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Date : 20170419


Dossier : IMM-2434-16

Référence : 2017 CF 379

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

HESHMATOLLAH AZIZIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Heshmatollah Azizian, est un citoyen de l’Iran de 74 ans qui, en 2009, a demandé un visa de résidence permanente en tant qu’investisseur en vertu du Programme des investisseurs du Québec. Cependant, sa demande a été rejetée par un agent (l’agent) de la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, qui lui a expliqué, dans une lettre datée du 12 avril 2016, qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir un visa de résidence permanente en raison de son état de santé et de ses antécédents professionnels à la Banque centrale d’Iran. Le demandeur a maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

I.                    Contexte

[2]               Un agent de l’ambassade du Canada à Ankara a interrogé le demandeur en octobre 2009 au sujet de sa demande d’adhésion au Programme des investisseurs du Québec et, plus tard au cours de l’année, celui-ci y a été admis. En mars 2013, le demandeur a subi un examen médical dans le cadre de sa demande; plus d’un an plus tard, un agent d’immigration l’a informé, dans une lettre datée du 12 août 2014, qu’il était peut-être interdit de territoire au Canada pour des motifs d’ordre médical, car il avait reçu un diagnostic de néoplasme malin du pancréas. La lettre mentionnait le fait qu’une intervention chirurgicale avait permis de retirer la tumeur de son pancréas et qu’il devrait faire l’objet d’un [traduction] « suivi étroit par une équipe multidisciplinaire de spécialistes, recevoir des traitements ambulatoires dans des établissements de soins de santé tertiaires, être hospitalisé pour la prise en charge de sa maladie, ainsi que recevoir des traitements de chimiothérapie, de radiothérapie ou médicaux, selon ce qui serait approprié ». Cette lettre mentionnait également au demandeur qu’il était peut-être inadmissible à présenter une demande de statut de résident permanent en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR, à cause de son état de santé qui risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; en effet, le coût estimatif annuel des services de santé s’établirait à 36 877 $, un montant qui dépasse le coût annuel moyen par habitant qui est de 6 327 $. L’agent a donné au demandeur 60 jours pour fournir des renseignements ou des documents additionnels permettant de dissiper les préoccupations de l’agent.

[3]               Peu de temps après l’envoi de la lettre du 12 août 2014 par l’agent, l’Agence des services frontaliers du Canada a fourni à l’ambassade canadienne à Ankara une évaluation datée du 5 septembre 2014 de l’interdiction de territoire qui frappait le demandeur. L’ASFC mentionne dans le rapport d’évaluation que le demandeur a été à l’emploi de la Banque centrale d’Iran (BCI) de 1966 à 2006 et qu’il a été promu à divers postes de cadre supérieur au cours de sa carrière à la BCI. Ce rapport explique que la BCI est soupçonnée de contribuer financièrement à des activités sensibles de l’Iran qui posent un risque de prolifération nucléaire et de financer des organisations terroristes telles que le Hamas et le Hezbollah. L’Agence des services frontaliers du Canada a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était non seulement livré à des activités terroristes, et donc qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, mais qu’il avait également contribué aux efforts de mise au point et de prolifération d’armes de l’Iran de sorte qu’il interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. Au moment d’entreprendre sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur n’avait pas encore reçu le rapport de divulgation de l’ASFC.

[4]               Le 8 octobre 2014, un agent a transmis une autre lettre au demandeur lui indiquant qu’il pourrait être interdit de territoire pour raisons de sécurité en vertu des alinéas 34(1)c) et 34(1)d) la LIPR à cause des postes de cadre supérieur qu’il avait occupés à la Banque centrale d’Iran. La lettre mentionnait ceci : [traduction] « De nombreux rapports fondés sur des renseignements de source ouverte et dignes de foi indiquent que la Banque centrale d’Iran est soupçonnée de financer des organisations terroristes responsables de la mort d’innombrables civils et de la destruction massive de biens civils ». Cette lettre indiquait également que [traduction] : « comme nous avons des motifs raisonnables de croire que vous aviez une connaissance approfondie des activités de la BCI liées au financement d’actes terroristes et que vous avez participé à ces activités, nous estimons que vous êtes interdit de territoire pour raisons de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR ». La lettre disait ensuite que la BCI [traduction] « est soupçonnée de contribuer à des programmes d’armes et de missiles nucléaires et d’autoriser des transactions permettant de contribuer à la prolifération d’activités nucléaires ou à la mise au point de vecteurs de telles armes »; que la BCI figurait sur la liste des [traduction] « entités inscrites »  établie par le Département du Trésor des États-Unis et l’Union européenne; et que les activités de prolifération et l’expansion des programmes nucléaires de l’Iran [traduction« exposent le Canada à un risque grave ». L’auteur de la lettre concluait en disant [traduction] : « nous avons des motifs raisonnables [sic] de croire que vous êtes également interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR en raison de votre implication dans les activités de prolifération et de mise au point d’armes de la BCI ». L’agent a donné au demandeur 60 jours pour fournir des renseignements permettant de dissiper ses préoccupations.

