Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170327


Dossier : T-211-16

Référence : 2017 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2017

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

CECILIA CARROLL

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Cecilia Carroll (Mme Carroll) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en date du 24 décembre 2015 de ne pas renvoyer sa plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu’il l’instruise, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6, (la Loi).

[2]  Pour les motifs exposés dans les présentes, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

[3]  Mme Carroll a commencé son emploi à Emploi et Développement social Canada (EDSC) en 1986. Le 3 février 1993, elle a commencé son congé de maladie non payé en raison de douleurs au dos. Mme Carroll n’est pas retournée au travail depuis cette date, et reçoit des prestations d’invalidité de la Sun Life du Canada depuis 1993.

[4]  En 2007, EDSC a pris contact avec Mme Carroll concernant son congé de maladie. Trois options lui ont été offertes : i) retourner au travail; ii) prendre sa retraite pour des raisons médicales; ou iii) être congédiée pour invalidité médicale. Ces consignes se fondaient sur la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales (la Directive) du Secrétariat du Conseil du Trésor. Je me dois de faire remarquer ici que, pendant son congé de maladie non payé, Mme Carroll a continué à accumuler des droits à pension et que l’employeur était tenu de cotiser au régime de pension. Depuis cette période, elle n’a pas été en mesure de donner une date à laquelle elle pourrait être apte à reprendre le travail. Mme Carroll n’a pas souhaité choisir l’une de ces options, préférant plutôt continuer à recevoir des prestations d’invalidité de longue durée et poursuivre son congé de maladie non payé. Après avoir communiqué avec elle en 2007 et en raison de problèmes indépendants de la présente demande de contrôle judiciaire, EDSC n’a pris aucune mesure concrète jusqu’en 2011, dix-sept ans après le début du congé de maladie de Mme Carroll. Mme Carroll a finalement accepté, « sous la contrainte », de présenter une demande de départ à la retraite pour des raisons médicales, laquelle a été approuvée le 29 décembre 2011.

[5]  En février 2012, Mme Carroll a déposé une plainte pour violation des droits de la personne devant la Commission, dans laquelle elle affirmait que l’application de la Directive était discriminatoire envers les personnes souffrant d’une invalidité. Le 5 mars 2012, la Commission a informé Mme Carroll que sa plainte ne serait pas prise en considération tant qu’elle n’aurait pas exercé tous les recours dont elle disposait, y compris le processus de règlement des griefs. En conséquence, Mme Carroll a déposé un grief auprès d’EDSC, qui a été rejeté aux trois niveaux internes. Son syndicat a refusé de soumettre le grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La réponse donnée au dernier palier du processus de règlement des griefs indiquait que Mme Carroll n’avait pas fourni [traduction] « de renseignements concernant un retour possible au travail ou concernant toute mesure d’adaptation nécessaire qui pourrait assurer le succès de son retour au travail ».

[6]  Le 11 septembre 2013, Mme Carroll a présenté une demande à la Commission pour qu’elle réexamine sa plainte. Après avoir réexaminé la plainte, la Commission a conclu qu’elle était [traduction] « vexatoire » au sens de l’alinéa 41d) de la Loi du fait que ces allégations avaient déjà été réglées par un autre décideur ayant compétence pour trancher ces questions (le processus de règlement des griefs). Mme Carroll a contesté cette décision en présentant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Dans Carroll c Canada (Procureur général), 2015 CF 287, [2015] ACF no 250 [Carroll 2015], le juge Mosley a accueilli la demande de contrôle judiciaire, a annulé la décision de la Commission et l’a renvoyée pour réexamen, avec pour directive de rendre une décision fondée sur « le dossier complet concernant les griefs de la demanderesse et sa propre évaluation de leur bien-fondé ». La Cour a ajouté ce qui suit : « Il est entendu que la Commission ne doit pas rejeter la plainte au titre du sous-alinéa 44(3)b)(ii) de la [Loi] ». Fait important, je ferais remarquer en l’espèce que Mme Carroll interprète la directive du juge Mosley comme exigeant que la Commission prenne en considération le dossier complet du grief qu’elle a déposé conformément à la convention collective. En toute déférence, je ne partage pas ce point de vue. J’interprète la directive du juge Mosley comme une demande à la Commission de se référer aux griefs de Mme Carroll de façon générale; c’est-à-dire, ses plaintes ou griefs concernant les violations de son droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination.

