CDIP la réparation qu’il demande ».

[151]  Dans le sommaire, on décrit aussi une réunion tenue le 17 août 2015 entre le demandeur et M. Chris Byrne, propriétaire de Byrnes Communications. On y indique qu’au moment de la réunion, le CRTC était saisi d’une demande visant Byrnes Communications. Selon une correspondance par courriel jointe, M. Byrnes avait communiqué avec le demandeur le 7 août 2015 afin de lui indiquer qu’il souhaiter parler du processus [traduction] « d’appel aux commentaires sur Burlington », qui avait pris fin le 27 février, afin de savoir pourquoi le processus était aussi long et de demander à obtenir une licence FM. Dans sa réponse, le demandeur a répondu, en envoyant sa réponse en copie à son assistant, qu’il demanderait au personnel de lui présenter une mise à jour sur l’appel de commentaires sur Burlington et a demandé à son assistant de coordonner sa disponibilité. Le 13 août 2015, le personnel a répondu que la réponse pour Byrnes Communications était la suivante : le CRTC étudiait la demande et il ne pouvait limiter d’éventuelles mesures en en disant davantage, tandis que la réponse interne pour le demandeur était la suivante : la question serait présentée dans le cadre d’une RCR dans un avenir rapproché et qu’elle était sur la bonne voie du point de vue analytique et que le moment dépendait des ordres du jour, entre autres.

[152]  Le 17 août 2015, le demandeur a envoyé un courriel à M. Byrne afin de l’informer qu’il ne pourrait pas parler de la demande liée à Burlington à la réunion ce jour‑là parce que le CRTC l’étudiait. M. Byrne a répondu qu’il comprenait et qu’il ne voulait que savoir pourquoi c’était si long. Plus tard ce matin‑là, le demandeur a envoyé un courriel interne portant la mention « priorité élevée » à un analyste économique du CRTC à propos de l’étude de marché pour Hamilton‑Burlington et dans lequel il posait des questions de suivi. Ce même jour, le demandeur a déjeuné seul avec M. Byrne.

[153]  Le 21 octobre 2015, le CRTC a rendu la décision de radiodiffusion CRTC 2015‑472, sur ses conclusions relatives à la capacité du marché et à la pertinence de publier un appel de demandes radio pour desservir le marché radiophonique de Hamilton/Burlington (Ontario), où il a conclu que le marché ne pouvait accueillir de nouvelles stations de radio commerciale à ce moment. Par conséquent, le Conseil ne publierait pas un appel de demandes en vue d’exploiter de nouvelles stations de radio commerciale pour desservir ce marché. Il renverrait donc la demande de licence de radiodiffusion afin d’exploiter une station de radio commerciale à Burlington au demandeur d’origine, Byrnes Communications Inc., qui a indiqué l’avoir reçu en décembre 2015. Dans son communiqué de presse, le CRTC indiquait qu’il avait reçu plusieurs interventions en faveur d’un appel de demandes, y compris de Byrnes et qu’il avait également reçu des interventions en opposition, auxquelles Byrnes avait répondu collectivement, qui était toutes décrites. Il mentionnait et joignait l’opinion minoritaire du demandeur. Dans cette opinion, le demandeur indiquait qu’il ne voulait pas dire que le Conseil avait commis une erreur flagrante de droit ou de politique, mais qu’il était cependant d’avis que la décision de la majorité ne rendait pas service aux résidents de Burlington. Le demandeur a ensuite publié un message sur son désaccord sur son compte Twitter personnel, auquel il joignait un lien menant à son opinion minoritaire.

[154]  Le président a ensuite envoyé un courriel au demandeur afin de lui parler de son déjeuner seul avec M. Byrne. Le demandeur a confirmé que la réunion avait eu lieu, mais qu’il était d’avis que les processus adéquats avaient été respectés, puisqu’il avait envoyé une note afin de savoir s’il y avait des demandes internes dont il devait éviter de parler. Il a aussi indiqué que d’autres questions avaient été abordées au cours du déjeuner. Il indiquait aussi que le CRTC ne se penchait pas sur le bien‑fondé de la demande liée à Burlington, mais plutôt seulement sur une étude de marché. Et, même si le CRTC avait déterminé que le marché pouvait accueillir une nouvelle demande, parce qu’au moins un autre diffuseur avait indiqué qu’il était prêt à présenter une demande, il faudrait probablement mener un processus public distinct afin de se pencher sur le bien‑fondé des demandes. Par conséquent, [traduction] « [L]e Conseil n’avait pas étudié la demande de Byrne en soi ». Il indiquait ensuite dans le courriel que les tentatives continues du président pour le discréditer étaient inappropriées.

