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Date : 20170331


Dossier : DES-7-08

Référence : 2017 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

ET AFFAIRE INTÉRESSANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en application du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET

Mohamed Zeki MAHJOUB

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de la question

[1] Le 20 juillet 2016, j’ai accueilli en partie une requête concernant le contrôle des conditions de mise en liberté présentée par M. Mohamed Zeki Mahjoud (le demandeur), qui sollicitait une ordonnance tendant à l’annulation de l’ensemble des conditions de mise en liberté qui lui sont actuellement fixées aux termes du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), exception faite des conditions habituelles. Le demandeur a également déposé, dans son avis de requête, un avis de questions constitutionnelles soulevant plusieurs enjeux de nature constitutionnelle. Plutôt que de débattre de celles-ci à même la requête, le demandeur a choisi, avec permission, de les plaider à une date ultérieure. La requête, ainsi limitée aux conditions de mise en liberté, a été entendue les 8 et 9 juin 2016. Le 20 juillet 2016, le demandeur n’ayant pas encore déposé ses observations quant à la ou aux questions constitutionnelles qu’il proposait de certifier, et ne souhaitant pas retarder davantage une décision relativement à ses conditions de mise en liberté, j’ai ordonné le relâchement de plusieurs conditions, lesquelles sont publiées désormais dans la décision Mahjoub (Re), 2016 CF 808 (ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté).

[2] Le demandeur a déposé ses observations quant aux questions constitutionnelles et proposé leur certification le 30 septembre 2016. Les défendeurs ont déposé leur réponse par la suite. Le demandeur a signifié un avis modifié de questions constitutionnelles avant l’audience, laquelle s’est tenue les 1er et 2 mars 2017, traitant des questions qu’ils proposaient de certifier ainsi que des questions constitutionnelles. Les motifs suivants portent sur les questions constitutionnelles modifiées ainsi que sur les questions que le demandeur a demandé à notre Cour de certifier.

II. Résumé des faits

[3] L’historique du dossier ainsi que mes nombreuses conclusions et décisions figurent dans les motifs de l’ordonnance de 2016 de mise en liberté, ce qui inclut les suivantes :

[21] Le demandeur a un long passé avec notre Cour. En outre, les dispositions législatives applicables à son cas ont évolué au fil des années. Le juge Noël a bien résumé aux paragraphes 5 à 20 de Mahjoub (Re), 2015 CF 1232 (la décision du 30 octobre 2015 sur les conditions de mise en liberté), les aspects importants de la mise en détention de M. Mahjoub, de la mise en liberté sous condition qui a suivi, des nombreux contrôles des conditions de cette mise en liberté, ainsi que de l’évolution du dispositif législatif applicable. Cette décision concluait le plus récent des multiples contrôles dont les conditions de mise en liberté du demandeur ont fait l’objet.

[22] Le demandeur est un ressortissant égyptien né en avril 1960. Il est arrivé au Canada par Toronto à la fin de décembre 1995, muni d’un faux passeport saoudien. Il a alors présenté une demande d’asile, que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueillie le 24 octobre 1996. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) a commencé à s’intéresser à lui en 1996. Par suite de l’enquête menée par le SCRS, il a fait l’objet d’un certificat délivré par les ministres en juin 2000, et il a été arrêté le 26 juin 2000. Détenu à partir de 2000, il a été mis en liberté en février 2007, sous de rigoureuses conditions.

[23] Le juge Nadon, alors membre de la Cour fédérale du Canada, a rendu le 5 octobre 2001 une décision portant que le certificat de sécurité était raisonnable. Il a noté dans l’exposé des motifs de son ordonnance que le demandeur s’était parjuré en n’admettant pas qu’il connaissait une personne déterminée. Le juge Nadon a refusé d’ajouter foi à l’explication de ce mensonge donnée par le demandeur, faisant observer que ce dernier avait menti plusieurs fois devant notre Cour. Voir les paragraphes 57, 58, 68 et 70 de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095 (la décision du juge Nadon).

[24] Après que la Cour suprême du Canada eut statué en 2007, par l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [Charkaoui I]), que le premier régime des certificats de sécurité portait atteinte aux droits garantis par la Charte, un nouveau dispositif législatif a été mis en application, que la même Cour a confirmé par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 RCS 33.

[25] Le demandeur a commencé en 2008 à solliciter sous ce nouveau régime les contrôles des conditions de sa mise en liberté.

[26] Les nouvelles dispositions prévoient aussi la délivrance de certificats de sécurité dont le caractère raisonnable peut être contesté devant notre Cour. Un certificat de cette nature a été délivré contre le demandeur. Après une très longue procédure, qui a duré plusieurs années, le regretté juge Blanchard a rendu en octobre 2013 une décision portant que le certificat de sécurité visant le demandeur était raisonnable; voir Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 (la décision sur le caractère raisonnable). Le demandeur a formé contre cette décision, devant la Cour d’appel fédérale, un appel qui n’a pas encore été instruit.

[27] Le juge Blanchard a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’Al Jihad et de son sous-groupe ou groupe dissident dénommé « Avant-garde de la conquête », et qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada du fait de ses relations avec de nombreux terroristes notoires ou suspects de terrorisme, au Canada et à l’étranger. Le juge Blanchard a en outre conclu qu’Al Jihad et l’Avant-garde de la conquête étaient des groupes terroristes importants, actifs en Égypte, et directement liés à Oussama Ben Laden et à Al-Qaïda.

[28] Par la suite, le défunt juge Blanchard, après avoir instruit une demande de M. Mahjoub tendant à l’annulation de l’ensemble de ses conditions de mise en liberté à l’exception de quelques-unes, a formulé la conclusion suivante le 17 décembre 2013 :

[traduction] J’estime établi que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, comme je l’ai expliqué dans les motifs de mon ordonnance du 7 janvier 2013.

III. Résumé de la requête et décision

[4] Le demandeur a proposé 37 questions expressément numérotées à certifier, dont 19 questions à certifier et 18 questions constitutionnelles. Bon nombre de ces questions comprennent des parties et des sous-parties non numérotées. Toutes les questions soumises figurent aux annexes A (Questions proposées aux fins de la certification) et B (questions constitutionnelles proposées) ci-joints. Le ministre s’oppose à la certification de toutes les questions.

[5] Il est important de noter qu’il y a un dédoublement et un chevauchement importants entre les nombreuses questions proposées sous les catégories de questions. Pour cette raison, et étant donné les circonstances, je suis d’accord avec les défendeurs que les questions devraient être abordées en groupes de questions semblables afin d’éviter toute répétition ou tout dédoublement. Ceci dit, j’aborderai les questions qui sont suffisamment distinctes. De plus, je compléterai mes commentaires généraux sur des groupes de questions au moyen de remarques précises lorsque cela est justifié. Les questions ont été regroupées dans les présents motifs suivant les suggestions des ministres.

[6] Par ailleurs, la présente cause ressemble à d’autres dossiers sur le même sujet; bien que celle-ci ne comprenne que 37 questions numérotées pour le moment (incluant de nombreuses parties ou sous-parties), rappelons que le demandeur avait proposé 126 questions dans Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 (décision relative au caractère raisonnable), dans laquelle le regretté juge Blanchard a traité du caractère raisonnable du certificat de sécurité émis à l’encontre du demandeur et l’a confirmé.

[7] En résumé, je ne suis pas en mesure de cerner de questions graves de portée générale devant être certifiées. J’ai également tenu compte des questions constitutionnelles soulevées par le demandeur dans les présents motifs et je conclus qu’aucune n’est fondée; par conséquent, aucune ne sera certifiée.

IV. Critère relatif à la certification de questions et certification

[8] L’article 82.3 de la LIPR prévoit qu’un appel d’une décision rendue en application de l’article 82, comme l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté, peut uniquement être entendu si un juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. L’article prévoit également qu’aucun appel ne peut être entendu relativement à une décision interlocutoire :

82.3 Les décisions rendues au titre des articles 82 à 82.2 ne sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

[Non souligné dans l’original.]

[9] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, (1994), 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6, a établi les principes régissant la certification de questions aux termes de l’article 82.3. Ces arguments peuvent être résumés ainsi :

  • i) La question est une question qui transcende les intérêts des parties au litige, et [qui] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

  • ii) La question est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification ne doit pas être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

  • iii) Le processus de certification ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les Cours fédérales.

[10] Dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, la Cour d’appel fédérale décrit le seuil pour la certification comme suit :

[7] L’alinéa 74d) de la Loi contient une importante disposition de « contrôle d’accès » : le jugement consécutif à une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi n’est susceptible d’appel devant notre Cour que si le juge de la Cour fédérale certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce cette question.

[...]

[9] Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

[10] Dans l’arrêt Varela, notre Cour a déclaré qu’il est erroné de tenir le raisonnement que toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel peuvent être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée. L’obligation imposée par l’alinéa 74d) de la Loi est une condition préalable à l’existence d’un droit d’appel. Si la question ne satisfait pas au critère de la certification, la condition préalable n’est pas remplie, et l’appel doit être rejeté.

[11] De plus, comme l’a confirmé le juge Pelletier dans l’arrêt Zazai v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12, la certification visera « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel ». En corollaire, la Cour a ajouté que la question doit avoir été soulevée et traitée dans la décision : « si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier ».

[12] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, au paragraphe 25, a ajouté que « sans la certification d’une “question grave de portée générale”, l’appel ne serait pas justifié. L’objet de l’appel est bien le jugement lui‑même, et non simplement la question certifiée ».

[13] Le regretté juge Blanchard a affirmé ce qui suit dans Mahjoub (Re), 2014 CF 200, alors qu’il a traité des 126 questions présentées par le demandeur qui selon lui, découlaient de la décision relative au caractère raisonnable :

[traduction] [8] Dans Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 RCF 129, au paragraphe 28, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’article 74 de la LIPR porte sur la certification « d’”une” question grave de portée générale et non d’”une ou plusieurs” questions graves de portée générale ». La Cour reconnaît qu’un dossier particulier pourrait soulever plus d’une question de portée générale; or elle a tranché que « […] cette situation serait l’exception plutôt que la règle ». L’article 79 de la LIPR utilise un libellé semblable. Il est évident que la Cour d’appel fédérale n’entrevoyait pas la certification de 126 questions. En outre, au paragraphe 43 de sa décision, la Cour a affirmé « qu’il est erroné de tenir le raisonnement selon lequel toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel pourraient être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée ».