[7]  Peu après, le 17 avril 2015, la Commission a informé Mme Carroll qu’elle avait renvoyé sa plainte à une enquêteuse. Dans ses observations verbales, Mme Carroll a affirmé qu’EDSC avait indiqué à l’enquêteuse sa volonté de prendre part à une médiation, mais qu’elle n’avait pas été informée de cela. Le rapport d’enquête (le rapport), en date du 23 septembre 2015, a conclu que [traduction] « la pratique de l’application de la Directive (autrefois une politique) est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail et une enquête plus approfondie n’est pas justifiée ». L’enquêteuse a facilement conclu que, à première vue, l’exigence de la Directive selon laquelle les employés en congé de maladie doivent faire l’un des trois choix mentionnés précédemment était discriminatoire envers les personnes handicapées. L’enquêteuse a alors également examiné le critère à trois volets présenté dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 [Meiorin], qui peut être énoncé comme suit :

1)  La politique, la règle, la pratique ou la norme a-t-elle été adoptée pour des raisons ou des motifs rationnellement liés à l’exécution du travail?

2)  L’employeur a-t-il adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail?

3)  La politique, la règle, la pratique ou la norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail?

[8]  L’enquêteuse a conclu que le critère Meiorin à trois volets était respecté et a recommandé à la Commission de rejeter la plainte. Les deux parties ont été invitées à faire des observations concernant le rapport et l’ont fait. Mme Carroll a présenté des « observations communiquées à l’autre partie » (réponse) à la réponse d’EDSC, le 19 novembre 2015. La Commission a ensuite réexaminé le rapport et les observations des parties, y compris la réponse de Mme Carroll, après quoi elle a rejeté sa plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. La Commission a conclu qu’une enquête n’était pas justifiée. Il s’agit de la décision de la Commission qui est maintenant contestée par Mme Carroll.

[9]  Je tiens à mentionner que dans un message envoyé par courriel à Mme Carroll, en date du 25 janvier 2016, un agent de la Commission a précisé les documents qu’elle avait pris en considération. Cela incluait le sommaire de la plainte, un sommaire modifié, le rapport de l’enquêteuse Erin Sweeney, la réponse des deux parties au rapport, et la réponse de Mme Carroll.

III.  Question en litige

[10]  Mme Carroll ne remet pas sérieusement en question les conclusions de fait ni ne conteste l’interprétation de la loi par la Commission. Elle semble toutefois s’opposer à l’application des faits au droit à plusieurs égards. Par exemple, elle affirme que la Commission a fait erreur en ne s’intéressant pas au fond de sa plainte pour discrimination, qu’elle a fourni des motifs insuffisants et qu’elle a commis une erreur dans son analyse concernant l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Elle soutient en outre que la Commission a violé son droit à l’équité procédurale ou à la justice naturelle puisque i) l’enquêteuse ne l’a pas informé du fait qu’EDSC était disposé à régler la plainte par la médiation; ii) les observations à l’étape du processus de règlement des griefs n’ont pas été faites devant la Commission; et iii) environ 96 pages de ses documents (onglet H des documents de Mme Carroll) n’ont pas été présentées à la Commission.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[11]  Premièrement, je tiens à faire remarquer que le caractère suffisant des motifs n’est pas un motif justifiant à lui seul le contrôle judiciaire : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12, [2011] 3 RCS 708 (Newfoundland Nurses). Les motifs doivent être considérés dans leur intégralité, et en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve, pour déterminer s’ils sont raisonnables. En outre, les motifs doivent permettre à une cour de révision de comprendre la façon dont le tribunal est parvenu à sa conclusion finale (Taman c Canada (Procureur général), 2017 CAF 1, aux paragraphes 37 et 38, [2017] ACF no 7 [Taman]). C’est un principe de droit bien connu que pour respecter l’exigence du caractère raisonnable, les motifs doivent démontrer la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et doivent faire partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Les conclusions de fait de la Commission doivent, bien entendu, être traitées avec déférence : voir, Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117, aux paragraphes 47 et 48, [2012] ACF no 505. En parvenant à la conclusion que la norme de contrôle pour ces trois premières questions est celle de la décision raisonnable, je suis conscient du large pouvoir discrétionnaire confié à la Commission en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi quant à la question de déterminer s’il convient d’instruire ou non une plainte.

