Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170421


Dossier : IMM-4370-16

Référence : 2017 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 21 avril 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

BEYAN DUNOH CLARKE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un délégué du ministre (délégué du ministre ou délégué) de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada (IRCC) en date du 17 octobre 2016, selon laquelle le délégué du ministre a rejeté la demande de réexamen présentée par le demandeur à l’égard de l’avis de danger rédigé contre lui. La présente demande est présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Contexte

[2]  Le demandeur est un citoyen du Libéria. Sa famille a fui le Libéria en 1999 et a vécu dans un camp de réfugiés au Ghana jusqu’en 2003, date à laquelle les membres de la famille ont immigré au Canada à titre de réfugiés au sens de la Convention. À l’époque, le demandeur était âgé de 21 ans. En 2008, le demandeur a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire pour avoir battu à mort un garçonnet âgé de deux ans qui était le fils de sa petite‑amie. Le demandeur a été condamné à neuf ans d’emprisonnement. En avril 2010, le demandeur a été jugé interdit de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Cependant, en raison de son statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur ne pouvait pas être renvoyé au Libéria, à moins que le ministre n’ait décidé qu’il constituait un danger pour le public au Canada en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Le 3 mai 2011, le ministre a pris cette décision (l’avis de danger). Le 20 juillet 2012, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’avis de danger présentée par le demandeur.

[3]  Le 10 octobre 2013, le demandeur a atteint sa date de libération d’office de prison. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l’a immédiatement placé dans un centre de détention de l’immigration. Le 9 janvier 2014, un commissaire de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a ordonné que le demandeur soit libéré du centre de détention de l’immigration. Le demandeur a alors vécu au sein de la communauté selon les conditions imposées par la Section de l’immigration, qui prévoyaient notamment le respect des conditions de la libération d’office imposées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le 28 juillet 2016, le demandeur a atteint la date d’expiration de son mandat, ce qui signifiait que les conditions de sa libération d’office ne s’appliquaient plus. Le 6 septembre 2016, le demandeur a été avisé qu’il devait être renvoyé du Canada le 20 septembre 2016. Le 14 septembre 2016, le demandeur a demandé le réexamen de l’avis de danger et le report de son renvoi jusque-là. L’ASFC a transmis la demande de réexamen à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et a annulé le renvoi prévu le 20 septembre 2016, en attendant une décision. Le 21 septembre 2016, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a refusé d’accorder le réexamen de l’avis de danger. Cependant, le demandeur s’est vu accorder 15 jours supplémentaires pour présenter d’autres observations, puisque cette décision avait été rendue avant la réception des observations que son avocat devait présenter. Le 17 octobre 2016, à la suite de la réception et de l’examen de ces observations, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rendu une deuxième décision et a de nouveau refusé d’accorder le réexamen de l’avis de danger. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[4]  Dans une requête déposée le 9 novembre 2016, le demandeur a sollicité un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le concernant. Bien qu’il ait soulevé une question grave ayant trait au traitement de la preuve par le délégué du ministre, il n’a pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable, et la prépondérance des inconvénients penchait en faveur du défendeur. Par conséquent, dans une ordonnance en date du 14 novembre 2016, j’ai refusé d’accorder le sursis.

La décision faisant l’objet du contrôle

[5]  Le délégué du ministre a souligné la décision qu’il avait rendue le 21 septembre 2016 et a déclaré avoir aussi examiné l’avis de danger et le dossier initial qui s’y rapportait. Le délégué du ministre a alors relevé de nouveaux éléments de preuve déposés à l’appui de la demande de réexamen de l’avis de danger, puis a affirmé qu’il était explicitement reconnu au chapitre 7.16 du guide ENF 28, intitulé « Réexamen d’un avis de danger » (ENF 28 – Avis ministériels sur le danger pour le public au Canada, la nature et la gravité des actes passés et le danger pour la sécurité du Canada (guide)), qu’un avis de danger pouvait être réexaminé sur le fondement de nouveaux éléments de preuve ou d’un manquement aux principes de la justice naturelle.

