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Date : 20170426


Dossier : T-1105-16

Référence : 2017 CF 405

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

IRMA THÉRIAULT

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le procureur général du Canada demande le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal de la sécurité sociale du Canada – Division d’appel [TSS-DA] rendue le 8 juin 2016. La demande de contrôle judiciaire est présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, 1985, c F-7.

[2]               La situation est plutôt incongrue en ce que le demandeur se trouve sans adversaire devant cette Cour alors que la question est étroite. Le TSS-DA aurait-il dû accorder la permission d’en appeler?

I.                   Question préliminaire

[3]               Madame Thériault a choisi de ne pas participer à la demande de contrôle judiciaire. Par ailleurs, elle n’a pas non plus concédé l’appel, si bien que l’audience devant cette Cour n’aura permis d’entendre que le procureur général du Canada. Cette situation quelque peu inhabituelle n’empêche aucunement que le contrôle judiciaire soit entendu. Ce qui doit par ailleurs être compris est que le fardeau est sur les épaules du demandeur en contrôle judiciaire et que, si ce fardeau n’est pas déchargé, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée malgré l’absence d’une partie défenderesse. J’ajoute que la représentante du Procureur général a agi avec toute la pondération espérée dans de pareilles circonstances.

II.                Les faits

[4]               Madame Thériault, maintenant âgée de 61 ans, cherchait à obtenir des prestations d’invalidité grâce au Régime des pensions du Canada, LRC (1985), ch C-8. Elle a une scolarité complétée de 12 années et aurait complété deux années d’études post-secondaires. Elle a occupé un emploi dans une maison funéraire où elle aurait été femme de ménage et assistante de bureau jusqu’à ce qu’elle cesse tout emploi en juillet 2011 en raison de douleurs ressenties. Elle prétend que sa condition médicale résultant de fibromyalgie, d’arthrose et du syndrome du côlon irritable l’a rendue invalide au sens du paragraphe 42 (2) du Régime des pensions du Canada. Certains rapports médicaux étaient produits au dossier. Il n’est pas nécessaire d’épiloguer sur ceux-ci puisque le législateur a reconnu que la juridiction pour disposer de demandes de pension est laissée aux tribunaux administratifs. Afin de déterminer si un contrôle judiciaire doit être accordé, il n’est pas nécessaire à cette Cour de se pencher sur le mérite de la demande de pension.

[5]               Selon le ministère chargé d’administrer le régime de pension, Madame Thériault n’était pas empêchée de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, les demandes de prestations lui ont été refusées.

III.             Les décisions pertinentes à la résolution du litige

A.                La décision du TSS-DG

[6]               Le 28 novembre 2015, le Tribunal de la sécurité sociale du Canada – Division générale [TSS-DG] rendait sa décision sur la demande interjetée par Madame Thériault face à la décision du ministre de l’emploi et du développement social de ne pas faire droit à sa demande de prestation d’invalidité.

[7]               Après un bref résumé de la preuve, et examinant d’un peu plus près les avis médicaux présentés au soutien de la demande, le TSS-DG concluait que l’invalidité alléguée n’avait pas un caractère de gravité qui mérite des prestations (para 23). On peut lire au paragraphe 17 de la décision un très bref sommaire sous le titre « caractère grave »:

[17]      L’appelante a une 12ieme niveau de scolarité, une formation postsecondaire et compétence transférables. Elle n’a pas tente de retourner au travail, à recycler out à chercher un autre emploi. La preuve médicale montre un état léger, et seulement les traitements conservateurs ont été prescrits. L’appelante a témoigné qu’elle est capable de faires certaines tâches ménagères, sous réserve de modification et à son propre rythme.[sic]

[8]               Le paragraphe de la décision du TSS-DG qui pose problème est le paragraphe 18. Il est l’énoncé fait par le TSS-DG du test qui devrait être appliqué. Il se lit de la façon suivante :

[18]      Le tribunal reconnaît que l’appelante a des limites en raison de son état; toutefois, une détermination d’une invalidité grave ne peut être accordée jusqu’à ce que les tentative de travailler dans tous les type d’emploi son infructueuses en raison de son état. [sic]

[9]               Sans jamais faire de lien avec la description du test à appliquer qui est présentée au paragraphe 18, le TSS-DG présente dans les 3 paragraphes suivants ce qui me semble n’être que des paragraphes gabarits. Ainsi, on peut lire que la gravité de l’invalidité est évaluée dans un contexte « réaliste » tenant compte de l’âge, de l’instruction, des aptitudes linguistiques, des antécédents de travail et l’expérience de vie. On cite l’arrêt Villani c Canada (Procureur général), 2001 CAF 248 [Villani] à l’appui de cette proposition.