[14] Le juge Pelletier, écrivant pour la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 [arrêt Varela] a indiqué ceci :

[29] Qui plus est, une question grave de portée générale découle des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge. Le juge, qui a instruit la cause et qui a eu l’avantage d’entendre les meilleurs arguments présentés par les avocats des deux parties, devrait être en mesure de dire si les faits de l’affaire soulèvent ou non une telle question, sans avoir à soumettre une ébauche de ses motifs aux avocats. Une telle façon de procéder ouvre la porte, comme c’est le cas en l’espèce, à une longue liste de questions qui peuvent ou non satisfaire au critère prévu par la loi. Dans le cas qui nous occupe, aucune des questions proposées ne répond à ce critère.

[Non souligné dans l’original.]

[15] Ainsi, avec ces principes généraux à l’esprit, je me suis penché sur les questions que le demandeur souhaite voir certifiées ainsi que sur ses questions constitutionnelles. Il a numéroté ses questions en ordre consécutif de 1a) à 8v)(4); les questions visant à être certifiées s’échelonnent de 1a) à 7e), tandis que les questions constitutionnelles s’étendent de 8a) à 8v)(4). Comme je l’ai dit précédemment, j’aborderai ces questions individuellement ou en groupe. Les références aux numéros de paragraphes suivant les questions se rapportent généralement aux paragraphes de mon ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté.

V. Questions proposées aux fins de la certification aux termes de l’article 82.3 de la LIPR

Question 1 : Quelle est la nature de la menace à la sécurité du Canada devant être démontrée aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR?

a) Peut-on conclure à l’existence d’un danger ou d’une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR lorsque le SCRS a conclu le contraire dans un rapport, mettant à jour ses anciens rapports sur lesquels reposent les décisions antérieures de la Cour fédérale dans ses contrôles de la détention? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 et 78)

[16] Cette question fait référence à la preuve produite à l’audience et, en particulier, au rapport du SCRS, lequel mentionnait cette question. En outre, il s’agit d’une question concernant des faits précis. La question ne transcende pas les intérêts des parties au litige et n’aborde pas des éléments ayant des conséquences importantes ou de portée générale. Par conséquent, la question proposée ne satisfait pas aux exigences nécessaires de la certification.

Questions 1b) et 8ivb) :

1b). La définition d’une menace à la sécurité du Canada figurant dans la Loi sur le SCRS est-elle différente de celle d’un danger devant être neutralisé aux termes du paragraphe 82(5) de la LIPR? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 et 78)

8ivb) La loi a-t-elle un effet inconstitutionnel permettant à la Cour d’utiliser des conclusions d’un juge quant à la crédibilité issues d’un jugement antérieur annulé tout en déclarant avoir évalué la crédibilité d’une personne désignée lors d’un contrôle ultérieur de sa détention ou de sa mise en liberté? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 52 et 57 et Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, au paragraphe 6)

[17] Il fait ici référence aux conclusions rendues dans le cadre des motifs de la Cour relativement à ses conditions de détention. En résumé, le demandeur soutient qu’il n’y a aucune différence entre une menace à la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC (1985), c C-23 (Loi sur le SCRS) et un danger visé par l’article 81 et le paragraphe 82(5) de la LIPR. Dans ses observations, le demandeur soutient ne plus être une menace aux termes de la Loi sur le SCRS, et ne répondre à aucun des critères de la LIPR.

[18] L’article 1 de la Loi sur le SCRS définit ainsi les « menaces envers la sécurité du Canada » :

« menaces envers la sécurité au Canada » désigne ce qui suit :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).

[19] Sont aussi pertinents l’article 81 et le paragraphe 82(5) de la LIPR; ils sont rédigés ainsi :

Mandat d’arrestation

81 Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peuvent lancer un mandat pour l’arrestation et la mise en détention de la personne visée par le certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

Ordonnance

82(5) Lors du contrôle, le juge :

a) ordonne le maintien en détention s’il est convaincu que la mise en liberté sous condition de la personne constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

b) dans les autres cas, ordonne ou confirme sa mise en liberté et assortit celle-ci des conditions qu’il estime indiquées.

[20] Ces questions ne satisfont pas au critère de certification des questions pour de nombreuses raisons. D’abord, elles ne permettent pas de régler l’appel, car elles sont fondées sur une prémisse erronée. Le demandeur soutient que le sommaire du SCRS de 2016 concluait qu’il n’était plus un danger conformément à la LIPR, ce qui n’est pas le cas. De plus, le sommaire du SCRS fait état des activités récentes du demandeur et ne tient pas compte de ses activités antérieures, notamment celles qui ont mené le regretté juge Blanchard à conclure que le certificat du ministre était raisonnable. De plus, ces questions ne tiennent pas compte du fait que le demandeur doit actuellement se plier à des contraintes importantes, quoique relâchées, ce qui a, sans contredit, des répercussions sur son niveau de menace et de dangerosité, nonobstant les représentations contraires de son avocat. Bien qu’une évaluation de la menace du SCRS puisse justifier une conclusion de danger aux termes de la LIPR, l’absence d’évaluation de la menace aux termes de la Loi sur le SCRS n’empêche pas la Cour de conclure à un danger conformément à la LIPR. Par exemple, une personne peut être dite dangereuse pour la sécurité d’une autre personne aux termes de la LIPR, bien qu’elle ne satisfasse pas à la définition d’une menace à la sécurité du Canada. Qui plus est, ces questions ne satisfont pas au critère de certification, car elles portent sur des conclusions de fait et sur des conclusions mixtes de fait et de droit qui ne transcendent pas les intérêts des parties au litige. Elles ne portent pas non plus sur des éléments ayant des conséquences importantes ou de portée générale.

Questions 1c), 6, 8iiia) et 8ivc) :

1c) En plus de l’existence du rapport du SCRS témoignant de l’absence de menace, l’ordonnance sur le caractère raisonnable du certificat (et la preuve à l’appui), lequel est fondé essentiellement sur des faits précédant de 20 ans les présentes, nommément des contacts antérieurs et des inférences d’adhésion antérieures à des organisations terroristes en raison desdits contacts, et concluant à l’absence d’activités terroristes peut-elle être considérée comme une preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace à neutraliser aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR ou peut-elle justifier l’imposition de conditions? S’agit-il d’une peine cruelle et inusitée en regard de l’article 12 de la Charte?

6) Les facteurs appliqués par le juge Noël [sic, dans toutes les questions] et adoptés par la Cour sont-ils appropriés au contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR comparativement aux facteurs définis par la CSC dans l’arrêt Charkaoui I?

8iiia) La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive et contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet une perte de liberté et une détention arbitraires malgré l’existence d’un rapport du SCRS (émis le 14 janvier 2016) faisant état de l’absence de menace, et autorise, par son application, son interprétation ou ses effets, qu’une décision ayant conclu au caractère raisonnable d’un certificat de sécurité constitue la preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR et permette l’imposition de conditions de mise en liberté à une personne désignée, en violation des articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte?

8ivc) La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte dans son application, son interprétation ou ses effets en permettant au juge siégeant en révision d’une décision d’appliquer des facteurs autres que ceux établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9 et de ne pas tenir compte d’autres facteurs pertinents, comme le statut de réfugié au sens de la Convention de la personne désignée et le bien-fondé d’un appel en attente interjeté eu égard aux questions soulevées et classées comme des éléments de preuve au dossier, pour assouplir les conditions ou libérer la personne désignée dans l’attente de l’appel?

[21] La question 1c) n’est pas une question pouvant être certifiée, car, là encore, elle porte sur les faits de l’espèce, faisant référence au rapport du SCRS ou au résumé de celui-ci déjà abordé précédemment. De plus, la question d’une peine cruelle et inusitée aux termes de l’article 12 de la Charte n’a pas été abordée verbalement ou par écrit; elle a plutôt été évoquée sans fondement par le procureur et elle ne saurait être abordée sans argumentaire approprié. De plus, la question est fondée sur une fausse prémisse voulant que les facteurs qu’elle mentionne, notamment les contacts antérieurs et les adhésions présumées, fussent les seuls éléments justifiant les conditions. Or, avec respect, une simple lecture rapide de l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté vient démentir cette allégation. En outre, le juge, dans cette ordonnance, a tenu compte, entre autres, des éléments de preuve produits par le demandeur durant son témoignage, de l’écoulement du temps et des éléments de confiance et de crédibilité.

[22] Les questions 6 et 8ivc) sont fondées sur une mauvaise compréhension de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui I]. Contrairement aux affirmations du demandeur, la Cour suprême, dans l’arrêt Charkaoui I, n’a pas établi une liste exhaustive ou définitive de facteurs à examiner dans le cadre des contrôles de la détention ou des conditions de mise en liberté aux termes des présentes dispositions de la LIPR. En revanche, la Cour suprême du Canada a explicitement exprimé le contraire au paragraphe 108; notamment que la liste des facteurs « n’est bien entendu pas exhaustive » et « réunit […] les facteurs les plus évidents ». Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême du Canada permet aux juges désignés de tenir compte de facteurs supplémentaires; l’argument contraire du demandeur à ce titre est dénué de fondement.

[23] La question 8ivc) pâtit du fait qu’elle ne se fonde pas sur le jugement, et qu’elle est encore une fois fondée sur la fausse prémisse qu’on n’a pas tenu compte du statut du demandeur, en qualité de réfugié au sens de la Convention. Or, la lecture des paragraphes 106 et 107 de l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté vient démontrer le contraire.

