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Date : 20170502


Dossier : T-1513-16

Référence : 2017 CF 431

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GUY CHARLES FONTAINE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision selon laquelle le demandeur n’était pas admissible au soutien offert dans le cadre du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (programme). La décision, datée du 23 août 2016, a été rendue par Crawford and Company (Canada) Inc (administratrice), l’administratrice tierce du programme.

Résumé des faits

[2]  Le 13 février 1990, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de l’époque a annoncé que le gouvernement fédéral fournissait une somme de 7,5 millions de dollars sous forme de paiements à environ 75 à 100 personnes nées au Canada et dont la mère avait utilisé du Kevadon ou du Talimol, les noms de marque sous lesquels la thalidomide avait été commercialisée, lors de sa grossesse. La thalidomide a causé des dommages aux membres et à d’autres organes externes et internes des enfants nés de mères qui ont pris le médicament lors du premier trimestre de leur grossesse. Le communiqué de presse indiquait qu’au Canada, la thalidomide a été distribuée sous ses noms de marque du 17 juillet 1959 jusqu’à son rappel par le gouvernement le 2 mars 1962. Les victimes de la thalidomide disposaient d’un délai d’un an pour établir leur admissibilité et obtenir cette aide, qui devait compléter les sommes qu’ils recevaient des fabricants du médicament, et dont le versement de paiements ne constituait pas un aveu de responsabilité légale par le gouvernement du Canada.

[3]  Le 10 mai 1990, le gouverneur en conseil a promulgué le décret C.P. 1990-4/872, Décret [traduction] « concernant les paiements à titre gracieux versés aux personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à même des produits sanguins au Canada et aux victimes canadiennes de la thalidomide » (premier décret). Le premier décret permettait à certaines personnes touchées par l’ingestion de la thalidomide par la mère de recevoir deux rétributions monétaires si elle en faisait la demande au ministre de la Santé avant le 14 février 1991. Le 16 décembre 1991, le gouverneur en conseil a promulgué le décret C.P. 1991-7/2543 (deuxième décret) qui modifiait certaines des définitions prévues au premier décret et qui prorogeait rétroactivement le délai pour présenter une demande au 1er septembre 1991.

[4]  Santé Canada a distribué le financement autorisé par les premier et deuxième décrets conformément au [traduction] « Régime d’aide extraordinaire de 1991 pour les victimes de la thalidomide » (RAE de 1991). Le RAE de 1991 exigeait que les demandeurs répondent à un des trois critères d’admissibilité, soit : 1) fournir de l’information vérifiable concernant un règlement à l’amiable avec la société pharmaceutique (premier critère); ou 2) fournir un élément de preuve documentaire (par exemple, dossier médical ou pharmaceutique) que la mère a utilisé de la thalidomide (sous le nom de marque Kevadon ou Talimol) au Canada lors de son premier trimestre de grossesse (deuxième critère 2); ou 3) être inscrit dans la liste tirée du registre gouvernemental des victimes de la thalidomide (troisième critère).

[5]  Le 6 mars 2015, le ministre de la Santé a annoncé un nouveau programme d’aide financière pour contribuer aux besoins immédiats et continus de ceux qui ont été touchés par la thalidomide; les renseignements sur le programme ont été annoncés le 22 mai 2015. Il s’agissait d’un paiement forfaitaire unique de 125 000 $ à chaque victime de la thalidomide, un soutien annuel permanent et la création d’un fonds d’aide médicale extraordinaire. Le programme créait deux catégories de participants admissibles. La première était composée de survivants canadiens de la thalidomide qui ont été indemnisés dans le cadre du RAE de 1991. La deuxième catégorie est composée de « nouveaux » demandeurs qui ont répondu à une des trois exigences d’admissibilité établies dans le RAE de 1991.

[6]  Le demandeur est né le 5 mars 1959. Le 15 octobre 2015, il a communiqué avec Santé Canada pour demander des renseignements sur le programme. Ces renseignements lui ont été envoyés le 27 novembre 2015. Le 19 janvier 2016, l’avocat du demandeur a communiqué avec l’administratrice par courriel en vue de l’informer que le demandeur lui avait dit que la thalidomide avait été donnée à sa mère lorsqu’elle était enceinte du demandeur. Par ailleurs, le fabricant de drogues avait fourni des échantillons de médicaments gratuits à son médecin, et ce, avant l’approbation réglementaire. Le courriel décrivait les déficiences de naissance du demandeur et indiquait que, selon ce que l’avocat comprenait, le demandeur participait à un processus de recommandation à un spécialiste en orthopédie afin de confirmer que ses déficiences étaient liées à l’ingestion de la thalidomide par sa mère. Le 21 janvier 2016, l’administratrice a envoyé une lettre à l’avocat du demandeur dans laquelle il indique les trois critères d’admissibilité.

[7]  Le 25 février 2016, le demandeur a déposé une demande d’admissibilité. Le 4 mars 2016, l’administratrice a communiqué avec l’avocat du demandeur par courriel afin de l’informer qu’un élément de preuve documentaire supplémentaire était nécessaire quant à l’ingestion de thalidomide (sous le nom de marque Kevadon ou Talimol) par la mère du demandeur lors de son premier trimestre de grossesse. Le même jour, l’administratrice a envoyé un courriel au demandeur dans lequel il a indiqué les autres types d’éléments de preuve documentaire qui pourraient être acceptables s’il éprouvait des difficultés à établir l’ingestion de la thalidomide par sa mère. Une lettre de suivi a été envoyée le 12 avril 2016 indiquant que le demandeur devait produire les renseignements supplémentaires au plus tard le 3 mai 2016, y compris l’élément de preuve documentaire de l’une des trois exigences établies dans le RAE de 1991. L’avocat du demandeur a répondu à l’administratrice au moyen d’une lettre le 26 avril 2016 indiquant que le demandeur ne répondait pas aux premier et troisième critères d’admissibilité établis par le RAE de 1991 et que, dans ses circonstances, il était difficile d’obtenir l’élément de preuve documentaire requis par le deuxième critère. L’avocat a demandé une prorogation du délai pour fournir l’évaluation du spécialiste en orthopédie, à défaut de quoi une injonction serait demandée. Le 11 août 2016, l’administratrice a envoyé un courriel à l’avocat pour accuser réception de sa réponse du 26 avril 2016 et pour l’informer que, si la demande de prorogation concernait l’obtention d’un avis médical quant aux raisons possibles des blessures du demandeur, cet avis ne répondrait pas aux critères du RAE de 1991. L’administratrice a demandé à l’avocat de l’informer si d’autres renseignements seraient fournis pour étayer l’admissibilité du demandeur puisque l’administratrice avait franchi l’étape de décision dans le cadre de son examen. L’administratrice a rendu une décision défavorable le 23 août 2016, laquelle fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. L’administratrice a ensuite refusé la demande du demandeur d’examiner de nouveau sa décision.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La lettre de décision de l’administratrice indiquait qu’afin d’être admissible en tant que survivant canadien de la thalidomide dans le cadre du programme, les personnes doivent répondre à un des trois critères établis dans le RAE de 1991 qui ont été reproduits dans la lettre. La lettre indiquait qu’un examen approfondi de la demande d’admissibilité du demandeur et des documents justificatifs avait été effectué. Elle indiquait en outre que toutes les demandes avaient également fait l’objet d’un deuxième examen afin de s’assurer que tous les renseignements fournis avaient été pleinement pris en compte. À la suite de ces deux examens, la demande ne répondait à aucun des trois critères et, par conséquent, le demandeur n’était pas admissible à un soutien dans le cadre du programme. L’administratrice a également indiqué que toutes les décisions sont réputées être définitives.

