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Date : 20170503


Dossier : T-1203-15

Référence : 2017 CF 438

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DANUSIA KLIMKOWSKI

demanderesse

et

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 1986, Mme Danusia Klimkowski a commencé à travailler pour la défenderesse, Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (CFCP). En 1995, elle s’est blessée à la cheville gauche. Elle n’est retournée au travail qu’en 2001. En 2006, elle s’est de nouveau blessée à la cheville et s’est retrouvée en arrêt de travail jusqu’en 2012. Après avoir commencé à participer à un programme de retour au travail, elle a été congédiée pour un motif valable le 15 août 2013.

[2]  La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (le syndicat) a déposé un grief contestant le congédiement en son nom. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage. En juillet 2014, l’arbitre a confirmé le congédiement et a rejeté le grief. En août 2014, Mme Klimkowski a déposé une plainte (plainte) devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP ou Commission), alléguant que CFCP avait fait preuve de discrimination à son égard.

[3]  Dans une décision en date du 10 juin 2015, la Commission a refusé de traiter la plainte (la décision de la Commission). La Commission a confirmé que la plainte avait effectivement été traitée dans le cadre du processus d’arbitrage, où l’arbitre avait conclu qu’il n’y avait pas eu discrimination et que le congédiement était justifié.

[4]  Mme Klimkowski fait valoir, dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, que cette dernière a commis une erreur de fait et de droit et que le processus était inéquitable. Elle soutient que la Commission a indûment évalué et appliqué l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP].

[5]  Après examen du dossier et des observations orales et écrites présentées par les parties, il m’est impossible de conclure que la Commission a commis une erreur susceptible de révision. La décision était raisonnable et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Questions en litige

[6]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

  2. La décision était-elle raisonnable? Cette question soulève deux questions secondaires :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP;

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était « frivole » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP?

III.  Norme de contrôle

[7]  Il n’est pas controversé entre les parties que les questions d’équité, y compris la question de savoir si un décideur a tenu compte des observations, doivent être examinées à la lumière d’une norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 129 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Carroll c Canada (Procureur général), 2015 CF 287, au paragraphe 23 [Carroll]; Musée canadien des civilisations c Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 CF 247, au paragraphe 40).

[8]  Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2015 CAF 174, au paragraphe 28, le juge Near, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour d’appel fédérale, a conclu que « La norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qui est présumée s’appliquer aux décisions de la Commission qui emportent l’application de normes juridiques prévues dans la LCDP – sa loi constitutive – à un ensemble de faits ». La jurisprudence établit en outre que dans l’exercice de sa fonction de contrôle en application des articles 40, 41 et 44 de la LCDP, cette dernière confère à la Commission « un degré remarquable de latitude » (Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1998] ACF n° 1609, au paragraphe 38, 167 DLR (4th) 432 (CA) [Bell Canada]; voir également Canada (Procureur général) c Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 5; Tsui c Société canadienne des postes, 2010 CF 860, au paragraphe 21).

[9]  J’examinerai donc le caractère raisonnable de la décision de la Commission de ne pas traiter la plainte en fonction de cette norme.

IV.  Rôle de la Commission

[10]  Il sera d’abord utile d’examiner le rôle et la fonction de la Commission dans le processus d’examen préliminaire des plaintes établi aux termes de la LCDP.

[11]  La Commission est constituée en application du paragraphe 26 de la LCDP et se compose d’un président, d’un vice‑président et de trois à six autres commissaires. L’article 32 porte sur la nomination du personnel nécessaire à l’exécution des travaux de la Commission, conformément aux articles 12 et 13 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22.

[12]  Le paragraphe 40(1) de la LCDP dispose, sous réserve de limites et d’exceptions prescrites, que quiconque a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire, au sens de l’article 39, peut déposer une plainte devant la Commission. Le paragraphe 41(1) exige en retour que la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie, mais énumère les motifs prescrits où elle peut décider de ne pas statuer sur une plainte, y compris, aux fins de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, lorsqu’elle estime que la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi (alinéa 41(1)d) de la LCDP).

[13]  Comme il est indiqué au paragraphe 35 de l’arrêt Bell Canada, la Commission exerce des « fonctions d’administration et d’examen préalable » (citant Cooper c Canada (Commission des droits de l’homme), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 58 [Cooper]). Elle ne se prononce pas sur le bien-fondé d’une plainte. La Commission a comme fonction principale de vérifier s’il existe une preuve suffisante pour déterminer si la plainte doit passer à l’étape suivante (Cooper, au paragraphe 53). En l’espèce, cette vérification a pris la forme d’un rapport relatif aux articles 40 et 41 pour aider la Commission à déterminer si elle devrait refuser de statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

V.  Résumé des faits

A.  Circonstances ayant mené au licenciement

[14]  Après avoir subi une entorse grave à la cheville gauche dans un accident du travail en 1995, et après de vaines tentatives de reprendre l’emploi qu’elle occupait avant sa blessure, Mme Klimkowski est retournée au travail en 2001 et a été recyclée en mécanicienne de locomotive. Elle a obtenu cette qualification en 2002-2003, puis elle a commencé son congé de maternité. Elle est demeurée en congé jusqu’en 2005. En 2006, elle s’est de nouveau blessée à la cheville gauche et n’est pas revenue au travail avant 2012, année où elle a entrepris un programme de retour au travail. Ce programme a été suspendu à l’automne de 2012 en raison d’un problème médical connexe. Elle a repris le programme de retour au travail en mai ou en juin 2013.