[155]  Comme il est indiqué dans le sommaire, le droit du demandeur d’être en désaccord et les motifs de ce désaccord n’étaient pas en litige. La préoccupation résidait plutôt dans le défaut du demandeur de reconnaître qu’il faut gérer avec soin les contacts ex parte avec les intervenants, puisqu’ils exposent potentiellement le CRTC à des contestations juridiques, en plus de soulever des doutes considérables sur son intégrité et sa réputation, comme en témoignait la réponse du CDIP au déjeuner du demandeur avec le représentant de Shomi. Ces réunions soulevaient l’inquiétude d’une crainte raisonnable de partialité. Le sommaire indiquait ce qui suit :

[traduction]

Comme M. Shoan le sait bien, la perception d’équité et de neutralité, le concept qui sous‑tend la confiance à l’égard des institutions publiques, s’impose dans le processus décisionnel administratif du CRTC. Le défaut de M. Shoan de respecter les processus et procédures internes, établis en vue de réduire au minimum de tels risques institutionnels, constitue un boulet pour l’organisation, en plus de miner l’intégrité et la réputation du CRTC, comme en témoigne la réaction des intervenants.

[156]  Le demandeur fait valoir dans les observations écrites qu’il a présentées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, que seuls deux des nombreuses réunions avec des intervenants ont été attaquées et qu’il a respecté les protocoles du CRTC et les lignes directrices du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique dans les deux cas. En ce qui concerne la rencontre avec M. Byrne, conformément au protocole, il a confirmé par écrit qu’un dossier actif ne ferait pas l’objet de discussion; quant à l’affaire Shomi, aucune demande visant cette entité n’était étudiée par le CRTC et, par conséquent, aucun conflit d’intérêts n’existait. Il a aussi fait valoir que, même dans le cas contraire, ces deux seules réunions en litige, vu leur nature, ne constituaient pas un « motif valable » de congédiement. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a aussi soutenu que le protocole relatif aux réunions décrit ci‑haut ne correspondait qu’à de simples suggestions ou à une recommandation, et qu’il ne s’agissait ni d’une exigence de conformité réglementaire ni d’une règle ou d’une politique contraignante.

[157]  Je suis d’avis que le demandeur ne reconnaît pas, dans ses observations, que la préoccupation réside dans la crainte réelle ou perçue de partialité auxquelles ses réunions ex parte ont donné lieu. Cette préoccupation a été largement démontrée dans la réponse du CDIP à la réunion du demandeur avec Shomi. Peu importe si Shomi n’était pas la demanderesse; le fait est que l’activité qu’elle proposait faisait l’objet d’une étude par le CRTC dans le cadre d’une demande dont il était saisi. Qui plus est, dans la demande du CDIP, le fait que demandeur a refusé de se récuser du comité saisi de la demande visée constitue une autre preuve qu’il ne comprend pas cette préoccupation. En fait, la radiation de ce comité constituait le fondement de l’une de ses contestations de l’autorité du président dans la demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour d’appel fédérale. En ce qui concerne la réunion avec M. Byrne, le demandeur n’a pas respecté les processus internes du CRTC, contrairement à ce qu’il indique dans ses observations. Il est vrai qu’il avait établi, selon ce que le personnel lui avait dit, que le CRTC était saisi d’une demande visant Byrnes Communications. Cela aurait dû pousser le demandeur à refuser de participer à la rencontrer ou, à tout le moins, à consulter l’avocat interne afin de décider si la réunion devrait avoir lieu et, le cas échéant, qu’elle se déroule à l’interne, en prenant toutes les mesures d’atténuation du risque requises. Encore une fois, le problème ne résidait pas dans le fait que ce n’était pas la véritable demande présentée par Byrnes Communications qui était en jeu à cette étape, mais plutôt une simple étude de marché. Le problème résidait dans la perception d’équité et de neutralité.

[158]  Vu son vaste pouvoir discrétionnaire (Wedge, aux paragraphes 32 et 33), il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure que l’absence de reconnaissance du demandeur ou son mépris à l’égard de l’inquiétude entourant les communications ex parte et leur incidence sur l’intégrité du CRTC constituait un motif valable de congédiement. J’en conclurais de même en ce qui concerne la réponse du demandeur à la demande d’AIPRP et aux processus internes conçus pour répondre à ces demandes. Il est toutefois impossible d’examiner ces incidents isolément. Étant donné que le demandeur s’est potentiellement vu refuser son droit à l’équité procédurale et parce qu’il est impossible de déterminer, en fonction du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, l’importance accordée au rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes, il m’est impossible de trancher que le gouverneur en conseil a pris une décision raisonnable.

Question 4 : Réparation

[159]  Dans le contexte de la réparation accordée en l’espèce, l’annulation de la décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur pour un motif valable donnerait probablement lieu à la réintégration du demandeur en tant que conseiller.

