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Date : 20170424


Dossier : IMM-4471-16

Référence : 2017 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

VELU NADARAJAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision (décision) d’une agente d’immigration supérieure (agente) par laquelle elle a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur. L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté selon les termes de l’article 96, ou à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, selon la description de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), s’il était renvoyé au Sri Lanka. L’agente en est arrivée à cette conclusion sans tenir d’audience.

II.                 Contexte

[2]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a refusé la demande de protection du demandeur en raison de son incapacité à établir son identité en tant que citoyen du Sri Lanka et de son manque de crédibilité.

[3]               La Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté l’appel du demandeur, en concluant que le demandeur n’avait pas déposé suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi permettant d’établir son identité. À l’instar de la SPR, la SAR a porté son attention sur les oreilles du demandeur (qui ont semblé différentes dans les anciennes photographies), le manque de connaissances géographiques pertinentes du demandeur, et l’absence de documents à l’appui.

La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SAR a été rejetée.

[4]               La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 2 septembre 2016, et l’autorisation de demander un contrôle judiciaire a été accordée le 31 janvier 2017.

L’agente a déterminé que le demandeur était citoyen du Sri Lanka, malgré le fait qu’il soit entré au Canada avec un passeport de l’Inde.

[5]               Dans l’exposé circonstancié de sa demande d’ERAR, le demandeur a raconté qu’il était un Tamoul de Chilaw, de la province du Nord-Ouest du Sri Lanka. Il a fait l’objet de discrimination, et a été battu et arrêté par l’armée, après avoir déménagé dans la province de l’Est. Il a ensuite quitté pour l’Inde, où il s’est attiré des problèmes romantiques et professionnels (il a mis enceinte la fille de son employeur). Après avoir été battu par la police et par le père de son amoureuse et son beau-frère, il est retourné au Sri Lanka.

[6]               Il est retourné vivre avec une tante à Chilaw, mais ses problèmes avec les autorités sri‑lankaises ont resurgi. Il a été battu, maltraité et de manière générale harcelé en raison de ses liens allégués avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Il s’est alors envolé pour le Canada avec un passeport indien.

[7]               Dans la procédure ERAR, l’agente a pris note des explications relatives aux problèmes d’identité soulevés devant la SPR et la SAR, et a finalement accepté le fait que le demandeur était citoyen sri-lankais, malgré les conclusions de la SPR et de la SAR.

[8]               L’agente a ensuite examiné les nouveaux éléments de preuve déposés concernant la situation dans le pays. L’agente a effectué une analyse du risque sans tenir d’audience.

[9]               Elle a accordé un certain poids à l’affidavit du demandeur, mais a estimé qu’il y avait peu d’éléments de preuve pour corroborer les événements décrits. L’agente a également examiné le risque généralisé auquel font face les Tamouls au Sri Lanka et la preuve documentaire contradictoire concernant un tel risque, et a finalement conclu tout bien pesé que le fait d’être un Tamoul et de vivre dans des régions précédemment contrôlées par les TLET n’était pas suffisant, en soi, pour exposer une personne à un risque.

[10]           L’agente a tiré deux conclusions importantes :

                    le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’il serait exposé à un risque s’il retournait au Sri Lanka simplement parce qu’il était un Tamoul de l’étranger;

                    le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’il serait exposé à un risque de torture de la part d’agents de l’État.

La demande d’ERAR a été rejetée.

III.               Analyse

[11]           Les questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

1.                  L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas une audience?

2.                  La décision est-elle raisonnable?

A.                 Norme de contrôle/audience

[12]           Il semble qu’il y ait une certaine confusion ou un certain désaccord au sein de notre Cour en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer relativement à la tenue d’une audience. Le juge Boswell a clairement résumé cette divergence dans l’affaire Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, 263 ACWS (3d) 177 [Zmari] :

[10]      La norme de contrôle applicable quant à savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination ERAR reste exposée à une remise en question. Les décisions récentes de la Cour à cet égard divergent et suivent l’une de deux voies.

[11]      Une voie repose sur le fait que le champ de contrôle applicable suit la norme de la décision correcte sans déférence accordée au décideur, parce que la question de savoir si une audience est requise est une question d’équité procédurale. Voir, par exemple : Suntharalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1025, paragraphe 48, 257 ACWS (3d) 924; Antoine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 795, paragraphe 12, 258 ACWS (3d) 153; Matinguo-Testie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 651, paragraphe 6, 254 ACWS (3d) 149; Vargas Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 578, paragraphe 17, 254 ACWS (3d) 912; Negm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 272, paragraphe 33, 250 ACWS (3d) 317; Micolta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183, paragraphe 13, 249 ACWS (3d) 826; Fawaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1394, paragraphe 56, 422 FTR 95; Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 89, paragraphe 18, 211 ACWS (3d) 409.