[15]   En mai 2013, CFCP a reçu des rapports selon lesquels Mme Klimkowski avait été aperçue en train de mener des activités en dehors du lieu de travail qui étaient incompatibles avec ses limites liées à son emploi. À la lumière de ces rapports, CFCP a mené une vidéosurveillance de Mme Klimkowski du 16 mai 2013 au 24 juin 2013. À la suite d’une enquête interne qui s’appuyait sur la vidéosurveillance, Mme Klimkowski a été licenciée au motif qu’elle avait fait des présentations erronées sur ses capacités fonctionnelles.

B.  Arbitrage du grief

[16]  Le syndicat a déposé un grief à l’encontre du congédiement, affirmant qu’il n’avait pas été fait de manière équitable et impartiale. Le syndicat alléguait que le congédiement contrevenait à la convention collective et à la LCDP. Le syndicat a fait valoir que le congédiement allait à l’encontre de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de la déficience de Mme Klimkowski et l’obligation de garantir un environnement de travail exempt de discrimination et de harcèlement. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage, où les questions ont été débattues.

[17]  Voici les observations présentées par le syndicat à l’arbitre : 1) les éléments de preuve obtenus grâce à la vidéosurveillance étaient irrecevables; 2) CFCP avait fait des commentaires faux et diffamatoires à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail [CSPAAT] et ces commentaires constituaient de la discrimination et du harcèlement fondés sur la déficience de Mme Klimkowski; et 3) le congédiement n’était pas justifié, était discriminatoire et contraire à la LCDP.

[18]  CFCP a fait les observations suivantes : 1) les éléments de preuve obtenus grâce à la vidéosurveillance étaient recevables); 2) après sa première blessure, Mme Klimkowski avait fait l’objet de mesures d’adaptation ou l’on avait essayé de le faire; et 3) les actions de l’entreprise ne contrevenaient pas à la LCDP.

[19]   La décision arbitrale a exposé de façon relativement détaillée les antécédents de travail et de blessure de Mme Klimkowski, en mettant un accent précis sur des événements survenus entre mars 2012 et son congédiement, à l’été de 2013. La décision faisait ressortir plus précisément :

  1. Une série de formulaires de capacité fonctionnelle, qui représentent des rajustements et des changements apportés aux restrictions liées à la blessure de Mme Klimkowski, remplis par son médecin au cours de la période allant de mai 2012 à mai 2013;

  2. La correspondance de la CSPAAT au sujet des obligations de Mme Klimkowski pendant qu’elle reçoit des prestations de la CSPAAT;

  3. Des évaluations en milieu de travail menées par des ergothérapeutes en juin 2012, en mars 2013 et en mai 2013, qui ont donné lieu à des recommandations de mesures d’adaptation pour tenir compte des limites de Mme Klimkowski, qui concluaient en mars 2013 [traduction] « […] la plaignante a réussi à démontrer qu’elle pouvait monter et descendre les escaliers de deux locomotives en toute sécurité pendant qu’elle portait (une orthèse pédi-jambière et une attelle pour le bas de la jambe) ».

  4. CFCP était d’avis que Mme Klimkowski avait prolongé son rétablissement et repoussé son retour au travail et qu’à la lumière de rapports d’employés et de la connaissance de demandes de remboursement présentées de façon irrégulière à la CSPAAT, CFCP a recouru aux services d’un enquêteur afin d’entreprendre une vidéosurveillance étalée sur neuf jours, du 16 mai au 24 juin 2013, qui a permis d’obtenir 2 heures 31 minutes de vidéo.

[20]  L’arbitre a pris en compte et rejeté l’argument avancé par le syndicat selon lequel l’enquête menée par CFCP avait été partiale. L’arbitre a ensuite examiné les objections du syndicat concernant l’admissibilité des éléments de preuve obtenus grâce à la vidéosurveillance. L’arbitre a conclu, après examen du dossier dans son ensemble, qu’il aurait été difficile pour CFCP de ne pas soupçonner que Mme Klimkowski avait prolongé son rétablissement et repoussé son retour au travail. L’arbitre a aussi conclu que la surveillance ne constituait pas une atteinte indûment intrusive et que Mme Klimkowski avait confirmé que la vidéo était exacte. L’arbitre a conclu que la vidéo permettait uniquement de conclure que Mme Klimkowski avait fait des présentations erronées sur ses capacités physiques à CFCP et que son congédiement constituait une sanction appropriée.

[21]  Le syndicat n’a pas sollicité un contrôle judiciaire de la décision arbitrale et Mme Klimkowski n’a pas déposé de plainte contre le syndicat relativement au devoir de représentation équitable de ce dernier.

C.  La plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne

1)  Plainte

[22]  Mme Klimkowski a déposé sa plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne en août 2014, alléguant que CFCP avait fait preuve de discrimination à son égard, parce que CFCP avait :

  1. mis fin à son emploi, en contravention des dispositions sur l’emploi de la LCDP;

  2. traité injustement la demanderesse dans le milieu de travail, en contravention des dispositions sur l’emploi de la LCDP;

  3. envoyé des lettres à la CSPAAT et communiqué avec cette dernière de façon discriminatoire et d’une façon qui a poussé la CSPAAT à faire preuve de discrimination à l’égard de la demanderesse;

  4. harcelé la demanderesse en raison de sa déficience et de son sexe.

