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Date : 20170428


Dossier : IMM‑3644‑16

Référence : 2017 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

LAP TRUNG TRUONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Lap Trung Truong, souhaitait parrainer son épouse, Mme Thuy Linh Thy Nguyen, pour qu’elle obtienne la résidence permanente au Canada. Un agent d’immigration a rejeté la demande de M. Truong, au motif que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Par conséquent, Mme Nguyen ne pouvait être considérée comme membre de la catégorie du regroupement familial et n’était pas admissible à être parrainée par M. Truong, en application du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS‑2002‑227.

[2]  M. Truong a porté la décision de l’agent en appel devant la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. En août 2016, la SAI a rejeté l’appel de M. Truong, en se rangeant à la conclusion de l’agent selon laquelle le mariage était motivé surtout par le désir d’acquérir un avantage en matière d’immigration.

[3]  M. Truong a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour relativement à la décision de la SAI. Il prétend que la décision n’est pas raisonnable, parce que le décideur n’y a pas analysé la preuve qu’il avait produite quant à l’authenticité du mariage, y a mal interprété les faits et les éléments de preuve dont il était saisi et s’est engagé à tort dans une analyse microscopique de la preuve. M. Truong demande à la Cour d’annuler la décision et de la renvoyer à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

[4]  La seule question en litige soulevée dans la demande de M. Truong est celle à savoir si la décision de la SAI est déraisonnable.

[5]  Après avoir examiné la preuve dont la SAI disposait et le droit applicable, je n’ai décelé aucun motif pour annuler la décision. La décision de la SAI est fondée sur la preuve et le résultat se justifie au regard des faits et du droit. Elle appartient aux issues possibles acceptables. Je conclus également que les motifs de la décision expliquent adéquatement comment la SAI est arrivée à la conclusion selon laquelle le mariage de M. Truong avec Mme Nguyen n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut d’immigration au Canada. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Truong.

II.  Le contexte

A.  Les faits

[6]  M. Truong est un citoyen canadien de 46 ans d’origine vietnamienne qui est arrivé au Canada en avril 1991. Depuis octobre 1999 jusqu’aux environs de 2008 et 2010, M. Truong était en union de fait avec une autre femme, avec laquelle il a eu deux fils. Les enfants sont nés en mai 2001 et en mai 2005. Mme Nguyen est une citoyenne vietnamienne de 45 ans qui a auparavant été mariée de septembre 2000 à août 2007. Elle et son premier mari ont eu une fille, née en mai 1996.

[7]  M. Truong et Mme Nguyen se sont rencontrés en 2009 par l’entremise du frère de Mme Nguyen, qui est le colocataire de M. Truong et son collègue dans un restaurant où M. Truong travaille à temps partiel. M. Truong et Mme Nguyen se sont d’abord parlé au téléphone et sur « Yahoo Chat », et ils se sont rencontrés en personne en mars 2010 quand M. Truong est allé au Vietnam. M. Truong est resté au Vietnam pendant trois semaines, durant lesquelles il a demandé à Mme Nguyen de l’épouser. Elle a accepté sa demande en mariage seulement après le retour de M. Truong au Canada.

[8]  En novembre 2010, M. Truong est retourné au Vietnam pendant plusieurs semaines, accompagné par ses deux fils issus de sa relation précédente. Pendant leur séjour au Vietnam, M. Truong et ses enfants, ainsi que Mme Nguyen, ont habité chez la mère de M. Truong. Le 17 décembre 2010, M. Truong et Mme Nguyen se sont mariés au Vietnam. Les deux fils de M. Truong n’étaient pas présents à la cérémonie du mariage et, en fait, ne savent pas que leur père s’est remarié, étant donné qu’il a l’intention de leur dire quand ils auront l’âge de comprendre et quand son épouse viendra au Canada. M. Truong a présenté Mme Nguyen et sa fille à ses fils, leur disant qu’elles étaient [traduction] « leur tante » et [traduction] « la fille de leur tante ».