[160]  Il y a toutefois une inquiétude légitime selon laquelle le mépris du demandeur à l’égard des processus visant à protéger l’intégrité du CRTC témoigne d’un manque de jugement sûr. Il est aussi évident que la relation entre le demandeur et le président est tendue. Le demandeur a remis en question l’autorité du président à de nombreuses reprises. Il était d’avis qu’étant donné que tous les conseillers nommés sont désignés en tant que membres dans la Loi sur le CRTC, ils étaient tous égaux et que les responsabilités supplémentaires désignées du président ne lui confèrent pas un statut supérieur à celui d’un conseiller. À titre d’exemple, il a indiqué ce qui suit dans un courriel envoyé à tous les conseillers et repris dans les médias :

[traduction]

En essence, en formant des comités sans tenir compte des règlements internes légaux en place, le président déclare à chacun de vous qu’il peut à tout moment vous retirer votre vote. Il déclare que lui seul peut déterminer quels conseillers rendront une décision pour le reste d’entre nous sans nous demander nos commentaires. Il instaure une culture au Conseil où s’attirer les faveurs du président pour faire partie d’un comité favorable devient le modus operandi. Il transforme la gouvernance de la Commission à un point tel que toutes les décisions importantes passent par le bureau du président et où les conseillers dissidents sont ostracisés.

[161]  Il a ensuite renvoyé au règlement interne qui, selon lui, soutenait son opinion, avant de conclure [TRADUCTION] « Je vous supplie de vous joindre à moi afin de nous opposer aux décisions de radier ces comités – par l’intermédiaire du mécanisme ou du forum réputé être le meilleur. Je communiquerai avec chacun d’entre vous afin de discuter de cette question de façon plus approfondie ». Même si la Cour d’appel fédérale a par la suite indiqué clairement dans sa décision que la remise en question de l’autorité du président d’établir des comités par le demandeur n’était pas fondée, on ignore si cette décision poussera le demandeur à modifier son approche générale à l’égard du président, des travaux du CRTC et son rôle dans ce dernier.

[162]  Dans le contexte du sursis, même si la juge Mactavish a conclu que le demandeur avait établi un enjeu grave, elle n’était pas convaincue qu’il avait établi un préjudice irréparable. À cet égard, elle a conclu que toute atteinte à la réputation du demandeur attribuable au fait que le gouverneur en conseil n’avait plus confiance en sa capacité à s’acquitter de ses responsabilités à titre de conseiller du CRTC ne serait pas annulée s’il réintégrait son poste en l’attente de l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. Et, elle a indiqué ce qui suit en examinant la prépondérance des inconvénients :

[51]  Enfin, il est fortement dans l’intérêt public d’assurer un fonctionnement efficace et harmonieux du CRTC. Sans chercher à désigner un fautif, il ne fait aucun doute que la relation entre M. Shoan, le président et certains employés du CRTC est devenue très tendue. La réintégration provisoire de M. Shoan dans ses fonctions nuirait certainement à la collégialité nécessaire pour assurer le fonctionnement efficace du CRTC.

[163]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a fait valoir que, si je concluais que la décision du gouverneur en conseil était inéquitable sur le plan procédural, je devrais songer à une réparation autre que l’annulation de la décision, que le demandeur demandait. En particulier, il demandait à la Cour d’annuler le décret, mais de suspendre l’ordonnance pendant une période initiale de 30 jours, sous réserve de renouvellement par voie de requête, afin de donner au gouverneur en conseil l’occasion de déterminer s’il doit lancer un nouveau processus. Le défendeur cite la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Pelletier 2008, aux paragraphes 6 à 13 à l’appui de cette demande. Cette décision ne sous‑entend toutefois pas qu’une telle réparation a été ordonnée.

[164]  Qui plus est, même si le gouverneur en conseil lançait un nouveau processus, ce dernier exigeait probablement un nouveau décret afin de tenir compte de l’issue du processus revu. Je ne vois donc aucun avantage à suspendre ma décision d’annuler la décision rendue par le gouverneur en conseil, comme le propose le défendeur.

[165]  Vu ma conclusion selon laquelle le dossier ne me permet pas d’établir que le droit à l’équité procédurale du demandeur avait été respecté, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je suis consciente qu’il est possible que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen; toutefois, le dossier dont je suis saisie ne me permet pas de déterminer que cela est inévitable.

Dépens

[166]  Même si le demandeur a offert de présenter ses observations écrites sur les dépenses, cela n’est pas nécessaire. Il ne s’agit pas selon moi d’un cas où il serait approprié d’adjuger les dépens à l’une ou l’autre des parties.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.

