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Date : 20170428


Dossier : T-1969-15

Référence : 2017 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MD SHABUDDIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Shabuddin, qui est citoyen du Bangladesh, est entré au Canada le 11 février 2010 avec son épouse, sa fille et ses trois fils. Il a présenté une demande de citoyenneté le 12 février 2014.

[2]               Sa demande a été renvoyée pour audience devant une juge de la citoyenneté [la juge], puisque le rapport de ses antécédents de voyage provenant du Système intégré d’exécution des douanes [SIED] établissait qu’il n’avait pas dévoilé certains voyages. Le demandeur, qui n’était pas représenté par un avocat, a comparu devant la juge accompagné de son fils qui agissait à titre d’interprète.

[3]               Le 13 octobre 2015, la juge a rejeté la demande de M. Shabuddin. La juge a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas établi sa présence effective au Canada pendant le nombre de jours requis, et qu’il n’avait donc pas démontré qu’il répondait aux critères de résidence prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232, aux paragraphes 4 et 6, 19 Imm. L.R. (2d) 259 (1re inst.)).

[4]               Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision négative, M. Shabuddin soutient que : (1) la décision était inéquitable parce que la juge l’a rendue avant de recevoir les documents de réclamations de soins de santé requis; (2) il a été privé de son droit à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son avocat; et (3) la décision était déraisonnable. Il demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[5]               Je ne vois aucune raison de modifier la décision de la juge et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                 Questions en litige

[6]               La présente demande soulève les trois questions suivantes :

A.                 Le prononcé de la décision avant la réception des documents de santé requis a-t-il entraîné un manquement à l’obligation d’équité procédurale?

B.                 La prétendue incompétence de l’avocat a-t-elle entraîné un manquement à la justice naturelle?

C.                 La décision était-elle raisonnable?

III.               Norme de contrôle

[7]               La norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’analyse faite par la juge de la citoyenneté pour déterminer si M. Shabuddin satisfaisait à l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est celle de la décision raisonnable (Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 19, au paragraphe 13; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Rahman, 2013 CF 1274, aux paragraphes 12 et 13; Saad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 18). La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale, y compris la question de l’incompétence de l’avocat (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 30)).

IV.              Analyse

A.                 Le prononcé de la décision avant la réception des documents de santé requis a-t-il entraîné un manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[8]               La période utilisée pour calculer la durée de la résidence de M. Shabuddin au Canada en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29) [la Loi sur la citoyenneté] était celle du 12 février 2010 au 12 février 2014. Après l’audience relative à la citoyenneté, M. Shabuddin a été invité par écrit à fournir des éléments de preuve documentaire précis visant à établir sa présence au Canada [la demande]. Dans la demande, on priait M. Shabuddin de fournir les documents désignés dans les 30 jours civils suivant la date de la demande, le 13 août 2015. On lui a demandé de produire notamment les copies du sommaire provincial des réclamations personnelles de soins de santé pour la période du 12 février 2010 au 12 février 2014.

[9]               Le 17 août 2015, M. Shabuddin a communiqué avec un avocat pour l’aider à répondre à la demande [l’ancien avocat]. Le même jour, l’ancien avocat a demandé à M. Shabuddin de lui remettre son dossier de santé personnel. Le 1er septembre 2015, l’ancien avocat a écrit à Citoyenneté et Immigration Canada en joignant bon nombre des documents demandés et en précisant ce qui suit : [TRADUCTION] « Le demandeur a demandé à obtenir, le 17 août 2015, les renseignements sur ses réclamations personnelles de soins de santé, ainsi que ses antécédents de voyage de l’ASFC. Dès que nous recevrons les documents, nous vous les enverrons ». Une prorogation du délai pour produire le dossier de santé personnel n’était pas explicitement demandée; la lettre se terminait plutôt ainsi : [TRADUCTION] « Pour toute question ou préoccupation, n’hésitez pas à communiquer directement avec le soussigné ».