[24] La question 8iiia) est une autre question liée aux faits; elle est fondée sur la caractérisation erronée par le demandeur du dossier à son encontre, notamment qu’il est exclusivement lié au sommaire du SCRS relativement à ses activités actuelles. À mon sens, cette question ne transcende pas les intérêts des parties au litige et n’aborde pas des éléments ayant des conséquences importantes ou de portée générale. Elle ne permet pas de régler le dossier et n’a aucune portée générale; il ne s’agit donc pas d’une question méritant d’être certifiée.

[25] Aucune de ces questions ne sera certifiée.

Questions 1d), 2a), 2b), 8iiib) et 8iiic) :

1d) Un danger ou une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR peut-il être démontré ou être assujetti à des conditions imposées conformément aux décisions rendues par la Cour fédérale sur le caractère raisonnable ou les contrôles de la détention annulées par l’arrêt Charkaoui c Canada, [2007] ACS no 9 et C3, y compris des décisions antérieures rendues relativement à la crédibilité en lien avec les admissions et la preuve produite durant un témoignage?

2a Les conclusions d’un juge quant à la crédibilité figurant dans une décision antérieure, subséquemment annulée, peuvent-elles être utilisées par un autre juge pour évaluer la crédibilité?

2b) Un juge peut-il effectuer un contrôle de la détention aux termes de la section 9 de la LIPR en se fondant sur les conclusions et les décisions rendues dans le cadre de l’ancien régime, lequel a depuis été déclaré inconstitutionnel?

8iiib) La loi est-elle imprécise et trop vague et contrevient-elle à la Charte dans la mesure où elle permet, par son application, son interprétation ou ses effets, de conclure à l’existence d’un danger, conformément à l’alinéa 82(5)b) de la LIPR et à l’imposition de conditions fondées sur une décision de la Cour fédérale quant au caractère raisonnable ou des décisions de contrôle de la détention annulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9 et la loi C-3? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 57, 93, 84, 87, 93, 99 et 100)

8iiic) La loi contrevient-elle à la Charte, par son application, son interprétation ou ses effets, en permettant une atteinte à la liberté et une détention arbitraires en autorisant la cour de révision à fonder sa décision sur les conclusions et les décisions antérieures, y compris les décisions quant à la crédibilité, rendues dans le cadre d’un régime législatif antérieur et déclaré inconstitutionnel? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 52, 57 et 72 et Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, aux paragraphes 6 à 9, et 80 et 81)

[26] Ces questions ne méritent pas d’être certifiées pour plusieurs raisons. D’abord, elles émanent de la prémisse erronée que les contrôles des conditions de mise en liberté doivent être effectués du début ou, comme le soutient l’avocat, examinés de novo. Or, avec tout mon respect, j’estime que les contrôles des conditions de mise en liberté ne sont pas des examens de novo et ne partent pas d’une page vierge. En outre, la Cour d’appel fédérale a statué qu’aux termes du modèle de contrôle de la détention, un demandeur ne peut pas se distancier des conclusions antérieures relativement à sa détention. À mon sens, ceci s’applique également aux contrôles des conditions de mise en liberté. En outre, le juge Rothstein a indiqué ce qui suit dans le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 [Thanabalasingham] :

LA QUESTION CERTIFIÉE

[5] Deux questions doivent être tranchées : (1) la question de savoir si les contrôles des motifs de la détention sont de nouvelles audiences et (2) celle de savoir à qui incombe le fardeau de preuve lors d’un contrôle des motifs de la détention.

La nature de l’audience

[6] Je pense qu’il est important en premier lieu de clarifier l’utilisation du mot « nouvelle » dans l’expression nouvelle audience. À proprement parler, une nouvelle audience est une audience au cours de laquelle un nouveau dossier est présenté et au cours de laquelle il n’est aucunement tenu compte d’une décision antérieure (voir à cet égard les arrêts Bayside Drive-in Ltd. c. M.R.N. (1997), 218 N.R. 150, à la page 156, (C.A.F.), et Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, à la page 166 (C.A.)) Ce n’est pas ce qui se produit dans un contrôle des motifs de la détention. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lai, [2001] 3 C.F. 326, à la page 334, (1re inst.), M. le juge Campbell a déclaré que dans un contrôle des motifs de la détention « tous les facteurs liés à la détention doivent être examinés, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention ». Même si le juge Campbell traitait d’une affaire suivant l’ancienne loi, rien ne justifie que sa décision ne doive pas s’appliquer suivant la nouvelle loi. Par conséquent, il n’est pas précisément exact de décrire comme une nouvelle audience la sorte de contrôle effectué suivant les articles 57 et 58 de la nouvelle loi.

[7] Par contre, je ne peux pas non plus accepter la prétention faite par le ministre dans son mémoire selon laquelle les conclusions tirées par les commissaires antérieurs devaient être maintenues en l’absence de nouvelle preuve. En examinant des contrôles des motifs de la détention effectués suivant l’ancienne loi, le juge MacKay de la Section de première instance (maintenant juge de la Cour fédérale) a déclaré ce qui suit :

[…] au moment de l’examen, il s’agit de savoir s’il existe des motifs permettant de convaincre l’arbitre que l’intéressé ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu’il ne se dérobera vraisemblablement pas à l’interrogatoire ou à l’enquête ou qu’il obtempérera à la mesure de renvoi. À mon avis, il ne suffit pas que l’arbitre se contente […] d’accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir principalement compte de ce qui peut s’être passé depuis que la dernière décision a été rendue (Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 150, à la page 159 (1re inst.)).

[8] Rien dans les nouveaux articles 57 et 58 ne montre que le raisonnement du juge MacKay ne devrait pas continuer à s’appliquer aux audiences relatives au contrôle des motifs de la détention suivant la nouvelle loi. Comme le faisaient les arbitres suivant l’ancienne loi, la Section de l’immigration contrôle « les motifs justifiant le maintien en détention » [non souligné dans l’original]. La nouvelle loi ne fait pas non plus de distinction entre le premier contrôle des motifs de la détention et les contrôles subséquents pas plus qu’elle impose des exigences à l’égard de la preuve devant être soumise. Plutôt, lors de chaque audience, le commissaire doit décider à nouveau si le maintien de la détention est justifié.

Le traitement des décisions antérieures

[9] La question à se poser alors est celle de l’importance qui doit être accordée, lors des contrôles subséquents, aux décisions antérieures. Comme il est clairement établi dans ses observations de vive voix, le ministre n’affirme pas que les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne ont un caractère liant lors des contrôles des motifs de la détention subséquents. Plutôt, le ministre affirme qu’un commissaire doit, pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, énoncer des motifs clairs et convaincants.

[10] Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés […] Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

[11] La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins est souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

[12] La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

[13] Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

[27] Aucune jurisprudence n’appuie une démarche de novo dans le contexte des contrôles des conditions de mise en liberté. Une telle démarche serait contraire à celle adoptée par la Cour d’appel fédérale dans des contrôles de la détention analogues ainsi qu’aux préceptes de la Cour suprême du Canada découlant de l’arrêt Charkaoui I, lesquels situent les « motifs de détention » en haut de la liste des facteurs pertinents.

[28] Ces questions étayent la thèse que le demandeur bénéficierait d’une forme d’immunité ou de privilège l’exemptant d’un contre-interrogatoire quant aux affirmations qu’il aurait prononcées involontairement sous serment dans le cadre d’instances antérieures. Cependant, ceci lance encore une fois le débat sur une fausse prémisse, car le demandeur ne peut souligner aucun élément de preuve pour établir que son témoignage devant le juge Nadon était involontaire ou qu’il aurait été contraint de témoigner. Dans tous les cas, les conditions de 2016 de mise en liberté ne sont pas fondées exclusivement sur la preuve devant le juge Nadon, et ne sont pas non plus exclusivement fondées sur les conclusions antérieures d’autres juges, comme on le constate, là encore, en examinant sommairement l’ordonnance.

[29] Enfin, les questions étant axées sur des faits et non déterminantes quant à l’issue de l’appel, elles ne seront pas certifiées à titre de questions ayant une portée générale; en somme, elles ne transcendent pas les intérêts des parties.

Question 1e) :

1e) Est-il approprié qu’un juge, effectuant un contrôle de la détention aux termes de la section 9 de la LIPR, procède en raison de l’existence d’un danger réduit, seulement en raison de l’existence des conditions, sans aucune preuve à cet effet? S’agit-il d’une conjecture inacceptable? Est-ce aussi inacceptable qu’illogique? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 76, 77, 79, 95 et 102)

[30] Il ne s’agit pas d’une question appropriée aux fins de certification; à première vue, elle est fondée sur la preuve en l’espèce ou, plus particulièrement, sur une allégation d’absence de preuve. Par conséquent, cette question ne transcende pas les intérêts des parties et n’aborde pas des éléments ayant des conséquences importantes ou de portée générale.

Questions 3a), 3b) et 8iiid) :

3a) Est-ce contraire aux articles 7 et 13 de la Charte de permettre un contre-interrogatoire sur un affidavit produit en preuve dans le cadre d’une procédure inconstitutionnelle dans le but d’attaquer ultérieurement la crédibilité du témoin dans un contrôle de la détention?

3b) Le raisonnement utilisé pour permettre un tel contre-interrogatoire constitue-t-il un manquement au droit au silence ou au recours à l’immunité prévue par l’article 7 de la Charte et à la Loi sur la preuve au Canada au motif qu’il s’agit d’une procédure fondée sur la LIPR contraire aux décisions faisant autorité, nommément les arrêts Bagri, Charkaoui I, Charkaoui II et Harkat?

8iiid) La loi est-elle, dans son application, son interprétation et ses faits, injuste et contrevient-elle aux articles 7 et 13 de la Charte, y compris au droit au silence ou à l’immunité prévue par l’article 7 de la Charte et de la Loi sur la preuve au Canada, et contraire aux décisions faisant autorité, nommément l’arrêt Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re) (« Bagri »), [2004], ACS no 40, Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9, Charkaoui c Canada, 2008 CSC 38 et Canada c Harkat, 2014 CSC 37, au sens qu’elle permet une atteinte arbitraire à la liberté ainsi qu’une détention arbitraire en permettant à la cour de révision de contre-interroger la personne relativement à la preuve soumise dans le cadre d’une procédure inconstitutionnelle dans le but d’attaquer ultérieurement la crédibilité du témoin dans un contrôle de la détention?

