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Date : 20170421


Dossier : IMM-3465-16

Référence : 2017 CF 387

Montréal (Québec), le 21 avril 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DELICAT, JOB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La logique inhérente, en examinant l’analyse de la crédibilité d’un dossier d’un tribunal spécialisé, ordonne que la Cour fédérale étudie si la raisonnabilité a mené le raisonnement du tribunal spécialisé, d’une façon claire, nette et compréhensible selon les jugements Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, [2011] 3 RCS 654, 2011 CSC 61; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, de la Cour suprême du Canada.

II.                Nature de l’affaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 8 juillet 2016, selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[3]               Le demandeur, âgé de 42 ans, est citoyen d’Haïti et de confession baptiste. Il est marié et a trois enfants. Assistant-ingénieur de formation, il est également membre de l’Organisation des techniciens pour la reconstruction d’Haïti [OTREH], organisme qui se rassemble deux à trois fois par mois pour discuter de certains enjeux du pays.

[4]               Lors de son témoignage, le demandeur a déclaré être prêcheur depuis l’âge de 15 ans. En juillet 2003, il a obtenu un certificat d’ordination de l’Église chrétienne du Christ et, en 2015, un diplôme d’études en théologie lui a été décerné par l’École biblique baptiste Beree des Gonaïves à Haïti.

[5]               Lors d’une réunion de l’OTREH, tenue le 19 avril 2014, le demandeur aurait dénoncé l’implication de policiers dans des affaires de viol et de kidnapping. Le 20 avril 2014, il aurait été arrêté par deux policiers devant son domicile et aurait par la suite été détenu pendant dix (10) jours au commissariat de Gonaïves, période de temps pendant laquelle on l’aurait agressé physiquement.

[6]               Le 30 avril 2014, il aurait été libéré sans motif. Trois jours après sa libération, deux policiers se seraient présentés chez le demandeur pour lui faire des menaces de mort.

[7]               Suite à ces événements, le demandeur déclare avoir tenté de fuir la police d’une ville à l’autre à travers Haïti pendant un an : à Cap Haïtien de mai à juillet 2014; à Port-de-Paix d’août à septembre 2014; à l’Île de la Tortue en octobre 2014; à l’Île de Gonâve de novembre à décembre 2014; à Port-au-Prince de janvier à mai 2015. Alors qu’il était en fuite dans ces villes, le demandeur affirme qu’il a continué de poursuivre sa vocation pastorale et de prêcher à la demande de son Église.

[8]               Le demandeur affirme avoir été retracé par la police dans chaque ville où il s’était caché. Ainsi, le 14 avril 2015, il a déposé une demande de visa pour les États-Unis, laquelle a subséquemment été refusée. Le 26 mai 2015, il a quitté Haïti en direction de Fort Lauderdale, aux États-Unis et il a déposé une demande d’asile le 23 juillet 2015.

[9]               N’ayant pas réussi à trouver un emploi, il a quitté son domicile aux États-Unis le 30 avril 2016 en direction de Fort Erie (Ontario) au Canada. Il a déposé une demande d’asile le 11 mai 2016 auprès d’une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a accepté la demande en vertu de l’Entente sur le pays tiers sûr, étant donné que certains membres de la famille du demandeur vivaient au Canada.

IV.             Décision

[10]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, puisqu’il ne s’était pas déchargé de son fardeau de preuve d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs de la Convention et qu’il n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait personnellement exposé à un risque de torture ou une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités advenant son retour en Haïti. Selon la SPR, la question déterminante était la crédibilité. Elle a jugé que le demandeur n’était pas crédible, soulignant le caractère vague, imprécis, contradictoire et incohérent de son témoignage.

[11]           Dans sa décision, la SPR a tout d’abord constaté que le témoignage du demandeur sur les questions liées à l’identité et aux méconduites des policiers était vague et imprécis. La SPR a jugé que les réponses du demandeur faisaient état d’un « manque de spontanéité et de précision ».

[12]           La SPR a aussi constaté certaines incohérences entre le témoignage du demandeur et ses déclarations faites au point d’entrée à Fort Erie, notamment le fait qu’il a déclaré lors de l’audience qu’il avait été arrêté par la police le jour suivant une réunion de l’OTREH, alors qu’au point d’entrée il a déclaré avoir été arrêté quelques jours après ledit rassemblement. Le demandeur a expliqué que cette contradiction s’explique par une simple erreur lorsqu’il a raconté son récit au point d’entrée, explication qui a été rejetée par la SPR.

[13]           La SPR a pris note d’une lettre écrite par le président de l’OTREH, sur le papier à en-tête de cette dernière. Cette lettre confirmait l’appartenance du demandeur à l’OTREH. La SPR a constaté, par cette lettre, que le président de l’organisation ne se cachait pas des autorités et qu’il y travaillait toujours à Gonaïves, ce qui ne corroborait pas que d’autres membres de l’OTREH étaient persécutés par la police.

[14]           La SPR a relevé certaines autres incohérences, notamment le fait qu’alors que le demandeur déclarait s’être caché dans certaines villes pendant plus d’un an, il affichait ses prêches publiquement. La SPR a conclu que si le demandeur se cachait réellement, il n’aurait pas consenti à ce que l’on affiche ses prêches publiquement. De plus, le tribunal a conclu que les endroits où il prêchait ne correspondaient pas aux lieux de cachette allégués.

[15]           Finalement, la SPR a pris note du fait que le demandeur s’est présenté à l’État civil de sa commune pour récupérer les actes de naissance de ses enfants. Le demandeur a expliqué à la SPR que c’était son épouse et non pas lui qui était allée demander les actes de naissance. La SPR a rejeté cette explication, car sur les actes de naissance était inscrit que le « sieur Job Delicat » a comparu et non pas son épouse. La SPR était d’avis que si le demandeur se cachait réellement de l’État, il ne se serait pas rendu à l’État civil.

[16]           Pour ces motifs, la SPR a conclu qu’il y avait certains problèmes importants minant ainsi la crédibilité du demandeur. Conséquemment, sa demande a été rejetée par la SPR.

[17]           L’avocate du demandeur, Me Constance Byrne, s’est retirée du dossier puisqu’elle n’arrivait plus à joindre son client. Me Guy Nephtali a repris le dossier. En date du 23 mars 2017, il n’avait pas soumis de mémoire supplémentaire. Le mémoire original a été plaidé.

V.                Questions en litige et norme de contrôle

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question de savoir si la SPR a commis des erreurs en évaluant la crédibilité du demandeur. L’appréciation de la crédibilité par la SPR est une question de fait qui relève du champ de compétence spécialisée de la SPR; elle commande l’application de la norme de la décision raisonnable et une certaine retenue (Dunsmuir, ci-dessus).

VI.             Analyse

[19]           Suite aux contradictions, omissions et invraisemblances entre le témoignage et les notes au point d’entrée, une incohérence de logique interne est évidente.

[20]           Les imprécisions à l’égard des actes répréhensibles que le demandeur a dénoncés mènent la Cour à conclure que la SPR avait décidé le cas d’une façon raisonnable suite à la preuve présentée devant elle. Le comportement du demandeur démontre une incompatibilité avec sa crainte de persécution.

VII.          Conclusion

[21]           Pour ces raisons clés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-3465-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3465-16

 

INTITULÉ :

DELICAT, JOB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Guy Nephtali

Walid Ayadi (stagiaire)

 

Pour le demandeur

 

Simone Truong

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Guy Nephtali

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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