[9]  Après le mariage, Mme Nguyen est restée au Vietnam et M. Truong est revenu au Canada. M. Truong est retourné au Vietnam trois fois depuis, en 2012, en 2014 et en 2015. M. Truong et Mme Nguyen n’ont jamais eu d’enfants ensemble.

[10]  M. Truong a présenté en mai 2011 une demande en vue de parrainer son épouse et sa belle‑fille afin que ces dernières obtiennent la résidence permanente. La demande de parrainage a été rejetée en décembre 2014, après un contrôle initial et un entretien de Mme Nguyen en décembre 2013. Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas font état d’un certain nombre de préoccupations à la suite de l’entretien avec Mme Nguyen. Ces préoccupations comprennent sa connaissance limitée de la vie de M. Truong au Canada ou de sa relation de fait précédente, son incapacité à répondre directement aux questions, le peu de renseignements au sujet des premiers moments et de l’évolution de sa relation avec M. Truong, le fait que M. Truong ne soit pas allé lui rendre visite pendant deux ans après leur mariage, le manque de preuve convaincante sur la fin de la relation entre M. Truong et son ancienne conjointe de fait et l’absence de la mère de M. Truong à la cérémonie du mariage.

B.  La décision de la SAI

[11]  Dans sa décision, la SAI a analysé l’authenticité du mariage de M. Truong par l’entremise de plusieurs facteurs.

[12]  La SAI a d’abord conclu que la preuve portant sur les premiers moments et l’évolution de la relation entre M. Truong et Mme Nguyen et celle concernant la fin de la relation entre M. Truong et sa conjointe de fait précédente était insuffisante et contradictoire. M. Truong et Mme Nguyen ont chacun relaté dans leur témoignage que la relation précédente de M. Truong avait pris fin en 2008, mais cela ne concordait pas avec la preuve documentaire, laquelle révélait que cette relation existait toujours à tout le moins jusqu’à février 2010. Ni M. Truong ni Mme Nguyen, aux yeux de la SAI, n’ont présenté une explication convaincante pour justifier cette contradiction.

[13]  La SAI a ensuite mentionné que M. Truong avait relaté dans son témoignage qu’il habitait avec son beau‑frère depuis environ un an, avant de préciser qu’ils avaient vécu ensemble à la même adresse depuis sept ans. Toutefois, Mme Nguyen, avait produit des éléments de preuve selon lesquels son frère habitait à une autre adresse au moment où elle avait rempli son formulaire Renseignements additionnels sur la famille. Quand la question sur la situation familiale du beau‑frère lui a été posée, M. Truong a indiqué qu’il était divorcé, tandis que Mme Nguyen a mentionné qu’il s’était remarié et qu’il en voie de parrainer son épouse pour qu’elle vienne au Canada à partir de la Chine. Étant donné que M. Truong et Mme Nguyen n’ont tous les deux donné aucune explication sur cette contradiction, la SAI a conclu qu’au moins l’un des deux époux n’était pas crédible et que les époux ne communiquaient pas autant entre eux qu’ils ne le prétendaient.

[14]  La SAI a également fait observer que M. Truong a dit avoir deux emplois, mais qu’il n’avait pas déclaré ce renseignement dans son questionnaire de parrainage. M. Truong a refusé d’admettre sa responsabilité relativement aux documents de sa demande et il a imputé les contradictions dans les formulaires et dans son témoignage aux personnes qui l’avaient aidé à remplir les formulaires. La SAI a mentionné, en citant la décision Robles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 374 [Robles] au para 31, qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, elle devrait être capable de se fonder sur les renseignements qui lui sont transmis par les représentants d’un demandeur. La SAI a également conclu qu’elle pouvait s’appuyer sur les réponses contenues dans les questionnaires pour relever des éléments de preuve contradictoires, en s’appuyant sur la décision Vieira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 626 au para 29. La SAI a conclu que les renseignements fournis pour le compte de M. Truong ne pouvaient être considérés comme sans importance et qu’en l’absence de preuve quant à l’incompétence de ses conseillers, M. Truong doit assumer les conséquences du travail de ses conseillers.