[31] Ces questions se chevauchent et ont été révisées par l’avocat avant l’audience. À mon avis, tout respectueusement, ces questions ne devraient pas être certifiées, car elles ont déjà été abordées.

[32] Tout d’abord, le contre-interrogatoire est « le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité ». Par conséquent, la Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt R c Lyttle, 2004 CSC 5, aux paragraphes 42 à 44 que le droit au contre-interrogatoire doit être protégé et interprété généreusement :

42 Dans l’arrêt R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory a examiné la jurisprudence pertinente et, à la p. 663, il a expliqué pourquoi le contre‑interrogatoire joue un rôle aussi important dans le processus de débat contradictoire, particulièrement — mais évidemment pas seulement — dans les procès criminels :

Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence. Voir les arrêts R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275 (C.A. Man.); R. c. Rewniak (1949), 93 C.C.C. 142 (C.A. Man.); Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163 (B.R. Qué.); et R. c. Lindlau (1978), 40 C.C.C. (2d) 47 (C.A. Ont.).

43 Vu son importance, le droit de contre‑interroger est maintenant reconnu comme un droit protégé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Voir l’arrêt Osolin, précité, p. 665.

44 Le droit de contre‑interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement.

[33] Ces questions découlent du fait que le demandeur, dans l’espèce, a été contre-interrogé sur des éléments de preuve qu’il a communiqués au juge Nadon il y a de nombreuses années. Or, l’erreur de fond dans l’argument du demandeur est, comme cela a été mentionné précédemment, qu’il n’était pas obligé de fournir ces éléments de preuve. En outre, il a bénéficié des conseils de son avocat pour la rédaction de l’affidavit qu’il a choisi de produire à l’époque. De plus, l’avocat l’a également représenté durant le contre-interrogatoire à l’audience. Il a volontairement produit ces éléments de preuve; rien ne laisse entendre qu’il y a été contraint. La jurisprudence sur laquelle se fonde le demandeur n’est pas utile, y compris l’arrêt Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, car elle traite de situations où la preuve a été obtenue sous la contrainte et non, comme dans l’espèce, des circonstances où la preuve a été volontairement produite. Le demandeur peut avoir une impression inexacte à ce titre; cependant, il était représenté par un avocat et il n’y a aucun fondement à sa prétention voulant qu’il eût été contraint de produire cette preuve.

[34] Cette stratégie a été répétée, sans succès, à de nombreuses reprises, comme l’indique l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté (voir les paragraphes 83 et suivants).

[35] À mon avis, ces questions ont été abordées et tranchées par la juge Dawson, tel était alors son titre, dans Jaballah (Re), 2010 CF 224 [Jaballah]. Dans cette cause, la juge Dawson a examiné et rejeté pratiquement tous les arguments que le demandeur cherchait à aborder de nouveau concernant l’existence d’une immunité ou d’un privilège le protégeant d’un contre-interrogatoire relativement à des éléments de preuve produits volontairement lors d’une audience antérieure. Dans la décision Jaballah, la juge Dawson a conclu que le demandeur, qui était essentiellement dans la même situation que le demandeur en l’espèce, n’était pas contraignable. Elle a rejeté une demande d’immunité et de privilège aux termes de la LIPR après avoir effectué une analyse détaillée en se référant au droit criminel sur ce point :

[92] Je crois que les valeurs qui ont éclairé l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt Henry devraient éclairer l’examen relatif à la portée de la protection que l’article 7 de la Charte accorde à M. Jaballah. Les droits à la liberté et à la sécurité qui sont en cause dans la présente instance sont importants, mais je ne pense pas qu’ils justifient une protection supérieure à celle que l’on accorderait à un accusé dans une instance criminelle.

[Non souligné dans l’original.]

[36] Avec respect, je suis d’accord. Pour remettre en perspective les conclusions de la juge Dawson relativement à la protection offerte par la justice criminelle, je remarque que la Cour suprême du Canada, dans R. c Henry, 2005 CSC 76 [Henry], a examiné et reformulé le droit et les principes quant à la protection contre l’auto-incrimination et l’article 13 de la Charte. Elle a conclu ce qui suit :

47 […] Les accusés qui, sans y être contraints, décident de témoigner à leur nouveau procès pour y faire des déclarations incompatibles avec celles qu’ils ont faites volontairement à leur premier procès relativement à la même accusation n’ont pas besoin d’être protégés « contre l’obligation indirecte de s’incriminer », quel que soit le sens attribué à ce mot, et ils ne devraient pas bénéficier de la protection de l’art. 13.

[...]

48 L’arrêt Kuldip devrait bien sûr être confirmé, dans la mesure où il permet le contre‑interrogatoire d’un accusé sur les déclarations incompatibles qu’il a faites volontairement à son premier procès. Toutefois, comme la Cour s’est sentie obligée, par l’arrêt Mannion, de limiter le but du contre‑interrogatoire à une attaque de la crédibilité et de nier aux réponses tout effet probant relativement à la culpabilité ou à l’innocence, je crois que la présente décision de ne pas suivre l’arrêt Mannion a rendu ces restrictions inopérantes. Si les contradictions permettent raisonnablement d’inférer la culpabilité, l’art. 13 de la Charte n’empêche pas le juge des faits de tirer des conclusions fondées sur le bon sens.

50 J’irais plus loin. Bien que l’art. 13 dispose que le témoignage antérieur d’une personne ne peut être « utilisé pour l’incriminer », et qu’il laisse ainsi implicitement subsister la possibilité de l’utiliser à une autre fin que pour l’incriminer, par exemple pour attaquer sa crédibilité (comme l’a reconnu l’arrêt Kuldip), l’expérience a démontré qu’il était difficile d’appliquer cette distinction en pratique. Si, comme l’a statué l’arrêt Noël et l’a fait remarquer le juge Arthur Martin dans Kuldip, cette distinction est irréaliste dans le contexte du par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, elle doit aussi l’être dans le contexte de l’art. 13 de la Charte. Par souci de cohérence, je conclus donc que le témoignage antérieur forcé doit être considéré, tant sous le régime de l’art. 13 de la Charte que sous celui du par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, comme inadmissible en preuve contre l’accusé, même dans le but manifeste d’attaquer sa crédibilité, et que son utilisation doit se limiter, selon les termes mêmes de l’art. 13, aux « poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires ».

[Non souligné dans l’original.]

[37] Par conséquent, les questions du demandeur sont dénuées de la preuve de fond nécessaire : ses réponses n’ont pas été forcées et, comme le conclut la Cour suprême dans l’arrêt Henry, l’article 13 ne peut lui venir en aide. Ces questions ont déjà été soumises et tranchées.

[38] Je remarque également que le demandeur a lui-même remis en question, dans son affidavit, la véracité des allégations figurant dans le RRS : [traduction] « Je […] souffre toujours d’avoir été faussement accusé par les ministres, dans les procédures entourant le certificat ». Il subsiste encore moins de doute quant au droit des ministres d’attaquer la véracité de sa preuve, ayant lui-même soulevé ces allégations dans son propre affidavit.

Questions 3c), 3d) et 8iiie) :

3c) Subsidiairement, si un tel contre-interrogatoire est légal quant aux questions de crédibilité (voir Motifs : aux paragraphes 83 à 86), la preuve issue de celui-ci peut-elle être utilisée à titre de preuve substantielle de l’existence d’un risque? (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 56, 93 à 96)

3d) S’agit-il d’une erreur de droit ou de principe de parvenir à des conclusions défavorables quant aux faits et de conclure à l’existence d’un risque à la suite d’un tel contre-interrogatoire, des objections soulevées durant le contre-interrogatoire et de l’exercice du droit au silence? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 81, 87 à 89, 91, 93, 103 à 104)

8iiie) Subsidiairement, si un tel contre-interrogatoire est constitutionnel eu égard aux questions de crédibilité, la loi est-elle imprécise et de portée excessive ou contrevient-telle à la Charte, au sens qu’elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires, en autorisant, dans son application, son interprétation et ses effets, l’utilisation d’éléments de preuve issus de contre-interrogatoires en guise de preuve substantielle quant au risque aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR; ou du recours à des objections au cours de tels contre-interrogatoires; ou de l’exercice du droit au silence, pour parvenir à des conclusions défavorables quant aux faits et de conclure à l’existence d’un risque aux termes du paragraphe 82(5) de la LIPR?

[39] Il ne s’agit pas de questions appropriées aux fins de certification pour les mêmes motifs que la série précédente de questions proposées. Il est admis qu’une cour puisse utiliser la preuve produite en contre-interrogatoire. Quoi qu’il en soit, ces questions sont axées sur les faits de l’espèce, malgré les efforts de l’avocat à les formuler en termes généraux. L’utilisation par la Cour de son appréciation de la preuve et de la conduite de l’audience devant elle n’est pas déterminante à l’issue de l’espèce.

[40] De plus, je souscris à la position de l’avocat des ministres à cet égard : [TRADUCTION] « Les arguments du demandeur sont, en somme, la manifestation de son désaccord avec la façon dont la Cour a apprécié la preuve. La Cour a conclu que les multiples objections soulevées par le procureur de la Couronne durant le contre-interrogatoire avaient perturbé le contre-interrogatoire et permis au demandeur de rajuster ses réponses. La Cour était libre de parvenir à cette conclusion en qualité de juge des faits. La Cour avait le droit d’attribuer un poids limité aux réponses ainsi données. »

Question 4 Un juge effectuant un contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR alors qu’un appel est en instance doit-il examiner le bien-fondé de l’appel pour assouplir les conditions ou remettre la personne désignée en liberté en attendant l’appel?

[41] À mon humble avis, le demandeur a omis d’établir en quoi la question proposée est déterminante pour l’issue de l’appel; elle ne satisfait pas au critère relatif à la certification.

Question 5 Un juge effectuant un contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR devrait-il tenir compte du fait que la personne est un réfugié au sens de la Convention?