[23]  L’avocat de Mme Klimkowski a présenté une modification à sa plainte le 14 octobre 2014 (la plainte modifiée). La plainte modifiée comprenait des allégations de discrimination systémique et personnelle fondée sur la déficience et le sexe, ainsi que de harcèlement fondé sur la déficience.

[24]  Le 8 septembre 2014, l’enquêteur de la Commission a informé les parties que l’alinéa 41(1)d) de la LCDP pouvait s’appliquer, puisque les questions relatives aux droits de la personne soulevées dans la plainte avaient peut-être déjà été réglées dans le cadre du processus d’arbitrage. L’enquêteur a informé les parties qu’un rapport relatif aux articles 40 et 41 serait rédigé afin d’aider la Commission à décider si elle devait examiner la plainte. Les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur cette question au plus tard le 15 octobre 2014.

[25]  Dans sa réponse, CFCP a fait valoir que la plainte était en fait vexatoire au sens de la LCDP, puisqu’une [traduction] « […] autre procédure légitime a examiné de manière appropriée essentiellement les mêmes questions et le même contenu de la discrimination alléguée et que la Commission ne devrait donc pas examiner la plainte, conformément aux dispositions de l’alinéa 41(1)d) de la Loi ». CFCP a souligné que le Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2, donne à un arbitre compétence à l’égard de tous les aspects d’un litige, y compris ceux issus des obligations d’une entreprise prévues par la loi. CFCP a soutenu que les questions examinées dans le cadre de l’arbitrage et dans la plainte déposée étaient sensiblement les mêmes et que la demanderesse avait amplement eu l’occasion de soulever toutes les questions relatives aux droits de la personne pendant le processus d’arbitrage.

[26]  Mme Klimkowski a fait valoir que c’était le syndicat, et non elle, qui était chargé du processus d’arbitrage et qu’il n’avait avancé aucun argument ou présenté aucun élément de preuve lié aux questions relatives à la LCDP dans sa plainte et dans sa plainte modifiée. Elle a fait valoir que la décision arbitrale n’abordait que l’équité de l’enquête ayant mené à son congédiement, et pas les questions centrales sous-jacentes à la plainte, qui étaient liées à ses allégations de discrimination systémique et personnelle et de harcèlement fondé sur son sexe et sa déficience.

[27]  Le 16 février 2015, l’enquêteur a présenté aux parties le rapport relatif aux articles 40 et 41 et leur a donné la possibilité de présenter leurs observations en réponse au rapport [rapport relatif aux articles 40 et 41].

1)  Le rapport visé aux articles 40 et 41

[28]  Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a d’abord répondu à la question visant à déterminer si la plainte était vexatoire aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Ce faisant, l’enquêteur a souligné qu’aucun détail ne soutenait les allégations liées au harcèlement et à la discrimination systémique. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 n’aborde pas de façon plus approfondie ces allégations en particulier.

[29]  Dans le rapport relatif aux articles 40 et 41, on indique que l’arbitre était un tiers indépendant et que la décision arbitrale a tenu compte en profondeur de l’emploi de Mme Klimkowski à partir de 2001. L’enquêteur, s’appuyant sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola], a conclu que la Commission est tenue de respecter le caractère définitif des décisions rendues par d’autres décideurs administratifs ayant une compétence concurrente.

[30]  Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a ensuite tenu compte de l’observation de Mme Klimkowski selon laquelle l’arbitre n’avait pas abordé ses allégations relatives aux droits de la personne. L’enquêteur a de nouveau conclu que les allégations de discrimination systémique n’étaient pas suffisamment détaillées. L’enquêteur a conclu que les allégations de harcèlement personnel et de discrimination fondés sur la déficience avaient été abordées dans le cadre du processus d’arbitrage. L’enquêteur a ensuite conclu que les allégations liées au harcèlement personnel et à la discrimination pour des motifs illicites fondés sur le sexe n’avaient pas été directement abordées dans la décision arbitrale. L’enquêteur a toutefois conclu qu’il avait été possible de soulever ces questions pendant l’arbitrage et que les allégations de discrimination fondée sur le sexe étaient liées à la plainte relative à la déficience. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a conclu que l’arbitre avait examiné l’essence de la plainte.

[31]  En tirant cette conclusion, le rapport relatif aux articles 40 et 41 reconnaissait, en s’appuyant sur Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19 [Penner], que lorsqu’un processus a déjà eu lieu, le décideur dans le deuxième processus doit tenir compte des circonstances et décider s’il serait équitable de laisser ce deuxième processus se poursuivre. Ce faisant, il faut déterminer si le premier processus était équitable sur le plan de la procédure. Qui plus est, même si le premier processus avait été équitable, il faut déterminer s’il serait tout de même déraisonnable de s’appuyer sur l’issue du premier processus pour mettre un terme au deuxième processus. À cet égard, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a souligné l’absence de recours pratiques, vu la conclusion de l’arbitre selon laquelle aucune discrimination n’avait eu lieu et le congédiement était justifié.