[6]  Le délégué du ministre a résumé les faits concernant la déclaration de culpabilité du demandeur. Le délégué du ministre a alors déclaré qu’au moment où l’avis de danger a été rédigé, le demandeur était déjà incarcéré dans un pénitencier fédéral par suite de son crime, avait déjà commencé à recevoir un traitement de réadaptation et y réagissait bien. À ce titre, le décideur qui avait émis l’avis de danger en mai 2011 devait savoir que le programme de réadaptation se poursuivrait jusqu’à l’expiration du mandat, en juillet 2016. Par conséquent, ce décideur aurait pu raisonnablement prévoir les rapports faisant état de l’évolution de la réadaptation au cours des cinq années précédentes. Et même si le demandeur n’avait pas récidivé depuis sa libération d’office, en septembre 2014, cela n’était guère surprenant, vu les conditions de sa libération qui prévoyaient une surveillance étroite et des séjours supervisés auprès de sa fille. Le délégué du ministre a aussi invoqué un rapport en date du 19 avril 2016, qui indiquait que le niveau de risque courant du demandeur demeurait modéré et que celui-ci semblait présenter des lacunes dans les domaines de la résolution de problèmes, de la maîtrise des émotions et de la résolution de conflits, qui sont exacerbés par le stress.

[7]  Le délégué du ministre a affirmé que le renvoi d’une personne après qu’un avis de danger a été lancé et mis au point peut demander plusieurs années, plus particulièrement si le client est encore incarcéré au moment de la décision. L’obtention de documents de voyage et l’instance peuvent aussi retarder le renvoi. Bien qu’il ne soit pas toujours possible de maintenir la détention pendant ces délais pour diverses raisons, notamment les décisions que prend la Section de l’immigration au motif qu’elle est convaincue que la personne ne représente pas un danger immédiat pour le public, cela n’invalide pas la décision du délégué du ministre concernant le danger pour le public et [traduction] « le décideur peut le prévoir dans bien des cas – y compris en l’espèce ».

[8]  Le délégué du ministre a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas [traduction] « particulièrement nouveaux ni de nature à ne pas avoir été raisonnablement prévus à l’époque » de l’émission de l’avis de danger. Comme les nouveaux renseignements n’étaient pas [traduction] « suffisamment nouveaux » pour justifier le réexamen de l’avis de danger, le délégué du ministre a refusé de le réexaminer et a déclaré qu’il demeurerait en vigueur.

Questions en litige et norme de contrôle

[9]  Le demandeur définit les questions en litige suivantes :

  1. Le délégué du ministre avait-il l’autorisation légale d’établir un critère aux fins de l’examen de nouveaux éléments de preuve?

  2. Le délégué du ministre a-t-il manqué à son obligation d’équité envers le demandeur en établissant un critère aux fins de l’examen de nouveaux éléments de preuve, alors que ce critère n’est pas mentionné dans le guide et que le demandeur n’a pas été avisé que ce critère serait imposé?

  3. La décision est-elle inique?

[10]  À mon avis, la demande peut être tranchée sur le fondement du caractère raisonnable de la décision.

[11]  Le demandeur n’a présenté aucune observation à l’égard de la norme de contrôle. Le défendeur soutient qu’en l’absence de dispositions législatives à l’effet contraire, la décision de réexaminer une décision administrative est discrétionnaire et, par conséquent, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Chopra c Canada (Procureur général), 2013 CF 644, au paragraphe 30 (confirmée par 2014 CAF 179, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée dans 2015 CarswellNat 97 (WL) (Chopra)); Kurukkal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 230, au paragraphe 4 (Kurukkal)).

[12]  Dans la présente affaire, la décision qui fait l’objet du contrôle est celle du délégué du ministre concernant le réexamen de l’avis de danger. Les parties ne signalent aucune jurisprudence antérieure traitant directement de la norme de contrôle qui pourrait s’appliquer à cette décision. Cependant, comme l’a souligné le défendeur, il existe une jurisprudence traitant d’autres circonstances selon laquelle, en l’absence de dispositions législatives à l’effet contraire, un organisme non juridictionnel a le pouvoir discrétionnaire de réexaminer l’une de ses décisions (Chopra, au paragraphe 30; voir aussi Kurukkal, au paragraphe 4). À mon avis, dans la présente affaire la Cour révise également une décision discrétionnaire, ce qui, par conséquent, commande la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53).

Observations des parties

Thèse du demandeur

[13]  Le demandeur soutient que le délégué du ministre a commis une erreur en imposant un critère qui devait être satisfait à l’égard des nouveaux éléments de preuve avant que la preuve puisse être examinée aux fins du réexamen de l’avis de danger. Il est prescrit dans le guide que, dans les cas où il y a de nouveaux éléments de preuve, les documents doivent être transmis au délégué du ministre aux fins d’un examen lors duquel ce dernier doit « réexaminer » l’avis initial. Les nouveaux éléments de preuve s’entendent au sens des faits ou d’une preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale (p. ex., un nouveau rapport des services correctionnels ou un rapport psychologique). Le demandeur a fourni précisément le type de preuve qui justifie un nouvel examen selon le guide, mais le décideur en a fait abstraction en raison de l’imposition d’un niveau de preuve exigeant que les nouveaux éléments de preuve soient [traduction] « particulièrement nouveaux », « suffisamment nouveaux » ou « de nature à ne pas avoir été raisonnablement prévus à l’époque où le décideur a rendu sa décision » pour être pris en considération. À cet égard, le délégué du ministre a agi sans autorisation légale, en contravention aux dispositions du guide (Nguyen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 232 (CAF)), a manqué à une obligation juridique implicite et a agi déraisonnablement.