[42] Là encore, cette question n’émane pas de l’ordonnance comme elle le prétend; en outre, elle est à nouveau fondée sur la fausse prémisse voulant qu’on n’ait pas tenu compte du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Cette prémisse ne tient pas à la lumière des paragraphes 106 et 107 de l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté. Elle repose également sur les faits de l’espèce. Par conséquent, aucune de ces questions ne sera certifiée.

Questions 7a)-e), 8i, 8ii, 8iia), 8iib), 8iv :

7a) La preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace devant être neutralisée aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR doit-elle être démontrée selon la prépondérance des probabilités afin de permettre l’imposition de conditions? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, au paragraphe 75)

7b) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale de fonder la détermination d’une menace à la sécurité nationale sur la norme des MRC? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, au paragraphe 75)

7c) c) La définition de menace à la sécurité nationale fondée sur la norme des MRS est-elle contraire aux principes de justice fondamentale (selon le jugement rendu par la CSC dans l’arrêt Suresh, en 2002) applicables aux termes de la section 9 de la LIPR? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 66 et 67; 75)

7d) Les faits eu égard au danger peuvent-ils être établis selon la norme de preuve des motifs raisonnables de croire ou la Cour doit-elle suivre la norme de preuve de la prépondérance des probabilités?

7e) Si les conclusions de fait eu égard au danger peuvent être rendues selon la norme de preuve des motifs raisonnables de croire, le critère appliqué en l’espèce, selon lequel le juge Brown a adopté et appliqué le critère appliqué auparavant par le juge Noël voulant que la décision de savoir si une personne est une menace pour la sécurité du Canada doive « repos[er] sur des soupçons objectivement raisonnables et être évaluée selon la norme des motifs raisonnables de croire » (aux paragraphes 67 et 75 de la décision du 20 juillet 2016 du juge Brown et paragraphe 53 de la décision du 30 octobre 2015 du juge Noël), est-il le mauvais critère en ce qu’il constitue un critère inférieur à celui de la norme des motifs raisonnables de croire (MRC)?

8i La loi est-elle imprécise et de portée excessive au sens qu’elle permet l’imposition de conditions de remise en liberté par notre Cour au seul motif qu’il y a des motifs raisonnables de croire, fondés sur des soupçons objectivement raisonnables, à l’existence d’un danger ou d’une menace pour la société canadienne, même en présence d’une ordonnance niant l’existence d’un danger actuel pour la sécurité nationale et lorsqu’une telle menace à la sécurité nationale liée à cette même personne (ou faits) a été dite inexistante dans un rapport récent et à jour du SCRS? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 à 67, 75 et 78)

8ii La loi contrevient-elle à la Charte et aux principes de justice fondamentale en permettant une atteinte à la liberté et une détention arbitraires au seul motif qu’il y a des motifs raisonnables de croire, fondés sur des soupçons objectivement raisonnables, à l’existence d’un danger ou d’une menace pour la société canadienne, même en présence d’une ordonnance niant l’existence d’un danger actuel pour la sécurité nationale et lorsqu’une telle menace à la sécurité nationale liée à cette même personne (ou faits) a été dite inexistante dans un rapport récent et à jour du SCRS? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 à 67, 75 et 78)

8iia) La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte, par son application, son interprétation ou ses effets, car elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires s’il existe des conclusions de fait démontrant l’existence d’un danger selon le fardeau de preuve des motifs raisonnables de croire, plutôt que selon le fardeau de preuve appropriée de la « prépondérance des probabilités »?

8iib) Subsidiairement, s’il est constitutionnel que les conclusions de fait soient établies selon le fardeau de preuve des motifs raisonnables de croire, la loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet aux tribunaux de déterminer si une personne est une menace pour la sécurité du Canada selon le critère légal reposant sur « des soupçons objectivement raisonnables et [devant] être évalués selon la norme des motifs raisonnables de croire », soit une norme inférieure à celle des motifs raisonnables de croire? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 67 et 75 et au paragraphe 53 de la décision du 30 octobre 2015 du juge Noël)

8iv La loi a-t-elle un effet discriminatoire sur les non-citoyens au sens qu’elle permet la détention ou l’imposition de conditions selon une norme de preuve inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, laquelle est exigée pour les citoyens dans des situations semblables (par exemple, aux termes de l’article 810.011 du Code criminel), et sans tenir une véritable audience de novo?

[43] Ces questions se chevauchent et peuvent être résumées sous une même question : l’évaluation d’un danger dans le cadre d’un contrôle d’une détention ou, comme en l’espèce, des conditions de mise en liberté, se fait-elle selon la norme des motifs raisonnables de croire (ce que le demandeur a exprimé comme « MRC »), ou la détermination est-elle fondée sur la norme, plus élevée, de la prépondérance des probabilités? À mon humble avis, il ne s’agit pas d’une question digne de certification, car elle a déjà été tranchée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui I, au paragraphe 39 :

39 Premièrement, le libellé de la LIPR et la norme de contrôle qu’elle établit justifient que le juge désigné joue un rôle actif. La loi exige que les juges désignés décident du « caractère raisonnable » des certificats et insiste sur l’examen minutieux des faits en donnant instruction au juge de rendre sa décision « compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose » (par. 80(1)). Ces termes, ainsi que leur contexte factuel, juridique et administratif, mènent à la conclusion que le juge désigné doit examiner le certificat selon la norme du caractère raisonnable. De même, comme la décision des ministres de détenir un résident permanent est fondée sur « des motifs raisonnables de croire » (par. 82(1)), « [i]l est logique de penser que lors de révisions subséquentes par un juge désigné, la même norme sera utilisée » (Charkaoui (Re), [2005] 3 R.C.F. 389, 2005 CF 248, par. 30). La norme des « motifs raisonnables de croire » exige que le juge se demande s’il existe « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, par. 114. C’est la norme des « motifs raisonnables de croire » que les juges doivent appliquer lorsqu’ils contrôlent le maintien en détention sous le régime des dispositions de la LIPR régissant les certificats. La LIPR n’impose pas une grande retenue au juge désigné, mais l’oblige à procéder à un examen approfondi.

[Non souligné dans l’original.]

[44] En supposant que les arrêts de la Cour suprême du Canada doivent être suivis par les tribunaux inférieurs, les arguments du demandeur voulant que notre Cour doive rejeter la norme des motifs raisonnables de croire approuvée par la Cour suprême n’ont aucun fondement. À ce titre, le passage suivant de la décision précitée est pertinent :

De même, comme la décision des ministres de détenir un résident permanent est fondée sur « des motifs raisonnables de croire » (par. 82(1)), « [i]l est logique de penser que lors de révisions subséquentes par un juge désigné, la même norme sera utilisée » (Charkaoui (Re), [2005] 3 R.C.F. 389, 2005 CF 248, par. 30).

[45] À mon humble avis, étant donné que le plus haut tribunal de notre pays a estimé que les décisions relativement aux contrôles de détention sont fondées sur la norme des « motifs raisonnables de croire », je ne suis pas convaincu qu’une norme différente devrait être appliquée aux contrôles des conditions de mise en liberté. Je ne vois pas en quoi le critère devrait être différent. Cette opinion est renforcée par le fait que la Cour suprême du Canada a récemment réitéré son approbation du même régime législatif dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, au paragraphe 4.

[46] Le demandeur soutient qu’un tribunal peut uniquement établir des faits selon la prépondérance des probabilités, et non selon les motifs raisonnables de croire ou de soupçonner et que ni l’une ni l’autre des deux dernières normes ne sauraient être utilisées pour asseoir des décisions relativement à des conditions de mise en liberté. Cet argument a été mis de côté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, à deux égards. D’abord, la Cour suprême a approuvé l’utilisation de la norme des motifs raisonnables de croire, et l’a fait en mentionnant précisément le concept des soupçons de la façon suivante (au paragraphe 114) :

[…] La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

[47] Deuxièmement, la Cour suprême a indiqué :

116 Pour l’application de la norme des « motifs raisonnables [de penser] », il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de fait : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), p. 311. Dans la présente affaire, elle s’applique pour décider si M. Mugesera a prononcé le discours en cause et pour établir le contenu du message communiqué par celui‑ci et son contexte. Par contre, lorsqu’il s’agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d’un crime contre l’humanité, la question devient une question de droit. Le règlement d’une question de droit n’est pas assujetti à la norme des « motifs raisonnables [de penser] », car l’existence de simples motifs raisonnables de penser que le discours pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité ne suffit pas pour satisfaire au critère juridique applicable à la perpétration d’un tel crime. Les faits établis selon la norme des « motifs raisonnables [de penser] » doivent prouver que le discours constituait un crime contre l’humanité.

[Non souligné dans l’original.]

[48] La Cour suprême, comme l’indique le passage souligné précédemment, a jugé que la norme des « motifs raisonnables de croire » ne s’appliquait qu’aux questions de fait. Le demandeur soutient le contraire.

[49] En guise d’argument subsidiaire, étant donné les décisions de la Cour suprême du Canada ayant pour effet de contraindre notre Cour, le demandeur propose que celles-ci soient mises de côté. Il fonde son argument sur la décision de la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford]. La Cour suprême y établit les conditions dans lesquelles un tribunal inférieur peut faire fi d’un précédent contraignant :

[42] À mon avis, le juge du procès peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne.

[43] L’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights fait valoir que la règle du stare decisis propre à la common law est subordonnée à la Constitution et ne saurait avoir pour effet d’obliger un tribunal à valider une loi inconstitutionnelle. À son avis, une juridiction inférieure ne doit pas s’en tenir au rôle de [traduction] « simple exécutant » qui constitue un dossier et tire des conclusions sans se livrer à l’analyse du droit (m.i., par. 25).

[44] Je partage cet avis. Mais comme le signale aussi l’intervenant, la juridiction inférieure ne peut faire abstraction d’un précédent qui fait autorité, et la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent. Rappelons que, selon moi, le réexamen est justifié lorsqu’une nouvelle question de droit se pose ou qu’il y a modification importante de la situation ou de la preuve. Cette approche met en balance les impératifs que sont le caractère définitif et la stabilité avec la reconnaissance du fait qu’une juridiction inférieure doit pouvoir exercer pleinement sa fonction lorsqu’elle est aux prises avec une situation où il convient de revoir un précédent.