Questions en litige

[9]  Le demandeur soulève les trois questions en litige suivantes :

  1. L’administratrice a-t-elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité administrative et à la justice naturelle lorsqu’elle a refusé la demande de participation au programme d’indemnisation?

  2. Un tel refus dans les circonstances où le demandeur demandait d’avoir l’occasion de présenter une preuve sous forme d’avis médical constitue-t-il un manquement à l’équité administrative assujetti à un redressement devant la Cour?

  3. La restriction de l’examen des critères déclarés serait-elle déraisonnable et peut-elle faire l’objet d’un recours judiciaire?

[10]  Toutefois, je suis d’avis que, vu les arguments du demandeur, la manière dont le défendeur a formulé les questions est plus appropriée, soit :

  1. Le caractère raisonnable des critères d’admissibilité du programme est-il visé par la portée convenable d’un contrôle judiciaire de la décision de l’administratrice?
  2. La décision du ministre était-elle équitable sur le plan procédural?

Norme de contrôle

[11]  Les parties n’ont fait aucune observation relativement à la norme de contrôle.

[12]  La première question concerne la portée des pouvoirs de la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et non la décision de l’administratrice. En conséquence, aucune norme de contrôle judiciaire ne s’applique à cette question.

[13]  En ce qui concerne la deuxième question, il est bien établi que les questions liées à l’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

Première question en litige : Le caractère raisonnable des critères d’admissibilité du programme est-il visé par la portée convenable d’un contrôle judiciaire de la décision de l’administratrice?

Thèse du demandeur

[14]  À titre de commentaire préliminaire, je précise que les observations écrites du demandeur sont assez difficiles à suivre. Par ailleurs, même s’il a soulevé les trois questions en litige reproduites ci-dessus, ses observations ne suivaient pas ces questions ou n’y répondaient pas de manière claire.

[15]  Essentiellement, il semble suggérer que les critères d’admissibilité du RAE de 1991 étaient déraisonnables. En outre, mais de manière moins claire, il semble soutenir que le fait que sa date de naissance, soit le 5 mars 1959, est antérieure à la date à laquelle le défendeur indique que la thalidomide a été distribuée pour la première fois au Canada, soit le 17 juillet 1959, ne devrait pas constituer un facteur déterminant. À cet égard, le demandeur fait valoir que le défendeur n’avait aucune connaissance de la date exacte à laquelle les préparations commerciales de la thalidomide sont entrées pour la première fois sur le marché canadien et que ce type de renseignement semble être produit par l’industrie. Le demandeur est d’avis que ces renseignements constituent du ouï-dire et qu’ils ne sont pas visés par l’exception relative aux documents opérationnels applicables à la preuve par ouï-dire inadmissible ni par les exceptions relatives aux documents opérationnels prévues par la loi. Il soutient que le fait de se fier aux données de l’industrie suscite des questions liées à l’authenticité, des questions en matière de ouï-dire et des difficultés à examiner les éléments de preuve. Par ailleurs, les questions quant à la responsabilité éventuelle à laquelle étaient confrontés les fabricants de thalidomide au moment de la correspondance visée suggèrent que le motif visant à présenter de manière inexacte la date d’entrée dans le marché canadien ne peut pas être écarté. De plus, vu les lacunes invoquées concernant l’entrée du médicament au Canada, y compris s’il a été distribué sous prétexte d’une commercialisation ou si les médecins l’ont commandé individuellement de sources étrangères, et le témoignage de Mme Cindy Moriarty, une directrice administrative de Santé Canada, en contre-interrogatoire, figurant à son affidavit souscrit le 26 octobre 2016 (affidavit Moriarty), [traduction] « il va de soi que le Canada, par l’intermédiaire de son témoin, reconnaît que la date de naissance ne constitue pas en soi un critère d’indemnisation ».

[16]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a soutenu que, essentiellement, pour des raisons qui sont indépendantes de sa volonté, il lui était impossible d’obtenir l’élément de preuve documentaire requis pour établir son admissibilité en vertu du deuxième critère du RAE de 1991 et les critères étaient déraisonnables puisqu’ils étaient contraires à l’objectif du programme. De plus, puisque l’administratrice a refusé d’accepter sa preuve sous forme d’avis médical prévu, cette décision a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale au motif qu’il n’a pas eu une audition pleine et équitable. Le demandeur s’est fortement appuyé sur Gehl c Canada (Attorney General), 2017 ONCA 319 (Gehl), pour étayer son argument selon lequel la Cour peut examiner le contexte social sous-jacent des critères d’admissibilité pour décider s’ils sont raisonnables et, s’ils sont déraisonnables, la Cour peut déclarer que l’administratrice doit accepter la nouvelle preuve proposée.

Thèse du défendeur

[17]  Le défendeur soutient que les critères d’admissibilité du programme ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le programme n’est pas fondé sur une obligation légale – contractuelle, prévue par la loi ou autrement – de fournir un soutien aux Canadiens touchés par la thalidomide. La décision de la Couronne de fournir un soutien n’est pas non plus exécutée en application d’une loi, d’un règlement ou d’un autre texte législatif. Au contraire, elle était exécutée dans le cadre de l’exercice du pouvoir conféré au ministre par l’article 4 de la Loi sur le ministère de la Santé, LC 1996, c 8 (Loi). Les paiements à titre gracieux visés par le programme sont financés par des sommes déjà affectées à Santé Canada dans le but général de remplir son mandat prévu par la loi. Par conséquent, le programme relève directement de la prérogative de la Couronne sur la dépense des fonds publics.