[14]  En outre, il était inéquitable sur le plan procédural d’imposer au demandeur des normes de preuve plus rigoureuses que celles prescrites à l’article 7.16 du guide pour accepter de réexaminer l’avis de danger. Les actes du délégué du ministre allaient à l’encontre des facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit d’établir le contenu de l’obligation d’équité, dont traite l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. Le demandeur était en droit de s’attendre, par exemple, à ce que la procédure prévue dans le guide soit respectée (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429; Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, aux paragraphes 49 et 50). Le demandeur soutient également qu’il n’a pas été avisé que ce nouveau niveau de preuve serait appliqué et en avoir subi un préjudice, parce qu’il s’est vu refuser la possibilité d’y répondre.

[15]  De plus, même si on applique la nouvelle norme de preuve du délégué du ministre, la décision était inique, car la preuve produite satisfaisait à cette norme. Selon la preuve, par exemple, au moment de l’avis de danger le demandeur n’était guère en contact avec sa fille, tandis que selon les nouveaux éléments de preuve, la relation était devenue extrêmement importante pour l’enfant. Le décideur initial n’aurait pas pu raisonnablement prévoir ce revirement de situation. Il était également inique et arbitraire de la part du délégué du ministre d’adopter ce critère lors de la deuxième demande de réexamen, alors qu’il y avait essentiellement plus d’éléments de preuve à l’appui de la demande à ce moment-là que lors de la première demande.

[16]  Le demandeur soutient que le délégué du ministre a renoncé à s’acquitter de sa responsabilité, puisqu’il aurait dû se demander si les nouvelles observations et les nouveaux éléments de preuve altéraient l’avis de danger initial, et non s’ils risquaient d’entraîner une modification. De plus, le délégué du ministre devait envisager la preuve de façon cumulative et dans son ensemble, mais il ne l’a pas fait en raison de son point de vue limité sur les nouveaux éléments de preuve déposés.

Thèse du défendeur

[17]  Le défendeur soutient que le délégué du ministre n’a pas agi de manière contraire aux prescriptions du guide. En l’espèce, comme le prévoit le guide, la demande de réexamen a été transmise de l’Agence des services frontaliers du Canada à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, afin que celui-ci décide si la demande comportait de nouveaux éléments de preuve. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a pris cette décision et a transmis les documents au délégué du ministre, qui a alors examiné la demande de réexamen. Il n’existe aucune disposition législative concernant le réexamen d’un avis de danger, et la Cour a confirmé que le ministre avait le droit de ne pas tenir compte de la demande (McLaren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 373 (CF 1re inst.), au paragraphe 12 (McLaren)). L’observation du demandeur selon laquelle le délégué du ministre a agi à l’encontre de la loi en appliquant la norme de preuve qu’il avait établie ne tient pas compte du fait qu’il n’existe aucune loi à enfreindre. De plus, le simple dépôt de nouveaux éléments de preuve ne justifie pas automatiquement le réexamen d’un avis de danger valide, puisqu’aucun avis de danger ne pourrait être définitif en pareil cas. En revanche, le délégué du ministre doit décider si les nouveaux éléments de preuve justifient le réexamen complet de l’avis de danger. En procédant à cet examen, le délégué du ministre était fondé à tenir compte de la substance de la preuve.

[18]  Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. L’« examen » du délégué du ministre n’était pas restreint par le guide. Le délégué du ministre doit être autorisé à tenir compte de la valeur probante, de la pertinence et de la force générale de la preuve pour décider si celle-ci justifie le réexamen de l’avis de danger. Et même si le guide n’avait pas été suivi, cela ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, puisque les guides et les politiques ne lient ni le gouvernement ni les tribunaux (Shabdeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 303, au paragraphe 16 (Shabdeen)). Il n’y a pas non plus eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’absence d’avis. Le demandeur savait comment sa demande serait évaluée d’après la décision antérieure, celle du 21 septembre 2016. À cet égard, le délégué du ministre a effectué une analyse détaillée de la force de persuasion et de la pertinence des nouveaux éléments de preuve, en soulignant que le décideur était saisi de renseignements similaires en 2011. Par conséquent, le demandeur savait quel genre d’analyse serait appliqué et avait la possibilité de présenter d’autres observations, ce qu’il a fait.