[32]  Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a conclu que la procédure de grief et que l’arbitrage étaient équitables sur le plan de la procédure et que les questions de Mme Klimkowski liées à la représentation du syndicat ne rendaient pas le processus inéquitable. L’enquêteur a conclu que l’insatisfaction de Mme Klimkowski à l’égard de l’issue ne suffisait pas à obliger la Commission à examiner la plainte. Il a souligné que la Commission n’est pas un organisme d’appel et que la décision liée à la plainte ne fera pas progresser l’objet de la LCDP. L’enquêteur a conclu que l’intérêt de la justice n’exige pas que la Commission examine la plainte. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a déterminé que la plainte était vexatoire, conformément aux dispositions de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, et que l’essence de la plainte avait été examinée dans le cadre du processus de grief et d’arbitrage et que rien ne permettait de croire qu’il serait injuste pour la Commission de refuser d’examiner la plainte.

[33]  Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a aussi déterminé que la plainte, dans la mesure où elle traite de harcèlement et de discrimination fondés sur le sexe, était frivole, conformément aux dispositions de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a conclu qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire que les allégations de discrimination indiquées dans la plainte étaient liées au motif de distinction illicite fondée sur le sexe aux termes de la LCDP.

D.  Décision faisant l’objet du contrôle

[34]  Le 10 juin 2015, le vice-président de la Commission (vice-président) a cité et adopté les conclusions du rapport relatif aux articles 40 et 41 en concluant que la plainte était vexatoire et que l’allégation de discrimination au motif de distinction illicite fondée sur le sexe était frivole, conformément aux dispositions de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

[35]  En adoptant le rapport relatif aux articles 40 et 41, ce dernier est considéré comme les motifs du vice-président (Canada (Procureur général) c Davis, 2009 CF 1104, au paragraphe 52 [Davis, CF]; Vos c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713, au paragraphe 36).

VI.  Discussion

A.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[36]  Mme Klimkowski fait valoir que la Commission a agi de manière inéquitable en ne menant pas une enquête approfondie sur la plainte. Premièrement, la Commission n’a pas tenu compte de sa plainte modifiée. Elle soutient aussi qu’on a refusé injustement de lui remettre une copie de l’énoncé de position de CFCP en réponse à la demande présentée à cette fin aux parties par l’enquêteur le 8 septembre 2014 avant de rédiger le rapport relatif aux articles 40 et 41. Elle soutient aussi que la réponse qu’elle a présentée le 6 avril 2015 au rapport relatif aux articles 40 et 41 n’a pas été prise en compte, tout comme ses observations non sollicitées en date du 18 juin 2015, et que les motifs invoqués pour refuser d’examiner la plainte étaient inadéquats. Elle fait aussi valoir que le fait d’adopter aveuglément les conclusions de l’arbitre rend le processus inéquitable sur le plan procédural. Ce dernier argument ne soulève pas à mon avis une question d’équité, mais plutôt une question mixte de fait et de droit quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission. Cette question est abordée dans la deuxième partie de la présente analyse.

[37]  J’observe de prime abord que Mme Klimkowski renvoie, dans ses observations écrites, aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. À cet égard, je suis du même avis que la défenderesse : la Commission n’est pas liée par les règles officielles de justice naturelle, mais plutôt par les principes et les règles d’équité procédurale (Syndicat des employés de production et de l’Acadie c Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879, au paragraphe 27, et Robinson c Canada (Commission des droits de la personne), [1995] ACF no 16, au paragraphe 14, 90 FTR 43 (1re inst.)). Cette distinction est pertinente lorsque l’on reconnaît que la nature de l’obligation d’équité procédurale est liée au contexte.

[38]  Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], au paragraphe 21, la juge L’Heureux-Dubé a réaffirmé que le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie en fonction du contexte de l’affaire. La juge L’Heureux-Dubé a énuméré cinq facteurs non exhaustifs pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) « les choix de procédure que l’organisme fait lui-même » (Baker, aux paragraphes 23 à 27). La liste de l’arrêt Baker est non exhaustive et est fondée sur le « principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (Baker, au paragraphe 28).

[39]  La jurisprudence sur la Commission tient compte des facteurs de l’arrêt Baker et établit une distinction entre le contenu de l’obligation d’équité procédurale lorsque la Commission rejette une plainte plutôt que de la renvoyer à l’étape suivante du processus de plainte (Davis, CF, au paragraphe 56; Société canadienne des postes c Association canadienne des maîtres de poste et adjoints, 2016 CF 882, au paragraphe 37). À mon avis, on reconnaît ainsi la nature variable du contenu de l’obligation d’équité procédurale et on affirme le principe selon lequel c’est le contexte, y compris l’incidence de la décision sur la personne touchée, qui définit l’étendue de l’obligation.

[40]  Mme Klimkowski allègue que le défaut de reconnaître et d’aborder la plainte modifiée était inéquitable sur le plan procédural. Elle s’appuie sur la décision Carroll pour faire valoir la thèse selon laquelle le fait d’écarter les observations contenues dans une plainte constitue un manquement à l’équité procédurale et lorsque les motifs ne font aucune mention de ces observations, elles peuvent constituer un élément de preuve qu’elles n’ont pas été prises en considération (Carroll, aux paragraphes 77 et 78).

[41]  En l’espèce, il m’est impossible de conclure que les observations de Mme Klimkowski, y compris sa plainte modifiée, n’ont pas été prises en considération. Le contenu de la plainte modifiée est pris en considération dans le rapport relatif aux articles 40 et 41, même s’il ne renvoie pas directement à la plainte modifiée et que cette dernière ne faisait pas partie des documents présentés au vice-président.