[18]  La prérogative constitue le pouvoir discrétionnaire de la Couronne qui n’a pas été supplantée par la loi. Elle n’est pas soumise à un contrôle judiciaire, sauf pour ce qui est d’un examen constitutionnel, et il appartient à l’exécutif et non aux tribunaux de décider si des pouvoirs de prérogative doivent être exercés et comment les exercer (Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3, aux paragraphes 34, 36 et 37 (Khadr); Hospitality House Refugee Ministry Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CF 543, au paragraphe 12 (Hospitality House)). Le défendeur fait valoir que le demandeur ne demande pas à la Cour d’examiner la façon dont l’administratrice a appliqué les critères d’admissibilité du programme à sa demande, auxquels il reconnaît ne pas répondre, mais il attaque les critères mêmes et la décision de la Couronne quant à savoir qui touchera les paiements à titre gracieux. Il s’agit d’une attaque à la prérogative de la Couronne sur la dépense des fonds qui ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire (voir Pharmaceutical Manufacturers Assn c British Columbia (Attorney General), [1997] BCJ no 1902 (BCCA)).

[19]  Le défendeur soutient que les critères d’admissibilité du programme échappent au contrôle judiciaire puisqu’ils constituent une décision politique prise par un ministre de la Couronne (Dixon c Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie), [1997] ACF no 985 (CAF), au paragraphe 17 (Dixon), l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée dans [1997] CSCR no 505 (QL)). La sagesse et le caractère raisonnable d’une politique ne sont pas assujettis au contrôle judiciaire (Société canadienne de consultants en immigration c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1435, au paragraphe 103 (Société canadienne de consultants en immigration); Western Grain Elevator Assn c Canada (Procureur général), 2014 CF 337, au paragraphe 37, conf. par 2012 CAF 194, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée dans 2012 CarswellNat 5001 (WL); Jafari c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 CF 595 (CAF), au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c Mercier, 2010 CAF 167, aux paragraphes 75 et 76, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée dans [2010] CSCR no 331 (WL)). Pour ces motifs, l’arrêt Gehl ne s’applique pas.

[20]  En tant qu’exercice de la prérogative de la Couronne sur la dépense des fonds et décision politique ministérielle, les critères d’admissibilité du programme ne relèvent pas de la compétence des tribunaux. Le rôle de l’administratrice était de décider si le demandeur répondait aux critères d’admissibilité et elle n’avait pas le pouvoir d’élargir ou de modifier les critères. La Cour n’a pas compétence pour évaluer les critères choisis par la Couronne ni, comme le demande le demandeur, d’établir de nouveaux critères.

Discussion

[21]  Vu les observations du demandeur, il est peut-être convenable d’observer qu’un contrôle judiciaire vise la légalité, la rationalité et l’équité des procédures appliquées et des mesures prises par des décideurs gouvernementaux, ou en l’espèce, par ses délégués (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, au paragraphe 24; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 28). En l’espèce, la décision visée par le contrôle judiciaire est la décision de l’administratrice dont le rôle consistait à décider si les demandeurs répondaient aux exigences d’admissibilité du programme. L’administratrice n’a pas établi ces critères.

[22]  À cet égard, deux groupes de personnes pouvaient être admissibles au soutien dans le cadre du programme. Le premier était composé de survivants canadiens de la thalidomide qui ont été indemnisés dans le cadre du RAE de 1991. Le deuxième groupe était composé de nouveaux demandeurs qui ont répondu à une des trois exigences d’admissibilité établies dans le RAE de 1991.

[23]  Je reconnais que, dans son affidavit produit pour appuyer la présente demande, le demandeur a déclaré qu’avant de décéder en 1984, sa mère lui avait dit que son médecin lui avait donné des pilules contre la nausée et qu’elle a ensuite fait allusion au fait qu’on lui avait donné de la thalidomide. Par ailleurs, en 1991, le demandeur a communiqué avec M. Cliff Chatterton de l’organisation Amputés de guerre qui avait fait pression pour obtenir le règlement concernant la thalidomide et qui représentait les survivants. Le demandeur soutient que M. Chatterton lui avait dit qu’il était inutile de présenter une demande puisqu’il est né avant que la thalidomide ne soit disponible au Canada. Le demandeur indique qu’il lui avait expliqué que, selon ce qu’il comprenait, les médecins donnaient sans ordonnance des pilules contre la nausée qui comprenaient la thalidomide lors de la grossesse de sa mère et qu’elle lui avait dit qu’elle avait consommé un médicament contenant de la thalidomide et qu’elle en avait ainsi informé les membres de sa famille et de la collectivité. En réponse, M. Chatterton a répété que le demandeur était trop vieux et qu’aucune mesure ne pourrait être prise.

[24]  Toutefois, peu importe la raison pour laquelle il n’a pas présenté une demande en 1991 et si les conseils de M. Chatterton étaient bien fondés ou non, le fait est que le demandeur n’a pas présenté une demande et n’a pas été indemnisé en 1991. En conséquence, il ne pouvait que faire partie du deuxième groupe de personnes qui pourrait être admissible au soutien dans le cadre du programme, soit les nouveaux demandeurs qui devaient répondre à un des trois critères d’admissibilité établis dans le RAE de 1991. Lorsqu’elles ont comparu devant moi, les deux parties se sont entendues pour dire que le fait d’être né après la date connue à laquelle la thalidomide était disponible au Canada ne constituait pas un des trois critères d’admissibilité déclarés. Je n’indiquerai que, même si ce fait peut être implicite selon le deuxième critère, la date de naissance du demandeur ne constitue pas le fondement en fonction duquel l’administratrice a rendu sa décision.

[25]  Dans sa lettre du 26 avril 2016 à l’intention de l’administratrice, l’avocat du demandeur a reconnu que le demandeur ne répondait pas au premier des trois critères du RAE de 1991 puisqu’il n’avait pas touché une somme au titre de règlement versée par une société pharmaceutique. Il ne répondait pas non plus au troisième critère puisqu’il n’était pas inscrit dans la liste tirée du registre gouvernemental des survivants de la thalidomide. En ce qui concerne le deuxième critère, soit fournir un élément de preuve documentaire (par exemple, un dossier médical ou pharmaceutique) que la mère a utilisé de la thalidomide (sous le nom de marque Kevadon ou Talimol) au Canada lors de son premier trimestre de grossesse, l’avocat du demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction]

a)  Le médecin de sa mère, le Dr Claude Murphy, est probablement décédé et, même s’il était vivant, il serait très âgé et, quoi qu’il en soit, il n’était pas inscrit en tant que médecin agréé actuel au Manitoba. Je remarque que, selon ce dont M. Fontaine se souvient, sa mère n’avait pas soupçonné le médicament, elle avait accepté le fait que l’état de santé de son fils était malheureux, qu’elle lui avait dit qu’il avait de la chance de ne pas être comme le fils de son médecin (le médecin avait donné le médicament à son épouse et son fils, Paul, est né sans jambes et sans bras) et, par conséquent, il n’a aucune attente raisonnable à l’égard du fait que le médecin avait consigné l’état de santé de M. Fontaine comme étant rattaché à l’administration de la thalidomide.