[15]  La SAI a ensuite fait état des divergences de la première rencontre en personne entre M. Truong et Mme Nguyen. M. Truong a allégué que sa sœur était venue le chercher à l’aéroport avec Mme Nguyen et qu’elle les avait alors présenté, tandis que Mme Nguyen a expliqué qu’elle était seule avec M. Truong. La SAI a également constaté des divergences concernant la connaissance qu’ont ses fils de son mariage. M. Truong a relaté dans son témoignage que ses fils n’étaient toujours pas informés du mariage jusqu’à la date de l’audience en juin 2016. Mme Nguyen, par contre, a témoigné que l’aîné avait été mis au courant du mariage à son quinzième anniversaire, soit quelques mois avant l’audience. Aucune explication n’a été donnée concernant ces contradictions qui sont considérées comme étant importantes pour la SAI.

[16]  La SAI avait également des réserves au sujet du fait que la mère de M. Truong n’avait pas assisté à la cérémonie du mariage. M. Truong a déclaré que l’état de santé de sa mère était tel qu’elle n’avait pas pu se présenter au mariage. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve documentaire à cet égard et la SAI a fait observer que sa mère se portait assez bien pour s’occuper de ses deux fils afin de permettre à M. Truong et à Mme Nguyen d’effectuer un voyage de noces immédiatement après la cérémonie.

[17]  La SAI a indiqué que les versions respectives des époux concernant la demande en mariage divergeaient. Mme Nguyen a dit que M. Truong lui avait demandé de l’épouser pendant son séjour au Vietnam en mars 2010, mais qu’elle n’avait accepté la demande qu’en septembre 2010. De son côté, M. Truong a indiqué que Mme Nguyen avait accepté de l’épouser en mars 2010, dans la semaine qui suivait son retour au Canada. La SAI a également cerné certaines contradictions en ce qui concerne la relation de fait précédente de M. Truong avec la mère de ses deux fils. Même si M. Truong allègue qu’il n’a pas de contact avec elle depuis 2008, sauf pour voir ses enfants, la preuve démontre qu’ils ont franchi la frontière canado‑américaine ensemble en août 2011. 

[18]  La SAI a indiqué que la preuve de l’intégration financière de M. Truong et de Mme Nguyen était, au plus, limitée, mais que les transferts financiers se sont accrus lorsque l’avis de rejet de la demande de parrainage a été délivré, ce qui donne à penser que ces documents avaient été présentés pour appuyer l’appel de M. Truong devant la SAI. Il y avait également très peu d’éléments de preuve au sujet des plans d’avenir du couple.

[19]  La SAI a mentionné à plusieurs reprises que les éléments de preuve produits par M. Truong et Mme Nguyen n’étaient pas particulièrement crédibles et fiables, étant donné les nombreuses contradictions quant à plusieurs aspects importants. La SAI a observé que, si la preuve conduit à la conclusion que le mariage n’est pas authentique, il y aurait alors une présomption selon laquelle le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut et qu’elle n’aurait donc pas à tirer une conclusion à ce sujet, en invoquant la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417 [Kaur] au para 16. La SAI a donc conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage n’était pas authentique et que, par conséquent, Mme Nguyen n’était pas considérée comme une épouse.

C.  La norme de contrôle

[20]  La Cour a toujours considéré que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions de la SAI, qui est un tribunal spécialisé, et que ces décisions commandent la retenue (Nguyen c Canada (Citoyenneté et immigration), 2016 CF 1207 [Nguyen] au para 11; Burton c Canada (Citoyenneté et immigration), 2016 CF 345 [Burton] au para 13). Plus précisément, la question de savoir si un mariage vise principalement l’immigration est une question mixte de fait et de droit et une conclusion hautement factuelle, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Burton au para 15; Bercasio c Canada (Citoyenneté et immigration), 2016 CF 244 [Bercasio] au para 17; Aburime c Canada (Citoyenneté et immigration), 2015 CF 194 au para 19).