[50] Bien que je reconnaisse que notre Cour pourrait faire abstraction de la jurisprudence antérieure de la CSC dans les dossiers où cela est justifié, je ne suis pas convaincu que le demandeur ait satisfait au critère établi dans l’arrêt Bedford. D’abord, la Cour suprême indique que « la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent ». Deuxièmement, il n’existe aucun fondement réaliste permettant de conclure qu’il y a eu un changement important dans la société ou eu égard au demandeur, comme l’exigent les critères établis dans l’arrêt Bedford. Contrairement à l’arrêt Bedford, il ne s’agit pas en l’espèce d’appliquer un régime législatif adopté il y a 20 ou 25 ans; les arrêts Charkaoui I et Harkat ont tous deux été tranchés au cours de la dernière décennie. Je ne parviens pas à trouver de changements importants dans la preuve.

[51] Le demandeur se fonde sur le fait qu’il soulève de nouvelles questions de droit et, par conséquent, qu’il satisfait au critère de l’arrêt Bedford. Il soutient qu’il soulève des questions non abordées dans l’arrêt Charkaoui I en invoquant le caractère arbitraire et disproportionné et la portée excessive de la section 9 de la LIPR. Il met l’accent sur le caractère arbitraire et la portée excessive de celles-ci et souligne la discussion sur ces sujets aux paragraphes 97 et suivants dans l’arrêt Bedford.

[52] L’arrêt Bedford établit l’évolution aux termes de l’article 7 des doctrines de l’arbitraire, de la portée excessive et de la proportionnalité. Or, je ne suis pas convaincu que les arguments du demandeur formulés aux termes du même article 7 soient si différents qu’ils constituent de « nouvelles questions de droit » en comparaison à celles soulevées dans les arrêts Charkaoui I et Harkat, tel qu’il est envisagé dans l’arrêt Bedford. Par ailleurs, bien que le demandeur fasse également référence à l’article premier et aux articles 9, 10, 12, 13 et 15 de la Charte, ces articles (à l’exception de l’article 13) ont été soulevés et examinés dans les arrêts Charkaoui I et Harkat. Bien que l’article 13 soit soulevé en l’espèce, il est invoqué, à mon sens, à même la revendication d’immunité ou de privilège contre l’utilisation de sa propre preuve et d’un contre-interrogatoire du demandeur, laquelle a été abordée précédemment dans les présents motifs.

[53] Les questions ne satisfaisant pas au critère de l’arrêt Bedford, la situation par défaut s’applique. Conséquemment, je suis tenu d’accepter les réponses données à ces questions par la Cour suprême du Canada. Ainsi, aucune de ces questions ne sera certifiée.

Question 8iii :

8iii La loi contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires sans la tenue d’une véritable audience de novo alors qu’une cour de révision peut maintenir des décisions antérieures, sauf si elle est convaincue que des raisons impérieuses de s’en écarter existent, permettant la perpétuation d’erreurs de droit qui contreviennent au droit à la liberté et à la sécurité d’une personne, hormis le fait de soumettre une question certifiée, permettant la perpétuation d’erreurs de droit?

[54] Le demandeur soulève cette question, mais n’offre aucune loi ou jurisprudence à l’appui de son argument voulant que le contrôle de la détention aux six mois ou, comme en l’espèce, de ses conditions de mise en liberté exige la tenue « d’une véritable audience de novo ». Je partage l’avis des intimés que ces contrôles ont été conçus dans le but de peaufiner les conditions lorsqu’il y a des éléments de preuve dignes de foi démontrant la nécessité d’y apporter des changements : Charkaoui I, aux paragraphes 117 à 123. Plus particulièrement, le paragraphe 117 énonce ce qui suit : « Autrement dit, il faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien-fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention ».

[55] À ce titre, l’arrêt Charkaoui I nous enseigne que les décisions antérieures relatives au danger (« Les motifs de la détention » : Charkaoui I, précité, au paragraphe 111) ainsi que l’historique des contrôles de sa détention et de sa mise en liberté (« Le temps passé en détention », « Les raisons qui retardent l’expulsion », « La durée anticipée du prolongement de la détention » et « L’existence de solutions de rechange à la détention » : Charkaoui I, précité, aux paragraphes 112 à 123), devraient être examinées lorsqu’on évalue le bien fondé de maintenir la détention ou d’imposer des conditions : voir l’arrêt Charkaoui I, aux paragraphes 110 à 122.

Questions 8v(1), 8v(2), 8v(3), 8v(4) :

8v(1) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale et de primauté du droit de permettre à un juge d’exclure sa propre décision d’un appel?

8v(2) Le processus de certification est-il une perversion de la loi et de la primauté du droit au sens qu’il permet à un juge d’autoriser ou non à ce que sa décision puisse être portée en appel et, en l’occurrence, de participer au processus d’appel de sa propre décision dans le cadre du processus de certification?

8v(3) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale et à l’indépendance judiciaire de la Cour d’appel que le Parlement puisse décider, par voie législative, que ce soit la cour inférieure qui détermine les causes pouvant être entendues par la Cour d’appel?

8v(4) Le processus de certification des questions prévu à l’article 82.3 de la LIPR, tel qu’interprété et appliqué par la Cour fédérale (dans Mahjoub (Re) 2016 CF 808 et dans son ordonnance du 8 août 2016) exigeant que la personne désignée soumette ses questions aux fins de certification avant de recevoir sa décision est-il contraire aux principes de justice fondamentale et de primauté du droit au sens qu’il restreint le droit de la personne désignée à interjeter appel de questions graves de portée générale découlant de la décision qu’elle ne peut connaître à l’avance?

[56] Parmi ses questions proposées aux fins de certification et ses questions constitutionnelles, le demandeur attaque la validité des limites du droit d’appel prévu par l’article 82.3 de la LIPR, lequel dispose ce qui suit :

Appel

82.3 Les décisions rendues au titre des articles 82 à 82.2 ne sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

[Non souligné dans l’original.]

[57] Le demandeur soutient que non seulement l’article 82.3 est invalide, mais que l’alinéa 74d) et l’article 79 le sont également, car ils sont presque identiques. Cet article énonce ce qui suit :

Contrôle judiciaire

74 Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

[...]

d) sous réserve de l’article 87.01, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

Appel

79 La décision n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

[58] Le demandeur fonde sa contestation sur de nombreuses prétentions, que je comprends de la façon suivante : d’abord, bien qu’il n’y ait aucun droit constitutionnel permettant d’interjeter appel, si cet appel doit être interjeté, il doit être constitutionnel (ce que j’admets et qui n’est pas contesté). Deuxièmement, l’article 82.3 contrevient à la primauté du droit et aux principes d’indépendance judiciaire, y compris aux principes d’indépendance de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale. Troisièmement, l’arrêt Bedford permet la remise en question de la validité de l’article 82.3, malgré le fait que la Cour d’appel fédérale ait déjà confirmé la validité de celui-ci à deux reprises par le passé (la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre les appels de ces deux décisions). Cependant, je ne suis pas convaincu que ces questions doivent être certifiées, car elles ont déjà été traitées par la Cour d’appel fédérale. De plus, le demandeur ne parvient pas à satisfaire au critère défini dans l’arrêt Bedford.

[59] Examinons d’abord le dernier élément. La Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté les contestations quant à l’inconstitutionnalité de l’article 82.3 à deux reprises : Huynh c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1996] 2 CF 976, (CAF), autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 25379 (24 octobre 1996) [Huynh] (dans laquelle la Cour d’appel fédérale, par la voix du juge Hugessen, a conclu que l’argument reposant sur l’article 15 de la Charte n’avait aucun fondement, et a rejeté de nombreux arguments reposant sur l’article 7 de la Charte); et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huntley, 2011 CAF 273, au paragraphe 11, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 34548 (26 avril 2012) [Huntley] (dans laquelle le juge Evans a refusé les arguments fondés sur l’article 7 de la Charte, indiquant, au paragraphe 11 : « À titre subsidiaire, l’avocat affirme que l’alinéa 74d) est contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Nous ne sommes pas de cet avis. Cette question a été réglée dans l’arrêt Huynh c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1996] 2 CF 976 (CA) ».

[60] Notre Cour devrait suivre les décisions de la Cour d’appel fédérale et rejeter les prétentions du demandeur, malgré l’arrêt Bedford. Cependant, le demandeur soutient qu’il n’est pas lié par ce précédent faisant autorité, car il satisfait au critère de l’arrêt Bedford. Rappelons que la Cour suprême du Canada a jugé que « la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent ». En l’espèce, il s’agit de savoir si le demandeur a démontré l’existence d’un changement important dans les circonstances ou la preuve, ou s’il a soulevé une nouvelle question de droit. En toute déférence, rien au dossier ne montre des changements importants dans les circonstances dans la société ou quant au demandeur. Rien n’indique qu’il y ait eu des changements importants à la preuve; l’arrêt Huntley a été rendu en 2012.

[61] Par conséquent, la seule question qui reste à trancher eu égard à l’arrêt Bedford est celle de savoir si le demandeur a soulevé de nouvelles questions de droit. À mon avis, ce n’est pas le cas. La simple modification du titre apposé sur un argument fondé sur l’article 7 et de quelques virgules pour en faire une question de primauté de droit ne suffit pas, car le fondement de la contestation est le même : les juges ne devraient pas être en mesure d’écarter leurs décisions du processus de contrôle. C’est le même argument déposé, puis rejeté par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Huynh et Huntley. Dans les deux instances, la Cour suprême a refusé d’accorder l’autorisation d’interjeter appel. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une nouvelle question de droit.