De plus, en raison du fait que M. Fontaine a grandi dans une communauté métisse isolée à Saint-Laurent, au Manitoba, il n’y avait aucune pharmacie locale et il n’avait pas accès aux dossiers pharmaceutiques à l’égard de sa mère. Quoi qu’il en soit, nous comprenons que le médecin avait donné la thalidomide avant l’approbation réglementaire officielle du gouvernement, en tant que promotion donnée aux médecins par une société pharmaceutique (pratique promotionnelle dont les organisations de réglementation du gouvernement étaient au courant ou auraient dû être au courant) et non par l’intermédiaire d’une pharmacie. En conséquence, nous nous attendons à ce qu’il n’existe aucun registre des ordonnances pharmaceutiques officiel.

[26]  Au moyen d’un courriel en date du 4 mars 2016, l’administratrice a informé le demandeur que, s’il éprouvait des difficultés à obtenir une preuve de l’ingestion de la thalidomide par sa mère, les documents suivants pouvaient également être considérés comme une preuve acceptable : 1) une copie de l’ordonnance du médecin indiquant que la thalidomide avait été prescrite à la mère de la personne lors du premier trimestre de grossesse; 2) les dossiers de naissance de la personne indiquant que sa mère avait consommé la thalidomide lors de sa grossesse; 3) d’autres dossiers médicaux ou pharmaceutiques indiquant que la thalidomide avait été prescrite à la mère de la personne lors de sa grossesse; ou 4) si aucun dossier n’était disponible, une preuve, sous forme d’affidavit sous serment d’un professionnel de la santé ayant une connaissance directe de l’événement pourrait être acceptable, par exemple le médecin déclarant qu’il avait prescrit la thalidomide à sa mère lors de sa grossesse. Il ressort clairement du dossier que le demandeur n’a pas fourni l’élément de preuve documentaire requis et il n’a pas contredit ce fait.

[27]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne soutient pas que l’administratrice a commis une erreur en appliquant de manière déraisonnable les critères d’admissibilité aux éléments de preuve qu’il a présentés à l’appui de sa demande. Au contraire, il soutient que les critères sont eux-mêmes déraisonnables ou que l’administratrice a commis une erreur lorsqu’elle s’est limitée à l’application de ces critères alors qu’elle aurait dû adopter une approche plus nuancée qui tenait compte du contexte social du programme et du fait qu’il était impossible au demandeur de répondre aux critères précisés.

[28]  Dans son avis de demande, le demandeur demande, entre autres, que la décision de l’administratrice soit annulée et que sa demande soit renvoyée aux fins de nouvel examen en fonction de la directive de la Cour selon laquelle une preuve d’admissibilité valable peut être sous forme d’avis d’un médecin expert que, selon la prépondérance des probabilités, ses blessures correspondent aux conséquences de l’ingestion de la thalidomide par sa mère lors de son premier trimestre de grossesse. Par ailleurs, une déclaration de la Cour selon laquelle, après nouvel examen, tout critère qui n’autorise pas une telle preuve est déraisonnable et est erroné. Le demandeur demande à la Cour de conclure que l’administratrice a limité de manière déraisonnable son évaluation par rapport aux critères du RAE de 1991 et que la Cour crée effectivement un nouveau critère d’admissibilité.

[29]  En conséquence, la Cour doit décider si l’administratrice avait le pouvoir et si la Cour a la compétence de faire ce que demande le demandeur. Pour les motifs suivants, je n’estime pas que l’administratrice pouvait, ni que la Cour peut, offrir le redressement demandé par le demandeur.

[30]  Il ressort clairement du dossier que le programme est fondé sur la compassion, soit de fournir des paiements à titre gracieux aux victimes de la thalidomide. Par exemple, je remarque que, le 22 mai 2015, le ministre a déclaré que le gouvernement, même en l’absence d’une obligation légale de fournir un soutien, avait une obligation morale claire d’aider à répondre aux besoins des survivants de la thalidomide qui sont en constante évolution.

[31]  Par conséquent, le programme constitue un effort humanitaire volontaire. Je n’ai constaté aucune obligation légale découlant d’une loi, d’un contrat ou autrement de fournir ce soutien et le demandeur n’a pas contredit ce fait. L’affidavit Moriarty indique que les paiements à titre gracieux sont financés par le budget existant de Santé Canada, conformément au pouvoir du ministre de promouvoir et de préserver le bien-être physique de la population canadienne en application du paragraphe 4(2) de la Loi. Le défendeur soutient que le programme a été mis en œuvre aux termes d’une prérogative et ne peut donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la Cour.

[32]  En ce qui concerne ce en quoi consiste la prérogative, je précise que, dans l’arrêt Khadr, la Cour suprême du Canada devait décider si le fait que le redressement demandé touchait la prérogative de la Couronne sur les affaires étrangères empêchait d’accorder tel redressement. Elle a défini la prérogative en ces termes :

[34]  La prérogative royale est [traduction] « le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est légalement investie à tout moment » : Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy Upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, p. 272, le juge en chef Duff, citant A. V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution (8e éd. 1915), p. 420. Il s’agit d’une source limitée de pouvoir administratif ne découlant pas de la législation, que confère la common law à la Couronne : Hogg, p. 1‑17.

[33]  La Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Khadr que la prérogative royale en matière d’affaires étrangères n’avait pas été supplantée par la loi et continuait d’être exercée par le gouvernement fédéral. La Cour suprême du Canada a ensuite affirmé qu’il revient à l’exécutif et non aux tribunaux de déterminer si et comment il exercera ses pouvoirs, mais les tribunaux ont compétence pour déterminer si la prérogative royale invoquée par la Couronne existe véritablement et, dans l’affirmative, pour décider si son exercice contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RSC 441 (CSC)), ou à d’autres normes constitutionnelles (Air Canada c British Columbia (Attorney General), [1986] 2 RCS 539 (CSC)).

