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Date : 20170501


Dossier : IMM-2543-16

Référence : 2017 CF 419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er mai 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

AMINA MOHAMED RAGE

HANAN OMAR IBRAHM

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENTS ET MOTIFS

[1]               La présente demande vise le rejet du 28 mai 2016 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de l’appel des demanderesses interjeté par Mme Rage (la demanderesse) en son nom et celui de sa fille mineure. L’appel contestait le rejet par la Section de la protection des réfugiés (SPR) du 16 mai 2016 de la demande d’asile des demanderesses, qui sont citoyennes somaliennes. La SPR a décrit ainsi le fondement de la demande :

[TRADUCTION]

Les demanderesses allèguent qu’elles craignent de retourner en Somalie car elles appartiennent au clan Sekha, qui est un clan minoritaire. La demanderesse principale s’est mariée en 2010 à Omar Ibrahim Ahmed. Ensemble, ils ont eu deux enfants. Le mari de la demanderesse principale travaillait en Somalie pour un organisme de télécommunications qui a reçu des menaces d’Al Shabab. En novembre 2013, le mari de la demanderesse a appris que lui et son fils nouveau-né étaient recherchés par Al Shabab. Un jour, le mari de la demanderesse est parti avec leur fils et a disparu.

La demanderesse et sa fille ont appris qu’Al Shabab les recherchait et ont dû se cacher. Elles ont voyagé jusqu’au Kenya en janvier 2014 et ont finalement réussi à se rendre au Canada, où elles ont présenté une demande d’asile en septembre 2014.

(Décision de la SPR, paragraphes 3 à 5, dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 235).

[2]               La SPR a rejeté la demande en concluant que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et que les identités personnelles et nationales d’elle-même et de sa fille n’avaient pas été prouvées. Un des éléments principaux de la courte décision de la SPR est qu’en raison d’une incohérence retrouvée dans le témoignage de la demanderesse, il n’était pas possible d’accorder de poids aux documents corroborant la preuve de cette dernière sur son identité. La SPR a tenu compte de copies de documents concernant la demande d’asile présentée en Ouganda par le mari de la demanderesse. La conclusion se lit comme suit :

[TRADUCTION]

La demanderesse principale a témoigné qu’elle est toujours en contact avec son mari. Elle a été questionnée sur les déplacements de son mari après qu’il ait quitté la Somalie. Elle a témoigné que son mari s’est d’abord rendu au Kenya, où il est resté deux semaines, soit jusqu’au mois de janvier 2014. Il s’est ensuite rendu en Ouganda, où il est demeuré en 2014 et 2015. Toutefois, selon ses formulaires de demande d’asile, il aurait quitté la Somalie le 20 mars 2015 et serait arrivé en Ouganda le 9 avril 2015. La demanderesse principale a déclaré qu’on lui avait dit qu’il n’avait pas présenté immédiatement de demande d’asile, car son fils était malade. Le tribunal considère cependant qu’il ne s’agit pas d’une explication raisonnable de la différence retrouvée entre les dates d’entrées inscrites sur les formulaires de demande d’asile et celles ressortant du témoignage de la demanderesse principale. Il note également que la date du départ de Somalie déclarée par la demanderesse dans son témoignage est différente de celle retrouvée aux formulaires. La demanderesse s’est également fait questionner sur des renseignements incohérents retrouvés aux formulaires, dont de nombreux points d’exclamation et une lettre du « bureau du premier ministre ». La demanderesse n’a pu expliquer ces incohérences. Le tribunal est d’avis que les documents au soutien de la demande du mari de la demanderesse ne sont pas cohérents avec son témoignage et qu’ils ne démontrent pas de façon crédible la relation existant entre elle et son mari. En raison de ces incohérences, le tribunal n’accorde aucune valeur à la lettre de consentement du mari et aux documents de demande d’asile de l’Ouganda comme preuve corroborant le témoignage de la demanderesse.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision de la SPR au paragraphe 13, DCT, à la page 239).