[21]  Au moment d’examiner une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les constatations de la SAI ne doivent pas être modifiées, dans la mesure où la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 47). En procédant au contrôle des conclusions de fait suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve ou l’importance relative accordée aux facteurs pertinents par le décideur (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 au para 99). Selon la norme de la décision raisonnable, dès lors que le processus et l’issue possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et que la décision du tribunal inférieur est appuyée par des éléments de preuve acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la cour siégeant en révision doit se garder de substituer ses propres opinions à celles du tribunal inférieur quant au résultat approprié (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 17).

III.  Discussion

[22]  M. Truong allègue que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve crédibles et fiables et en interprétant mal la preuve dont elle disposait. Il soutient que la décision de la SAI s’appuyait sur des suppositions et des hypothèses, et que c’est à tort que ses éléments de preuve ont été jugés non crédibles et par conséquent rejetés. Que ce soit pour les divergences dans la date de la demande en mariage, l’adresse du frère de Mme Nguyen, l’absence de sa mère au mariage ou le voyage aux États‑Unis avec son ancienne conjointe en 2011, M. Truong soutient que des explications raisonnables ont été données pour toutes les contradictions soulevées par la SAI et que ces contradictions ne devraient pas avoir d’effet défavorable sur sa crédibilité et sur celle de Mme Nguyen. M. Truong affirme que la SAI, en s’appuyant sur ces divergences, a adopté une approche indûment exigeante et microscopique.

[23]  M. Truong fait aussi valoir que, si la preuve était plutôt examinée dans son ensemble, elle démontrerait que, selon la prépondérance de probabilités, lui et Mme Nguyen se sont engagés dans une relation authentique et non pas seulement pour l’immigration. Dans le cas en question, M. Truong et Mme Nguyen ont des antécédents similaires, sont d’origine vietnamienne, parlent la même langue, sont du même âge, ont des enfants et ont chacun démontré sa connaissance des relations précédentes de l’un et de l’autre, de leur situation d’emploi et de leurs antécédents. Il y a aussi une preuve documentaire de soutien financier, des comptes de téléphone, des photographies du mariage et des billets d’avion et des pages de passeport de M. Truong confirmant ses visites au Vietnam. Selon M. Truong, cette preuve a été présentée à la SAI et, en analysant l’ensemble des éléments de preuve, il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’immigration.

[24]  M. Truong plaide aussi qu’il a fourni une explication raisonnable concernant les divergences entre son témoignage et les formulaires, étant donné qu’il avait eu recours à un consultant pour remplir les formulaires et qu’il n’avait pas vérifié l’information avant de les signer.

[25]  Je ne suis pas d’accord avec M. Truong.

[26]  Je reconnais que M. Truong a habilement passé au peigne fin les motifs de la SAI, signalant les parties de la preuve citées par le tribunal qui auraient pu lui être favorables et soulignant les situations où la SAI n’a pas fait mention d’autres éléments de preuve. M. Truong a également fait référence à plusieurs précédents dans lesquelles la Cour a formulé des critiques à l’égard de motifs qui ne faisaient pas état de tous les éléments de preuve. Toutefois, je trouve l’argument de M. Truong peu convaincant. Il se limite tout simplement à inviter la Cour à se substituer au décideur. Malheureusement pour M. Truong, la Cour ne siège pas en appel, mais bien en contrôle judiciaire.

[27]  Même si un doute subsistait dans mon esprit quant à certaines conclusions de faits tirées par la SAI, mon rôle au stade du contrôle judiciaire n’est pas de tirer les conclusions que j’aurais pu tirer si j’étais à la place de la SAI. Mon rôle est plutôt de juger si les conclusions de la SAI étaient raisonnables et appartenaient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir au para 47). De nombreuses questions soumises aux tribunaux administratifs comme la SAI n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Mais la norme de la décision raisonnable est une norme empreinte de déférence et il est loisible au tribunal administratif « d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (Dunsmuir au para 47; Newfoundland Nurses au para 13).