[34]  Dans Hospitality House, où un décret qui changeait les règles concernant la protection en matière de santé pour les réfugiés parrainés par des organismes du secteur privé a été contesté, la Cour a conclu que le décret avait été édicté aux termes de la prérogative de la Couronne sur l’affectation de fonds et qu’un tel pouvoir n’était susceptible de révision que pour des motifs constitutionnels (au paragraphe 12).

[35]  De même, dans Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651 (Médecins Canadiens), la juge Mactavish a reconnu qu’en l’absence d’une exigence législative, la prérogative de la Couronne était exercée dans le contexte du pouvoir de dépenser. Elle a également indiqué que la prérogative de la Couronne n’est pas à l’abri de tout examen judiciaire puisque l’exercice de la prérogative est soumis à certaines restrictions, il doit relever de la compétence fédérale, il doit être équitable sur le plan procédural et il doit être conforme aux préceptes de la Charte (au paragraphe 402).

[36]  Enfin, je note que, dans Mercier-Néron c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] ACF no 1024 (CF) (Mercier-Néron), la Cour a examiné une décision qui refusait une demande de paiements à titre gracieux versés aux victimes de la thalidomide aux termes du premier décret. Lorsqu’elle a rendu sa décision, la Cour a conclu que l’indemnisation de ces victimes au moyen de paiements à titre gracieux tire son pouvoir habilitant de la prérogative (au paragraphe 14).

[37]  En conséquence, en l’espèce, je conclus, selon ce qui précède, que la décision de la Couronne de verser des paiements à titre gracieux, y compris la stipulation quant aux personnes admissibles à toucher ces paiements en mettant en œuvre des critères d’admissibilité, découle de la prérogative de la Couronne et constitue un exercice de celle-ci. L’exercice de ce pouvoir n’a pas été supplanté par la loi et le demandeur ne soutient pas qu’il doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour des motifs constitutionnels et, comme j’ai conclu ci-dessous, il n’a pas été exercé de manière qui constituait un manquement à l’obligation d’équité procédurale qui lui était redevable. Par conséquent, la Cour ne peut pas l’examiner.

[38]  En outre, tel que cela est indiqué ci-dessus, le demandeur attaque les critères d’admissibilité eux-mêmes. Le demandeur ne soutient pas que l’administratrice a appliqué de manière déraisonnable les critères. Au contraire, il fait valoir que l’administratrice a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas élargi le deuxième critère à l’égard des nouveaux demandeurs afin d’inclure une preuve sous forme d’avis, plutôt que la preuve de l’ingestion de la thalidomide par la mère, ou lorsqu’elle n’a pas créé un nouveau critère à cet égard. Je suis d’avis que l’administratrice n’avait aucun pouvoir de faire ainsi dans les circonstances et qu’elle a appliqué de manière raisonnable la preuve présentée par le demandeur au critère d’admissibilité.

[39]  La Cour n’est pas non plus compétente pour évaluer le caractère raisonnable des critères existants ou pour imposer des critères différents ou nouveaux. En effet, le programme, qui comprend les critères, constitue une décision politique du ministre et n’est pas assujetti à un contrôle judiciaire. Tel que l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dixon, il est bien établi que les tribunaux n’ont pas de droit de regard sur les considérations de politique générale qui motivent les décisions du Cabinet. À moins d’abus de compétence ou de contestation constitutionnelle, il est de droit constant que dans les cas où le Cabinet agit conformément à une délégation valide de pouvoirs par le Parlement, il est comptable de ses décisions au Parlement seul et, à travers celui-ci, au public canadien (Dixon, au paragraphe 17).

[40]  Ce principe est également démontré dans Société canadienne de consultants en immigration, où le juge Martineau a déclaré ce qui suit :

[103]  […] les règlements et les orientations générales du gouverneur en conseil et du ministre ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire sauf en cas d’excès de compétence ou de défaut de se conformer à des exigences législatives ou réglementaires. En d’autres termes, il n’appartient pas au tribunal de juger de la sagesse d’un règlement ou d’une décision d’orientation générale ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences personnelles [...]. Voir Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229 (CAF), au paragraphe 57 et Canada (Procureur général) c Mercier, 2010 CAF 167 (CAF), au paragraphe [sic] 78 et 80. Cette démarche s’accorde parfaitement avec le traitement réservé dans le cas des mesures législatives adoptées par le Parlement ou par une législature (Imperial Tobacco, précité, aux paragraphes 58 à 60).

[41]  Plus récemment, dans Stemmler c Canada (Procureur général), 2016 CF 1299, le juge Gascon a décidé ce qui suit :

[71]  Cela étant dit, je suis d’accord avec le Procureur général pour dire que, peu importe le montant du paiement à titre gracieux en l’espèce, les instruments juridiques et politiques régissant ces paiements ne font pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Comme l’a rendu la Cour dans l’arrêt MacPhail, le contrôle judiciaire de la décision du CEMD « n’englobe pas et ne peut pas englober des questions quant à savoir si la décision liée à la politique du Conseil du Trésor était juste ou raisonnable, ou si l’incidence de la politique sur le demandeur était juste ou injuste » (MacPhail, au paragraphe 10). L’objet du contrôle judiciaire est le caractère raisonnable de l’adjudication du CEMD dans le cadre du grief du Cpl Stemmler. La Cour n’a pas le pouvoir ni l’autorité de décider si le paiement à titre gracieux de 25 000 $ était équitable ou ne l’était pas.

[42]  En l’espèce, le demandeur a attaqué les critères d’admissibilité au motif qu’ils sont fondés sur des données non fiables (il soutient que la thalidomide a été vendue sans être indiquée sur l’étiquette avant sa première distribution au Canada pendant les essais cliniques et il estime que la preuve des dates de la première distribution est douteuse, ce qui permettrait d’expliquer la raison pour laquelle il a été touché par le médicament même s’il est né avant la tenue des premiers essais cliniques), qu’un débat de la Chambre des communes concernant une requête proposant que le gouvernement mette en œuvre un programme pour aider les victimes de la thalidomide établit que l’objet du législateur était de verser des prestations à ces victimes, dont l’objet est indûment prescrit par les critères d’admissibilité exigeants un élément de preuve documentaire auxquels il lui est impossible de répondre, et que les critères de 1991 sont désuets et que, étant donné le temps écoulé, l’avis du médecin expert quant à la cause de ses blessures devrait constituer une autre forme d’élément de preuve documentaire admissible.