[42]  Dans son énoncé de position du 15 octobre 2014, présenté à la suite de l’invitation de l’enquêteur à formuler des observations sur l’applicabilité de l’alinéa 41(1)d), Mme Klimkowski a essentiellement reproduit le contenu de la plainte modifiée. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 renvoie à cet énoncé de position et en cite des extraits. Ce faisant, le rapport relatif aux articles 40 et 41 reproduit en partie les allégations de harcèlement et de discrimination systémique présentées dans la plainte modifiée et il aborde directement ces allégations.

[43]  Même s’il avait peut-être été préférable, dans les circonstances de l’espèce, que l’enquêteur renvoie expressément à la modification de la plainte du 14 octobre 2014, il est évident qu’il connaissait le contenu de la plainte modifiée. Le contenu de la plainte modifiée est traité dans le rapport relatif aux articles 40 et 41 et le vice-président le connaissait en raison du rapport relatif aux articles 40 et 41 et de la réponse de Mme Klimkowski à ce rapport.

[44]  Contrairement à la décision Carroll, où le juge Mosley a conclu, au paragraphe 79, que les allégations de la demanderesse n’avaient pas été prises en considération, les allégations de discrimination formulées par Mme Klimkowski ont été reconnues et abordées dans le rapport relatif aux articles 40 et 41. Le nœud de la question soulevée par Mme Klimkowski ne portait pas sur le fait que l’on ne connaissait la nature et l’étendue de sa plainte, la question en litige dans la décision Carroll; Mme Klimkowski attaquait plutôt la conclusion tirée dans le rapport relatif aux articles 40 et 41 et adoptée par le vice-président – aucun détail n’appuyait ses allégations de harcèlement et de discrimination systémique. Ce désaccord ne rend pas le processus inéquitable sur le plan procédural.

[45]  En ce qui concerne l’argument de Mme Klimkowski selon lequel on lui a injustement refusé la possibilité d’examiner et de commenter les observations présentées par CFCP, il m’est tout aussi impossible de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans ces circonstances.

[46]  Mme Klimkowski a eu la possibilité de présenter ses observations avant l’achèvement du rapport relatif aux articles 40 et 41, tout comme CFCP. Aucune des parties n’a eu la possibilité d’examiner les observations de l’autre partie et d’y répondre avant l’achèvement du rapport relatif aux articles 40 et 41. Les parties ont plutôt reçu le rapport. En remettant le rapport aux parties aux fins de commentaires, l’enquêteur a divulgué les observations formulées et utilisées pour rédiger le rapport. Les parties se sont vu offrir la possibilité de présenter des observations sur le rapport relatif aux articles 40 et 41.

[47]  CFCP n’a pas présenté une réponse complète au rapport; il a tout simplement exprimé son accord total avec la recommandation selon laquelle la Commission ne devait pas examiner la plainte. Mme Klimkowski a présenté une réponse complète, qui a été présentée par la suite au vice-président. L’enquêteur a aussi donné à CFCP la possibilité de répondre à la réponse complète de Mme Klimkowski au rapport relatif aux articles 40 et 41, ce qu’il a fait le 13 mai 2015. On peut supposer que Mme Klimkowski aurait eu une possibilité semblable, si CFCP avait présenté une réponse complète dès le départ. Mme Klimkowski fait valoir qu’elle devait se voir offrir, au nom de l’équité procédurale, la possibilité de présenter une contre-réplique en réponse aux observations de CFCP présentées au vice-président.

[48]  Dans Madsen c Canada (Procureur général), [1996] ACF no 99, 106 FTR 181 (1re inst.), le juge Darrel Head affirme ce qui suit au paragraphe 28 :

Appliquant le critère énoncé dans l’affaire Mercier à l’espèce, j’estime que si les secondes observations de l’une ou de l’autre partie contenaient des faits qui différaient de ceux exposés dans le rapport d’enquête, le rapport de conciliation ou dans les observations antérieures, les règles d’équité procédurales exigeaient peut-être de la CCDP qu’elle divulgue le second ensemble d’observations d’une partie à l’autre et permette aux parties de déposer un troisième ensemble d’observations. Cependant, je dois également exprimer mon accord avec la Cour d’appel fédérale sur le fait que les règles d’équité procédurale n’exigent pas de la Commission qu’elle « communique systématiquement à une partie les observations qu’elle reçoit de l’autre partie ». Autrement, on pourrait concevoir que les observations/le processus de la réplique continuent ad infinitum. [Non en caractères gras dans l’original]

[49]  Dans Gosal c Canada (Procureur général), 2011 CF 570, la juge Gauthier indique, aux paragraphes 58 à 60 :

[58]  Finalement, en ce qui a trait à l’obligation de divulguer à un plaignant particulier tous les documents échangés entre un enquêteur et une partie intéressée, la Cour d’appel fédérale, dans Hutchison c Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133, aux paragraphes 49 et 50, a indiqué clairement lors de son examen de la jurisprudence ce qui suit :

Il n’y a rien dans ces arrêts qui étayerait la thèse selon laquelle toute communication entre un enquêteur et une partie intéressée doit être divulguée à l’autre partie. Le droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre se rapporte à des éléments qui seront mis à la disposition du décideur plutôt qu’à des éléments qui passent entre les mains d’un enquêteur dans le cadre de l’enquête.