[10]           Le dossier de santé personnel n’avait pas été produit le 12 septembre 2013. Le 13 octobre 2015, la juge a rejeté la demande de citoyenneté et a informé le demandeur de sa décision le 19 octobre 2015 en lui rappelant également ce qui suit : [TRADUCTION] « vous pouvez présenter une nouvelle demande de citoyenneté ». M. Shabuddin soutient que la déclaration de son ancien avocat dans la lettre du 1er septembre 2015, indiquant que les documents relatifs aux renseignements médicaux personnels avaient été demandés et seraient envoyés dès leur réception, était en fait une demande de prorogation du délai. Il affirme également, se fondant sur la décision Eze c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 92, aux paragraphes 16 à 18 [Eze], que sa demande aurait dû être abordée dans la décision et que cette omission constituait un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas de cet avis.

[11]           Dans la décision Eze, le juge Near a conclu qu’un demandeur a droit à ce qu’une demande de prorogation du délai imparti pour la présentation de renseignements supplémentaires soit examinée expressément, et que cette omission constitue un manquement à l’équité procédurale (Eze, au paragraphe 21). L’avocat du demandeur a fait valoir que les termes utilisés dans la lettre du 1er septembre 2015 de l’ancien avocat étaient essentiellement les mêmes que ceux utilisés dans une demande de prorogation. Ils ne l’étaient pas.

[12]           En indiquant que les documents seraient acheminés dès leur réception, l’ancien avocat n’a pas mentionné que l’on pouvait s’attendre à ce que ces documents ne soient pas reçus avant le délai de 30 jours civils imposé par la juge et n’a pas demandé une prorogation du délai à une date ultérieure précise. Même s’il y a peut-être des circonstances où ce genre de formulation pourrait raisonnablement permettre de conclure qu’une prorogation du délai a été demandée, ces circonstances sont absentes en l’espèce. La formulation utilisée dans la lettre de l’ancien avocat n’imposait aucune obligation à la juge de retarder le prononcé d’une décision définitive, de se demander à quel moment les documents pourraient être reçus ou d’expliquer les raisons du refus d’accorder une prorogation du délai. Malgré cela, la juge n’a rendu sa décision définitive que le 13 octobre 2015, soit un mois après l’expiration du délai de production des documents demandés. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans ces circonstances.

B.                 La prétendue incompétence de l’avocat a-t-elle entraîné un manquement à la justice naturelle?

[13]           M. Shabuddin prétend que si la Cour concluait à l’absence d’une demande de prorogation du délai, elle devrait alors conclure à un manquement à la justice naturelle en raison de l’incompétence prétendue de l’ancien avocat.

[14]           En soulevant une allégation contre un avocat, une partie est tenue de se conformer au Protocole procédural de notre Cour daté du 7 mars 2014 : Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger [le protocole]. Le protocole prévoit que l’ancien avocat soit avisé par écrit de l’allégation, qu’on lui donne la possibilité de répondre et que le dossier de la demande mise en état à l’origine des allégations lui soit signifié. L’ancien avocat a le droit de répondre aux allégations formulées dans le dossier et peut demander l’autorisation d’intervenir.

[15]           En l’espèce, M. Shabuddin formule deux allégations d’incompétence différentes. En ce qui concerne la première allégation, l’ancien avocat a reçu un avis écrit et a fourni une réponse par écrit avant la mise en état du dossier de la demande. Pour ce qui est de la deuxième allégation, en revanche, le protocole n’a pas été respecté. En outre, le demandeur n’a pas signifié à l’ancien avocat le dossier de la demande mise en état qui traite des allégations d’incompétence de ce dernier.

[16]           La présente affaire devait être entendue à trois occasions distinctes, et a été reportée à chacune de ces occasions en raison de problèmes de santé de l’avocat de M. Shabuddin. Au cours des plaidoiries, la Cour a été informée que ces problèmes de santé ne s’étaient pas réglés et que M. Shabuddin avait retenu les services d’un nouvel avocat immédiatement avant l’audition de la présente affaire.