  3. Les parties de l’affidavit de Balraj Shoan établi sous serment le 4 juillet 2016, signifié et déposé, seront radiées comme il est décrit à l’annexe A de la présente décision. Le demandeur devra, dans les sept jours suivant la date de la présente décision, signifier et produire un affidavit dûment caviardé en remplacement.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


Annexe A

Les parties qui suivent de l’affidavit Shoan ont été contestés par le défendeur en raison de leur inadmissibilité :

Paragraphes 6 à 8 et paragraphe 9

Le défendeur soutient que ces paragraphes contiennent des opinions et des arguments irrecevables plutôt que des faits. Le demandeur soutient que les déclarations faites dans ces paragraphes contiennent des renseignements généraux visant à aider la Cour à comprendre les questions propres au contrôle judiciaire et qu’ils sont donc pertinents. Je suis d’avis que ces paragraphes sont irrecevables parce qu’ils contiennent des opinions et des arguments. À titre d’exemple, au paragraphe 6, le demandeur indique que pendant le temps qu’il a passé au CRTC à titre de conseiller, il a été témoin de changements – [traduction] « certains subtils, d’autres beaucoup plus inquiétants – avaient été apportés à la structure de gouvernance du CRTC. Ces changements menaçaient de façon significative la capacité de tous les conseillers à mener leurs activités avec indépendance et de desservir entièrement les régions qu’ils représentaient. J’ai contesté l’autorité de mettre en œuvre ces changements. J’ai remis leur fin en question. » Dans le paragraphe suivant, le demandeur indique son but et son intention d’exiger des réponses à ses [traduction] « demandes raisonnables » et indique que l’indépendance des conseillers s’est détériorée. Il affirme, au paragraphe 8, qu’on l’a accusé de harcèlement au travail parce qu’il avait fait part de son intention de déposer une plainte à l’égard d’un cadre supérieur qui refusait de répondre à ses questions.

Cela va au‑delà des renseignements généraux. Il était loisible au demandeur d’exposer le contexte factuel de la plainte de harcèlement et du contrôle judiciaire qui en a découlé, ainsi que sa remise en question de l’autorité du président et sa demande de contrôle judiciaire connexe, en tant que description factuelle des événements. C’est ce qu’il a fait aux paragraphes 10 et 11 de son affidavit, dans une certaine mesure, quoiqu’il a ajouté un commentaire. Les paragraphes 6 à 8 et le paragraphe 9 en partie contiennent toutefois les opinions du demandeur et la justification de ses gestes. Cette explication aurait pu être présentée à la ministre en réponse à sa lettre du 26 février 2016. Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur ne contestait plus le paragraphe 9.

Les paragraphes 6, 7 et 8 sont radiés en entier.

Pièces D et E, auxquelles il est fait référence au paragraphe 13 et aux paragraphes connexes 46 à 56 et 63 à 65 de l’affidavit Shoan

La pièce D est une lettre datée du 14 juin 2016 envoyée par le demandeur à la ministre. Le demandeur y indique que sa lettre vise à mettre la ministre au courant d’allégations de harcèlement formulées par un autre conseiller qui ont été portées à l’attention du demandeur dans l’anonymat par une personne autre que la victime présumée. Le demandeur affirme qu’il n’a pas la capacité juridique de confirmer les « faits » qu’il présente. Il espère toutefois que la ministre pourra vérifier le fond de ces allégations. Le demandeur indique que, selon ce qu’il comprend, une enquête sur une plainte de harcèlement a été menée après le dépôt de ladite plainte; il ne pouvait toutefois pas confirmer que l’enquête avait bel et bien été menée. Il a aussi indiqué que la victime avait récemment pris sa retraite après avoir reçu un [traduction] « règlement important, à ce que l’on dit », qu’il n’y avait aucune indication selon laquelle le conseiller visé avait reçu une sanction et qu’il s’inquiétait que le président n’ait pas porté l’enquête à l’attention de la ministre pour déterminer la sanction à imposer. À la lumière de ces « faits », le demandeur conseille vivement à la ministre d’agir. Il fait ensuite référence aux allégations de partialité et d’intolérance contenues dans sa demande de contrôle judiciaire présentée relativement au rapport sur la plainte de harcèlement à propos de ses gestes, en indiquant que le traitement des deux plaintes comportait des incohérences. Il sous‑entend que ces incohérences sont attribuables au fait que le président a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée et qu’un tel processus décisionnel met en péril l’intégrité du CRTC. Le demandeur conseille vivement à la ministre de se pencher sur la nature du processus décisionnel du CRTC à cet égard et de déterminer s’il répond à la norme attendue par le gouverneur en conseil.