[28]  La question en litige n’est pas de savoir si la décision de la SAI répond à la norme voulue par M. Truong, ou contient le degré de détail qu’il aurait souhaité; la question est de savoir si la décision répond aux exigences de la décision raisonnable. La SAI n’a peut‑être pas fait référence à certains éléments de preuve aussi clairement que M. Truong aurait voulu, mais cela ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire. La norme applicable est celle de la décision raisonnable, et non de la perfection. Dans la même veine, je ne dois pas juger si les explications ou les points de vue offerts par M. Truong peuvent être une lecture raisonnable de la preuve : je dois juger si les conclusions de la SAI appartiennent aux issues possibles acceptables. Le fait qu’il pourrait y avoir d’autres options plausibles ou raisonnables, et que l’une d’entre elles pourrait appuyer l’authenticité de la relation de M. Truong et de Mme Nguyen, ne signifie pas que l’interprétation retenue par la SAI n’est pas raisonnable.

[29]  Un thème qui revient en jurisprudence concernant les questions de citoyenneté, comme les demandes de parrainage d’époux, est que chaque affaire est tributaire des faits qui lui sont propres et doit être tranchée selon son propre bien‑fondé. Dans ce cas, la SAI n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve. Elle a tout simplement conclu que ceux‑ci ne suffisaient pas pour démontrer l’existence d’une relation authentique entre M. Truong et Mme Nguyen. Il est bien établi qu’il incombe au demandeur de démontrer que le mariage est authentique. Le désaccord de M. Truong concernant le poids accordé aux éléments de preuve qu’il avait présentés ne soulève pas d’erreur qui justifie l’intervention de la Cour. Selon moi, la SAI a, au contraire, tiré des conclusions raisonnables des contradictions dans la preuve.

[30]  Je conclus que les conclusions de la SAI sont appuyées par une preuve considérable. Voici certaines des nombreuses contradictions qui ont été constatées par la SAI : contradiction entre l’ex‑conjointe de fait de M. Truong et le témoignage de M. Truong concernant la fin de cette relation précédente; contradiction dans la preuve présentée par M. Truong et Mme Nguyen concernant la situation familiale et l’adresse du frère de Mme Nguyen; contradiction dans la preuve présentée par M. Truong et Mme Nguyen concernant leur première rencontre en personne et à savoir si quelqu’un d’autre était présent, et contradiction dans la preuve produite par M. Truong et Mme Nguyen à savoir si les fils de M. Truong avaient connaissance du mariage.

[31]  Sur presque tous les points, M. Truong offre une interprétation subsidiaire. En ce qui concerne les contradictions au sujet de la date de la demande en mariage, il soutient que Mme Nguyen a dit à plusieurs reprises que la demande en mariage avait eu lieu en mars 2010, mais que l’interprète disait sans cesse pendant l’entretien que la demande avait été faite en septembre 2010 et que Mme Nguyen n’a pas rempli elle‑même les formulaires. En ce qui concerne les contradictions au sujet de l’adresse du frère de Mme Nguyen, M. Truong soutient que le frère de Mme Nguyen a vécu à l’adresse de sa compagne pour un certain temps en 2011 et qu’il ne sait pas pourquoi Mme Nguyen a écrit que son frère habitait ailleurs plutôt qu’avec lui. En ce qui concerne son ancienne conjointe de fait, M. Truong allègue que leur voyage aux États‑Unis en 2011 avait pour objectif d’aider la sœur de son ancienne conjointe, laquelle était détenue à la frontière par les services frontaliers. Quant à l’absence de sa mère au mariage, M. Truong soutient qu’il a expliqué à la SAI que sa mère souffre d’arthrite et qu’elle n’était pas seule pour s’occuper des fils de M. Truong pendant son voyage de noces.

[32]  Toutefois, M. Truong n’a pas présenté la preuve nécessaire pour corroborer ces diverses explications et il était loisible à la SAI de tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité à cet égard. Malgré le fait que M. Truong a présenté des éléments de preuve documentaire quant à l’authenticité de la relation, comme des photographies, des billets d’avion, des comptes de téléphone et des preuves d’appui financier, la SAI peut « accorder plus de poids aux divergences qu’à [la preuve documentaire] » (Kaur au para 27). Comme le stipule la jurisprudence, la SAI peut « donner peu d’importance à certains éléments matériels (billets d’avion, nombreuses photos, cartes d’appel, etc.) compte tenu des problèmes de crédibilité relevés dans la décision » (Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456 [Keo] au para 33). Il était alors raisonnable pour la SAI de conclure que M. Truong ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que son mariage avec Mme Nguyen était authentique, étant donné les nombreuses contradictions et les problèmes de crédibilité.

