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Date : 20170503


Dossier : IMM-4436-16

Référence : 2017 CF 444

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SIMONA KOTLAROVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une citoyenne de la Slovaquie d’origine rome âgée de 20 ans qui demande l’asile au Canada pour des motifs de discrimination en matière de santé, d’éducation, de logement et d’emploi et d’absence de protection policière. La demanderesse a été attaquée par un skinhead et a été mordue par le chien de ce dernier. En Slovaquie, les autorités policières n’ont rien fait en réponse à cette attaque. La Section d’appel des réfugiés, dans sa décision en date du 22 septembre 2016, a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, car la protection de l’État est adéquate en Slovaquie.

[2]  Le présent contrôle judiciaire est accueilli pour le motif que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en appliquant le mauvais critère concernant l’analyse de la protection de l’État.

I.  Résumé des faits

[3]  La demanderesse affirme que sa famille a été victime de discrimination à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne les soins de santé et l’éducation. La demanderesse a terminé sa huitième année dans une classe réservée aux Roms, où les étudiants roms recevaient une éducation lacunaire, devaient ramasser les ordures, et étaient exclus des activités parascolaires. Les étudiants roms étaient aussi agressés et faisaient l’objet d’insultes raciales. La demanderesse affirme avoir été incapable d’étudier au-delà de la huitième année, car la discrimination l’aurait empêchée de répondre aux conditions d’admission aux études secondaires.

[4]  La demanderesse raconte aussi avoir vécu de la discrimination dans sa recherche d’emploi. Par exemple, lorsqu’elle se présentait à des entretiens d’embauche qui avaient été organisés au téléphone, on l’informait que les postes étaient déjà comblés. Elle estime que cela était attribuable à ses origines romes.

[5]  En mai 2014, la mère de la demanderesse a été attaquée par des skinheads dans une gare, alors qu’elle retournait à la maison après une visite à l’hôpital avec son fils. Lorsqu’elle a sollicité l’aide de la police à la gare, on lui a dit de déposer sa plainte dans une autre ville. C’est ce qu’elle a fait, mais la police lui a alors répondu qu’elle ne pouvait pas l’aider, car l’agression avait eu lieu ailleurs.

[6]  La Section de la protection des réfugiés a admis que, le 12 septembre 2015, la demanderesse avait été agressée par un skinhead alors qu’elle était avec une amie, qu’il leur avait crié des insultes et jeté des crachats, avant de lancer son chien sur elles, lequel a mordu la demanderesse. Aucun passant n’est intervenu. La demanderesse a été refusée à l’hôpital situé à proximité, et renvoyée dans un autre hôpital dans une ville située à 80 kilomètres de là, où elle a ultérieurement été traitée, mais le transport par ambulance jusque-là lui a été refusé.

[7]  Lorsque la demanderesse, son amie, et sa grand-mère ont voulu signaler l’agression à la police, on les a fait attendre pendant des heures. Un agent a pris en note leurs renseignements et affirmé qu’il ferait un suivi, ce qu’il n’a pas fait. Lorsque la grand-mère de la demanderesse est retournée au commissariat pour s’informer au sujet de l’enquête, les agents se sont montrés agressifs et lui ont répondu de ne plus les déranger.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Devant la Section de la protection des réfugiés, la demanderesse s’est fondée sur les éléments de preuve suivants pour établir l’absence d’une protection de l’État adéquate :

  1. les documents sur les conditions existant dans le pays à propos des difficultés que rencontrent les Roms lorsqu’ils demandent la protection de l’État;
  2. les plaintes que son père a adressées au personnel médical concernant les problèmes de santé de son frère;
  3. les plaintes de sa mère à la police;
  4. sa plainte à la police et la demande de suivi de sa grand-mère, trois semaines plus tard, concernant sa plainte initialement déposée auprès du même agent de police.

[9]  Bien que la Section de la protection des réfugiés ait estimé que la demanderesse était crédible, elle a conclu qu’elle n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle aurait accès à la protection de l’État en Slovaquie.

[10]  En appel, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[11]  Conformément à l’orientation énoncée dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, la Section d’appel des réfugiés a indiqué avoir effectué sa propre analyse du dossier afin de décider si la Section de la protection des réfugiés avait bel et bien commis une erreur. La Section d’appel des réfugiés a conclu que [traduction] « le simple fait qu’un demandeur d’asile soit d’origine ethnique rome ne suffit pas en soi à établir qu’il existe plus qu’une simple possibilité que ce dernier soit persécuté à son retour en République slovaque » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 8). La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné la jurisprudence applicable à la question de la protection de l’État, notamment la présomption de protection de l’État, telle qu’elle est définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689.

[12]  En ce qui concerne l’inaction de la police suivant l’agression de la demanderesse par un skinhead, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve montrant que l’absence d’enquête était attribuable l’origine rome de la demanderesse. La Section d’appel des réfugiés a conclu plutôt qu’elle s’expliquait par l’incapacité de la demanderesse à identifier son agresseur. La Section d’appel des réfugiés a également souligné que [traduction] « la protection de l’État n’est jamais parfaite et le défaut d’un policier ou d’un service de police de faire enquête sur un crime ne permet pas en soi de conclure qu’il n’existe aucune protection de l’État » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 19).