La pièce E est la réponse du chef de cabinet intérimaire de la ministre au demandeur datée du 21 juin 2016. Dans cette lettre, on accuse réception de sa lettre du 14 juin 2016. On y indique que le président a reçu la lettre du demandeur, étant donné qu’il a comme mandat de garantir un milieu de travail exempt de harcèlement en vertu de son pouvoir en tant qu’administrateur général du CRTC. On mentionne également que le demandeur devrait présenter tout élément de preuve lié à une conduite inappropriée ou à un comportement de harcèlement au travail directement au président.

Le défendeur fait valoir que ces lettres ne sont pas pertinentes aux préoccupations de la ministre à l’égard de la conduite du demandeur. Qui plus est, le gouverneur en conseil ne les a pas examinées, ce qui signifie qu’elles ne sont pas admissibles dans le cadre du contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que les pièces D et E contiennent des renseignements généraux importants pour l’analyse contextuelle que doit mener la Cour afin de trancher le contrôle judiciaire dont elle est saisie, qui comprend de déterminer la façon dont la ministre ou le gouverneur en conseil ont répondu à des allégations de harcèlement semblables. En outre, ces renseignements sont directement liés au fait que la ministre avait un esprit fermé et à un manquement possible à l’équité procédurale dans le traitement réservé au demandeur.

La pièce D est datée du 14 juin 2016, ce qui signifie qu’elle est postérieure à la réponse du demandeur, le 14 mars 2016, à la lettre de la ministre datée du 26 février 2016. Elle ne constitue pas une observation supplémentaire en réponse ou une demande d’être prise en considération par la ministre dans ce contexte. La ministre l’a reçue avant que le gouverneur en conseil ne rende sa décision le 23 juin 2016, même si le dossier n’indique pas à quel moment la ministre a formulé sa recommandation et l’a acheminée au gouverneur en conseil.

Dans la mesure où la pièce D vise à porter une plainte alléguée de harcèlement par un autre conseiller à l’attention de la ministre, elle n’est pas pertinente dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. La ministre répondait aux allégations de harcèlement présentées par le demandeur et le gouverneur en conseil les étudiait dans le cadre de leurs préoccupations entourant sa conduite. Ce sont donc ces gestes qui étaient soumis à leur étude et pas les gestes allégués d’un autre commissaire. Qui plus est, étant donné que les faits propres à chaque plainte diffèrent, il n’est pas raisonnable de supposer qu’une sanction sera imposée et qu’elle sera identique dans chaque cas. En outre, vu que les lettres n’ont pas été acheminées au gouverneur en conseil, elles ne tiennent pas compte de sa décision; par conséquent, la Cour ne peut les étudier dans le cadre de son examen du caractère raisonnable de la décision.

Qui plus est, le demandeur n’indique pas précisément le moment où il a eu connaissance des inquiétudes alléguées à l’égard de gestes posés par un autre conseiller. Dans sa lettre datée du 14 juin 2016 (la pièce D), il indique que les allégations de conduite inappropriée par un autre conseiller ont été portées à son attention [traduction] « au cours de la dernière année ». Dans la réponse du demandeur datée du 14 mars 2016, il n’est aucunement question des allégations exposées dans la pièce D. Il affirme toutefois qu’il ne peut être tenu l’unique responsable de la dégradation de l’environnement de travail et qu’il faudrait aussi se pencher sur le comportement d’autres personnes. À cet égard, il renvoie à des exemples des gestes que le président aurait posés et il conseille vivement à la ministre de tenir compte de l’ensemble des circonstances susceptibles de contribuer à l’effritement de l’esprit d’équipe au CRTC. Le demandeur renvoie aussi à une lettre jointe que lui a écrite l’ancienne ministre, datée du 17 juillet 2015, où elle l’informe qu’elle ne formulerait pas de recommandation sur la révocation de sa nomination au gouverneur en conseil relativement à la plainte de harcèlement déposée à son égard. Toutefois, tous les renseignements liés à cette affaire continuaient de faire l’objet d’une étude. Dans cette lettre, la ministre indiquait aussi qu’elle avait proposé au président de mener, en vertu de son pouvoir en tant qu’administrateur général du CRTC, une évaluation en milieu de travail afin d’aborder les enjeux pouvant contribuer à ce qui semblait être un environnement de travail toxique. Il serait ainsi possible de rendre l’environnement de nouveau sain et d’empêcher que d’autres cas de harcèlement se produisent. Dans sa réponse, le demandeur affirmait que l’évaluation n’avait jamais été menée; le président avait plutôt concentré ses efforts à éliminer la voix cruciale du demandeur du CRTC. Le demandeur suggérait qu’une partie indépendante mène cette évaluation et affirmait qu’il demeurait préoccupé par le fait que le président avait fait preuve d’une animosité hostile et négative à son égard.

