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Date : 20170421


Dossier : IMM-4313-16

Référence : 2017 CF 384

Montréal (Québec), le 21 avril 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

GURPREET SINGH

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, du 1er septembre 2016, par laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 8 octobre 2015 rejetant la demande d’asile du demandeur fondée sur les articles 96 et 97(1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, âgé de 40 ans, est citoyen de l’Inde et résident permanent de l’Italie depuis 1995.

[3]               Suite à son arrivée en Italie, il a opéré et a été propriétaire d’une pizzeria à proximité de Milan. Éventuellement, la mafia lui aurait demandé de l’argent et l’aurait agressé dans son restaurant en février 2014.

[4]               Il aurait demandé l’assistance de la police locale, mais on lui aurait répondu qu’il devait s’adapter à l’Italie ou retourner dans son pays. Il se serait plus tard rendu au siège social de la police pour rencontrer les autorités. Cette démarche s’est aussi avérée infructueuse.

[5]               Il a quitté l’Italie pour l’Inde en mars 2014, mais n’aurait pas réussi à récupérer une parcelle de terre que son oncle refusait de lui céder. Le demandeur aurait été intimidé dans le cadre de ce litige.

[6]               Il est donc retourné en Italie le 22 mars 2014. Ses problèmes avec la mafia ont recommencé, celle-ci prenant le contrôle de son restaurant en mars 2015.

[7]               Il a quitté de nouveau l’Italie en avril 2015. Depuis son départ, son beau-frère a été victime d’un accident de voiture. Le demandeur prétend que c’est plutôt lui qui était visé.

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada en mai 2015. Il a demandé l’asile le 10 juillet 2015.

III.             Décision

A.                Décision de la SPR – 8 octobre 2015

[9]               Tout d’abord, le Tribunal s’est déclaré satisfait de l’identité du demandeur. Ce dernier a expliqué qu’il avait travaillé longtemps afin d’amasser les fonds nécessaires à l’ouverture d’un restaurant. Après l’ouverture, la mafia se serait intéressée à son restaurant et aurait cherché à s’en accaparer les revenus. Éventuellement, la situation est devenue telle que le demandeur a quitté l’Italie pour le Canada.

[10]           Le Tribunal a conclu que, bien que la situation soit déplorable, le demandeur n’avait pas renversé la présomption voulant qu’il puisse se prévaloir de la protection de l’État italien, un pays démocratique. Le demandeur aurait porté plainte à la police locale à une occasion, sans succès. Il aurait également tenté de s’adresser à une autorité supérieure en se présentant au siège social de la police.

[11]           Le Tribunal a statué que, bien que la preuve documentaire démontre l’existence du crime organisé en Italie et une certaine incidence de racisme et de discrimination envers les étrangers, les tentatives du demandeur pour obtenir de l’aide n’étaient pas suffisantes pour établir qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

B.                 Décision de la SAR – 1er septembre 2016

[12]           La SAR a tout d’abord établi qu’elle doit, selon l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], analyser les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte, sauf pour les questions de crédibilité pour lesquelles la SAR considère qu’elle doit faire preuve de déférence.

[13]           La SAR a ensuite rappelé que, suivant les principes de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], plus un État est démocratique, plus le fardeau de réfuter la présomption de protection sera exigeant. Selon la SAR, la preuve documentaire indiquait que l’Italie est un pays démocratique « qui possède des institutions judiciaires fonctionnelles et des recours juridiques efficaces contre les actes criminels et contre la discrimination ». Elle a ensuite souligné que l’Italie investit beaucoup d’efforts dans la lutte contre la mafia. Ainsi, selon la SAR, la SPR n’a pas erré en concluant que le demandeur « n’avait pas déployé suffisamment d’efforts afin d’obtenir la protection en Italie ». Comme le demandeur n’avait jamais déposé de plainte officielle, il n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.

IV.             Questions en litige

[14]           La présente cause soulève les questions en litige suivantes :

1.      La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en omettant de référer à toute la preuve au dossier?

2.      La SAR a-t-elle erré en fait et en droit dans ses conclusions quant à la protection de l’État?

3.      La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en concluant que le demandeur était soumis à l’exclusion de l’article 1E de la Convention?

[15]           Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit soumises à la norme de la décision raisonnable (Huruglica, ci-dessus, aux para 32-35).

V.                Dispositions pertinentes

[16]           Les dispositions de la LIPR applicables sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion – Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

VI.             Analyse

[17]           Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.                Référence à la preuve au dossier

[18]           Le demandeur soumet que la SAR a erré en fait et en droit, puisque celle-ci n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas considéré une partie de la preuve documentaire, notamment un rapport traitant des longs délais pour les enquêtes portant sur des abus commis par les forces de l’ordre ainsi que de l’importante discrimination dont sont victimes les étrangers.