Si le rapport d’enquête divulgue des renseignements contenus dans une lettre ou un document, la demanderesse a amplement exercé son droit d’y répondre. Si les renseignements contenus dans une lettre ou un document n’étaient pas inclus dans le rapport d’enquête et s’ils n’avaient par ailleurs pas été mis à la disposition de la Commission, le droit d’y répondre n’a pas pris naissance.

[59]  Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit dans Gardner c Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, au paragraphe 18 :

De toute façon, la Commission n’était pas tenue de présenter la nouvelle preuve à Mme Gardner pour la simple raison que cette preuve n’avait jamais été présentée à la Commission elle-même. Ce qu’on devait à Mme Gardner, et ce qui lui a été accordé, c’était la possibilité de faire des commentaires au sujet des observations formulées par le Conseil du Trésor qui, finalement, comportaient l’essentiel de l’information contenue dans cette nouvelle preuve.

[60]  Finalement, les tribunaux administratifs tels que la Commission sont présumés avoir examiné toute la preuve soumise et ne sont pas tenus de faire état expressément de tous les éléments de preuve sur lesquels se fondent leurs motifs. Cela dit, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément dans les motifs du tribunal administratif est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer que ce tribunal a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ([1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17).

[50]  Mme Klimkowski a eu la possibilité de répondre aux observations de CFCP, puisqu’elles avaient été résumées et exposées dans le rapport relatif aux articles 40 et 41 et déposées devant le vice-président aux fins de décision. Dans les circonstances, l’enquêteur n’avait aucune obligation de communiquer les observations à Mme Klimkowski.

[51]  De même, la réplique de CFCP à la réponse de Mme Klimkowski au rapport relatif aux articles 40 et 41 ne soulevait aucune question et ne présentait aucun renseignement qui n’avait pas déjà été indiqué dans le dossier déposé devant le vice-président. Il n’y avait donc aucune obligation d’offrir à Mme Klimkowski la possibilité de présenter une contre-réplique.

[52]  En tirant cette conclusion, j’observe aussi les arguments avancés par la défenderesse selon lesquels même si la procédure avait été viciée, ce vice ne suffit pas à conclure qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision lorsqu’un demandeur est incapable de démontrer qu’il y a eu préjudice (Maritime Broadcasting System Ltd c La guilde canadienne des médias) 2014 CAF 59, aux paragraphes 70 et 74; Uniboard Surfaces c Kronotex Fussboden GmbH and Co, 2006 CAF 398, au paragraphe 24; Syndicat canadien de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, au paragraphe 120). L’avocat de Mme Klimkowski avait adopté, auprès de l’enquêteur, la position selon laquelle l’équité procédurale exigeait le droit de présenter une contre-réplique. Une contre-réplique a été présentée sans être déposée devant le vice-président. Toutefois, Mme Klimkowski n’a pas fait valoir que cette contre-réplique contenait de nouveaux renseignements qui auraient été pertinents pour la décision et, à la suite de l’examen de cette contre-réplique, aucun renseignement de ce genre n’est divulgué.

[53]  Finalement, en réponse à l’argument de Mme Klimkowski selon lequel la Commission a exposé des motifs inadéquats, j’observe que le caractère suffisant des motifs ne constitue pas à lui seul un motif pour annuler une décision. Lorsque des motifs sont présentés, il n’y a pas manquement à l’équité procédurale; les motifs doivent plutôt être évalués dans le cadre d’une analyse du caractère raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 22).

[54]  La Commission n’a pas manqué à l’équité en évaluant la plainte ou en concluant qu’elle n’examinerait pas la plainte. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

B.  La décision était-elle raisonnable?

1)  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP?

[55]  Mme Klimkowski soutient que la décision selon laquelle la plainte était vexatoire au motif que [traduction] « l’essence de la plainte relative aux droits de la personne a été examinée dans le cadre du grief déposé devant l’arbitre » n’était pas raisonnable. Elle fait valoir que l’arbitrage du grief n’a examiné aucune des ramifications relatives aux droits de la personne de la décision de CFCP relative au congédiement. Plus précisément, elle soutient que l’arbitrage du grief n’a pas abordé ses allégations de harcèlement et de discrimination personnels et systémiques fondés sur le sexe et la déficience. Elle fait valoir que le seul recours à sa disposition dans les circonstances était de déposer une plainte devant la Commission.

[56]  Le rapport relatif aux articles 40 et 41 cite la jurisprudence se rapportant à une évaluation menée en vue de déterminer si une plainte pourrait être vexatoire au motif que la plainte a été abordée dans le cadre du processus de grief. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 souligne que le vice-président ne peut refuser d’examiner une plainte aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP uniquement parce que cette question a été tranchée dans le cadre d’un autre processus. La Commission doit plutôt examiner la preuve et la décision issue du processus précédent pour rendre sa propre décision quant à savoir si l’alinéa 41(1)d) s’applique (Boudreault c Canada (Procureur général), [1995] ACF no 1055, aux paragraphes 15 à 17, 99 FTR 293 (1re inst.), Société canadienne des postes c Barrette, [2000] ACF no 539, aux paragraphes 27 et 28, 27 Admin LR (3d) 68 (CA)).

[57]  Comme il a été indiqué plus tôt dans la présente décision, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a ensuite abordé les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Figliola et Penner. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 reconnaissait que la Commission était tenue de respecter le caractère définitif des décisions issues de processus antérieurs lorsque les questions sont essentiellement les mêmes, mais elle doit aussi tenir compte de l’équité du processus antérieur (Figliola, aux paragraphes 36 et 37).