Ainsi, les pièces D et E sont pertinentes pour la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur puisqu’elles soulèvent la question du niveau d’enquête sur les allégations à l’égard du demandeur, y compris l’importance de son rôle dans la détérioration de l’esprit d’équipe. Par conséquent, les renvois qui y sont faits au paragraphe 12 ne seront pas radiés et elles ne seront pas retirées en tant que pièce à l’affidavit Shoan.

Cela étant dit, les paragraphes 46 à 46 de l’affidavit Shoan constituent bien plus qu’une simple description de la lettre du 14 juin 2016 (pièce D), qui parle d’elle‑même, et qui présente de nouveaux éléments de preuve, soit les explications du demandeur des événements qui l’ont poussée à écrire cette lettre, selon ce qu’il affirme. Ces paragraphes sont donc irrecevables et sont radiés. Les paragraphes 63 à 65 abordent la réponse de la ministre du 14 juin 2016 (pièce E), la réaction du demandeur à cette dernière et les conclusions qu’il en a tirées. Je suis d’avis que ces paragraphes sont aussi inadmissibles, et dans la mesure où le demandeur fait valoir que l’absence de mesures prises ou de réponse significative à sa lettre du 14 juin 2016 indique que la ministre a refusé de tenir compte des inquiétudes qu’il avait soulevées, il aurait dû l’indiquer de façon appropriée dans son argument juridique. Les paragraphes 63, 64 et 65 sont radiés.

Paragraphes 14 à 27

On trouve dans ces paragraphes une description de la lettre de la ministre du 26 février 2016. Le défendeur soutient que, même si cela n’est pas nécessaire, les paragraphes 14 à 20 ne s’aventurent pas au‑delà de la description de cette correspondance. Je suis d’accord. On ne peut toutefois en dire de même des paragraphes 21 à 27. Ici, le demandeur expose son interprétation de la lettre de la ministre et ses inquiétudes à l’égard de celle‑ci. Il formule entre autres les opinions qui suivent : [traduction] « [I]l est évident qu’elle agissait en croyant à tort que tous les gestes que j’avais posés visaient à attaquer le CRTC plutôt qu’à le défendre »; que sa lettre était unilatérale et que [traduction] « [D]ès le début, l’orientation de la discussion témoignait d’une partialité évidente ». On y trouve ensuite les raisons pour lesquelles le demandeur affirme que la ministre avait un esprit fermé et il est indiqué que [traduction] « [...] l’étendue complète de la campagne de désinformation que le président tentait de diffuser m’était complètement évidente […] ». Il ne s’agit pas d’un fait, mais bien d’une opinion et d’un argument, comme le précise le défendeur, et on trouve une contre‑preuve ou des arguments qui auraient pu être soulevés dans le cadre des observations faites au gouverneur en conseil. Je ne suis pas d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle les paragraphes n’exposent pas des opinions ou des arguments, mais qu’ils contiennent plutôt une série d’« observations » du demandeur. Quoi qu’il en soit, les observations subjectives du demandeur n’ont pas leur place dans ce genre d’affidavit. Les paragraphes 21, 22, 23, 24, 25, 26 et 27 sont radiés.

Paragraphes 28 à 45

Le défendeur soutient qu’hormis la première phrase du paragraphe 41 et la totalité du paragraphe 44, ces paragraphes sont censés résumer le contenu de la réponse du demandeur et indiquer l’état dans lequel le demandeur se trouvait, ce qui n’est pas pertinent. Le demandeur fait valoir que ces paragraphes sont pertinents et qu’ils présentent des renseignements généraux afin de permettre à la Cour de comprendre plus facilement les faits. En outre, étant donné que la pertinence, le préjudice ou la controverse ne sont pas contestés, il n’y a aucun motif de radier le contenu de ces paragraphes. Selon moi, il était loisible au demandeur de décrire factuellement le contenu de sa lettre de réponse, même s’il n’était pas nécessaire de la faire puisque la lettre parle d’elle‑même. Le demandeur va toutefois au‑delà de cette affirmation de nouveau. Notons, par exemple, au paragraphe 28, qu’il indique que son avocat et lui ont [traduction] « porté beaucoup d’attention à répondre aux questions soulevées dans la lettre de Mme Joly du 26 février 2016 de manière équitable, équilibrée et raisonnable » et qu’il reprend le contenu de ses observations, parfois en manquant de précision. Par conséquent, la première phrase du paragraphe 28; les deux dernières phrases et demie du paragraphe 30; la deuxième phrase du paragraphe 33; les deux dernières phrases du paragraphe 37; la deuxième et la troisième puce du paragraphe 38; tous les mots qui suivent [traduction] « Le président a ignoré une demande directe de conseils juridiques indépendants » à la première puce du paragraphe 41; et le paragraphe 45 sont irrecevables en entier puisqu’ils n’indiquent rien de plus que les commentaires du demandeur sur son état après avoir envoyé la lettre et la raison pour laquelle il se trouvait dans un tel état.