[10]           Les conditions du marché du travail ne seraient pas pertinentes à la détermination de l’invalidité. Cette fois, on fait référence à l’arrêt Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Rice, 2002 CAF 47. Enfin, si la personne est capable de travailler, l’arrêt Inclima c Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 [Inclima] enseignerait qu’un réclamant devrait démontrer que ses efforts pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux à cause de son état de santé.

[11]           Ces propositions sont lancées en rafale. Elles mènent seulement à la conclusion générale qu’il n’y avait pas une invalidité grave rendant Mme Thériault incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

B.                 La décision du TSS-DA

[12]           La décision en appel auprès du TSS-DA porte essentiellement sur le paragraphe 18 de la décision du TSS-DG. Mais la décision en l’espèce en est une située en amont d’une décision sur le fond de l’affaire.

[13]           En effet, la décision du TSS-DA est relative à une permission d’en appeler de la décision du TSS-DG. La Loi sur le ministère de l’emploi et du développement social, LC 2005 ch 34 [la Loi] ne prévoit pas un appel de plein droit devant le TSS-DA. Cet appel est plutôt soumis à un processus d’examen préalable qui requiert que celle qui veut porter en appel une décision du TSS-DG satisfasse le TSS-DA que l’un des motifs d’appel est présent et qu’il y a lieu de rejeter la permission s’il est convaincu que l’appel n’a aucune chance de succès sur les motifs invoqués.

[14]           Ainsi, l’article 56 de la Loi prévoit spécifiquement qu’« (i)l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission ». C’est l’article 58 qui trouve ici application pour déterminer les motifs d’appel permis; il est pertinent d’en reproduire les quatre premiers paragraphes :

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

Décision

Decision

(3) Elle accorde ou refuse cette permission.

(3) The Appeal Division must either grant or refuse leave to appeal.

Motifs

Reasons

(4) Elle rend une décision motivée par écrit et en fait parvenir une copie à l’appelant et à toute autre partie.

(4) The Appeal Division must give written reasons for its decision to grant or refuse leave and send copies to the appellant and any other party.

Il faut donc que celle qui veut en appeler se réclame de l’un des trois motifs d’appel et qu’il y ait démonstration pour la division d’appel qu’il n’y a pas lieu de rejeter la permission parce que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. On peut voir que le paragraphe 58 (2) constitue une soupape afin d’éviter que, à cause de la présence d’un moyen d’appel, l’on doive entendre cet appel bien qu’il n’ait aucune chance raisonnable de succès. Mais le refus de permettre l’appel malgré la présence d’un moyen d’appel ne sera permis qu’en cas d’absence de chance de succès. Dès qu’une chance raisonnable de succès existe, il n’y aura pas lieu de refuser d’entendre l’appel.

[15]           Il est évident que le TSS-DA n’est pas convaincu que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le TSS-DA aura conclu que l’appel devait procéder parce que « l’appel a une chance raisonnable de succès » (para 27). C’est de cette décision dont contrôle judiciaire est demandé par le gouvernement.

[16]           Le TSS-DA note que l’appel n’est pas une nouvelle audience sur le fond de la demande de pension d’invalidité. La simple répétition des arguments ne sera pas suffisante pour démontrer que l’un des moyens d’appel a une chance raisonnable de succès. Il apparaît aussi plutôt clair que la précision dans les moyens d’appel faisait défaut.

[17]           Ainsi, alors même que Madame Thériault n’avait pas précisé en quoi la décision du TSS-DG était entachée d’une erreur de droit, le TSS-DA semble en avoir trouvé une. Reproduisant le paragraphe 18 de la décision du TSS-DG, le TSS-DA souligne la deuxième partie du paragraphe, à savoir :

            …une détermination d’une invalidité grave ne peut être accordée jusqu’à ce que les tentative de travailler dans tous les type d’emploi son infructueuses en raison de son état. [sic]

[Emphase ajoutée à l’original]

On doit comprendre que c’est la partie soulignée qui « est problématique » (para 25).