[3]               Devant la SAR, l’avocat des demanderesses a plaidé que ces documents fournissaient une preuve cruciale de leur identité et que la SPR avait commis une erreur en les rejetant uniquement en raison du manque de crédibilité du témoignage de la demanderesse. Au soutien de cet argument, l’avocat des demanderesses a déposé les documents originaux devant la SAR afin de lui permettre de les examiner pour évaluer leur validité. La SAR a refusé d’admettre en preuve ces originaux puisque des copies avaient déjà été admises et que ces originaux [Traduction] « ne constituent pas une preuve nouvelle et n’apportent pas de précisions importantes sur des circonstances déjà connues » (décision, au paragraphe 13).

[4]               À l’égard de l’argument selon lequel la SPR avait commis une erreur en rejetant les copies des documents, après avoir effectué sa propre analyse, la SAR en est arrivée aux mêmes conclusions que la SPR. Après avoir fait sienne la conclusion de la SPR selon laquelle la preuve de la demanderesse [Traduction] « n’explique pas raisonnablement les incohérences entre les dates où son mari a quitté la Somalie et est arrivé en Ouganda et son témoignage » (décision, au paragraphe 32) et après avoir reconnu la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer raisonnablement les irrégularités retrouvées sur la lettre provenant du « bureau du premier ministre » (décision au paragraphe 33), la SAR a examiné le document et en est venue à la même conclusion, aux paragraphes 35 et 36 de sa décision.

La SAR n’a pas été convaincue par l’argument des demanderesses. La section d’appel des réfugiés observe qu’après un examen minutieux du document, il est manifeste que les endroits où se trouvent les points d’exclamation devraient porter le nom de la personne acceptant les modalités du certificat, soit le mari de la demanderesse en l’espèce. En outre, la SAR observe que le certificat prévoit un endroit pour l’empreinte digitale ou la signature du mari, endroit laissé en blanc sur le formulaire.

La SAR conclut que les préoccupations engendrées par le document jointes au témoignage principal de la demanderesse minent la crédibilité du document et de la demanderesse principale. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le document n’était pas authentique. La SAR observe que tous les documents reliés au statut du mari en Ouganda émanent de la même source et qu’en raison des préoccupations soulevées, ils ne peuvent recevoir que peu de valeur.

[Non souligné dans l’original.]

[5]               Par conséquent, la SAR a ajouté une nouvelle composante à la délibération, sans qu’il ne semble y avoir eu de préavis, soit la fiabilité de la source des documents. Ainsi, non seulement il a été conclu sur le plan de la vraisemblance que le document n’était pas authentique sans qu’il n’y ait de preuve sur ce qui doit être attendu d’un document authentique provenant du gouvernement de l’Ouganda (voir Gjelaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 210; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 694), mais il a été déterminé par le fait même que tous les documents étaient frauduleux puisqu’ils provenaient de la même source. Il n’est pas clair si cette « même source » est le mari de la demanderesse ou le gouvernement de l’Ouganda. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’il n’existe pas de preuve documentaire pour en arriver à cette conclusion, qui est manifestement fondée sur le doute seulement. Selon moi, la SAR aurait au moins dû tenir compte des documents originaux pour tenter de dissiper le doute existant.

[6]               Un exemple particulièrement grave des conséquences de ce doute est le rejet de la preuve d’identité offerte par le père de la demanderesse, au paragraphe 57 de la décision :

[TRADUCTION]

La SAR conclut également qu’il ne peut être accordé que peu de valeur à l’affidavit du père de la demanderesse pour établir l’identité des demanderesses et soutenir leurs allégations. La SAR note que le père de la demanderesse principale allègue qu’il a lui aussi quitté la Somalie et qu’il vit à présent au Kenya, pour les mêmes motifs que ceux invoqués par les demanderesses. Puisqu’il possède un intérêt direct envers le résultat de la demande des demanderesses, son affidavit ne peut faire foi d’un témoignage indépendant.

[Non souligné dans l’original.]

[7]               Je suis d’avis que c’est l’effet du soupçon qui a mené à l’exclusion de la preuve sur l’identité des demanderesses, ce qui a pour effet de corrompre la décision visée par le contrôle judiciaire et de la rendre déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR infirme la décision et renvoie l’affaire pour réexamen à un tribunal différemment constitué.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2543-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

AMINA MOHAMED RAGE et HANAN OMAR IBRAHM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mai 2017

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

Pour les demanderesses

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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