[12]  Les questions liées à l’équité procédurale et à la justice naturelle doivent être appréciées selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] ACS no 24; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] ACS no 12.

B.  Caractère raisonnable de la décision de la Commission

1)  Fond de la décision de la Commission

[13]  Au début de ses observations écrites, Mme Carroll indique que le rapport n’a pas traité du fond de sa plainte en date du 17 octobre 2013. Au premier paragraphe de sa plainte, Mme Carroll déclare clairement ce qui suit :

[traduction] Je souffre d’une invalidité et estime avoir été victime de discrimination pour cette raison. À mon avis, l’application de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor par Service Canada est discriminatoire à l’égard des personnes atteintes d’une invalidité.

[14]  Pour appuyer son allégation, elle a renvoyé la Cour à de nombreux passages du rapport qui indiquent que la portée de l’enquête consistait à [traduction] « se concentrer sur la façon dont le défendeur a appliqué la Directive du SCT (anciennement une politique) et s’il l’avait fait d’une manière discriminatoire ». Mme Carroll indique que la question de savoir si l’application de la Directive était discriminatoire ou non ne l’intéresse pas, mais qu’elle met plutôt l’accent sur la nature discriminatoire de la Directive elle-même. Pour appuyer sa position, elle cite la décision Carroll 2015, où le juge Mosley avait souligné l’importance de prendre en considération le fond d’une plainte :

La jurisprudence établit clairement qu’une enquête qui ne porte pas sur le fond d’une plainte, et qui n’examine pas une question pertinente ou des éléments de preuve cruciaux, est inéquitable parce qu’elle n’est pas complète. Cette iniquité s’étend à toute décision définitive de rejet rendue par la Commission.

[15]  En toute déférence, l’affirmation de Mme Carroll indique qu’elle ne saisit pas bien la prémisse fondamentale du rapport. Bien que le rapport ne cite pas textuellement la plainte de Mme Carroll, l’enquêteuse a clairement répondu à la question qu’elle avait soulevée. Comme cela a été mentionné précédemment, l’enquêteuse a reconnu que, à première vue, la Directive était discriminatoire à l’égard d’une personne, ou d’une catégorie de personnes, souffrant de handicaps. Mme Carroll a explicitement reconnu et accepté cette conclusion dans sa réponse au rapport. Par conséquent, je suis d’avis que l’enquêteuse a entièrement répondu à la question de savoir si oui ou non la Directive était discriminatoire à l’égard de Mme Carroll. Le rapport a raisonnablement traité du fond de sa plainte.

2)  Caractère suffisant des motifs

[16]  Comme il a déjà été indiqué, Mme Carroll affirme que la Commission n’a pas fourni de motifs suffisants. La décision de la Commission énonce ce qui suit :

[traduction] Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué ainsi que toute autre observation présentée en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte au motif que :

·  compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié.

[17]  Bien que la décision soit, certes, très brève, la Commission a indiqué qu’elle était parvenue à cette conclusion après avoir examiné le rapport et les observations déposés par les parties en réponse au rapport, y compris la réponse de Mme Carroll. Lorsque la Commission n’expose elle-même aucun motif, le rapport d’enquête constitue les motifs de la décision : Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37, [2005] ACF no 2056 (Sketchley). La Cour a fourni l’explication suivante :

Il est vrai que l’enquêteur et la Commission sont deux entités « à bien des égards distinctes » (Canada (Commission des droits de la personne) c Pathak (1995), 180 N.R. 152, [1995] 2 C.F. 455, au paragraphe 21, le juge MacGuigan (avec l’appui du juge Décary)), mais il est également bien établi qu’aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, au paragraphe 25 [SEPQA]). L’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission (SEPQA, précité, au paragraphe 25). Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise de décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi (SEPQA, précité, au paragraphe 35; Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1999) 167 D.L.R. (4th) 432, [1999] 1 C.F. 113, au paragraphe 30 (C.A.) [Bell Canada]; Société Radio‑Canada c Paul (2001), 274 N.R. 47, 2001 CAF 93, au paragraphe 43 (C.A.)).