[18]           Sans s’expliquer davantage, le TSS-DA indique que malgré la référence à l’arrêt Inclima, « l’application de la jurisprudence aux faits présents semble être erronée. » (para 26). Ainsi, le TSS-DA passe directement du passage souligné déclaré problématique, alors que le TSS-DA essaie de toute évidence d’attirer l’attention, à sa conclusion qu’il y a une chance raisonnable de succès parce que le TSS-DG n’aurait pas appliqué aux faits la jurisprudence pertinente. Si on arrêtait ici, on pourrait croire qu’il s’agissait là d’un exemple patent d’erreur mixte de faits et de droit. Or, au paragraphe 27, le TSS-DA parle plutôt d’une erreur de droit décrite aux paragraphes précédents.

[19]           Sur cette seule base, le TSS-DA conclut que l’appel a une chance raisonnable de succès tel que requis en vertu de l’article 58 de la Loi. Aucune explication n’est donnée outre qu’une telle erreur pourrait mener à l’annulation de la décision attaquée dit le TSS-DA. La permission d’en appeler est accordée.

IV.             Argument et analyse

[20]           Le procureur général demande le contrôle judiciaire de la décision du TSS-DA qui voit une erreur de droit au paragraphe 18 de la décision du TSS-DG. Le procureur général qui, comme indiqué plus haut, n’a pas d’adversaire devant cette Cour, a prétendu que la décision de permettre qu’un appel procède devant le TSS-DA est déraisonnable. Deux arguments sont présentés. D’abord, il ne serait pas raisonnable de voir une chance raisonnable de succès qu’il y a une erreur de droit dans l’énoncé du paragraphe 18 de la décision du TSS-DG. Ensuite, ladite décision n’est pas justifiée, transparente ou intelligible et elle s’écarte des issues acceptables possibles (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 1 RCS 190 [Dunsmuir], para 47).

[21]           Le procureur général argumente donc qu’il n’est pas raisonnable de conclure à erreur de droit parce que la décision s’écarterait des issues possibles acceptables; la décision serait déraisonnable à cet égard. Elle serait aussi déraisonnable parce que ne satisfaisant pas aux critères de justification, intelligibilité et transparence. Le procureur général s’attaque ainsi aux deux facettes de la raisonnabilité, soit la décision elle-même et la façon d’arriver à cette décision.

[22]           La Cour en vient à la conclusion que la décision elle-même en ce qui a trait à une erreur de droit est parmi les issues possibles acceptables. Faisant preuve de déférence à l’endroit de la décision, comme il se doit, la Cour conclut qu’une erreur de droit aurait pu être décelée. Par ailleurs, la justification, la transparence et l’intelligibilité font défaut.

A.                Erreur de droit

[23]           En effet, je crois que le demandeur a bien identifié la difficulté qui a été soulevée par le TSS-DA. À son paragraphe 34 de son mémoire des faits et du droit, le procureur général identifie que le TSS-DA a été interpelé par le concept utilisé au paragraphe 18 de la décision du TSS-DG pour y voir une erreur potentielle. À ce paragraphe, on lit que l’invalidité grave donnant ouverture à une indemnité « ne peut être accordée jusqu’à ce que les tentative de travailler dans tous les type d’emploi son infructueuses en raison de son état. » [sic]. Le procureur général a raison de souligner les mots « tous les type d’emploi » [sic]. Cela pourrait ne pas correspondre à l’état du droit depuis la décision de la Cour d’appel fédérale dans Villani. D’ailleurs, la difficulté que posent ces mots est fort bien décrite par le procureur général au paragraphe 34 de son mémoire. Il y écrit que les mots peuvent être indicatifs « d’une erreur potentielle en raison la [sic] référence du TSS-DG aux tentatives de travailler à l’égard de tous les types d’emploi plutôt qu’à l’égard d’occupations pouvant correspondre à ses caractéristiques propres telles que l’âge, l’éducation, l’expérience de travail… » À mon avis, c’est bel et bien la question qui se pose.