[12]      L’autre voie applique une norme déférente du caractère raisonnable parce que l’application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002227 [le Règlement] est une question de droit et de fait. Voir, par exemple : Thiruchelvam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 913, paragraphe 3, 256 ACWS (3d) 394; Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, paragraphe 20, 248 ACWS (3d) 921; Abusaninah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234, paragraphe 21, 249 ACWS (3d) 843; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, paragraphe 6, 244 ACWS (3d) 177; Kanto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 628, paragraphes 11, 12 et 242, ACWS (3d) 912; Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, paragraphes 16, 17 et 239 ACWS (3d) 723; Chekroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737, paragraphe 40, 436 FTR 1; Ponniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, paragraphe 24, 229 ACWS (3d) 1140; Adetunji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, paragraphe 27, 218 ACWS (3d) 616.

[13]      À mon avis, le fait de savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination relative à l’ERAR soulève une question d’équité procédurale. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Mission Institution c. Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502, « la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la “décision correcte” ». Par conséquent, la décision du directeur en l’espèce de ne pas convoquer une audience devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Cela exige que la Cour détermine si le processus suivi par le directeur atteint le niveau d’équité requis par les circonstances de l’affaire (voir : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3).

[13]           Les dispositions pertinentes sont l’article 113 de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement) :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

[…]

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[14]           Je souscris aux arguments du juge Boswell et j’ai constaté dans certaines décisions comme la décision Zemo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 800, 372 FTR 292, et la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, 136 ACWS (3d) 884, que le droit à une audience est avant tout une question d’équité procédurale. De façon générale, une audience n’est pas toujours requise pour satisfaire au « droit d’être entendu ». Elle devient un droit quand il serait injuste de trancher une question, en particulier une question de crédibilité, sans accorder à une partie la possibilité d’aborder la question de vive voix. C’est le cas dans le contexte d’une procédure ERAR.

[15]           L’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement précisent ce droit créé en common law. Ces dispositions ne peuvent être interprétées comme une tentative visant à restreindre le droit à l’équité procédurale. Elles ne doivent pas non plus être interprétées de façon étroite, puisque les droits conférés le sont pour la protection de la personne et non pour le bénéfice du fonctionnaire du gouvernement.

[16]           Alors que l’alinéa 113b) indique qu’une audience « peut » être tenue, l’article 167 précise clairement les facteurs servant à décider si la tenue d’une audience est requise. L’article 167 prévoit qu’une audience est requise lorsque les trois facteurs énumérés sont présents : éléments soulevant une question touchant à la crédibilité, importance de ces éléments dans la décision, et éléments justifiant la décision.

[17]           Étant donné l’importance de l’équité procédurale, il revient à la cour de révision de décider si ces facteurs existent réellement. On ne peut invoquer l’insuffisance de la preuve pour dissimuler un rejet de la véracité d’une demande de protection.

[18]           Toutefois, le terme « crédibilité » est souvent utilisé dans un sens large pour signifier que les éléments de preuve ne sont pas convaincants ou sont insuffisants. Dans la décision, Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, 170 ACWS (3d) 397, le juge Zinn a fourni un excellent résumé des liens entre poids, suffisance et crédibilité :

[27]      La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[19]           Je ne vois aucun fondement à l’argument selon lequel chaque fois qu’un demandeur allègue un risque, une décision négative équivaut à une conclusion négative quant à sa crédibilité. Un tel argument est contraire à l’analyse décrite par le juge Zinn.

[20]           En l’espèce, l’agente a tiré ses conclusions en raison de l’insuffisance des éléments de preuve, et non pour des motifs de crédibilité. L’agente a fait précisément mention de l’insuffisance de la preuve, et une analyse des motifs montre qu’il s’agit d’un cas d’insuffisance de la preuve.

[21]           Par conséquent, l’agente n’a pas commis une erreur en ne tenant pas une audience.

B.                 Caractère raisonnable de la décision

[22]           Les parties avancent qu’à l’exception de la question de la tenue d’une audience, la norme de contrôle à appliquer dans le cadre d’une détermination relative à l’ERAR est la norme de la décision raisonnable (Zmari, au paragraphe 14).

[23]           Il est inexact de prétendre que l’agente ne s’est pas engagée relativement aux éléments de preuve déposés par le demandeur. L’agente a accepté les éléments de preuve déposés par le demandeur concernant sa citoyenneté sri-lankaise, malgré les conclusions de la SPR et de la SAR, en partie parce que le demandeur avait produit de meilleurs éléments de preuve. Toutefois, l’agente a déterminé que la preuve du risque présentée par le demandeur était insuffisante.

[24]           L’agente a agi dans les limites de son expertise en soupesant les éléments de preuve contradictoires concernant la situation dans le pays. Cet exercice correspond précisément à ce que doit faire un agent d’ERAR (comme on les appelle). Je ne peux rien voir de déraisonnable dans l’analyse faite par l’agente, l’approche des faits, ou le critère à appliquer.

[25]           Le demandeur souhaite simplement que la Cour soupèse à nouveau cette preuve – ce qu’elle ne devrait pas faire et ne fera pas (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, [2009] 1 RCS 339).

IV.              Conclusion

[26]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties qu’il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4471-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

VELU NADARAJAN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Aurina Chatterji

 

Pour le demandeur

 

Michael Butterfield

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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