[33]  J’ajoute qu’à mon avis, la SAI n’a pas commis d’erreur en rejetant les explications de M. Truong concernant les contradictions qu’il imputait au manque de diligence de ses représentants. La décision Robles, sur laquelle s’appuie la SAI, établit clairement que le décideur a le droit de tirer des inférences défavorables en s’appuyant sur des documents d’immigration, même lorsque l’incompétence des représentants est alléguée. L’incompétence alléguée d’un consultant en immigration n’empêche pas la SAI de tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité en s’appuyant sur les formulaires (Robles aux paras 31, 42 et 43). Il est bien établi en droit que « les personnes doivent accepter les conséquences du choix de leur conseiller » (Robles au para 31).

[34]  Je dois souligner que les contradictions dans les formulaires remplis par le consultant n’étaient pas les seules contradictions soulevées par la SAI. Les contradictions au sujet de la date de la demande en mariage, de l’adresse du frère de Mme Nguyen, de la question de savoir si les enfants de M. Truong connaissaient ou non la nouvelle épouse de leur père et de la présence ou non de la sœur de M. Truong lors de leur première rencontre en personne étaient toutes fondées sur les témoignages respectifs de M. Truong et de Mme Nguyen. Dans la même veine, les contradictions concernant l’absence de la mère de M. Truong au mariage en raison de problèmes de santé et la relation précédente de M. Truong avec son ex‑conjointe de fait ne sont pas liées aux erreurs alléguées du consultant.

[35]  Je fais une pause pour mentionner que la preuve relative à l’intégration des intérêts financiers n’appuie pas de façon particulièrement solide la conclusion de la SAI concernant l’augmentation des transferts financiers après le rejet de la demande de parrainage de l’époux. Au plus, cela est contradictoire, et la conclusion opposée aurait pu être tirée sur ce point en particulier. Le montant total versé par M. Truong au cours des deux années précédant le rejet de sa demande de parrainage d’époux était en fait plus élevé que celui versé lors de l’année suivant le rejet. C’est seulement quand le montant moyen des transferts par mois, par année ou par transfert est considéré pour toute la période de leur relation qu’on peut dire, conformément aux conclusions de la SAI, que la preuve reflète une petite augmentation suivant le rejet de la demande. Cela étant dit, même si je conclus que la SAI a commis une erreur de fait ici, cette erreur à elle seule n’est pas déterminante et n’a aucune incidence sur l’issue de la décision (Sherwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 37 au para 17).

[36]  Il est également bien connu qu’un décideur est présumé avoir soupesé et examiné toute la preuve dont il dispose, à moins que le contraire soit établi (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 598 (CAF) (QL) au para 1). M. Truong n’a pas donné d’exemple d’éléments de preuve qui n’avaient pas été examinés par la SAI ou qui allaient carrément à l’encontre des conclusions de la SAI (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF No 1425 (QL) [Cepeda‑Gutierrez] au 17). De plus, le fait que le décideur a omis de mentionner un élément de preuve en particulier ne signifie pas qu’il n’en a pas tenu compte (Newfoundland Nurses au para 16). C’est seulement lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver une conclusion contraire que la Cour fédérale peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 aux paras 9 à 10; Cepeda‑Gutierrez aux s 16 et 17). Ce n’est pas le cas ici.

