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Date : 20170426


Dossier : T-1794-15

Référence : 2017 CF 398

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MAHA EL MOATASI ASHMAWY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit de l’un de trois appels en matière de citoyenneté, entendus l’un après l’autre, concernant des membres d’une même famille (la mère, la fille et le fils), tous trois citoyens égyptiens. Bien que les faits propres à chaque dossier diffèrent légèrement, les arguments juridiques y sont pratiquement identiques. La principale question dans chaque dossier a trait au caractère raisonnable des décisions du juge de la citoyenneté, rendues par le même juge de la citoyenneté pour les dossiers de Mme Ashmawy (la mère) et de Mme Mahrous (la fille). Le présent contrôle judiciaire porte sur la décision concernant Mme Mahrous (la décision).

II.  Exposé des faits

[2]  D’après l’interprétation de la Cour, la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C-29, en vigueur lorsqu’a été rendue la décision portée en appel, donne au juge de la citoyenneté la possibilité de choisir entre trois critères lui permettant d’établir la « résidence » aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

5(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent;

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[3]  Mme Ashmawy a fait valoir que la période pertinente (la période pertinente) pour le calcul de son droit à la citoyenneté était du 7 janvier 2006 au 29 avril 2009, et qu’elle avait été, au cours de cette période, effectivement présente au Canada 92 jours de plus que le nombre minimum de jours requis, établi à 1 095 jours.

[4]  Les questions que le juge de la citoyenneté devait examiner étaient les suivantes :

  • les voyages de la défenderesse étaient impossibles à confirmer en raison de l’absence de timbres dans son passeport;

  • son passeport égyptien indiquait une adresse de résidence au Caire;

  • la défenderesse est revenue au Canada une semaine avant son examen pour l’obtention de la citoyenneté;

  • le montant du loyer de 1 000 $ indiqué au titre de la résidence familiale ne correspondait pas au prix attendu pour une maison de deux étages, quatre chambres, trois salles de bains et demie et un garage double dans la région de Toronto;

  • l’adresse donnée par la défenderesse avait été aussi donnée par de multiples autres familles sans lien de parenté comme adresse de résidence aux fins de leurs demandes de citoyenneté;

  • d’autres faits indiquaient que la défenderesse avait été domiciliée à une autre adresse de Toronto après avoir déclaré sa résidence permanente au domicile susmentionné;

  • des documents sur l’impôt foncier de 2007 à 2009 avaient été adressés au mari de la défenderesse à une adresse non déclarée;

  • la défenderesse a présenté des éléments de preuve d’une demande rejetée à un programme de doctorat en 2006, sans toutefois présenter d’autres documents à l’appui de la poursuite de ses études;

  • la défenderesse n’a présenté aucune demande au Régime d’assurance-maladie de l’Ontario (RAMO) pendant la période pertinente;

  • ses relevés bancaires indiquaient de longues périodes d’inactivité et peu de transactions au Canada; et

  • les pièces justificatives présentées étaient très peu nombreuses, et se limitaient à des indicateurs passifs de résidence, insuffisants pour confirmer la résidence.

[5]  La défenderesse a assisté à une audience devant le juge de la citoyenneté, dont il n’existe aucun enregistrement, transcription ou note.

[6]  Le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse répondait aux exigences de résidence d’après les calculs associés au critère énoncé dans la décision Re Pourghasemi, 62 FTR 122, 39 ACWS (3d) 251, [1993] ACF no 232 (CF 1re inst.), c’est-à-dire un calcul simple du nombre de jours de présence effective au Canada, sans considérer des facteurs tels que la centralisation du mode de vie.

[7]  La décision faisant l’objet de la révision comptait un certain nombre de paragraphes sous forme de liste à puces, dont certains définissaient l’enjeu en question sans présenter de conclusion, tandis que d’autres renfermaient des commentaires ou des éléments de conclusion.

Le juge de la citoyenneté avait conclu qu’il ne pouvait [traduction] « […] trouver d’éléments concluants pour douter de la crédibilité de la demanderesse et du nombre de jours de présence effective au Canada exigé par la Loi ».

III.  Discussion

[8]  Il y a trois questions en litige, auxquelles pourrait s’ajouter la question éventuelle des dépens, soulevée dans des commentaires préliminaires formulés par le demandeur (la question sera abordée ultérieurement). Les trois principales questions en litige sont les suivantes :

  1. Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit?

  2. La décision était-elle raisonnable?

  3. Y a-t-il lieu de radier les documents présentés par la défenderesse dans le cadre du présent contrôle judiciaire dont le juge de la citoyenneté n’était pas saisi?

A.  Norme de contrôle

[9]  Il a été bien établi que la norme de contrôle sur la question des exigences en matière de résidence est la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Muttalib, 2015 CF 1152, au paragraphe 22).

[10]  Bien que la question n’ait été soulevée par aucune des deux parties et qu’elle ne peut pour ce motif constituer le fondement de ma décision, il n’a pas été question (ni dans le présent dossier ni dans aucun des deux dossiers associés) d’établir de manière distincte si la défenderesse avait « résidé » au Canada ou si elle avait « été présente » au Canada. L’article 5 de la Loi sur la citoyenneté est formulé en fonction de la « résidence » et du statut de « résident », qui ne sont pas nécessairement équivalents à la « présence » et au fait d’être « présent » au Canada.

B.  Autres éléments de preuve

[11]  La défenderesse a déposé un témoignage par affidavit dans sa réponse au demandeur. Il est clair que cette pièce a été préparée pour appuyer son dossier, et répondre à l’argument du demandeur selon lequel la décision était inadéquate.