[19]  Le défendeur soutient que la décision n’était pas inique, et que, considérée dans son ensemble, elle était raisonnable. Le décideur ne doit pas se contenter d’examiner les nouvelles observations en vase clos et réexaminer la décision s’il y a de nouveaux éléments de preuve imprévus. Il est raisonnable que le décideur évalue dans quelle mesure les nouvelles observations et nouveaux éléments de preuve peuvent avoir pour effet de modifier la décision initiale. Le défendeur soutient que c’est exactement ce qui a été fait en l’espèce et qu’il était raisonnable de le faire. Il est raisonnable de croire que la preuve concernant l’évolution de la relation du demandeur avec sa fille n’est ni une preuve de fond ni une preuve valable qui entraînerait, de manière réaliste, la modification de l’avis de danger. Le délégué du ministre a tenu compte de l’ensemble de la preuve, du contexte général sur lequel se fondait l’avis de danger, y compris le niveau de risque de récidive du demandeur, qui demeurait modéré, et il est parvenu à une décision défendable.

Discussion

[20]  Comme l’a indiqué le demandeur, à la différence de ce qui est prévu au paragraphe 110(4) de la LIPR, à savoir que dans le cadre de l’appel devant la Section d’appel des réfugiés, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet, ou encore à l’alinéa 113a) qui, dans le même ordre d’idée, traite de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), la LIPR ne comporte aucune disposition législative concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en cas de demande de réexamen d’un avis de danger. La LIPR, ou tout règlement connexe, ne prévoit pas non plus les motifs pour lesquels un avis de danger peut faire l’objet d’un réexamen.

[21]  En l’espèce, il n’y a aucune disposition législative à interpréter. Il y a, cependant, des lignes directrices ministérielles présentées sous la forme d’un guide. Et même s’il est bien établi dans la jurisprudence que les lignes directrices n’ont aucune valeur juridique et ne lient ni le ministre ni ses délégués, la Cour a déjà conclu qu’elles permettent d’apprécier si une décision a résulté d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré (Budakh c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 363, au paragraphe 26; Shabdeen, au paragraphe 16; voir aussi Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 31 et 32).

[22]  À l’égard de cette question, l’article 7.16 du guide prévoit ce qui suit :

7.16  Réexamen d’un avis de danger

Remarque :  Les demandes de réexamen ne suspendent pas le traitement d’un cas, y compris les mesures de renvoi.

Si la personne concernée ou son avocat est en désaccord avec la décision, mais ne présente pas d’autres éléments de preuve pour étayer son argumentaire, l’intéressé ou son avocat doit être averti par écrit que l’avis a déjà été produit et demeure en vigueur.

Les demandes de réexamen d’un avis de danger doivent être traitées par le bureau local de l’ASFC, qui formule des commentaires et achemine la demande à la Direction générale du règlement des cas d’IRCC, où un décideur évaluera si la demande répond à un des critères suivants :

  Nouveaux éléments de preuve

Quand une demande est présentée pour étudier des faits ou des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale (p. ex., un nouveau rapport des services correctionnels ou un nouveau rapport psychologique), la documentation doit être transmise au délégué du ministère pour qu’il l’examine.

  Principe de justice naturelle

Si l’intéressé ou son avocat prétend que la décision a porté atteinte au principe de justice naturelle, la demande doit être renvoyée au délégué du ministre pour qu’il la réexamine.

Si l’un des critères est rempli, le décideur réexaminera l’avis initial.

[23]  À mon avis, comme la loi est muette sur la question des critères d’admissibilité de preuve quand une demande de réexamen est présentée, il reste à savoir si le délégué du ministre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit être envisagé dans le contexte des directives fournies dans le guide et de la forme des nouveaux éléments de preuve déposés à l’appui de la demande de réexamen.

[24]  En l’espèce, dans ses observations en date du 12 octobre 2016, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas, à une exception près, le décideur initial qui a produit l’avis de danger, et dont ne disposait pas non plus le délégué du ministre lorsqu’il a pris la décision, le 21 septembre 2016, de refuser de réexaminer l’avis de danger. Ces éléments de preuve comprenaient les transcriptions des audiences relatives au contrôle des motifs de la détention du demandeur en date des 9 janvier et 22 septembre 2014, le rapport sur les évaluations psychologiques et psychiatriques du Service correctionnel du Canada en date du 4 juillet 2016 et du 2 juin 2010, treize autres rapports du Service correctionnel du Canada, ainsi que diverses lettres de soutien. Le guide prévoit explicitement les nouveaux rapports des services correctionnels et les nouveaux rapports psychologiques à titre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du réexamen d’un avis de danger.