[43]  Toutefois, les critères d’admissibilité faisaient partie d’une décision politique visant à mettre en œuvre le programme en vue de fournir un soutien aux victimes de la thalidomide. Peu importe si les critères sont bien-fondés ou non, la question de savoir si la décision liée à la politique était juste ou raisonnable, ou si l’incidence de la politique sur le demandeur était juste ou injuste ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire qui concerne uniquement la décision de l’administratrice. La Cour n’a pas compétence pour examiner le programme ni pour reformuler les critères ou en ajouter. À cet égard, j’ai seulement à ajouter que le demandeur s’appuie à tort sur les exceptions à la règle du ouï-dire, ainsi que sur le débat de la Chambre des communes.

[44]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur s’est fortement appuyé sur l’arrêt Gehl. Dans cette affaire, la demanderesse a soutenu que la preuve qu’elle a déposée aurait dû avoir été acceptée pour établir qu’elle avait le droit d’être inscrite au registre des Indiens aux termes de l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5 (Loi sur les Indiens). La Loi sur les Indiens énonce que le registraire devait déterminer l’admissibilité et le registre a élaboré une politique qui énonce les cinq types de preuve de paternité qui seraient acceptés. Le juge Sharpe de la Cour d’appel de l’Ontario a entrepris une analyse des valeurs consacrées par la Charte et a conclu que, lorsqu’il a appliqué la politique aux circonstances de la demanderesse, le registraire a omis de tenir compte des valeurs susceptibles de promouvoir l’égalité et les objectifs de réparation sous-jacents aux modifications apportées à la Loi sur les Indiens et, par conséquent, sa décision était déraisonnable.

[45]  Les juges Lauwers et Miller souscrivaient à la conclusion, mais ils ont tranché l’affaire en fonction des principes de droit administratif. Ils ont indiqué que la demanderesse avait fourni une preuve circonstancielle permettant d’étayer la conclusion selon laquelle son grand-père paternel avait, selon toute vraisemblance, le droit de s’inscrire (ce qui, à son tour, lui conférait le droit de s’inscrire). Ces juges ont conclu que le registraire avait commis une erreur lorsqu’ils ont appliqué une règle de preuve catégorique qui s’appliquait de manière restrictive en vue de refuser l’inscription et le statut à une personne qui en avait le droit. La demande de preuve d’une identité particulière, dans les cas où seule une preuve circonstancielle de statut d’Indien inscrit d’un ancêtre dont la véritable identité n’était pas connue ou impossible à connaître était déraisonnable puisqu’elle était contraire au but de l’article 6 de la Loi sur les Indiens qui prévoit l’inscription des personnes ayant droit à l’inscription. Le refus était fondé uniquement sur l’incapacité de répondre à une demande de preuve qui n’est pas exigée par la Loi sur les Indiens, qu’il était impossible d’obtenir en raison du temps écoulé et qui était donc déraisonnable.

[46]  Il est facile de voir pourquoi le demandeur a invoqué cette décision. Dans cette affaire, comme en l’espèce, la demanderesse a soutenu qu’elle ne pouvait pas, en raison du temps écoulé, répondre aux critères d’admissibilité prévus. Toutefois, ce qui la distingue de l’espèce est que dans l’affaire qui nous intéresse, le programme, qui comporte les critères d’admissibilité du RAE de 1991, découle d’une décision stratégique du gouvernement. Il ne s’agit pas d’une politique administrative adoptée en vue de réaliser un objectif législatif. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour intervenir, même si, en raison du temps écoulé depuis 1991, les critères existants peuvent parfois exclure des demandeurs ayant des demandes potentiellement valables.

[47]  Le caractère raisonnable des critères d’admissibilité ne constitue pas une question justifiée dans ces circonstances.

Deuxième question en litige : La décision de l’administratrice était-elle équitable sur le plan procédural?

Thèse du demandeur

[48]  Le demandeur soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu la possibilité de plaider à fond sa thèse. Même s’il n’est pas clair, l’argument du demandeur semble être que le manquement découle de l’omission du défendeur d’accepter, dans ses circonstances, un élément de preuve documentaire qui n’est pas conforme aux critères du programme et qu’il avait une attente raisonnable qu’elle soit acceptée.

[49]  Le demandeur fait valoir qu’il est essentiel de comprendre le contexte institutionnel et social du programme aux fins d’une analyse de la question de savoir s’il a fait l’objet d’un traitement équitable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 22 (Baker)). Il soutient que les débats de la Chambre des communes sont admissibles pour démontrer le contexte institutionnel en jeu. Comme le témoignent ces débats, le Parlement a approuvé la requête visant à ce que l’indemnisation tienne compte des omissions pour motifs d’ordre humanitaire et sur le plan réglementaire et que, même si le programme était établi à titre gracieux, les débats suggèrent également que les demandeurs avaient une attente raisonnable de plaider à fond leur thèse. Le demandeur soutient que, bien que le programme de paiement soit à titre gracieux, la surveillance de la cour est possible au moyen d’un mandamus ou d’un certiorari (Martineau c Matsqui Institution, [1980] 1 RCS 602, à la page 624). Par ailleurs, l’administratrice avait l’obligation d’agir honnêtement et équitablement au risque que sa décision soit remise en question au moyen d’un certiorari (Martineau, à la page 621). Le demandeur fait valoir que, dans l’arrêt Baker, l’obligation d’équité procédurale s’applique aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et exige une possibilité valable de présenter les divers types de preuve qui se rapportent à son affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable (au paragraphe 32).

[50]  Le demandeur soutient que, même si le défendeur peut dire que la Cour ne devrait pas remettre en question les critères, les contextes institutionnel et social de cette question indiquent que l’adoption d’un point de vue trop juridique des droits de participation prive le demandeur de plaider à fond sa thèse.

Thèse du défendeur

[51]  Le défendeur interprète les arguments du demandeur concernant l’équité procédurale de la manière suivante : 1) en général, la procédure était [TRADUCTION] « inéquitable » parce que sa demande a été refusée et 2) l’omission de lui accorder une prorogation indéfinie constituait un manquement à l’obligation d’équité.

[52]  Le défendeur soutient que le demandeur ne comprend pas bien l’arrêt Baker. Alors que le demandeur affirme que la décision de l’administratrice concernait un « programme humanitaire » et fait valoir que Baker permet d’affirmer que les décisions administratives « humanitaires » attirent une obligation élevée d’équité procédurale, la référence aux motifs « humanitaires » dans Baker étant un terme législatif applicable uniquement dans les cas d’immigration. Même si l’arrêt Baker permet de déterminer le contenu de l’obligation d’équité dans le cadre d’une décision administrative, en l’espèce, une analyse détaillée de l’arrêt Baker n’est pas nécessaire puisqu’aucune des mesures prises par l’administratrice ne peut être considérée comme injuste sur le plan procédural, peu importe la norme qu’on applique.