Paragraphes 57 à 62 et pièces G et H

Le défendeur soutient que ces paragraphes sont liés à l’audition de la demande de contrôle judiciaire devant le juge Zinn. Et, même si les faits généraux se rapportent à l’allégation du demandeur selon laquelle la décision du gouverneur en conseil constituait une attaque collatérale sur la procédure dont le juge Zinn était saisi, les paragraphes sont inadmissibles parce que les faits sont entremêlés de notes, d’explications et de commentaires. Le défendeur affirme qu’ils sont inadmissibles à quelques exceptions précises près. En ce qui concerne les paragraphes 60 et 62 et les articles des médias joints en annexe en tant que pièce H, ce sont des ouï‑dire inadmissibles. Les articles ne faisaient pas partie du dossier présenté au gouverneur en conseil et ne sont pas pertinents. Le demandeur soutient que ces paragraphes ne présentent pas des opinions et des arguments; encore une fois, il s’agit plutôt d’une série d’observations formulées par le demandeur qui sont pertinentes et qui présentent des renseignements généraux afin de permettre à la Cour de comprendre plus facilement les faits. Ils traitent aussi de la résiliation de l’ordonnance de confidentialité, et la confidentialité fait partie des considérations sur lesquelles le gouverneur en conseil se serait fondé pour révoquer la nomination du demandeur. Ils portent aussi sur le moment où le gouverneur en conseil a rendu sa décision et sur la question de l’attaque collatérale.

Je suis d’accord avec le défendeur quand il affirme que les faits généraux sur le contrôle judiciaire entendu par le juge Zinn sont admissibles. Ces faits comprendraient donc la date de l’audience, le fait que c’est le juge Zinn qui la présidait et qu’il a indiqué aux parties à ce moment qu’il réserverait sa décision et la rendrait en septembre 2016, ainsi que la résiliation de l’ordonnance de confidentialité. Par conséquent, la formulation du paragraphe 57 se limitera à [traduction] « La date du 21 juin 2016 était […] la date à laquelle ma première demande de contrôle judiciaire a été entendue ». Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a indiqué qu’il ne contestait plus les paragraphes 58 à 62. Tandis que la pièce G (l’ordonnance de résiliation de l’ordonnance de confidentialité) est admissible, les rapports médiatiques contenus dans la pièce H n’ont pas été examinés par le gouverneur en conseil, ne sont pas pertinents et ne sont pas admissibles.

Paragraphes 66 à 71

Ces paragraphes sont censés décrire la lettre du 23 juin 2016 envoyée par la Bureau du Conseil privé à l’avocat du demandeur, à laquelle était joint le décret révoquant sa nomination (dont une copie était jointe en tant que pièce I) et les opinions du demandeur sur cette révocation, ainsi que sa réponse. À titre d’exemple, au paragraphe 68, le demandeur exprime son opinion d’avocat selon laquelle le gouverneur en conseil n’avait pas démontré qu’il avait satisfait au critère applicable à la révocation de la nomination d’une personne qu’il a nommée. Au paragraphe 70, le demandeur fait part de ses soupçons sur le moment où la révocation de sa nomination a eu lieu. Encore une fois, le demandeur décrit les renseignements susmentionnés comme des « observations » qu’il a formulées en tant que renseignements généraux essentiels. Je suis d’accord avec le défendeur quand il affirme que les faits généraux sont admissibles, mais que les autres paragraphes sont en grande partie inadmissibles puisqu’ils contiennent des opinions et des arguments. Par conséquent, les paragraphes 68, 70 et 71 sont radiés en entier. À l’audience, le défendeur a indiqué qu’il ne contestait plus le paragraphe 66.

Paragraphes 72 à 78

Le défendeur soutient que ces paragraphes sont inadmissibles parce qu’ils ne sont pas pertinents et qu’ils contiennent des opinions et des arguments. Ces paragraphes portent sur l’incidence alléguée de la décision du gouverneur en conseil sur le demandeur, qui, selon ce que soutient le défendeur, n’a aucune pertinente quant à la légalité du décret du gouverneur en conseil puisqu’'il ne s’agit pas d’une action en dommages‑intérêts. Le demandeur reconnaît que ces paragraphes portent principalement sur les questions en litige dans la requête en sursis précédente, étant donné que l’affidavit est aussi présenté en soutien à cette instance. Ces paragraphes sont inadmissibles selon moi. L’incidence du refus est liée au contenu de l’obligation d’équité procédurale due; toutefois, la révocation de la nomination du demandeur se dégage clairement du dossier et son incidence est abordée dans l’argument portant sur la question de l’équité procédurale. Qui plus est, les paragraphes contiennent clairement des arguments et des opinions plutôt que des faits sur le dossier à l’étude par le gouverneur en conseil. Par conséquent, les paragraphes 72, 73, 74, 75, 76, 77 et 78 sont radiés en entier.