[37]  Les arguments présentés par M. Truong ne constituent que la simple expression de son désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la SAI et il demande à la Cour de préférer son propre examen et son interprétation à celles du tribunal. Essentiellement, M. Truong invite la Cour à pondérer de nouveau la preuve qu’il a présentée à la SAI. Toutefois, il ne s’agit pas là du rôle de la Cour lorsqu’elle procède à un examen des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable; elle n’a pas non plus pour mission d’apprécier de nouveau l’importance relative donnée par le décideur à un facteur ou à un élément de preuve. Il est clair que les témoignages des deux époux étaient très différents sur les éléments principaux de leur relation. La Cour n’a pas à décider quelle version est la plus probable. Il suffit de conclure que le processus de raisonnement de la SAI n’est pas vicié et qu’il est appuyé par la preuve. Les explications de M. Truong ont toutes été prises en considération par la SAI, laquelle ne les a simplement pas retenues.

[38]  La cour de révision doit faire preuve d’une déférence particulière envers la SAI en ce qui a trait aux questions liées à de crédibilité, lesquelles sont primordiales quant à l’analyse de l’authenticité d’une relation (Keo au para 24). Cela est d’autant plus pertinent dans un cas comme celui‑ci, où des personnes qui cherchent à tromper les autorités de l’immigration veulent donner à leur mariage une apparence d’authenticité. Comme la Cour l’a récemment indiqué, « l’évaluation de l’authenticité d’un mariage est une tâche difficile, même dans les meilleures conditions », dans un contexte où les personnes « qui ont l’intention d’avoir recours à une forme de tromperie pour obtenir le très précieux statut de résident permanent canadien se conduiront de façon que la relation semble extérieurement authentique, même si elle ne l’est pas » (Nguyen au para 21, citant Bercasio au para 23). C’est une décision hautement factuelle, qui est au cœur de l’expertise et des fonctions de la SAI. Même si la Cour peut examiner la preuve différemment, elle ne doit pas intervenir et imposer sa propre opinion d’un résultat préférable quand la décision est justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables.

[39]  Je rejette également la suggestion de M. Truong selon laquelle l’analyse de la SAI était déraisonnablement « microscopique » ou trop zélée. Je reconnais qu’il est inapproprié pour un décideur d’appuyer ses constatations sur un examen exhaustif et à la loupe des problèmes et des divergences qui sont non pertinentes ou accessoires à la demande, ignorant ainsi les incidents sérieux qui sont essentiels au dossier de preuve (Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] ACF No 442 (CAF) au para 2; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 713 au para 27). Mais il ne s’agit toutefois pas d’une situation où la SAI a, de façon erronée, procédé à un « examen à la loupe » des témoignages de M. Truong et de Mme Nguyen ou se serait fondée sur des « contradictions accessoires » pour les discréditer. Le fait qu’une analyse soit rigoureuse et complète n’est pas nécessairement une analyse à la loupe. Les facteurs sur lesquels la SAI s’est penchée n’étaient pas des questions accessoires à l’appel interjeté par M. Truong; il s’agissait plutôt de facteurs très pertinents, qui allaient à cœur même de la question en litige, soit la question de savoir si son mariage avec Mme Nguyen était authentique ou non (Konya c Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 975 aux paras 21 et 22).

[40]  Les motifs doivent être lus dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65 au para 3). Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54). La Cour doit plutôt lire les motifs en vue de les « comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151 au para 15). Une lecture de la décision de la SAI dans son ensemble démontre que le tribunal a apprécié de manière appropriée tous les facteurs nécessaires et qu’il a fourni une analyse de la preuve dont il disposait. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

IV.  Conclusion

[41]  Le rejet par la SAI de l’appel de M. Truong au motif que son mariage n’était pas authentique et que le couple visait principalement l’acquisition d’un statut d’immigration constitue une issue raisonnable, selon le droit applicable et la preuve dont le tribunal disposait. La décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire qui appartient aux issues possibles acceptables et qui peut se justifier au regard des faits et du droit satisfait à la norme de la décision raisonnable. C’est le cas en l’espèce. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Truong.

[42]  Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a soumis une question grave de portée générale en vue de la certification. Je conviens que la présente affaire ne soulève pas de telle question.


JUGEMENT au dossier IMM‑3644‑16

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de juin 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3644‑16

 

INTITULÉ :

LAP TRUNG TRUONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 FÉVRIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS : 

LE 28 AVRIL 2017

 

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

POUR LE DEMANDEUR

 

Rachel Hepburn‑Craig

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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