[53]  Le défendeur fait valoir que le demandeur avait eu une possibilité valable de présenter les divers types de preuve qui se rapportent à la présente affaire et de les voir évaluer de façon complète et équitable (Baker, au paragraphe 28). Le ministre a déterminé les critères d’admissibilité, lesquels ont été rendus publics et ont été portés particulièrement à l’attention du demandeur dans une lettre qui lui a été envoyée le 27 novembre 2015, dans un courriel envoyé à son avocat le 21 janvier 2016 et dans les directives de la demande d’admissibilité. L’administratrice a ensuite envoyé une lettre au demandeur et l’a invité à présenter l’élément de preuve documentaire manquante le 12 avril 2016. L’avocat du demandeur a répondu à la demande le 26 avril 2016 en reconnaissant que le demandeur ne répondait pas aux critères d’admissibilité et en expliquant la raison pour laquelle il n’y répondait pas. Malgré cet aveu, l’administratrice a présenté une autre demande de renseignements supplémentaires le 11 août 2016. Toutefois, le demandeur n’a pas fourni l’élément de preuve documentaire d’ingestion de la thalidomide par sa mère et, par conséquent, il a été informé qu’il était inadmissible. Le défendeur soutient que, sauf le refus d’une prorogation du délai pendant une période indéfinie, il est difficile de voir comment on pourrait conclure que la décision était inéquitable sur le plan procédural. L’argument écrit du demandeur indique que la plainte liée à l’équité procédurale pourrait avoir trait à son argument selon lequel les critères d’admissibilité sont déraisonnables. Toutefois, cela ne peut pas constituer une iniquité procédurale et le caractère raisonnable des critères d’admissibilité ne relève pas de la compétence des tribunaux.

[54]  En ce qui concerne le refus de la prorogation indéfinie du délai afin d’obtenir un avis médical, il ne suscite pas l’iniquité. Le demandeur a expliqué que son nom était inscrit sur une liste d’attente en vue de consulter un chirurgien orthopédiste et qu’il espérait que le médecin pourrait lui donner un avis selon lequel son état de santé est attribuable à la thalidomide. Le demandeur ne savait pas quand il pourrait consulter un médecin, quand il recevrait l’avis ou si le médecin conclurait que son état de santé était attribuable à la thalidomide. L’administratrice a refusé d’accorder une prorogation en signalant à juste titre que le traitement d’un avis médical indiquant la thalidomide en tant qu’origine vraisemblable de déficiences de naissance ne fait pas en sorte que la personne est admissible au programme. L’avis médical demandé ne serait donc pas utile et l’octroi d’une prorogation indéfinie aurait été inutile. On ne peut dire que l’omission d’accorder une prorogation en vue d’obtenir éventuellement une preuve non pertinente constitue un manquement à l’équité procédurale.

Discussion

[55]  Dans Mercier-Néron, la Cour a conclu que [traduction] « le respect du devoir d’agir équitablement s’impose même lorsque l’État, chargé comme en l’instance de la mise en œuvre d’un programme de paiements à titre gracieux créé par décret, tire son pouvoir habilitant de la prérogative royale. L’exercice de cette fonction peut aussi être contrôlé par les tribunaux » (au paragraphe 14; voir également Médecins Canadiens, au paragraphe 402). Le défendeur reconnaît qu’en l’espèce, il existait une telle obligation, mais il soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à celle-ci.

[56]  Essentiellement, selon l’argument du demandeur, il avait le droit de plaider à fond sa thèse vu les contextes social et institutionnel en jeu. Cela veut dire que, vu l’objectif du programme, il lui était impossible, sans faute de sa part, de fournir l’élément de preuve documentaire requis. Je suis d’avis que, dans la mesure où le demandeur affirme qu’un manquement à l’équité procédurale découle du caractère raisonnable ou équitable des critères eux-mêmes, il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale et, pour les motifs discutés ci-dessus, l’argument ne peut être retenu.

[57]  Le demandeur invoque les débats de la Chambre des communes dans le contexte de l’obligation d’équité au motif que, selon son affirmation, il établit l’intention plus générale du Parlement de rectifier une omission d’ordre humanitaire. Par conséquent, il sert de démontrer que les demandeurs auraient une attente raisonnable de pouvoir plaider à fond leur thèse. Là encore, cet argument ne peut être retenu.

[58]  J’indiquerai d’abord que le demandeur n’a invoqué aucune jurisprudence pour étayer son point de vue selon lequel les débats de la Chambre des communes guident le contenu ou démontrent peut-être l’obligation d’équité voulue qui doit être respectée. Il est vrai que la Cour peut examiner les débats parlementaires en tant qu’aide à l’interprétation des lois. À cet égard, le demandeur invoque Parliamentary Debates in Statutory Interpretation: A Question of Admissibility or Weight?, Beaulac, McGill Law Journal, vol 43, page 288, qui renvoie à R c Morgentaler, [1993] 3 RCS 463, au paragraphe 31, qui énonce que la preuve tirée des débats de la Chambre des communes devrait être admise comme étant pertinente quant au contexte et quant à l’objet du texte législatif, à la condition que le tribunal n’oublie pas que la fiabilité et le poids de cette preuve sont limités. Toutefois, aucune question portant sur l’interprétation d’une loi n’est soulevée en l’espèce. Les critères du programme ne sont prévus à aucun texte réglementaire qui pourrait être clarifié en examinant les débats. Au contraire, tel que je l’ai conclu ci-dessus, c’était le ministre, en vertu de la prérogative de la Couronne, qui a autorisé le programme et les critères faisaient partie d’une décision stratégique.

[59]  Même si je reconnais le point de vue du demandeur selon lequel, lorsqu’il a mis en œuvre le programme, le Parlement n’avait pas l’intention que les critères du RAE de 1991 soient appliqués d’une manière aussi restrictive qui, selon lui, va à l’encontre de l’objectif du programme, cette question concerne véritablement le caractère raisonnable des critères. En outre, les débats de la Chambre des communes, même s’ils étaient admissibles, n’établissent pas un manquement à l’équité procédurale fondée sur une attente légitime selon laquelle le demandeur serait autorisé à présenter une preuve qui ne répond pas aux critères.

