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Date : 20170501


Dossier : IMM-4160-16

Référence : 2017 CF 420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er mai 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

YUNCHUN WU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le présent contrôle vise la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), datée du 6 septembre 2016, par laquelle elle a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre d’adepte du Falun Gong en Chine et au Canada. Le scénario à la base de la demande d’asile du demandeur est le suivant : pour améliorer sa santé, le demandeur a été initié au Falun Gong par un ami, en est devenu un adepte et a par la suite été pourchassé par les autorités en Chine, ce qui l’a amené à fuir au Canada.

[2]               Lors de l’appel interjeté à l’encontre de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés (SPR), la SAR, après avoir procédé à une évaluation indépendante de la preuve dont disposait la SPR, a rejeté la demande du demandeur en raison de conclusions d’invraisemblance contestées, lesquelles ont mené à la conclusion que le demandeur n’a pas commencé à pratiquer le Falun Gong en Chine (décision, paragraphe 44) et n’était pas un adepte du Falun Gong en Chine (décision, paragraphe 58).

[3]               Cependant, comme élément principal de sa demande d’asile, le demandeur a également avancé l’argument qu’à titre d’adepte du Falun Gong au Canada, il a présenté une demande sur place selon laquelle il serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution s’il devait retourner en Chine. La SAR a traité cet argument en se concentrant sur la connaissance qu’avait le demandeur du Falun Gong. Ainsi, la SAR a estimé que le demandeur n’est pas [traduction« un véritable adepte du Falun Gong en raison de son manque de connaissances des principes de base du Falun Gong » (décision, paragraphe 81), et que par conséquent, il ne pourrait être perçu comme un adepte par [traduction] « les autorités de Chine », et [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, il pouvait retourner en Chine sans craindre d’être persécuté pour pratique alléguée du Falun Gong » (décision, paragraphe 83).

[4]               Le litige porte sur la preuve qui a permis à la SAR de conclure qu’un certain niveau de connaissances est nécessaire avant qu’une personne puisse être un [traduction] « véritable » adepte du Falun Gong et être perçue comme un adepte du Falun Gong. La preuve appliquée pour tirer cette conclusion apparaît au paragraphe 68 de la décision :

[traduction] Le fondement du Falun Dafa consiste en un corps de connaissances fondamentales indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation d’une manière permettant d’atteindre les plus hauts niveaux de perfectionnement. Il comprend les enseignements de Maître Li colligés dans divers ouvrages dont le plus important est Zhuan Falun (Rotation de la Roue de la loi);

le China Falun Gong est un bon résumé des principes et des exercices recommandés aux débutants. Depuis l’antiquité chinoise, la plupart des enseignements constituaient une connaissance très secrète et n’ont été transmis par les maîtres qu’aux disciples de confiance (CND pour la Chine, 30 octobre 2015).

[Non souligné dans l’original.]

[5]               La conclusion à laquelle en est arrivée la SAR en se fondant sur la preuve est expliquée aux paragraphes 69 à 71 de la décision :

[traduction] Étant donné que le fondement du Falun Dafa consiste en un corps de connaissances fondamentales [souligné dans l’original] indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation, il serait plutôt difficile pour un soi-disant adepte du Falun Gong de posséder peu de ces connaissances fondamentales [non souligné dans l’original]. Selon la SAR, les attentes à l’égard d’une personne comme l’appelant, qui affirme adhérer à une pratique fondée sur les connaissances, peuvent bien être différentes de celles qu’elle a à l’égard d’une personne qui déclare suivre un système de croyances fondé sur la foi. Même si ce fait ne justifie pas une analyse microscopique de la preuve d’un appelant, il crée l’attente que le demandeur d’asile qui prétend être un adepte du Falun Gong est en mesure de témoigner au sujet de ces connaissances fondamentales indispensables [souligné dans l’original].