Paragraphes 79 à 82

Le défendeur soutient que ces paragraphes sont inadmissibles parce qu’ils ne sont pas pertinents et qu’ils contiennent des opinions et des arguments. Ces paragraphes sont décrits comme la « conclusion » de l’affidavit Shoan. Le demandeur les décrit comme ses observations, qui sont essentielles pour présenter des renseignements généraux à la Cour et que ces « faits » sont liés au processus mené par la ministre et le gouverneur en conseil et aux questions d’équité procédurale soulevées dans l’avis de demande. Encore une fois, ces paragraphes contiennent selon moi les opinions et arguments du demandeur. Il indique entre autres que la ministre avait un esprit fermé et qu’il avait le droit, en vertu de la loi, de connaître la norme de « bonne conduite » à atteindre avant la révocation de sa nomination et il conseille vivement à la Cour d’annuler la décision du gouverneur en conseil. Ces paragraphes sont entièrement inadmissibles et les paragraphes 79, 80, 81 et 82 sont radiés.

Mémoire des faits et du droit

Passons aux dispositions connexes aux observations écrites présentées dans le mémoire des faits et du droit du demandeur. Le défendeur demande à ce qu’elles soient également radiées; selon moi, toutefois, il n’est pas nécessaire de radier les paragraphes attaqués parce qu’ils ne sont pas des plaidoiries, mais seulement des arguments (voir aussi Association des universités et collèges, au paragraphe 26; Delios, au paragraphe 45; Duyvenbode, aux paragraphes 2 et 3). La Cour sait que les paragraphes sous‑jacents de l’affidavit Shoan sur lesquels elles se fondent ont été radiés et elle étudiera les arguments de ce point de vue.


Sommaire des radiations

Paragraphe

Se lit maintenant comme suit

Paragraphe 6

6.  [ ]

Paragraphe 7

7.  [ ]

Paragraphe 8

8.  [ ]

Paragraphe 21

21.  [ ]

Paragraphe 22

22.  [ ]

Paragraphe 23

23.  [ ]

Paragraphe 24

24.  [ ]

Paragraphe 25

25.  [ ]

Paragraphe 26

26.  [ ]

Paragraphe 27

27.  [ ]

Paragraphe 28

28.  [ ] [traduction] « J’ai répondu, le 14 mars 2016 […] »

Paragraphe 30

[traduction] « En ce qui concerne les gazouillis en particulier […] j’ai contesté sa conclusion selon laquelle ils incitaient à critiquer le CRTC » [ ]

Paragraphe 33

[traduction] « En ce qui concerne mon utilisation de Twitter et mon esprit d’équipe à l’égard de mes collègues conseillers […] à cet égard ». [ ]

Paragraphe 37

[traduction] « Les arguments de Mme Joly […] se trouvent à la pièce “F” ». [ ]

Paragraphe 38

Deuxième puce = [ ]

Troisième puce = [ ]

Paragraphe41

Première puce = [traduction] « Le président a ignoré les demandes directes de conseils juridiques indépendants ». [ ]

Paragraphe 45

45. [ ]

Paragraphe 46

46. [ ]

Paragraphe 47

47. [ ]

Paragraphe 48

48. [ ]

Paragraphe 49

49. [ ]

Paragraphe 50

50. [ ]

Paragraphe 51

51. [ ]

Paragraphe 52

52. [ ]

Paragraphe 53

53. [ ]

Paragraphe 54

54. [ ]

Paragraphe 55

55. [ ]

Paragraphe 56

56. [ ]

Paragraphe 57

57. [traduction] « La date du 21 juin 2016 était […] la date de l’audition de ma première demande de contrôle judiciaire. » [ ]

Pièce « H »

Radié en entier

Paragraphe 63

63. [ ]

Paragraphe 64

64. [ ]

Paragraphe 65

65. [ ]

Paragraphe 68

68. [ ]

Paragraphe 70

70. [ ]

Paragraphe 71

71. [ ]

Paragraphe 72

72. [ ]

Paragraphe 73

73. [ ]

Paragraphe 74

74. [ ]

Paragraphe 75

75. [ ]

Paragraphe 76

76. [ ]

Paragraphe 77

77. [ ]

Paragraphe 78

78. [ ]

Paragraphe 79

79. [ ]

Paragraphe 80

80. [ ]

Paragraphe 81

81. [ ]

Paragraphe 82

82. [ ]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1053-16

 

INTITULÉ :

BALRAJ SHOAN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE Strickland

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Craig Stehr

 

POUR Le DEMANDeur

 

Me Sean Godet

Me Roy Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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