[60]  En ce qui concerne l’arrêt Baker, le demandeur ne fait aucune analyse convaincante du contenu de l’obligation procédurale qui lui est redevable aux termes de la décision de la Cour suprême du Canada dans cet arrêt. Et, en ce qui concerne sa référence à la note d’en-tête de Baker indiquant qu’un devoir d’équité procédurale s’applique aux décisions humanitaires, je partage l’avis du défendeur selon lequel le demandeur semble ne pas avoir compris que, dans l’arrêt Baker, le demandeur avait demandé une dispense de l’obligation de demander la résidence permanente à l’étranger, qui était fondée sur des « motifs d’ordre humanitaire », comme le permettait explicitement le paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration, LRC (1985), c I-2 (actuellement le paragraphe 25( 1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27).

[61]  Quoi qu’il en soit, à la lumière des circonstances et vu la trame factuelle de l’espèce et du dossier, il n’y a qu’un seul fondement sur lequel le demandeur peut affirmer qu’il a été privé de l’équité procédurale en raison d’une présumée omission afin de lui permettre de plaider à fond sa thèse. Ce motif concerne le refus de l’administratrice de lui accorder une prorogation jusqu’à ce qu’un avis médical d’un spécialiste en orthopédie prévu soit présenté. C’est devenu la procédure décrite dans le programme et qui a été suivie par l’administratrice et, tel que le défendeur l’a décrit, le demandeur et son avocat ont été clairement informés des critères auxquels il doit répondre et ils ont eu des possibilités d’y répondre. Le demandeur n’attaque pas cet argument.

[62]  Le contexte de la demande de présenter l’avis médical prévu découle de la lettre du 19 janvier 2016 de l’avocat du demandeur à l’intention de l’administratrice qui a joint la lettre d’une infirmière praticienne, datée du 18 décembre 2015 indiquant qu’elle avait acheminé une recommandation au Surgery Program Orthopedic Hip & Knee Central Intake Office de la WRHA [Winnipeg Regional Health Authority (autorité régionale de la santé de Winnipeg)] et que le temps de traitement était inconnu. La lettre du 7 janvier 2016 du coordonnateur de la liste d’attente de la WRHA du programme de chirurgie indiquant que le Surgery Program Hip and Knee Replacement Central Intake Office de la WRHA avait obtenu le questionnaire préalable à la consultation et qu’il avait été attribué au Dr Bohm aux fins de consultation et d’évaluation et que le temps de traitement est de quatre mois avec un temps de traitement de sept mois supplémentaires aux fins des interventions chirurgicales à compter de la date à laquelle il a été décidé que la chirurgie était appropriée et convenue. En ce qui concerne ces pièces jointes, l’avocat du demandeur a indiqué qu’il comprenait que le demandeur était visé par une recommandation à un spécialiste en orthopédie pour confirmer que son état de santé ou que ses déficiences de naissance [traduction] « étaient liés à l’administration de la thalidomide à sa mère et, par conséquent, à M. Fontaine in vitro ». En indiquant qu’il comprenait que l’administratrice avait l’intention de mettre au point les règlements au plus tard le 31 mai 2016, l’avocat du demandeur a indiqué que le choix du moment de la réception de l’évaluation dépendait des professionnels de la santé.

[63]  Diverses lettres ont été échangées et, au moyen d’une lettre datée du 26 avril 2016, l’avocat du demandeur a demandé à l’administratrice de confirmer, le 1er mai 2016 ou vers cette date, une prorogation afin d’obtenir un rapport d’évaluation d’un professionnel de la santé attestant que l’état de santé est attribuable à la thalidomide, à défaut de quoi le demandeur demanderait une injonction.

[64]  Le 11 août 2016, l’administratrice a envoyé un courriel à l’avocat du demandeur pour accuser réception de sa réponse du 26 avril 2016 et pour demander la durée de la prorogation nécessaire pour obtenir l’élément de preuve documentaire supplémentaire qui indiquait ce qui suit :

[traduction]

[E]n ce qui concerne la demande de prorogation, si elle vise à obtenir un avis médical quant à la raison possible des blessures de votre client, malheureusement un avis ne répond pas aux critères de 1991. Veuillez m’informer si vous avez l’intention de présenter des renseignements supplémentaires à l’appui de l’admissibilité de votre client puisque nous sommes rendus à l’étape de décision dans le cadre de l’examen du dossier de votre client.

[65]  Cet examen s’est soldé par une décision défavorable rendue le 23 août 2016.

[66]  En réponse à une demande de réexamen de la décision présentée par l’avocat du demandeur par courriel le 12 septembre 2016, l’administratrice a demandé la date à laquelle l’avocat du demandeur prévoyait obtenir des renseignements supplémentaires, le type de ces renseignements, a répété qu’un avis médical quant à l’origine des blessures du demandeur ne répondrait pas aux critères et a indiqué qu’un examen serait effectué dès la réception de sa réponse et qu’il serait informé si une prorogation serait possible. L’avocat du demandeur a répondu le 12 septembre 2016, indiquant un certain nombre de moyens d’enquête qui étaient en cours d’examen. Le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 14 septembre 2016.

[67]  Le redressement demandé dans l’avis de demande vise uniquement un avis médical. Plus particulièrement, il est demandé qu’on demande à l’administratrice qu’un avis médical, tout bien pesé, indiquant que les blessures du demandeur sont conformes à l’ingestion de la thalidomide par sa mère lors du premier trimestre de sa grossesse, soit accepté en tant que preuve valable d’admissibilité au programme et que l’administratrice soit contrainte de proroger la date de la décision définitive de sa demande, en attendant la réception d’une [traduction] « évaluation d’expert ». Même s’il n’est pas pertinent, j’observe que l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, daté du 2 septembre 2016, n’indique pas que l’évaluation orthopédique a été effectuée ou qu’un rapport avait été rédigé.

[68]  À mon avis, le demandeur en l’espèce a eu la possibilité de plaider à fond sa thèse. Par ailleurs, quoi qu’il en soit, l’administratrice a indiqué clairement qu’un avis d’expert déclarant si l’état de santé du demandeur pourrait être attribuable à la thalidomide ne constituerait pas l’élément de preuve documentaire requis prescrit par le deuxième critère d’admissibilité du REA de 1991. Par conséquent, le refus d’accorder une prorogation indéfinie pour présenter la preuve prévue ne correspond pas à un manquement à l’équité procédurale.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1513-16

 

INTITULÉ :

GUY CHARLES FONTAINE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

Le 24 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

S. Norman Rosenbaum

Pour le demandeur

John Faulhammer

Alexander Menticoglou

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

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