[24]           Qu’à cela ne tienne, le demandeur se réclame du paragraphe 19 de la décision du TSS-DG où le tribunal réfère à l’arrêt Villani. Cela suffirait, selon le demandeur, pour démontrer que l’arrêt Villani a bel et bien été appliqué en l’espèce. De plus, dit le procureur général, la question ne se pose véritablement pas dans notre cas puisque la preuve aurait révélé que Madame Thériault n’avait fait aucun effort pour se trouver un emploi ou en conserver un. On prétend qu’il s’agit là d’une condition essentielle pour l’obtention d’une pension et que cela rend les motifs purement théoriques; en conséquence, il ne pourrait y avoir une chance raisonnable de succès. Aucune autorité n’a été offerte pour soutenir la prétention que la cour de révision peut examiner la preuve pour se satisfaire du caractère théorique d’un appel.

[25]           Le demandeur a raison que la décision d’accorder une permission d’en appeler en notre espèce est régie par la norme de la décision raisonnable. (Canada (Procureur général) c Bernier, 2017 CF 120). Je crois aussi que la difficulté qui a été identifiée par le TSS-DA est bien la référence par le TSS-DG à une compréhension de l’invalidité grave qui requiert que les tentatives de travailler dans tous les types d’emploi sont infructueuses en raison de son état. Il semble qu’une pareille conception ait été partie d’un courant de pensée. Mais l’état du droit se serait établi ailleurs. Ainsi, un tel énoncé pourrait être contraire à l’état du droit depuis l’arrêt Villani.

[26]           Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale devait donner son interprétation du paragraphe 42 (2) du Régime des pensions du Canada. Il s’agit de la disposition qui fournit les définitions de nombreux termes utilisés à la cette loi. C’est l’alinéa 42 (2) a) qui importe pour notre affaire et il se lit de la façon suivante :

(2) Pour l’application de la présente loi :

(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

En notre espèce, seul le sous-alinéa i) devait être interprété. La question de l’invalidité prolongée n’a pas été examinée.

[27]           La Cour d’appel dans Villani devait départager entre deux courants de pensée au sujet du degré d’incapacité requis en vertu de la loi pour souffrir d’une invalidité donnant ouverture à indemnité. Selon un courant de pensée, il fallait démontrer un empêchement de faire toute activité physique ou tout travail. Ce courant de pensée n’a pas été entériné par la Cour d’appel. Ainsi, on peut lire au paragraphe 38 de la décision :

[38]      Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir  n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et  son expérience de la vie.

[28]           Il m’apparaît plutôt clair que le critère à appliquer n’est pas l’incapacité d’une personne à occuper tout emploi, comme semble le déclarer le TSS-DG. Si c’est le test qui a été appliqué, cela pourrait constituer une erreur de droit.

[29]           La tentative du demandeur de récupérer cette erreur de droit est de référer au paragraphe suivant de la décision du TSS-DG où il est fait référence à l’arrêt Villani. La difficulté avec cet argument est que l’auteur de la décision ne fait aucun lien entre les paragraphes. D’ailleurs, ledit paragraphe 19 n’est qu’un gabarit tout comme semblent l’être les paragraphes suivants. Sans lien avec ce qui est déclaré au paragraphe 18, on voit mal comment la simple déclaration de connaissance de l’arrêt Villani atténue ce qui apparaît comme étant l’erreur de droit du paragraphe 18. D’aucuns pourraient prétendre que cela ne fait que mettre en exergue la mauvaise compréhension du TSS-DG. De fait, la mention de « tout type de travail » se trouve aussi au paragraphe 15 de la décision du TSS-DG où on lit que l’intimé (le gouvernement) prétend à l’inadmissibilité parce que « les renseignements médicaux au dossier ne démontrent pas ses limitations l’empêchent de faire tout type de travail » [sic]. Ainsi, la mention de « tout type de travail » ne me semble pas avoir été faite par erreur.

[30]           Le critère de la décision raisonnable s’applique à une décision d’accorder une permission d’en appeler qui ne sera rejetée que si la division d’appel est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. De toute évidence, la TSS-DA exerce un large pouvoir discrétionnaire qui se traduit par une marge de manœuvre ample. Cela élargit la gamme d’options dont pourra disposer le décideur (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, Philipos c Canada (Procureur général), 2016 CAF 79). Pour dire les choses autrement, la gamme d’issues possibles acceptables est large pour ce genre de décision. Le TSS-DA doit déterminer si une erreur de droit a pu être commise. Il ne recherche pas une conclusion définitive à ce stade préliminaire. Est-il une issue possible acceptable qu’une erreur de droit a été commise par le TSS-DG? L’élocution du mauvais test constituant ainsi une erreur de droit me semble être l’une des issues possibles acceptables. De voir une erreur de droit est loin d’une impossibilité : c’est certainement une issue possible à la face même des termes utilisés au para 18.

