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Date : 20170420


Dossier : IMM-2296-16

Référence : 2017 CF 383

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 20 avril 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

PAUL CARL ROONEY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Paul Carl Rooney (le demandeur) sollicite un contrôle judiciaire de la décision d’un agent (l’agent) de rejeter sa demande de résidence permanente présentée au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur fonde ses motifs d’ordre humanitaire sur son statut de personne apatride, sur son degré d’établissement au Canada et, considérant son état de santé physique et mentale, sur les conditions défavorables de deux pays de référence, soit le Royaume-Uni et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

[3]               Le demandeur allègue être né en 1963. Selon le formulaire de demande générique IMM 0008 qu’il a rempli, il est né le 23 juillet 1963, possiblement à Birmingham, en Angleterre. À « l’annexe A – Antécédents/Déclaration » du formulaire IMM 5669, il a déclaré que sa date de naissance est le 23 février 1963 et qu’il est né à Saint-Vincent.

[4]               Dans une déclaration solennelle datée du 24 avril 2015, le demandeur a fourni quelques détails à propos de sa vie. Il a été adopté en Angleterre. Selon lui, ses parents adoptifs l’ont amené au Canada dans les années 1980. Ses parents adoptifs lui ont dit qu’il est né à Toronto et que ses parents biologiques étaient tous deux de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il n’a plus de contacts avec ses parents adoptifs et ne sait pas s’ils sont vivants ou non.

[5]               Dans sa déclaration solennelle du 24 novembre 2015, le demandeur fait état de certaines difficultés qu’il a eues au Canada et qui l’ont conduit à être détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada. Cette détention a commencé le 25 octobre 2013. Il affirme avoir été détenu pour des « motifs d’identification ». Selon une deuxième déclaration solennelle du demandeur datée du 7 avril 2016, sa détention s’est poursuivie jusqu’au 9 février 2016, moment où la Section de l’immigration a ordonné sa libération conditionnelle.

[6]               Dans un avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposé le 9 février 2016 dans le dossier IMM-615-16, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a demandé l’autorisation d’entreprendre le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration autorisant la remise en liberté du demandeur.

[7]               Le ministre a sollicité et obtenu la suspension provisoire de cette ordonnance dans l’attente de l’audience complète d’une requête de sursis des effets de l’ordonnance. Un sursis provisoire a été autorisé jusqu’à l’audience sur la requête, qui s’est tenue le 2 mars 2016 et lors de laquelle la requête du ministre a été rejetée.

[8]               Dans une décision du 9 juin 2016, le ministre a reçu l’autorisation d’entreprendre une demande de contrôle judiciaire. Une audience s’est donc tenue sur cette question le 22 août 2016 et la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de l’immigration a été rejetée.

[9]               Dans l’entremise, l’agent a rejeté la demande de résidence du demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire dans une décision du 20 mai 2016. Dans cette décision, l’agent a observé que le demander considère qu’il est apatride de facto parce qu’il est incapable de prouver sa citoyenneté au Canada, au Royaume-Uni ou à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. L’agent a conclu qu’il est [traduction] « possible que le demandeur possède la citoyenneté de l’un ou l’autre de ces pays ».

[10]           Il a également souligné que [traduction] « la preuve est insuffisante pour conclure selon la prépondérance des probabilités que le demandeur est apatride de facto ».

[11]           L’agent a tenu compte de l’établissement au Canada du demandeur, soulignant qu’il a occupé divers emplois possiblement entre 1995 et 2013. Il a également retenu que le demandeur a eu quelques relations amoureuses et qu’il a [traduction] « au moins quatre amitiés proches, qu’il entretient depuis 3 ans pour certaines et depuis environ 20 ans pour d’autres ».

[12]           L’agent a reconnu que le demandeur a été reconnu coupable de deux infractions criminelles en 1997 pour lesquelles il a plaidé coupable. Il a conclu que la perpétration d’une infraction criminelle mine le degré d’établissement au Canada.

[13]           L’agent a tenu compte d’autres facteurs, y compris de la santé mentale et physique du demandeur et des conditions défavorables des autres pays, soit le Royaume-Uni et Saint-Vincent. Il a conclu que les conditions du pays ne [traduction] « présentent pas de contraintes exceptionnelles en raison de ses antécédents en matière d’emploi et de son incapacité à décrire en détail toute difficulté qu’il vivrait dans l’un ou l’autre de ces pays ».

[14]           Le demandeur soulève deux questions principales dans sa demande de contrôle judiciaire. Premièrement, il affirme qu’il a subi un manquement à l’équité procédurale dû au fait que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre dans le cadre d’une entrevue aux conclusions négatives qu’il a tirées relativement à sa crédibilité. Deuxièmement, le demandeur fait valoir que l’agent a fait fi  de la preuve pertinente.

[15]           D’autre part, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et que l’évaluation de la preuve faite par l’agent était raisonnable.

[16]           La norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

[17]           Une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire fait intervenir l’exercice de la discrétion, éclairé par les dispositions législatives. Une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable; voir la décision Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 44. La norme de la décision raisonnable commande que celle-ci soit « justifiable, transparente et intelligible », et qu’elle fasse partie des issues possibles acceptables; voir la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

[18]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de se pencher sur les arguments relatifs au manquement allégué à l’équité procédurale puisque je suis convaincu que la décision, sur le fond, ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable.

[19]           Selon moi, l’agent a restreint de façon déraisonnable son examen de la preuve relative à l’établissement du demandeur au Canada.

[20]           De plus, la conclusion de l’agent selon laquelle il est possible que le demandeur possède la citoyenneté du Royaume-Uni ou de Saint-Vincent-et-les-Grenadines n’est pas clairement soutenue par la preuve. À mon avis, cette conclusion ne satisfait pas à la norme de raisonnabilité établie dans l’arrêt Dunsmuir précité.

[21]           Par ailleurs, il semble que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la situation du demandeur. Les notes de l’agent indiquent une apparence de fermeture d’esprit. Le fait que l’histoire du demandeur est « inhabituelle » n’autorise pas le défendeur, par l’entremise de ses fonctionnaires ou de ses agents, à adopter un point de vue strict de la preuve présentée.

[22]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2296-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PAUL CARL ROONEY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Peggy Lee

Pour le demandeur

 

Aman Sanghera

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peggy Lee

Elgin, Cannon & Associates, Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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