[19]           Le défendeur soumet que, contrairement à ce que suggère le demandeur, la SAR n’avait pas à commenter tous les passages de la preuve documentaire contradictoire et elle est présumée en avoir tenu compte. De plus, il souligne que la preuve à laquelle se réfère le demandeur concerne les délais pour compléter les enquêtes concernant les abus policiers ainsi que la discrimination envers les étrangers. Pour ce qui est des délais, la Cour fédérale a déjà statué qu’elle ne doit pas imposer aux autres pays une norme de protection efficace qui n’est pas toujours atteinte par le Canada (Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), 1994 CanLII 3545, [1995] 1 RCF 780 (CF 1ère instance)). Quant à la discrimination, la SAR y aurait expressément fait référence dans ses motifs.

[20]           La Cour note que la SAR fait spécifiquement référence à la documentation présente au dossier (Décision de la SAR, aux paragraphes 28, 30 et 34). La SAR n’est pas tenue de commenter chaque énoncé contenu dans la preuve objective incluse à un dossier. Par conséquent, la Cour estime que sur cet aspect, la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

B.                 Protection de l’État

[21]           Le demandeur soutient que la SAR n’a pas évalué le degré de discrimination et les recours qui existent. Elle n’aurait pas non plus considéré que le demandeur avait fait des démarches auprès de la police, sans succès. Elle aurait conclu que le demandeur pouvait obtenir de l’aide des autorités sans considérer la preuve au dossier qui démontrait le contraire.

[22]           Le défendeur soumet également que la conclusion de la SAR sur la protection de l’État est raisonnable. En effet, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale enseigne qu’un demandeur d’asile « doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kadendo, 1996 CanLII 3981 (CAF), [1996] ACF No 1376 (C.A.) (QL)).

[23]           Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême a établi que la protection de l’État doit être demandée dans le pays d’origine lorsque cette protection aurait pu raisonnablement être assurée. De même, dans l’arrêt Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, la Cour d’appel fédérale rappelle, au para 57, que « le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile ». Aussi, dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale réitère, au para 30, que « le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante ».

[24]           La SAR devait déterminer si le demandeur s’était prévalu de la protection de l’Italie lorsqu’il a été la cible de la mafia. L’Italie étant un pays démocratique, membre de l’Union européenne, le fardeau du demandeur de prouver qu’il avait cherché la protection de l’État et que celui-ci avait failli à cette responsabilité était lourd. En ce sens, devant l’absence de plainte formelle déposée par le demandeur aux autorités policières, et considérant la documentation objective faisant état de la relative efficacité des recours juridiques contre les actes criminels ainsi que des efforts déployés pour combattre la mafia, il était raisonnable que la SAR conclue que le demandeur n’avait pas rencontré son fardeau de preuve.

[25]           La Cour estime donc que, en ce qui a trait à ses conclusions quant à la protection de l’État, la SAR n’a pas commis d’erreur qui justifierait son intervention.

C.                 Exclusion prévue à l’article 1E de la Convention

[26]           Le demandeur argue que la SAR a erré en droit en concluant à l’exclusion. Selon celui-ci, l’exclusion selon l’article 1E de la Convention ne devrait pas s’appliquer puisqu’il ferait face à un risque s’il devait retourner en Italie comme les policiers ne le protégeront pas de la mafia. Il a cherché à obtenir la protection de l’État, mais ne l’a pas obtenue. Celle-ci est donc inadéquate pour le demandeur.

[27]           Le défendeur, pour sa part, avance que la SAR a conclu à bon droit que le demandeur était soumis à l’exclusion de l’article 1E. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118, au para 28, la juge Layden-Stevenson a résumé comme suit la détermination de l’applicabilité de l’article 1E : « Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. » En l’espèce, le demandeur a admis être résident permanent de l’Italie et serait donc exclu. Ainsi, lorsqu’une clause d’exclusion s’applique, la SAR n’aurait pas à se prononcer sur l’inclusion dans le pays pour lequel l’asile est revendiqué.

[28]           La section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (1952), sur lequel se fonde l’article 98 de la LIPR prévoit : « Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. » Le demandeur, résident permanent de l’Italie, est donc visé par cette disposition.

[29]           La Cour estime qu’il était donc raisonnable que la SAR conclue à l’exclusion du demandeur.

VII.          Conclusion

[30]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-4313-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4313-16

 

INTITULÉ :

GURPREET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour la partie demanderesse

 

Lynne Lazaroff

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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