[31]           La prétention que la preuve n’établit pas que Madame Thériault ait démontré un effort pour se trouver ou conserver un emploi me semble prématurée quand on recherche si nous sommes en présence d’un motif d’appel qui soit l’une des issues possibles acceptables. Au plan analytique, on devrait éviter de traiter des deux ensemble alors même que la Loi les situe à deux étapes différentes. Ce n’est pas la question qui se pose à ce stade. En effet, nous sommes au stade d’une décision quant à une possible erreur de droit. Une telle décision implique déférence pour celui qui la prend. Le TSS-DA n’avait pas à soupeser la preuve pour voir si le test de l’article 42 était rencontré. Il fallait d’abord et avant tout situer où la barre devait être. Or, de situer cette barre à « tous les types d’emploi » est sensiblement trop haut et n’est pas réaliste au sens de l’arrêt Villani. L’erreur de droit consiste en déclarant que la norme à appliquer est la tentative de travailler dans tous les types d’emploi : ce n’est pas l’état du droit depuis Villani. Si c’est le test qui a été utilisé il est erroné.

[32]           Le demandeur a prétendu que malgré l’erreur de droit qui aurait pu émaner, le TSS-DA aurait dû quand même rejeter la permission d’en appeler parce que l’appel serait voué à l’échec. Mais encore aurait-il fallu que le TSS-DA soit convaincu à l’absence de chance raisonnable de succès; cette décision mérite elle aussi déférence. Le TSS-DA aurait dû selon le demandeur convenir d’une absence de tentative de trouver un emploi. Le problème avec le questionnement sur les efforts pour trouver ou conserver un emploi est son caractère absolutiste, tel que présenté par le demandeur. La Cour d’appel dans Inclima semble se limiter à « …dans des affaires comme la présente, où il y a preuve de capacité de travail, il doit également démontrer que des efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. » Ce relativisme est amélioré par Villani où il est dit que la situation particulière du requérant a un impact sur les occupations hypothétiques. À cela s’ajoute l’arrêt Klabouch c Canada (Développement social), 2008 CAF 33, postérieur aux deux autres, où on lit que « j’ajouterais que la question de savoir si le demandeur a tenté de trouver un autre travail ou manquait de motivation de le faire constituait clairement un facteur pertinent pour déterminer si son invalidité était « grave ». » [Je souligne.] (para 21)

[33]           Pour avoir gain de cause sur le caractère théorique de toute l’affaire parce que permission aurait dû être rejetée parce que l’appel n’aurait aucune chance de succès, le demandeur se doit de demander à la Cour de peser cette preuve, alors même que ni le TSS-DG et le TSS-DA ne l’ont pas fait de façon approfondie. Comme le disait le demandeur lui-même dans son mémoire, en citant cette Cour dans Osaj, « dans le contexte actuel (alinéa 58 (2) LMEDS) », le fait d’avoir une « chance raisonnable de succès consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause. » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 155). J’aurais quant à moi présenté la proposition comme étant que le TSS-DA doit être convaincu que malgré le motif d’appel identifié, il n’y a pas d’argument défendable grâce auquel l’appel proposé pourrait avoir gain de cause. La Cour doit résister à l’invitation de se substituer aux tribunaux administratifs spécialisés à qui la tâche d’examiner les faits a été dévolue par le législateur. À mon sens, le problème avec le paragraphe 58(2) est ailleurs.

[34]           Il faut donc conclure que le TSS-DA aura identifié une description du test applicable qui pourrait ne pas être conforme à Villani. Je conçois mal que l’erreur dans l’élocution du test puisse être corrigée par des paragraphes gabarits. L’identification de cette question de droit constitue une issue possible acceptable eu égard à l’état du droit depuis Villani.