[Souligné dans l’original.]

[18]  Dans son rapport, l’enquêteuse explique qu’elle entend appliquer une analyse en deux étapes : la première étant de déterminer si la Directive est à première vue discriminatoire; la deuxième étant de déterminer si la Directive respecte le critère à trois volets formulé dans l’arrêt Meiorin.

[19]  Comme cela a été mentionné antérieurement, l’enquêteuse a premièrement conclu que l’application de la Directive était à première vue discriminatoire à l’égard d’une personne ou d’une catégorie de personnes souffrant de handicaps, puisqu’elle les prive de la possibilité de i) rester un employé en congé non payé; et de ii) continuer à contribuer à un régime de retraite. L’enquêteuse a ensuite appliqué le critère de l’arrêt Meiorin et a conclu que la Directive repose sur un motif justifiable : elle permet à EDSC d’atteindre son but légitime en s’assurant que son effectif demeure productif et elle permet à la direction de résoudre efficacement les situations de congé non payé. Je suis d’avis que les motifs du rapport permettent à la Cour de comprendre sa recommandation au Tribunal canadien des droits de la personne qu’une autre enquête n’est pas justifiée. Dans son rapport, l’enquêteuse indique qu’elle a pris en considération : tous les éléments de preuve documentaire présentés durant le processus fondé sur l’article 41, la décision du juge Mosley en date du 6 mars 2015, les positions des parties et tous les éléments de preuve documentaire présentés durant l’enquête. L’analyse du critère de l’arrêt Meiorin par l’enquêteuse est exhaustive, et permet à la Cour de comprendre la façon dont elle est parvenue à sa conclusion finale. Par conséquent, je suis d’avis que la décision de la Commission était raisonnable dans les circonstances : voir, Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 26; Taman, précité, au paragraphe 38; Sketchley, précité, au paragraphe 37.

3)  L’obligation d’accommodement jusqu’à la limite de la contrainte excessive

[20]  Mme Carroll fait valoir qu’en restant en congé de maladie non payé jusqu’à l’âge de 65 ans, elle ne causerait aucune contrainte excessive à EDSC. Elle estime que pour que EDSC puisse atteindre son but légitime de demeurer productif, le ministère doit simplement embaucher de nouveaux employés. En outre, durant ses observations verbales, Mme Carroll a affirmé que, puisque son employeur lui avait permis de rester en congé de maladie non payé pendant quatorze ans, le Ministère n’avait probablement pas subi de contrainte excessive.

[21]  En toute déférence, la jurisprudence ne soutient pas la position de Mme Carroll. Dans Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 RCS 56, le dossier d’absences d’une employée indiquait qu’elle avait manqué 960 jours de travail entre janvier 1994 et juillet 2001. De plus, au moment de son congédiement, elle avait été absente du travail pendant cinq mois et n’était plus en mesure de fournir une prestation de services régulière sans continuer à présenter un problème d’absentéisme. La Cour a affirmé au paragraphe 19 que « [l]’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible ».

[22]  Il ne fait aucun doute que Mme Carroll ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible. Il ne serait donc d’aucune utilité d’évaluer l’obligation d’EDSC de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Mme Carroll n’est simplement plus en mesure de répondre aux obligations rattachées à sa relation de travail. Il est important de faire remarquer que Mme Carroll n’a proposé à EDSC aucune mesure que le ministère pourrait prendre, ou aurait pu prendre, pour lui permettre de réintégrer le travail. La conclusion concernant la contrainte excessive est raisonnable dans les circonstances.