[12]  Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’une partie ne peut venir compléter un dossier dans le cadre d’un contrôle judiciaire, sauf dans certaines circonstances limitées, notamment pour établir une violation de l’équité procédurale non apparente à la « lecture du dossier ». Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[13]  Les éléments de preuve présentés constituent au moins une reconnaissance tacite de la déficience de la décision. Les éléments de preuve supplémentaires ont été produits dans le but d’appuyer et de renforcer des motifs inadéquats.

[14]  Tel qu’il a été prononcé de vive voix, ces éléments de preuve sont radiés et ne feront pas partie du présent contrôle judiciaire.

C.  Erreur de droit

[15]  Dans la décision Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 207, le juge Shore présente un aperçu utile de la loi :

[20]  La citoyenneté canadienne est un privilège. Il incombe au demandeur d’établir qu’il respecte les exigences de la Loi pour obtenir la citoyenneté (arrêt Pereira précité, au paragraphe 21). À l’inverse, si un demandeur respecte les exigences de la Loi, il doit obtenir la citoyenneté (Saad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 21 [arrêt Saad]; Martinez-Caro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640). Il incombe au décideur initial en matière de citoyenneté de définir l’étendue et la nature des éléments de preuve que doit présenter un demandeur afin de démontrer qu’il remplit les conditions de résidence prescrites par la Loi. Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu d’étayer son témoignage sur des éléments de preuve, « il serait extrêmement inhabituel, et probablement téméraire, de se fier au témoignage d’un individu pour établir sa résidence, sans aucun document à l’appui » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19 [arrêt El Bousserghini]). [...]

[16]  Depuis Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, l’« insuffisance des motifs » ne fait pas à elle seule l’objet d’un contrôle, mais elle a une incidence sur le caractère raisonnable de la décision. Cependant, la Cour qui a entendu l’affaire avait clairement indiqué que les motifs doivent permettre à un juge éventuellement saisi d’un contrôle judiciaire de comprendre les fondements de la décision de la cour.

[17]  Dans un tel cas, le juge Kane souligne que la cour de révision ne doit pas examiner le dossier en vue de combler des lacunes, au risque de réécrire les motifs de décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Safi, 2014 CF 947, au paragraphe 18, 465 FTR 98).

[18]  Le demandeur allègue une erreur de droit et présente certaines conclusions (ou absences de conclusions) rendant la décision déraisonnable. Cependant, les deux questions sont inextricablement liées en l’espèce.

[19]  Il a été soutenu que le juge de la citoyenneté a inversé le fardeau, obligeant un demandeur à établir la preuve de sa résidence, comme l’indique la citation du paragraphe 7 des présents motifs. Si tel est le cas, il s’agit d’une erreur de droit. Cependant, en l’espèce, il est difficile d’établir s’il s’agissait d’une erreur de perspective juridique ou d’une simple question de formulation.

[20]  Sans autre élément de preuve, je n’ai pas pu conclure que le juge de la citoyenneté entendait définir une nouvelle norme juridique. Or, vu le peu de motifs et les lacunes dans les questions examinées, je me trouve dans l’obligation de constater une ambiguïté qualificative d’une erreur dans l’attribution du fardeau de preuve.

D.  Le caractère raisonnable

[21]  Avec tout le respect que je dois au juge des faits, je ne peux établir de manière satisfaisante que cette décision était raisonnable comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Bien qu’il soit possible que le juge de la citoyenneté ait été satisfait des preuves entendues à l’appui des enjeux fondamentaux, l’incertitude demeure puisque dans de nombreux cas, le juge de la citoyenneté a défini la question sans toutefois la trancher. Dans de nombreux cas, le juge de la citoyenneté n’a pas abordé des questions qui avaient été clairement soulevées.

[22]  Parmi les lacunes de la décision, on peut citer les suivantes :

  • la location temporaire d’un domicile à Toronto, après avoir loué une maison, n’est pas expliquée, et la situation a été rendue encore plus opaque lorsque la défenderesse a tenté d’expliquer la situation avec des éléments de preuve inadmissibles;

  • la non-prise en compte des quatre mois durant la période d’allers-retours vers l’Égypte pendant la période pertinente;

  • l’absence d’explication sur l’adresse au Caire figurant sur le passeport égyptien;

  • l’explication culturelle pour l’absence d’activité financière. Il s’est avéré que le mari de Mme Ashmawy a présenté des éléments de preuve, lesquels n’ont jamais été transmis à la défenderesse.

[23]  Devant l’impossibilité d’établir des correspondances entre le dossier et les motifs évoqués par le juge de la citoyenneté, cette décision est déraisonnable. Bien qu’il puisse être possible d’expliquer certaines questions soulevées, ces explications n’ont pas été formulées dans la décision.

IV.  Conclusion

[24]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.

[25]  Le demandeur a soulevé la question des dépens. Son avocat a allégué un droit aux dépens en raison du changement d’avocat entre Me Napal et un autre avocat, qui a retardé et prolongé le traitement du dossier, avant la reprise du dossier par Me Napal.

Bien que malheureuse, je n’estime pas que cette conduite justifie une réparation extraordinaire ni le remboursement des dépens. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1794-15

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et la décision du juge de la citoyenneté est annulée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1794-15

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MAHA EL MOATASI ASHMAWY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Charles Jubenville

 

Pour le demandeur

 

Raj Napal

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Raj Napal

Avocat

Brampton (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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