B.                 Motifs de la décision

[35]           La dernière question dont il faut disposer est de déterminer si les motifs du TSS-DA suffisent. C’est à cet égard, à mon avis, que le demandeur doit avoir gain de cause sur son contrôle judiciaire.

[36]           Comme il est maintenant bien établi, la seule insuffisance des motifs n’est pas une raison pour casser la décision d’un tribunal administratif. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour écrit :

[14] Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat.

[37]           En fait, ce qui est requis est que la cour de révision puisse « comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. » (para 16).

[38]           La décision du TSS-DA est extrêmement mince; il faut littéralement lire entre les lignes pour comprendre que la question de droit qui donnerait ouverture à un appel est la référence au paragraphe 18 des motifs du TSS-DG au mauvais test pour la détermination de ce que constitue l’invalidité grave. De fait, le TSS-DA parle aussi de l’application de la jurisprudence aux faits, ce qui ne constitue pas une erreur de droit, mais plutôt une erreur mixte. C’est à la limite de l’acceptable pour pouvoir bénéficier de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union.  On aurait, me semble-t-il, eu droit à une articulation de l’erreur de droit outre que de souligner le passage défectueux pour conclure qu’il y aurait là, quelque part, une erreur de droit. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada invite les juges qui agissent en révision judiciaire à examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, para 15). De fait, la Cour citait avec approbation un passage d’un des mémoires présentés dans cette affaire qui présentait la proposition de la façon suivante :

La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs.

(Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, para 18)

[39]           Ce qui fait défaut en l’espèce, c’est une quelconque articulation des raisons pour lesquelles le TSS-DA conclut que l’appel devrait procéder. L’article 58 reproduit au paragraphe 14 comporte deux éléments : les seuls motifs pouvant être invoqués en appel et le rejet d’une demande de permission malgré la présence d’un motif d’appel admis par la Loi.

[40]           La Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social requiert qu’une « décision motivée par écrit » (para 58 (4)) soit rendue même pour la permission accordée d’en appeler. Ici, aucune motivation n’est donnée. Au mieux, le TSS-DA déclare l’existence d’une erreur de droit, ou une erreur mixte de droit et de faits. Où sont les motifs pour accorder ou refuser la permission? La version anglaise du paragraphe 58(4) est éloquente : « must give written reasons for its decision to grant or refuse leave ». De plus, il continue d’être de bon droit que la cour de révision, pour contrôler la légalité d’une décision, puisse en évaluer les motifs. La perfection n’est pas requise; la cour de révision peut même rechercher les motifs. Mais elle ne peut se substituer au tribunal administratif. Spéculation et rationalisation ne sont pas permises. Dans Lloyd c Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, la Cour d’appel s’exprimait ainsi :

[24]      À la lumière des conclusions de l'arbitre, même selon une application généreuse des principes de l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, le fondement sur lequel la suspension de 40 jours était justifiée ne peut pas être discerné sans se livrer à la spéculation et à la rationalisation. Comme je l'ai fait remarquer dans la décision Komolafe c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2013 CF 431, au paragraphe 11 :

L'arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n'ont pas été donnés, ni ne l'autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C'est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l'arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n'ont pas été tirées. C'est appliquer la jurisprudence à l'envers. L'arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu'elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n'y a même pas de points sur la page.

[41]           Ici, on croit comprendre que le TSS-DA a cru que l’articulation du test par le TSS-DG n’était pas conforme au droit. Mais, c’est loin d’être clair. Mais, en quoi cette erreur de droit ne tombe pas dans l’exception du paragraphe 58(2) reste impossible à identifier. Non seulement l’erreur de droit n’est pas articulée et elle est à peine identifiée, mais la raison pour laquelle elle aurait une chance de succès n’est aucunement présentée. De déclarer qu’un appel doit être permis et que l’appel a une chance raisonnable de succès n’est pas la même chose que de motiver la décision.

[42]           En l’espèce, le TSS-DG avait bel et bien noté, au paragraphe précédant le paragraphe jugé problématique au plan du droit, que Mme Thériault « n’a pas tente de retourner au travail, à recycler out à chercher un autre emploi. La preuve médicale montre un état léger, et seulement des traitements conservateurs sont prescrits. » [sic] (para 17, décision du TSS-DG).