[62] En outre, je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur voulant qu’un juge de la Cour fédérale, lorsqu’il décide ou non de certifier une question, interfère avec l’indépendance de la Cour d’appel fédérale, car, comme le demandeur le soutient, la Cour d’appel fédérale devrait être en mesure de trancher, à sa discrétion, les dossiers qu’elle entend. Le demandeur affirme que [traduction] « chaque cour d’appel devrait pouvoir décider des dossiers qu’elle entend ». Cet argument est contredit par le principe accepté par le demandeur voulant qu’il n’y ait aucun droit d’appel; en outre, il équivaut à dire qu’il existe un droit d’appel constitutionnel reposant sur le pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’appel. En outre, cette prétention ne repose sur aucune jurisprudence. L’argument du demandeur voulant que l’article 82.3 interfère avec l’indépendance de notre Cour n’est également pas appuyé par la jurisprudence.

[63] En somme, je ne suis pas convaincu que les questions proposées devraient être certifiées. J’ai soupesé les différentes questions constitutionnelles présentées à même les présents motifs. En outre, la présente cause se rapproche à bien des égards de ce passage du juge Pelletier dans l’arrêt Varela, où le demandeur a présenté « une ‘longue liste’ de questions qui peuvent ou non satisfaire au critère prévu par la loi. Dans le cas qui nous occupe, aucune des questions proposées ne répond à ce critère ».

[64] En conséquence, la requête sera rejetée.

VI. Conclusion

[65] J’ai examiné le dossier du demandeur et décidé de ses conditions de mise en liberté, lesquelles figurent dans mon ordonnance sur les conditions de mise en liberté du 20 juillet 2016. Le demandeur n’ayant soulevé aucune question grave de portée générale, aucune ne sera certifiée.

VII. Dépens

[66] Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé des dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit :

  1. La requête visant à certifier des questions graves de portée générale est rejetée.

  2. Les réponses aux questions constitutionnelles du demandeur figurent dans les motifs.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juillet 2020

Lionbridge

ANNEXE A

Questions proposées aux fins de certification par le demandeur le 29 juillet 2016

Question 1 :

Quelle est la nature de la menace à la sécurité du Canada devant être démontrée aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR?

a) Peut-on conclure à l’existence d’un danger ou d’une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR lorsque le SCRS a conclu le contraire dans un rapport, mettant à jour ses anciens rapports sur lesquels reposent les décisions antérieures de la Cour fédérale dans ses contrôles de la détention? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 et 78)

b) La définition d’une menace à la sécurité du Canada figurant dans la Loi sur le SCRS est-elle différente de celle d’un danger devant être neutralisé aux termes du paragraphe 82(5) de la LIPR? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 et 78)

c) En plus de l’existence du rapport du SCRS témoignant de l’absence de menace, l’ordonnance sur le caractère raisonnable du certificat (et la preuve à l’appui), lequel est fondé essentiellement sur des faits précédant de 20 ans les présentes, nommément des contacts antérieurs et des inférences d’adhésion antérieures à des organisations terroristes en raison desdits contacts, et concluant à l’absence d’activités terroristes peut-elle être considérée comme une preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace à neutraliser aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR ou peut-elle justifier l’imposition de conditions? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 9, 26 et 27, 79, 92, 96 à 98); s’agit-il d’une peine cruelle et inusitée selon l’article 12 de la Charte?)

d) Un danger ou une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR peut-il être démontré ou être assujetti à des conditions imposées conformément aux décisions rendues par la Cour fédérale sur le caractère raisonnable ou les contrôles de la détention annulées par l’arrêt Charkaoui c Canada, [2007] ACS no 9 et C3, y compris des décisions antérieures rendues relativement à la crédibilité en lien avec les admissions et la preuve produite durant un témoignage (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 57, 84, 87, 93, 99 et 100 et la question 3(c))?

e) Est-il approprié qu’un juge, effectuant un contrôle de la détention aux termes de la section 9 de la LIPR, procède en raison de l’existence d’un danger réduit, seulement en raison de l’existence des conditions, sans aucune preuve à cet effet? S’agit-il d’une conjecture inacceptable? Est-ce aussi inacceptable qu’illogique? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 76, 77, 79, 95 et 102)

Question 2 : Recours aux décisions antérieures dans l’établissement des faits

  • a) Les conclusions d’un juge quant à la crédibilité figurant dans une décision antérieure, subséquemment annulée, peuvent-elles être utilisées par un autre juge pour évaluer la crédibilité? (Voir Motifs, aux paragraphes 23, 52 et 57 (juge Noël, au paragraphe 6))?

  • b) Un juge peut-il effectuer un contrôle de la détention aux termes de la section 9 de la LIPR en se fondant sur les conclusions et les décisions rendues dans le cadre de l’ancien régime, lequel a depuis été déclaré inconstitutionnel? (Voir Motifs, paragraphes 57 (juge Noël, aux paragraphes 7 à 9) et 72 (juge Noël, aux paragraphes 80 et 81))

Question 3 : Contre-interrogatoire relativement à la preuve produite devant le juge Nadon

a) Est-ce contraire aux articles 7 et 13 de la Charte de permettre un contre-interrogatoire sur un affidavit produit en preuve dans le cadre d’une procédure inconstitutionnelle dans le but d’attaquer ultérieurement la crédibilité du témoin dans un contrôle de la détention?

b) Le raisonnement utilisé pour permettre un tel contre-interrogatoire constitue-t-il un manquement au droit au silence ou au recours à l’immunité prévue par l’article 7 de la Charte et à la Loi sur la preuve au Canada au motif qu’il s’agit d’une procédure fondée sur la LIPR contraire aux décisions faisant autorité, nommément les arrêts Bagri, Charkaoui I, Charkaoui II et Harkat?

c) Subsidiairement, si un tel contre-interrogatoire est légal quant aux questions de crédibilité (voir Motifs : aux paragraphes 83 à 86), la preuve issue de celui-ci peut-elle être utilisée à titre de preuve substantielle de l’existence d’un risque? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 56, 93 à 96)

d) S’agit-il d’une erreur de droit ou de principe de parvenir à des conclusions défavorables quant aux faits et de conclure à l’existence d’un risque à la suite d’un tel contre-interrogatoire, des objections soulevées durant le contre-interrogatoire et de l’exercice du droit au silence? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 81, 87 à 89, 91, 93, 103 et 104)

Question 4

Un juge effectuant un contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR alors qu’un appel est en instance doit-il examiner le bien-fondé de l’appel pour assouplir les conditions ou remettre la personne désignée en liberté en attendant l’appel? (Voir Motifs, aux paragraphes 45, 51, 98 et 114 à 116)

Question 5

Un juge effectuant un contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR devrait-il tenir compte du fait que la personne est un réfugié au sens de la Convention? (Voir Motifs, aux paragraphes 46, 53 et 106 et 107)

Question 6

Les facteurs appliqués par le juge Noël et adoptés par la Cour sont-ils appropriés au contrôle d’une détention aux termes de la section 9 de la LIPR par contraste aux facteurs définis par la CSC dans l’arrêt Charkaoui I? (en règle générale, au paragraphe 70) (plus précisément, aux paragraphes 71 à 116)

Question 7 : Seuil pour démontrer l’existence d’un danger

a) La preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace devant être neutralisée aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR doit-elle être démontrée selon la prépondérance des probabilités afin de permettre l’imposition de conditions? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, au paragraphe 75)

b) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale de fonder la détermination d’une menace à la sécurité nationale sur la norme des MRC? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, au paragraphe 75)

c) La définition de menace à la sécurité nationale fondée sur la norme des MRS est-elle contraire aux principes de justice fondamentale (selon le jugement rendu par la CSC dans l’arrêt Suresh, en 2002) applicables aux termes de la section 9 de la LIPR? (Voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 66 et 67; 75)

d) Les faits eu égard au danger peuvent-ils être établis selon la norme de preuve des motifs raisonnables de croire ou la Cour doit-elle suivre la norme de preuve de la prépondérance des probabilités?

e) Si les conclusions de fait eu égard au danger peuvent être rendues selon la norme de preuve des motifs raisonnables de croire, le critère appliqué en l’espèce, selon lequel le juge Brown a adopté et appliqué le critère appliqué auparavant par le juge Noël voulant que la décision de savoir si une personne est une menace pour la sécurité du Canada doive « repos[er] sur des soupçons objectivement raisonnables et être évaluée selon la norme des motifs raisonnables de croire » (aux paragraphes 67 et 75 de la décision du 20 juillet 2016 du juge Brown et paragraphe 53 de la décision du 30 octobre 2015 du juge Noël), est-il le mauvais critère en ce qu’il constitue un critère inférieur à celui de la norme des motifs raisonnables de croire (MRC)?

ANNEXE B

Questions graves de portée générale qui permettraient de régler l’appel et qui transcendent les faits de l’espèce et, à ce titre, les questions proposées aux fins de certification découlant des questions constitutionnelles soulevées dans la présente requête :

(8) L’article 79, les alinéas 82(5)a) et b) et l’article 82.3, seuls ou en combinaisons avec les articles 33, 77 et 85.6 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) sont-ils inconstitutionnels et invalides, car ils contreviennent à l’alinéa 2b) et aux articles 7, 8, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ainsi qu’aux principes constitutionnels non écrits de primauté du droit et de l’indépendance judiciaire, de la façon suivante :

a) en accordant un pouvoir discrétionnaire dans l’imposition de conditions fondé sur un seuil contraire à la justice fondamentale et ayant un effet discriminatoire sur les non-citoyens (articles 7, 8, 9, 12 et 15 de la Charte);

b) en omettant de prévoir une protection contre la détention arbitraire (articles 7 et 9 de la Charte);

c) en enfreignant le droit d’être entendu en public (alinéa 2b) et article 7 de la Charte);

d) en enfreignant le droit à un procès juste (article 7 de la Charte); et

e) en fixant des conditions préalables obligatoires inconstitutionnelles relativement au droit d’appel en exigeant la certification;