La SAR a examiné la totalité de la preuve, et bien que l’appelant possède une certaine connaissance du Falun Gong, la SAR estime que ses allégations selon lesquelles il est un véritable adepte du Falun Gong ne sont pas crédibles. La SAR a conclu plus haut dans la présente décision, que l’appelant n’était pas un adepte du Falun Gong en Chine. Ci-dessous, la SAR fait part de ses préoccupations concernant les connaissances de l’appelant et sa pratique au Canada. Selon son témoignage, l’appelant possédait quelques connaissances au sujet des discours du Maître Li. L’appelant aurait pratiqué le Falun Gong depuis le 12 octobre 2013, jusqu’à son audience devant la SAR le 4 mai 2016.

La SAR estime que ses connaissances sur les philosophies de base sont soit incorrectes, soit faibles. Pour que l’appelant puisse être considéré comme un véritable adepte du Falun Gong en Chine, sa pratique aurait dû inclure l’étude des philosophies du Maître Li Hongzhi.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphes 69 à 71)

[6]               À mon avis, la preuve n’étaye pas la conclusion. La preuve établit que pour atteindre les plus hauts niveaux de perfectionnement, il est indispensable de posséder un corps de connaissances fondamentales. La preuve n’établit pas qu’une personne qui étudie les connaissances ne peut être un véritable adepte et ne peut être perçue comme tel par la SAR. Ainsi, j’estime que la conclusion de la SAR concernant la preuve est erronée.

[7]                Cette conclusion erronée a eu une incidence défavorable injustifiée sur la preuve produite par le demandeur. En plus de son propre témoignage sous serment selon lequel il est un adepte du Falun Gong au Canada, témoignage que n’a pas cru la SAR, le demandeur a déposé des éléments de preuve documentaires attestant le fait qu’il est un adepte du Falun Gong au Canada. Ces éléments de preuve ont été traités de la façon suivante :

[traduction] Après avoir examiné la documentation déposée par l’appelant, la SAR n’accorde aucun poids à la lettre en raison de la conclusion tirée plus haut [que l’appelant ne serait pas considéré comme un véritable adepte en raison de son manque de connaissances des principes de base du Falun Gong (décision, paragraphe 81)], en plus du fait que la lettre n’était pas accompagnée d’un serment, remarque également faite par la SPR. Il n’y avait aucun élément de preuve corroborant pour étayer l’expertise de l’auteur de la lettre qui lui permettrait d’évaluer que l’appelant est un véritable adepte (décision, paragraphe 82).

[8]               La lettre est rédigée comme suit :

[traduction] Lettre de confirmation

Mon nom est Li, Dongshu, et je suis adepte du Falungong. Je vais au Meilijing Garden pour pratiquer le Falungong avec d’autres membres du groupe les samedi et dimanche. J’ai rencontré Wu, Yunchun à cet endroit le 7 septembre 2014, et c’était la première fois qu’il pratiquait le Falungong avec nous au Meilijing Garden. Depuis, nous allons au Meilijing Garden pour pratiquer le Falungong les samedi et dimanche. Il a pratiqué et étudié le Falungong avec nous et a aussi participé à d’autres activités de groupe.

Je confirme que Wu, Yunchun est un véritable adepte du Falungong.

Li, Dongshu

27 novembre 2014

(Dossier certifié du tribunal, à la page 547)

[9]               À mon avis, la SAR a considéré la lettre avec un œil suspecte, parce qu’elle n’était pas conforme à la conclusion déjà tirée et a donc été rejetée immédiatement. Selon moi, la SAR n’avait aucune raison d’agir ainsi. Il n’y avait pas de raison de s’attendre à ce que la lettre ait été « accompagnée d’un serment » et la lettre, c’est certain, n’a pas été déposée à titre d’avis d’un expert. La lettre a été déposée en tant que déclaration corroborant le témoignage sous serment du demandeur et, par conséquent, elle méritait d’être prise en considération, ce qui n’a pas été le cas.

[10]           Par conséquent, j’estime que la décision de la SAR de rejeter la demande sur place a été prise par suite d’une erreur de fait.


JUGEMENT

LA COUR infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal différemment constitué.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4160-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

YUNCHUN WU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mai 2017

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

Pour le demandeur

Meva Motwani

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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