[25]  Le 12 octobre 2016, les observations de l’avocat du demandeur et les nouveaux éléments de preuve qui y étaient joints ont été présentés à l’Agence des services frontaliers du Canada. Il est indiqué dans le guide que l’Agence des services frontaliers du Canada devait formuler des commentaires et acheminer la demande à la Direction générale du règlement des cas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, où un décideur évaluerait si la demande répondait à l’un ou l’autre des critères, c’est-à-dire en l’espèce, si la demande visait à étudier des faits ou des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale. Il n’est pas évident à la lecture du dossier que cette étape ait été exécutée, mais il est clair que les observations et les nouveaux éléments de preuve ont été transmis à un délégué. Dans la décision, le délégué du ministre souligne que le demandeur a déposé de nouveaux éléments de preuve postérieurs à l’avis de danger initial produit en mai 2011, y compris les transcriptions des audiences relatives au contrôle des motifs de la détention, une lettre de la mère de la fille du demandeur, une lettre de sa fille elle-même et de nombreux rapports du Service correctionnel du Canada en date de 2008, 2010, 2012, 2013, 2015 et 2016.

[26]  Par conséquent, dans cette mesure le processus établi dans le guide a été suivi. Le demandeur soutient, cependant, qu’il est indiqué dans le guide que si l’un des critères relatifs à la justice naturelle ou aux nouveaux éléments de preuve est rempli, alors le décideur « réexaminera l’avis initial », mais que le délégué a omis de le faire. Il est exact qu’il y a eu de nouveaux éléments de preuve en l’espèce, mais, en raison du fait que le délégué a estimé qu’ils n’étaient pas « particulièrement nouveaux », « suffisamment nouveaux » ni « de nature à ne pas avoir été raisonnablement prévus » à l’époque de l’émission de l’avis de danger, le délégué a décidé que la preuve ne justifiait pas le réexamen de l’avis de danger.

[27]  Comme il est souligné ci-dessus, le guide n’est pas contraignant et ne sert que de ligne directrice. Par conséquent, le défaut de s’y conformer et de réexaminer l’avis de danger lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés n’est peut-être pas, en soi, une erreur fatale. Comme il est affirmé dans la décision Gilani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 152 :

[16]  Les lignes directrices comportent une liste de questions qui « doivent être traitées » par la gestionnaire du programme dans le contexte de son évaluation des risques. La demanderesse a prétendu que l’agente des visas a limité son analyse à la question du fardeau excessif pour les services de santé du Canada et qu’elle n’a pas traité les autres questions énoncées dans les lignes directrices.

[17]  Dans la décision Cheng c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1318 (1re inst.)(QL), M. le juge Cullen a déclaré, au paragraphe 7, que bien que les lignes directrices ne soient pas des dispositions à caractère législatif, « l’agent d’immigration qui prend une décision doit les respecter pour assurer une certaine uniformité au sein du ministère ». Cependant, le juge Cullen a déclaré que l’omission d’un agent d’immigration de suivre la politique énoncée dans les lignes directrices ne constituait pas une erreur qui méritait que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur cette affaire (voir également la décision Vidal, précitée). Le juge Cullen a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans la décision Cheng, précitée, pour d’autres motifs.

[18]  Dans ‪la décision Ramoutar, précitée, M. le juge Rothstein, maintenant juge à la Section d’appel, a commenté, à la page 375, la question du statut de la politique contenue dans les guides d’immigration en déclarant que « ce n’est pas parce que les hautes instances du Ministère de l’Immigration ont formulé une politique que cela donne à cette dernière le statut d’une loi ».

[19]  Par conséquent, l’omission de la gestionnaire du programme d’avoir suivi les lignes directrices, en soi, ne constituerait pas une erreur susceptible de contrôle.

[28]  Il faut peut-être aussi préciser que le délégué n’a pas effectué de réexamen. Il a plutôt mis en œuvre une mesure intermédiaire, dans le cadre de laquelle il a apprécié la preuve et a conclu qu’elle était insuffisante pour justifier le réexamen de l’avis de danger. Ainsi, la décision dont je suis saisi concerne le refus de réexaminer l’avis de danger; il ne s’agit pas de la contestation du réexamen de cet avis.