[13]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu que les Roms sont confrontés à de graves difficultés et à la discrimination dans les secteurs du logement, de l’emploi, de l’éducation et des soins de santé, mais a indiqué qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté en l’espèce pour appuyer [traduction] « l’allégation selon laquelle les autorités slovaques ont pris des mesures pour empêcher [la demanderesse] d’obtenir un emploi dans sa profession ou encore un logement ou des soins de santé » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 21).

[14]  La Section d’appel des réfugiés a aussi affirmé que les autorités ont [traduction] « pris des mesures proactives pour résoudre les problèmes de discrimination et de violence envers les minorités, en particulier les Roms » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 30), et que des éléments de preuve démontrent que [traduction] « les programmes en place ont permis d’améliorer la vie des Roms » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 35). En outre, la Section d’appel des réfugiés a expliqué que [traduction]  « [l]e fait que les Roms sont victimes de discrimination en Slovaquie ne signifie pas qu’ils ne bénéficient jamais de la moindre protection de l’État ni qu’ils ne sont pas tenus de chercher à obtenir cette protection avant de demander l’asile dans un autre pays » (Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 44).

[15]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que l’État slovaque est incapable de lui offrir une protection adéquate ou qu’il n’est pas disposé à le faire.

III.  Question en litige

[16]  Alors que la demanderesse a soulevé plusieurs questions concernant la décision de la Section d’appel des réfugiés, la question déterminante a trait à l’évaluation effectuée par la Section d’appel des réfugiés de la disponibilité de la protection de l’État.

IV.  Discussion — critère de la protection de l’État

[17]  La demanderesse soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour évaluer la protection de l’État.

[18]  La demanderesse soutient que la Section d’appel des réfugiés a appliqué le critère des « sérieux efforts » dans son analyse de la protection de l’État, comme l’indique les termes utilisés par la Section d’appel des réfugiés aux paragraphes 14, 15, 24, 36 et 43 de la décision, où des expressions comme « a pris » ou « prend » sont employées pour définir les efforts faits par l’État pour offrir une protection.

[19]  La demanderesse soutient qu’une analyse adéquate de la protection de l’État exige un examen de l’existence éventuelle d’une protection adéquate de l’État sur le terrain. Le critère applicable est expliqué dans la décision Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, où le juge Zinn a affirmé ce qui suit :

[12]  Je souscris à l’énoncé du droit à ce chapitre exposé par le juge Mosley dans Meza Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16 : « Les efforts doivent avoir, dans les faits, “véritablement engendré une protection adéquate de l’État” ». Ou encore, comme je l’ai énoncé dans Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 11 : « Ce sont les actes, et non les bonnes intentions, qui démontrent l’existence réelle d’une protection contre la persécution ». Par contre, la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite. Le fait qu’un État est incapable d’offrir une protection adéquate, évaluée sur le terrain, peut être établi à l’aide de toute preuve suffisamment convaincante, notamment une preuve documentaire.

[20]  En l’espèce, relativement à la question de la protection de l’État, la Section d’appel des réfugiés fait référence à maintes reprises aux « efforts » de l’État et aux « sérieux efforts » déployés par l’État pour offrir une protection. Alors que la Section d’appel des réfugiés souligne les mesures prises par le gouvernement et indique que de sérieux efforts ont été faits pour résoudre les problèmes de discrimination et de violence envers les minorités (y compris les Roms), elle a omis de se pencher sur l’applicabilité et l’efficacité de ces programmes et de ces efforts.

[21]  Notre Cour a déjà affirmé que « la protection adéquate » et les « sérieux efforts pour protéger [les] citoyens » sont deux choses différentes (Harinarain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1519 [Harinarain], au paragraphe 27). En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés était chargée d’évaluer « dans sa réalité empirique le caractère adéquat de la protection de l’État » (voir Harinarain, au paragraphe 28).

[22]  Puisque le critère juridique à appliquer est celui de savoir si la protection de l’État était réellement efficace sur le plan opérationnel, « [le] fait de n’avoir pas traité du caractère adéquat des efforts déployés par l’État sur le plan opérationnel est une erreur susceptible de contrôle » (voir Castro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 13, au paragraphe 11).

[23]  En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a fait référence aux efforts opérationnels au paragraphe 35 de la décision : [traduction]  « Je constate que certains éléments de preuve établissent que, sur le plan opérationnel, l’État prend des mesures pour lutter contre la discrimination et la violence envers la population rome » (voir Motifs et décision de la Section d’appel des réfugiés, au paragraphe 35). Cela semble, au mieux, une remarque en passant concernant l’efficacité opérationnelle.

[24]  Je suis d’accord avec les arguments de la demanderesse selon lesquels la Section d’appel des réfugiés a appliqué le mauvais critère pour évaluer la question de la protection de l’État. La décision n’est donc pas raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4436-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4436-16

INTITULÉ :

SIMONA KOTLAROVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 3 mai 2017

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

Pour la demanderesse

Christopher Ezrin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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