[58]  Dans Figliola, au paragraphe 37, la majorité de la Cour suprême du Canada a conclu qu’un organe décisionnel devrait poser trois questions pour déterminer si le fond d’une plainte a été [traduction] « statuée de façon appropriée » :

  • a) s’il existe une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne;

  • b) si la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont le Tribunal est saisi;

  • c) si le processus antérieur, qu’il ressemble ou non à la procédure que le Tribunal préfère ou utilise lui-même, a offert la possibilité aux plaignants ou à leurs ayants droit de connaître les éléments invoqués contre eux et de les réfuter.

[59]  Mme Klimkowski semble s’appuyer sur l’absence d’un renvoi précis, dans la décision arbitrale, aux allégations relatives aux droits de la personne avancées en son nom par le syndicat pour faire valoir que la décision selon laquelle la plainte est vexatoire aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP n’est pas raisonnable. Toutefois, les parties avaient présenté les allégations de harcèlement et de discrimination fondés sur la déficience et répondu à ces dernières dans leurs observations présentées à l’arbitre. Après examen de la décision arbitrale dans son ensemble et vu la conclusion de l’arbitre selon laquelle le licenciement motivé était justifié, on ne peut raisonnablement conclure que l’arbitre n’était pas convaincu que les allégations relatives à la LCDP étaient non fondées. Le fait que ces allégations n’aient pas fait l’objet d’une étude expresse dans la décision arbitrale n’enlève rien, à mon avis, au caractère raisonnable de la conclusion du rapport relatif aux articles 40 et 41, selon laquelle l’arbitre avait abordé l’essence de la plainte.

[60]  Sur le fond des motifs, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a conclu de manière raisonnable, selon les éléments de preuve, y compris l’étude de la plainte déposée par Mme Klimkowski et les observations présentées, qu’il faut répondre par l’affirmative aux trois questions posées dans Figliola.

[61]  Toutefois, en ce qui concerne la troisième question posée dans Figliola, le rapport relatif aux articles 40 et 41 n’a pas limité son analyse à cet arrêt au moment d’aborder la question et le concept d’équité. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 a aussi abordé le critère Penner, où la majorité de la Cour suprême du Canada a adopté un cadre d’analyse pour l’application de la préclusion. Ce faisant, dans cette affaire, la majorité de la Cour suprême du Canada a reconnu, au paragraphe 29, que la doctrine « établit un équilibre entre le caractère définitif des décisions et l’économie, d’une part, et d’autres considérations intéressant l’équité envers les parties, d’autre part ». En discutant de cet équilibre, la majorité a d’abord reconnu l’importance du caractère définitif : « une partie est censée soulever toutes les questions pertinentes et ne dispose pas de multiples tentatives pour obtenir un jugement favorable. Le caractère définitif est important tant pour les parties que pour le système judiciaire » (Penner, au paragraphe 42). La majorité a ensuite discuté de la question de l’équité et exigeait d’un décideur qu’il aborde l’iniquité dans une instance antérieure et lorsqu’il est établi que cette instance antérieure s’est déroulée de manière juste, de déterminer s’il serait injuste de se fier sur l’issue de la première instance pour empêcher la tenue d’une autre instance (Carroll, au paragraphe 118, citant Penner aux paragraphes 39 à 48).

[62]  Par conséquent, lorsqu’elle s’est penchée sur l’équité, la Commission a indiqué qu’elle devrait aussi déterminer s’il serait inéquitable de ne pas statuer sur la plainte, lorsque les enjeux des deux instances diffèrent grandement, ce qui comprend une étude du but du processus antérieur et du processus de traitement des plaintes de la Commission (Penner, aux paragraphes 42 et 45). Le rapport relatif aux articles 40 et 41 dresse ensuite une liste détaillée de facteurs dont la Commission pourrait tenir compte aux termes de l’alinéa 41(1)d), qu’il aborde par la suite.

[63]  Un examen du rapport relatif aux articles 40 et 41 démontre que la Commission a étudié de manière détaillée et rigoureuse ces facteurs pour déterminer si elle devait statuer ou pas sur la plainte aux termes de l’alinéa 41(1)d). Cette analyse reconnaissait et abordait les allégations de discrimination personnelle et systémique fondées sur le sexe et la déficience dans la plainte, mais concluait que l’essence de ces allégations avait été examinée dans le cadre du grief déposé devant l’arbitre. La Commission a aussi tenu compte du rôle et de la compétence de l’arbitre en tant que tiers indépendant et neutre et a conclu que le processus d’arbitrage et le processus de traitement des plaintes de la Commission n’étaient pas si différents l’un de l’autre. Qui plus est, la Commission, après avoir examiné le processus d’arbitrage, a conclu qu’il était équitable. Elle a aussi souligné les inquiétudes de Mme Klimkowski sur le caractère adéquat de la représentation par le syndicat et son défaut de se prévaloir des recours à sa disposition pour y remédier, avant de conclure que ces inquiétudes ne rendaient pas le processus d’arbitrage inéquitable sur le plan procédural. L’inquiétude de Mme Klimkowski à l’égard de la représentation par le syndicat était liée à l’obligation de représentation équitable, à l’égard duquel Mme Klimkowski n’a pas soulevé de plainte. Finalement, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a cerné et abordé les prétentions de Mme Klimkowski selon lesquelles l’arbitrage n’avait pas abordé ses allégations relatives aux droits de la personne. Il a conclu que Mme Klimkowski avait eu l’occasion de soulever toutes les allégations relatives aux droits de la personne qu’elle avait soulevées dans la plainte dans le cadre du processus d’arbitrage. Comme l’a observé la Commission, [traduction] « l’intérêt de la justice n’exige pas que la Commission statue sur la plainte, même si la plaignante n’est pas satisfaite du résultat. La Commission n’est pas un mécanisme d’appel des décisions arbitrales et la décision liée à la plainte ne servira pas l’objet de la loi. »