[29]  Le réexamen a été refusé au motif que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas « particulièrement nouveaux », « suffisamment nouveaux » ni « de nature à ne pas avoir été raisonnablement prévus » à l’époque de l’émission de l’avis de danger. À cet égard, le délégué a déclaré qu’au moment de la rédaction de l’avis de danger prononcé contre le demandeur, celui-ci était déjà incarcéré dans un pénitencier fédéral par suite de son crime, avait déjà commencé à recevoir un traitement de réadaptation qui devait se poursuivre jusqu’à l’expiration de son mandat, le 28 juillet 2016, et y réagissait bien. Le délégué a ajouté : [traduction] « Par conséquent, ce décideur aurait pu raisonnablement prévoir les rapports faisant état de l’évolution de la réadaptation au cours des cinq années suivantes. » En outre, le renvoi d’une personne après qu’un avis de danger a été lancé et mis au point peut demander plusieurs années, plus particulièrement dans les cas où le client est encore incarcéré au moment de la décision ou s’il faut obtenir un document de voyage ou des autorisations des pays de transit. Une instance peut aussi retarder le renvoi. Pendant ces délais, pour diverses raisons la détention n’est pas toujours maintenue, notamment dans les cas où des commissaires de la Section de l’immigration décident de libérer la personne s’ils sont convaincus que le sujet ne représente pas un danger immédiat pour le public. La détention pour une durée indéterminée en attendant le renvoi n’est une situation idéale ni pour l’Agence des services frontaliers du Canada ni pour la personne. Cependant, ces décisions n’invalident pas celle du délégué du ministre concernant le danger pour le public et [traduction] « le décideur peut le prévoir dans bien des cas – y compris en l’espèce ».

[30]  Le défendeur soutient que l’approche du délégué était raisonnable, parce qu’en principe, celui-ci était autorisé à apprécier la valeur probante ou la pertinence des éléments de preuve déposés pour déterminer s’ils étaient « nouveaux », et que l’« examen » auquel renvoie le guide consiste à décider si les nouveaux éléments de preuve justifient un « réexamen complet » de l’avis de danger, et non s’il existe des éléments de preuve qui n’existaient pas au moment de l’émission de l’avis de danger. Autrement, aucun avis de danger ne pourrait être définitif, puisqu’il serait possible de présenter indéfiniment des demandes de réexamen.

[31]  Je tiens d’abord à souligner que le guide ne prescrit aucune mesure intermédiaire de cette nature et n’étaye pas l’interprétation que fait le défendeur du processus qu’il expose. Le guide décrit un processus dans le cadre duquel, si les critères relatifs aux nouveaux éléments de preuve sont remplis, les éléments de preuve doivent être transmis au délégué du ministre aux fins d’examen, après quoi le délégué « réexaminera » l’avis initial. Aucune disposition de la LIPR, du règlement ou du guide ne donne à penser que le délégué a le pouvoir discrétionnaire de modifier le processus établi dans le guide, ni, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de définir et d’imposer des critères de preuve autres que ceux qui sont précisés. Au contraire, l’existence de la procédure établie dans le guide donne à penser que les délégués seront guidés par son contenu lorsqu’ils exerceront leur pouvoir discrétionnaire.

[32]  Le défendeur cite la décision McLaren pour étayer son affirmation selon laquelle aucune erreur ne découle de l’imposition d’exigences en matière de preuve par le délégué du ministre pour réexaminer l’avis de danger, parce que le délégué avait le droit de ne pas tenir compte de la demande. Je ne suis pas convaincue que la décision McLaren appuie cet argument. La juge Simpson y a affirmé qu’étant donné qu’aucune disposition législative ne prévoit le réexamen d’un avis de danger, sur le plan strictement juridique, l’intimé avait le droit de ne pas tenir compte de la demande de réexamen. Cependant, le fait que le délégué n’ait pas fourni d’explication minimale à l’appui de la décision constituait un manquement à l’obligation d’équité. De plus, je souligne que l’affaire McLaren a été tranchée en 2001, et que la décision ne comporte aucun renvoi au guide. Dans cette affaire, la juge Simpson a également conclu qu’aucune loi ne s’applique et que rien ne justifie qu’on s’attende légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie. Cela donne à penser que le guide n’était pas en vigueur à ce moment-là.