[17]           À l’audience, l’avocat de M. Shabuddin a informé la Cour que le protocole n’avait été respecté qu’en partie dans le cas de la première allégation, qu’il n’avait pas été respecté en ce qui a trait à la deuxième allégation et que le dossier de la demande mise en état n’avait pas été signifié à l’ancien avocat. Il a fait valoir que (1) se fondant sur la décision Mckenzie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 719, en ce qui concerne la première allégation, je devrais considérer la conformité partielle au protocole comme une conformité substantielle et examiner la question, et (2) si la Cour contestait l’absence de signification du dossier de la demande mise en état à l’ancien avocat, elle devrait donner à M. Shabuddin l’occasion de le faire maintenant.

[18]           Les arguments concernant la compétence représentent un défi particulier pour la Cour. L’objectif déclaré du protocole est d’aider la Cour [traduction] « à rendre des décisions sur les demandes contenant de telles allégations ». Le protocole a pour effet supplémentaire de fournir à l’avocat contre qui les allégations sont faites l’occasion de répondre à ces allégations.

[19]           En l’espèce, avant la mise en état du dossier de la demande, l’ancien avocat a reçu un avis d’allégation de négligence pour ne pas avoir demandé une prorogation du délai de production des documents demandés. L’ancien avocat a répondu à cet avis en corrigeant les renseignements sur sa participation au dossier, les mesures prises en vue d’obtenir les documents demandés et les erreurs concernant le moment des demandes contenues dans la lettre d’allégation. Il ressort clairement de la lettre que l’ancien avocat a demandé un réexamen de la décision de la juge. 

[20]           Bien que la conformité partielle de M. Shabuddin au protocole ait fourni certains renseignements à la Cour, elle indiquait également que l’ancien avocat contestait l’allégation d’incompétence et était prêt à présenter des arguments en réponse à cette allégation. Après avoir fourni sa réponse initiale, l’ancien avocat n’a reçu aucun autre avis l’informant que les allégations avaient été maintenues dans le cadre du contrôle judiciaire et qu’elles avaient en fait été élargies de façon à y inclure une allégation d’incompétence distincte. Même si, dans certaines circonstances, la conformité partielle peut équivaloir à la conformité substantielle, je ne suis pas en mesure de tirer cette conclusion dans ce cas-ci. En l’espèce, la Cour se trouve devant une perception incomplète des circonstances liées à l’incompétence prétendue, et l’ancien avocat n’a pas eu la possibilité de présenter des observations sur la question malgré les répercussions que de telles allégations peuvent avoir tant sur le plan personnel que professionnel. Je ne suis pas prêt à examiner le bien-fondé de l’allégation d’incompétence.

[21]           En arrivant à cette conclusion, j’ai une grande compassion pour M. Shabuddin. Si des renseignements n’ont pas été fournis à la juge en temps opportun, cette erreur ne repose pas sur ses épaules. Cependant, il n’en demeure pas moins que la présente affaire devait être entendue à quatre occasions distinctes et que M. Shabuddin devait raisonnablement être au courant des problèmes de santé de son avocat; pourtant les services de son nouvel avocat n’ont été retenus qu’avant l’audition de la présente affaire.

C.                 La décision était-elle raisonnable?

[22]           M. Shabuddin soutient qu’il était déraisonnable pour la juge de conclure qu’il n’avait pas démontré qu’il avait résidé au Canada pendant le nombre minimal de jours requis. Il prétend que la juge n’a pas examiné l’ensemble de la preuve et qu’elle a plutôt analysé la preuve élément par élément. Il fait valoir que si la juge avait adopté une [TRADUCTION] « approche fondée sur l’ensemble de la preuve », elle aurait pu conclure que la preuve était suffisante et qu’il s’était acquitté du fardeau de présentation qui lui incombait. Encore une fois, je ne partage pas ce point de vue.

[23]           Il était loisible à la juge de conclure que M. Shabuddin n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il satisfaisait à l’exigence de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. La juge a examiné la preuve, tant individuellement que dans son ensemble, et a raisonnablement conclu que la preuve sur la présence du demandeur au Canada était constituée d’indices passifs et non actifs.

V.                 Conclusion

[24]           La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1969-15

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1969-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MD SHABUDDIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

Pour le demandeur

 

Nimanthika Kaneira

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats spécialisés en immigration

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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