[43]           Si tant est que des tentatives de se trouver un emploi sont nécessaires pour avoir gain de cause ou ne sont qu’un facteur important, il eut fallu, tant en vertu du paragraphe 58 (4) que des principes du droit administratif, que soient fournies les raisons pour lesquelles, malgré l’erreur de droit, le TSS-DA ne rejetait pas la demande de permission parce que l’appel n’avait aucune chance de succès.

[44]           À mon sens, l’alinéa 58(2) fait partie de la décision à rendre sur la permission d’en appeler. Les motifs doivent être donnés tant sur l’existence de motifs d’appel permis que sur la décision de laisser cet appel suivre son cours. On peut penser que la partie qui s’oppose à une permission d’en appeler ferait valoir ses raisons pour lesquelles l’appel serait voué à l’échec malgré la présence d’un motif d’appel

[45]           Je ne trouve aucune indication à la Loi que la motivation par écrit doive être élaborée. Déjà lorsque la question est posée clairement, une bonne partie du chemin est parcourue. Il peut même, peut-être, être plutôt évident que la question n’est pas frivole, qu’elle a une chance raisonnable de succès ou mieux.

[46]           Mais le législateur a de toute évidence tenu à ce que les décisions sur permission d’en appeler fassent l’objet d’une réflexion. Il commande la discipline de l’écrit. Le syllogisme pour en arriver à un appel semble être le suivant : (1) seulement certains moyens d’appel peuvent recevoir permission d’en appeler; (2) malgré la présence d’un moyen d’appel, une permission peut être rejetée; (3) les décisions sur permission doivent être motivées; (4) et elles sont motivées par écrit. L’appel n’est permis qu’à ce prix. À l’évidence, ce ne sera pas dans tous les cas où un moyen d’appel recevable aux termes du paragraphe 58 (1) est présent que l’appel doit être permis.

[47]           Tant la Loi que les règles du droit administratif sur contrôle judiciaire requièrent une motivation minimale pour que la cour de révision puisse faire son travail. On peut difficilement contrôler judiciairement une décision administrative si on ne peut déceler son pourquoi. C’est l’un des apanages les plus fondamentaux de la décision raisonnable que « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité… » (Canada (Citizenship and Immigration) v Khosa, 2009 SCC 12, [2009] 1 SCR 339, au para 59). Ceci dit avec égard, c’est à mon avis pourquoi cette affaire doit être retournée au TSS-DA.

V.                Conclusion

[48]           Ce qui aura fait défaut dans cette affaire est la rigueur qui permet d’identifier les questions et d’en disposer. Le TSS-DG utilise des paragraphes gabarits. Ce n’est pas interdit, mais ce devrait être fait à bon escient. Étant donné l’élocution du test au para 18 de sa décision, les gabarits ne font qu’embrouiller. Quant au TSS-DA, il faut faire un certain effort d’interprétation pour comprendre l’erreur de droit qu’il semble avoir décelée. Mais la décision à rendre n’est pas seulement d’identifier une question de droit, mais aussi qu’il n’y a pas lieu de rejeter la permission parce que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, à défaut de quoi la demande de permission sera accueillie. Quoi qu’il en soit, cette décision de rejeter ou d’accueillir la permission d’en appeler en fonction de ses chances de succès doit être motivée. Le TSS-DA ne l’a pas motivée.

[49]           Ainsi, l’affaire doit être retournée au TSS-DA, différemment constitué, pour que la question de droit y soit examinée à nouveau. La permission d’en appeler devrait être rejetée si le TSS-DA est convaincu que l’appel n’a aucune chance de succès. La décision sur permission sera motivée par écrit. Si on peut accepter que la décision du TSS-DA fût l’une des issues possibles acceptables, c’est-à-dire qu’une erreur de droit a été commise, cela ne constitue que la moitié du test selon l’article 58. L’arrêt Dunsmuir requiert aussi pour qu’une décision soit raisonnable qu’il existe justification, transparence et intelligibilité du processus décisionnel. C’est ce qui aura fait défaut. C’est d’autant plus vrai que la Loi exige une décision motivée et écrite.

[50]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1105-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie pour que le Tribunal de la sécurité sociale – Division d’appel, différemment composé, examine à nouveau si l’erreur de droit se qualifie aux termes du paragraphe 58 (2) de la Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social.

Le tout sans frais.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1105-16

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c IRMA THÉRIAULT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Sylvie Doire

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

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