V.  Équité procédurale et justice naturelle

[23]  Je vais répondre brièvement à l’allégation de Mme Carroll selon laquelle elle a été privée de son droit à l’équité procédurale ou que la justice naturelle n’a pas été respectée dans les circonstances. Mme Carroll a reçu une lettre de la Commission en date du 20 avril 2015 qui indiquait que, si le processus de médiation l’intéressait, elle devait communiquer avec l’enquêteuse dans les plus brefs délais. Mme Carroll n’a pas répondu à cette invitation à prendre part au processus de médiation. EDSC a reçu une lettre similaire à laquelle le ministère a répondu positivement. Mme Carroll affirme que, si elle avait été au courant de la disposition d’EDSC à recourir à la médiation, elle aurait exploré cette possibilité. Puisque l’enquêteuse a omis de l’informer de la disposition d’EDSC à prendre part au processus de médiation, Mme Carroll prétend qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale. En toute déférence, son argument ne peut être retenu compte tenu du fait qu’on lui a offert la possibilité de résoudre le différend par la médiation et qu’elle n’a pas indiqué sa volonté de le faire. Je suis d’avis que le fait qu’elle n’a pas répondu positivement à cette occasion de prendre part à la médiation exclut toute possibilité de présenter une plainte quant au fait qu’elle n’a pas été informée de la position d’EDSC. En outre, j’aimerais souligner que les efforts ou les offres de recourir à la médiation sont faits « sous toutes réserves » pour les questions dont la Commission est saisie (Union Carbide Canada Inc. c Bombardier Inc., 2014 CSC 35, au paragraphe 31, [2014] ACS no 35). Pour ce motif, je me demande si cette information aurait dû même être soulevée par Mme Carroll dans les circonstances.

[24]  En deuxième lieu, Mme Carroll affirme que les observations qu’elle a faites durant le processus de règlement des griefs n’ont pas été présentées à la Commission. Je tiens à souligner ici que cela n’a pas non plus été le cas pour les observations d’EDSC. Tout comme le processus de médiation est indépendant et distinct du processus de la Commission, il en va de même pour le processus de règlement des griefs. Les parties ont le droit d’enrichir, de réduire ou d’adopter une argumentation totalement différente devant la Commission par rapport aux arguments qu’elles ont avancés durant le processus de règlement des griefs prévu par la convention collective. Mme Carroll affirme que dans la décision Carroll 2015, le juge Mosley avait donné pour directive que la preuve relative aux griefs soit prise en considération lors du réexamen. J’ai déjà indiqué dans mes observations liminaires les raisons pour lesquelles j’estime que Mme Carroll interprète mal les directives du juge Mosley. En toute déférence, il faisait référence aux griefs d’une manière générale, à savoir, sa plainte selon laquelle elle était victime de discrimination. Les documents examinés par l’enquêteuse sont, à mon avis, suffisants pour répondre à l’allégation de violation de l’équité procédurale ou de défaut de respecter les principes de justice naturelle (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.), [1994] 2 RCF 574, [1994] ACF no 181, au paragraphe 56).

[25]  Pour terminer, Mme Carroll affirme que 96 pages de son dossier de demande n’ont pas été présentées à la Commission; il s’agit des pages 71 à 166. Après avoir examiné le rapport de l’enquêteuse et la décision de la Commission, je ne suis pas en mesure de déterminer avec certitude si tous les documents ont été présentés à l’enquêteuse ou à la Commission. J’aimerais souligner, cependant, qu’une violation de l’équité procédurale ne donnera lieu qu’à l’annulation d’une décision dans le cas où la violation aurait eu des répercussions sur l’issue (Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 81, [2015] 2 RCF 170; Assoc. canadienne de télévision par câble c American College Sports Collective of Canada, Inc, [1991] 3 RCF 626, [1991] ACF no 502). J’ai examiné minutieusement tous les documents qui, selon l’allégation de Mme Carroll, n’ont pas été pris en considération et je suis convaincu qu’aucun de ces documents n’aurait eu de répercussions sur l’issue.

[26]  Je conclus qu’il n’existe aucun motif pour lequel la décision de la Commission devrait être annulée en raison des questions liées à l’équité procédurale et à la justice naturelle soulevées par Mme Carroll.

VI.  Conclusion

[27]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision de la Commission est raisonnable dans les circonstances et qu’il n’y a eu aucune violation de l’équité procédurale ou des principes de justice naturelle. Dans le cas où il y aurait eu manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle dans les circonstances, je suis d’avis qu’une violation de la sorte n’a eu aucun effet sur la décision que la Commission a été appelée à rendre. Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-211-16

 

INTITULÉ :

CECILIA CARROLL c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Cecilia Carroll

 

La demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Kathleen McManus

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.