[33]  Compte tenu de l’existence du guide et des nouveaux éléments de preuve déposés en l’espèce, je ne suis pas convaincue que le délégué du ministre ait eu le droit de ne pas tenir compte de la demande de réexamen présentée par le demandeur. Le délégué du ministre devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire, et en pareilles circonstances, ne pas tenir compte du tout d’une demande de réexamen ne serait pas raisonnable, à mon avis. Je ne suis pas non plus convaincue que la décision McLaren confirme la justesse du traitement des nouveaux éléments de preuve par le délégué en pareilles circonstances, comme l’a proposé le défendeur.

[34]  Cela dit, le défendeur soulève une préoccupation valable à l’égard des abus éventuels, par exemple, dans le cas où un demandeur solliciterait un réexamen chaque fois qu’un rapport des services correctionnels serait produit, ce qui pourrait arriver chaque mois. Cette préoccupation peut révéler une lacune dans le contenu du guide ou mettre en lumière un flou qui existerait dans ses dispositions. Et même s’il se peut bien que les critères de nouveauté, de pertinence, de crédibilité et de caractère déterminant constituent un principe général lorsqu’il s’agit d’apprécier l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, comme le soutient le défendeur, le guide ne mentionne pas qu’un délégué puisse tenir compte de ce principe dans une évaluation préliminaire des éléments de preuve qui satisfont par ailleurs aux critères précisés à l’égard des nouveaux éléments de preuve aux fins du réexamen d’un avis de danger. Le défendeur ne présente pas non plus de jurisprudence étayant l’application du principe général en pareilles circonstances.

[35]  Quoi qu’il en soit, dans ce cas précis, cette préoccupation n’a aucune incidence sur l’analyse du caractère raisonnable de la décision. En l’espèce, le demandeur a présenté la demande après avoir entièrement purgé sa peine et avoir été libéré sous certaines conditions. Il ressort également du dossier qu’il existait, entre l’Agence des services frontaliers du Canada et l’avocat du demandeur, un accord selon lequel d’autres observations pouvaient être présentées après la décision rendue le 21 septembre 2016, ces observations seraient prises en considération et une nouvelle décision serait rendue.

[36]  À mon avis, en l’espèce la décision du délégué est déraisonnable en raison du raisonnement sur lequel elle se fonde. Le guide fait explicitement mention d’« un nouveau rapport des services correctionnels ou un nouveau rapport psychologique » dans le contexte de nouveaux éléments de preuve qui satisferaient aux critères exigés pour un réexamen. Le demandeur a fourni les deux, mais le délégué a conclu que le décideur qui avait émis l’avis de danger en 2011 aurait raisonnablement pu prévoir ces éléments de preuve, et que, par conséquent, ceux-ci n’étaient pas suffisamment nouveaux aux fins du réexamen de cet avis. Premièrement, cela contredit directement l’approche établie dans le guide. Même si celui-ci n’est pas contraignant, il fournit des directives au délégué, et ce type d’éléments de preuve y est retenu à l’appui d’une demande de réexamen. Comme ce type d’éléments de preuve a explicitement été retenu à titre d’exemple de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale, il serait logique de le prévoir et il a été prévu. Il ne peut donc pas raisonnablement être exclu sur ce fondement.

[37]  Deuxièmement, il s’agit d’un raisonnement spéculatif. Le délégué affirme que le décideur initial devait savoir que le demandeur réagissait bien au programme de réadaptation et que cela se poursuivrait jusqu’à la date d’expiration de son mandat. Par conséquent, ce décideur aurait raisonnablement pu prévoir en 2011 que ces progrès se poursuivraient au cours des cinq années suivantes. Sur ce fondement, les rapports étaient prévus et n’ajoutaient aucun nouvel élément de preuve. Cela suppose, cependant, que le demandeur allait continuer à participer aux programmes, à réaliser des progrès au cours des cinq années suivantes, mais que ces progrès ne dépasseraient pas le niveau atteint en 2011 et que rien dans les nouveaux rapports ne permettrait par ailleurs de dissiper (ou de confirmer) les préoccupations initiales.

[38]  En outre, il est inique qu’en dépit du fait que le guide précise que les nouveaux rapports des services correctionnels constituent de nouveaux éléments de preuve justifiant le réexamen d’un avis de danger, le délégué rejette ces éléments de preuve et refuse de réexaminer l’avis au motif que ces rapports sont prévus.