Plus précisément :

i. La loi est-elle imprécise et de portée excessive au sens qu’elle permet l’imposition de conditions de remise en liberté par notre Cour au seul motif qu’il y a des motifs raisonnables de croire, fondés sur des soupçons objectivement raisonnables, à l’existence d’un danger ou d’une menace pour la société canadienne, même en présence d’une ordonnance niant l’existence d’un danger actuel pour la sécurité nationale et lorsqu’une telle menace à la sécurité nationale liée à cette même personne (ou faits) a été dite inexistante dans un rapport récent et à jour du SCRS (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 à 67, 75 et 78)?

ii. La loi contrevient-elle à la Charte et aux principes de justice fondamentale en permettant une atteinte à la liberté et une détention arbitraires au seul motif qu’il y a des motifs raisonnables de croire, fondés sur des soupçons objectivement raisonnables, à l’existence d’un danger ou d’une menace pour la société canadienne, même en présence d’une ordonnance niant l’existence d’un danger actuel pour la sécurité nationale et lorsqu’une telle menace à la sécurité nationale liée à cette même personne (ou faits) a été dite inexistante dans un rapport récent et à jour du SCRS (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 65 à 67, 75 et 78).

iia) La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte, par son application, son interprétation ou ses effets, car elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires s’il existe des conclusions de fait démontrant l’existence d’un danger selon le fardeau de preuve des motifs raisonnables de croire, plutôt que selon le fardeau de preuve appropriée de la « prépondérance des probabilités »?

iib) Subsidiairement, s’il est constitutionnel que les conclusions de fait soient établies selon le fardeau de preuve des « motifs raisonnables de croire », la loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet aux tribunaux de déterminer si une personne est une menace pour la sécurité du Canada selon le critère légal reposant sur « des soupçons objectivement raisonnables et [devant] être évalués selon la norme des motifs raisonnables de croire », soit une norme inférieure à celle des motifs raisonnables de croire (Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 67 et 75 et paragraphe 53 de la décision du juge Noël du 30 octobre 2015)?

iii. La loi contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires sans la tenue d’une véritable audience de novo, alors qu’une cour de révision peut maintenir des décisions antérieures, sauf si elle est convaincue que des raisons impérieuses de s’en écarter existent, permettant la perpétuation d’erreurs de droit qui contreviennent au droit à la liberté et à la sécurité d’une personne, hormis le fait de soumettre une question certifiée, permettant la perpétuation d’erreurs de droit?

iiia) La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive et contrevient-elle à la Charte au sens qu’elle permet une perte de liberté et une détention arbitraires malgré l’existence d’un rapport du SCRS (émis le 14 janvier 2016) faisant état de l’absence de menace, et autorise, par son application, son interprétation ou ses effets, qu’une décision ayant conclu au caractère raisonnable d’un certificat de sécurité constitue la preuve de l’existence d’un danger ou d’une menace aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR et permette l’imposition de conditions de mise en liberté à une personne désignée, en violation des articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 9, 26 et 27, 79, 92 et 96 à 98)

iiib) La loi est-elle imprécise et trop vague et contrevient-elle à la Charte dans la mesure où elle permet, par son application, son interprétation ou ses effets, de conclure à l’existence d’un danger, conformément à l’alinéa 82(5)b) de la LIPR et à l’imposition de conditions fondées sur une décision de la Cour fédérale quant au caractère raisonnable ou des décisions de contrôle de la détention annulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9 et la loi C-3 (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 57, 93, 84, 87, 93, 99 et 100)?

iiic) La loi contrevient-elle à la Charte, par son application, son interprétation ou ses effets, en permettant une atteinte arbitraire à la liberté ainsi qu’une détention arbitraire en autorisant la Cour de révision à s’appuyer sur les conclusions et les décisions antérieures, y compris les décisions quant à la crédibilité, rendues dans le cadre du régime législatif antérieur et déclaré inconstitutionnel?(voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 52, 57 et 72 et Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, aux paragraphes 6 à -9 et 80 et 81).

iiid) La loi est-elle, dans son application, son interprétation et ses faits, injuste et contrevient-elle aux articles 7 et 13 de la Charte, y compris au droit au silence ou à l’immunité prévue par l’article 7 de la Charte et de la Loi sur la preuve au Canada, et contraire aux décisions faisant autorité, nommément l’arrêt Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re) (Bagri), [2004], ACS no 40, Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9, Charkaoui c Canada, 2008 CSC 38 et Canada c Harkat, 2014 CSC 37, au sens qu’elle permet une atteinte arbitraire à la liberté ainsi qu’une détention arbitraire en permettant à la cour de révision de contre-interroger la personne relativement à la preuve soumise dans le cadre d’une procédure inconstitutionnelle dans le but d’attaquer ultérieurement la crédibilité du témoin dans un contrôle de la détention?

iiie) Subsidiairement, si un tel contre-interrogatoire est constitutionnel eu égard aux questions de crédibilité, la loi est-elle imprécise et de portée excessive ou contrevient-telle à la Charte, au sens qu’elle permet une atteinte à la liberté et une détention arbitraires, en autorisant, dans son application, son interprétation et ses effets, l’utilisation d’éléments de preuve issus de contre-interrogatoires en guise de preuve substantielle quant au risque aux termes de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR; ou du recours à des objections au cours de tels contre-interrogatoires; ou de l’exercice du droit au silence, pour parvenir à des conclusions défavorables quant aux faits et de conclure à l’existence d’un risque aux termes du paragraphe 82(5) de la LIPR?

iv. La loi a-t-elle un effet discriminatoire sur les non-citoyens au sens qu’elle permet la détention ou l’imposition de conditions selon une norme de preuve inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, laquelle est exigée pour les citoyens dans des situations semblables (par exemple, aux termes de l’article 810.011 du Code criminel), et sans tenir une véritable audience de novo?

iva). La loi, et plus particulièrement le paragraphe 82(5) de la LIPR, est-elle imprécise et de portée excessive au sens qu’elle permet de définir un danger devant être neutralisé aux termes du paragraphe 82(5) de la LIPR selon une interprétation différente de la définition de menaces à la sécurité du Canada selon la Loi sur le SCRS (voir Mahjoub (Re) 2016 CF 808, paragraphes 65 et 78)?

ivb). La loi a-t-elle un effet inconstitutionnel permettant à la Cour d’utiliser des conclusions d’un juge quant à la crédibilité issues d’un jugement antérieur annulé tout en déclarant avoir évalué la crédibilité de cette personne lors d’un contrôle ultérieur de sa détention ou de sa mise en liberté (voir Mahjoub (Re), 2016 CF 808, aux paragraphes 23, 52 et 57 et Mahjoub (Re), 2015 CF 1232, au paragraphe 6).

ivc). La loi est-elle imprécise et d’une portée excessive ou contrevient-elle à la Charte dans son application, son interprétation ou ses effets en permettant au juge siégeant en révision d’une décision d’appliquer des facteurs autres que ceux établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9 et de ne pas tenir compte d’autres facteurs pertinents, comme le statut de réfugié au sens de la Convention de la personne désignée et le bien-fondé d’un appel en attente interjeté eu égard aux questions soulevées et classées comme des éléments de preuve au dossier, pour assouplir les conditions ou libérer la personne désignée dans l’attente de l’appel (voir en général le paragraphe 70, et en particulier les paragraphes 45 et 46, 51, 53 et 71 à 116 de la décision Mahjoub (Re), 2016 CF 808).

v. Les conditions préalables au droit d’appel, restreignant la certification d’une question au même juge, permettent-elles la perpétuation d’erreurs de droit d’un contrôle des conditions à un autre et enfreignent-elles les principes d’équité et d’impartialité, mettant ainsi en péril les droits garantis par l’article 7 de l’appelant, contrairement aux principes de justice fondamentale et aux principes constitutionnels non écrits de primauté du droit et d’indépendance judiciaire? Bien que le droit d’appel soit prévu par la loi, lorsqu’il touche des droits visés par l’article 7 (comme en l’espèce), celui-ci ne peut être édicté d’une façon qui contrevient aux principes de justice fondamentale, de primauté du droit ou d’indépendance judiciaire (NS Pharmaceutical (CSC); Faranacci (CAO); Vriend (CSC); Chaoulli (CSC)). Plus précisément :

1) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale et de primauté du droit de permettre à un juge d’exclure sa propre décision d’un appel?

2) Le processus de certification est-il une perversion de la loi et de la règle de droit au sens qu’il permet à un juge de permettre ou non que sa décision puisse être portée en appel et, en somme, de lui permettre de participer au processus d’appel de sa propre décision dans le cadre du processus de certification?

3) Est-ce contraire aux principes de justice fondamentale et à l’indépendance judiciaire de la Cour d’appel que le Parlement puisse décider, par voie législative, que ce soit la cour inférieure qui détermine les causes que la Cour d’appel peut entendre (arrêts de la CSC : Renvoi : Juges de la Cour provinciale; Beauregard; Mackin et Imperial Tobacco)?

4) Le processus de certification des questions prévu à l’article 82.3 de la LIPR, tel qu’interprété et appliqué par la Cour fédérale (dans Mahjoub (Re) 2016 CF 808 et dans son ordonnance du 8 août 2016) exigeant que la personne désignée soumette ses questions aux fins de certification avant de recevoir sa décision est-il contraire aux principes de justice fondamentale et de primauté du droit au sens qu’il restreint le droit de la personne désignée à interjeter appel de questions graves de portée générale découlant de la décision qu’elle ne peut connaître à l’avance?


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-7-08

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

[EN BLANC]

ET AFFAIRE INTÉRESSANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en application du paragraphe 77(1) de la LIPR;

[EN BLANC]

ET Mohamed Zeki MAHJOUB [« M. Mahjoub »]

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 1er et 2 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mars 2017

COMPARUTIONS :

Mai Nguyen

Paul Slansky

Pour le DEMANDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

Bernard Assan

Christopher Ezrin

Christopher Crighton

Mahan Keramati

Pour le défendeur

(LE MINISTRE)

Gordon Cameron

AVOCATS SPÉCIAUX

Anil Kapoor

[EN BLANC]

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johanne Doyon

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

Pour le DEMANDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

Paul B. Slansky

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

 

Yavar Hameed

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

(LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE

DE LA PROTECTION CIVILE)

 

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