[64]  En réponse à ces conclusions, Mme Klimkowski s’appuie sur la décision Carroll pour faire valoir son argument selon lequel la décision n’était pas raisonnable; toutefois, comme je l’ai indiqué ci-dessus, la décision Carroll est différente. En l’espèce, les allégations de discrimination systémique et personnelle formulées par Mme Klimkowski n’ont été ni écartées ni mal interprétées, contrairement à la décision Carroll. Ces arguments ont été reconnus et abordés dans le rapport relatif aux articles 40 et 41. La décision Carroll se distingue aussi sur le plan de l’obligation de respecter le caractère définitif des décisions issues d’instances antérieures. Dans la décision Carroll, le syndicat de la plaignante avait refusé de soumettre le grief à l’arbitrage (Carroll, au paragraphe 15). Il n’y avait donc pas eu d’audience indépendante ou de décision d’un décideur impartial dans une instance antérieure. C’est sur ce fondement que le juge Mosley a conclu que « […] il n’y a aucun enjeu de “respect juridictionnel” entre tribunaux concurrents, comme dans l’arrêt Figliola […] » (Carroll, au paragraphe 124). Qui plus est, contrairement à la décision Carroll, où le juge Mosley a conclu, au paragraphe 127, que « rien n’indique que la Commission ait jamais envisagé d’exercer ce pouvoir. Elle n’a pas réfléchi à la question de savoir si le rejet de la plainte pouvait être injuste à l’égard de Mme Carroll », c’est tout le contraire qui est survenu en l’espèce. Le rapport relatif aux articles 40 et 41 s’est penché sur la question de savoir si le rejet de la plainte pouvait être injuste à l’égard de Mme Klimkowski; il a toutefois établi, en fonction du dossier, qu’aucun renseignement ne permettait de croire qu’une telle iniquité se produirait. Cela était raisonnable.

[65]  Ainsi, même si j’observe que la défenderesse fait valoir que la doctrine d’application de la préclusion et, en retour, le critère Penner sont propres au contexte du droit civil et inapplicables au droit administratif, où c’est la doctrine de l’abus de procédure qui s’applique, je n’ai pas à trancher cette question.

[66]  Je suis convaincu que le rapport relatif aux articles 40 et 41 a abordé le processus d’arbitrage et a raisonnablement conclu qu’il était équitable sur le plan procédural et que le fait de s’appuyer sur cette instance pour refuser de statuer sur la plainte dans le cadre du processus de la LCDP n’a donné lieu à aucune iniquité. En tirant cette conclusion, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a souligné l’absence de différences importantes entre le processus d’arbitrage et le processus de traitement des plaintes de la LCDP. Il a aussi indiqué que le processus d’arbitrage était [traduction] « entièrement capable de traiter les questions relatives aux droits de la personne soulevées par la plaignante et d’offrir à Mme Klimkowski un recours pour les violations alléguées des droits de la personne ». Le vice-président n’a pas adopté aveuglément ces motifs, comme le fait valoir Mme Klimkowski, il s’est plutôt demandé s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la plainte.

[67]  En résumé, il était loisible à la Commission de s’acquitter de sa fonction d’examen, de conclure que l’essence de la plainte avait déjà été tranchée dans le cadre du processus d’arbitrage du grief, un processus où Mme Klimkowski a eu l’occasion de soulever toutes les questions pertinentes aux droits de la personne, y compris celles liées au sexe et que le fait de refuser de statuer sur la plainte ne donnerait lieu à aucune iniquité. Je suis donc convaincu que la décision rendue par la Commission selon laquelle la plainte était vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP traduit les éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

2)  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était « frivole » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP?

[68]  Vu ma conclusion selon laquelle il était raisonnable pour la Commission de conclure que la plainte était vexatoire, il n’est pas nécessaire de déterminer s’il était raisonnable de conclure que l’allégation de traitement défavorable fondé sur le sexe était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Je tiens néanmoins à souligner que je ne suis pas pour autant convaincu que cette décision était déraisonnable.

VII.  Conclusion

[69]  La demande est rejetée.

[70]  Pour ce qui est de la question des dépens, les parties s’entendent pour dire que des dépens de 10 477,86 $, y compris les débours et la TVH, sont appropriés. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un montant raisonnable, vu la complexité des questions soulevées.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1203-15

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Des dépens de 10 477,86 $, y compris tous les débours et la TVH, sont adjugés à la défenderesse.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1203-15

 

INTITULÉ :

DANUSIA KLIMKOWSKI c CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2017

 

COMPARUTIONS :

Hugh Scher

 

Pour la demanderesse

 

Shane Todd

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Scher Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Fasken Martineau DuMoulin

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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