[39]  À cet égard, je tiens à souligner que le délégué ne fait pas mention du dernier rapport psychologique/psychiatrique du Service correctionnel du Canada, qui a été rédigé le 4 juillet 2016. Entre autres choses, ce rapport traite de la reconnaissance de la gravité de l’infraction par le demandeur et des remords qu’il a exprimés, ce qui semble marquer un changement depuis la première évaluation psychologique, en date du 9 juin 2009, à laquelle renvoie l’avis de danger. On y laissait entendre que le demandeur niait et minimisait sa responsabilité dans la mort de l’enfant. Il est difficile de voir comment le décideur initial avait prévu ce changement de perspective. Le dernier rapport psychologique/psychiatrique traite également de l’emploi du demandeur à sa libération, ce qui, encore une fois, n’est pas un thème abordé dans l’avis de danger initial. De plus, le psychologue a affirmé que le demandeur avait fait un très bon usage des ressources thérapeutiques mises à sa disposition, et qu’il semblait avoir réalisé des progrès très substantiels pour ce qui était de comprendre les expériences difficiles de la vie, d’y trouver des solutions, d’améliorer son adaptation affective et sa façon de pallier les difficultés de façon générale, et de modifier sensiblement ses opinions au sujet de ce qui constitue une éducation et des tactiques disciplinaires appropriées auprès des enfants. Encore là, il est difficile de voir comment ces conclusions précises sont appréhendées selon l’approche anticipatoire des éléments de preuve que le délégué du ministre a adoptée.

[40]  Le délégué du ministre a aussi fondé sa décision sur la conclusion selon laquelle, même s’il n’est pas toujours possible de maintenir la détention, notamment à la suite des décisions que prend la Section de l’immigration au motif qu’elle conclut que la personne ne représente pas un danger immédiat pour le public, cela n’invalide pas la décision du délégué du ministre concernant le danger pour le public et [traduction] « le décideur peut le prévoir dans bien des cas – y compris en l’espèce ». Cependant, dans l’avis de danger rien ne donne à penser que cela était prévu par le décideur initial. Et même si l’état nouveau de la relation du demandeur avec sa fille peut, à lui seul, ne pas être suffisant pour modifier l’avis de danger, comme le soutient le défendeur, le délégué devait tirer cette conclusion.

[41]  Le délégué du ministre a aussi invoqué un rapport de la Commission des libérations conditionnelles du Canada en date du 19 avril 2016, qui indiquait que le niveau de risque courant du demandeur demeurait modéré. Cela est exact, mais, à mon avis, ce rapport doit être envisagé dans son ensemble et dans le contexte de l’ensemble des nouveaux éléments de preuve qui ont été déraisonnablement écartés, au motif qu’ils auraient pu être prévus.

[42]  Il s’ensuit que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, parce que le délégué du ministre a exercé déraisonnablement son pouvoir discrétionnaire et a commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve au motif que le décideur initial aurait raisonnablement pu les prévoir en 2011, au moment de l’émission de l’avis de danger.

Questions à certifier

[43]  Le demandeur soumet la question à certifier suivante :

[traduction]

À la lumière de l’énoncé figurant dans le guide de l’immigration (ENF 28, article 7.16),

« Quand une demande est présentée pour étudier des faits ou des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale […] le décideur réexaminera l’avis [de danger] initial [pour le public] », l’obligation d’équité exige-t-elle ce qui suit :

a)  quand une demande est présentée pour étudier des faits ou des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles au moment de la décision initiale, que le décideur réexamine l’avis de danger initial pour le public, ou bien,

b)  si un critère doit être rempli avant qu’on puisse procéder au réexamen, le demandeur doit-il en être avisé et avoir la possibilité de le remplir?

[44]  Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, un appel ne peut être lancé auprès de la Cour d’appel fédérale que si le juge, en rendant sa décision, certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci. Le critère à appliquer au moment de déterminer si une question sied à une certification est énoncé dans Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 :

[9]  C’est un principe élémentaire de droit que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

(Voir aussi Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 28 à 30; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[45]  Dans l’arrêt Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1637 (CAF), aux paragraphes 4 à 6, la Cour d’appel fédérale a aussi affirmé que le processus de certification ne saurait être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler l’affaire, et il ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les cours fédérales, LRC, 1985, c F-7.

[46]  Dans la présente affaire, la question proposée ne se prête pas à la certification pour divers motifs. En premier lieu, il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour régler l’affaire, puisque j’ai établi que la décision devait être annulée sur le fondement de l’exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire. En second lieu et de façon accessoire, je n’ai pas traité la question de l’équité procédurale de cette décision puisque ce n’était pas nécessaire. En dernier lieu, je ne suis pas convaincue que la question proposée transcende les intérêts des parties immédiates à l’instance ni qu’elle porte sur une question ayant des conséquences importantes ou qui est de portée générale. Par conséquent, je refuse de certifier la question proposée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du délégué du ministre est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4370-16

 

INTITULÉ :

BEYAN DUNOH CLARKE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Aliyah Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.