[5]               En décembre 2014, l’avocat du demandeur a fourni à l’agent des visas ses observations concernant l’état de santé de son client, M. Azizian, et il lui a expliqué que l’examen médical initial avait été effectué au moment où la tumeur avait été enlevée et que les examens subséquents indiquaient que son cancer était en phase de rémission complète. Le demandeur a fourni un rapport médical de son oncologue qui concluait qu’il [traduction] « est actuellement en rémission complète et il ne requiert aucune thérapie médicale (radiothérapie ou chimiothérapie). En raison de l’état d’avancement de la maladie, le pronostic est bon et le taux de récidive est faible. » L’avocat du demandeur soutient que, vu son pronostic, le demandeur n’avait pas à se soumettre aux procédures médicales énumérées dans la lettre du 12 août 2014 et que, par conséquent, il n’était plus interdit de territoire pour motifs médicaux. Il a également déclaré que, subsidiairement, la capacité du demandeur à payer des traitements de chimiothérapie au privé au Québec était pertinente en ce qui concerne le fardeau excessif.

[6]               Dans une lettre datée du 6 mai 2015, l’avocat du demandeur a donné suite aux préoccupations concernant l’interdiction de territoire du demandeur pour raisons de sécurité et il a mentionné que l’agent avait omis de citer dans sa lettre du 8 octobre 2014 les [traduction« nombreux rapports fondés sur des renseignements de source ouverte et dignes de foi » et qu’une demande de renseignements personnels subséquente montrait que le dossier du demandeur ne contenait aucun rapport fondé sur des renseignements de source ouverte. Dans ses observations, le demandeur avait fourni tous les rapports potentiellement pertinents dont il disposait et il avait spécifiquement demandé que l’on identifie tout autre rapport qu’il n’avait pas inclus. Le demandeur nie toute implication dans des activités terroristes et il explique qu’il était impossible de dissiper les préoccupations de l’agent de manière significative et éclairée, parce que celui-ci n’avait donné aucune précision sur les organisations terroristes ni sur les actes terroristes. Le demandeur mentionne qu’il a été incapable de trouver des rapports fondés sur des renseignements de source ouverte montrant que la Banque centrale d’Iran finançait des actes terroristes et il soutient que, subsidiairement, si la BCI était impliquée dans de telles activités, il n’existe aucune preuve qu’il avait été impliqué dans une activité quelconque au sein de la BCI qui ferait de lui un complice en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. Le demandeur a rejeté la notion selon laquelle il constituait un danger pour la sécurité du Canada et qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, soutenant que cette interdiction en vertu de cet alinéa exigeait une preuve tangible et identifiable qu’il constituait un danger actuel ou futur pour le Canada et que, comme il avait quitté son emploi à la BCI en 2006, il ne pouvait pas constituer un danger actuel ou futur pour le Canada. Il soutient qu’il n’existe aucune preuve qu’il ait déjà été impliqué directement ou qu’il ait participé à des activités pouvant mettre en danger la sécurité du Canada ou qu’il ait été impliqué dans des transactions ayant contribué à la prolifération d’activités nucléaires sensibles ou à l’expansion du programme nucléaire de l’Iran.

II.                 Décision de l’agent

[7]               Dans une lettre datée du 12 avril 2016, l’agent a rejeté la demande de visa de résidence permanente du demandeur, jugeant qu’il était interdit de territoire pour motifs sanitaires et pour motifs de sécurité. Il a déclaré que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’état de santé du demandeur entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, de sorte qu’il est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 38(1)c) de LIPR. Il a ajouté qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur faisait partie de la catégorie de personnes frappées d’interdiction de territoire visée à l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, de sorte qu’il est interdit de territoire pour des raisons de sécurité. L’agent a admis que les réponses du demandeur aux deux lettres relatives à l’équité procédurale avaient été prises en considération, mais que ses réponses ne modifiaient pas l’évaluation finale de son état de santé et qu’elles ne dissipaient pas non plus les préoccupations découlant de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. La lettre de l’agent n’incluait pas de conclusions relatives à l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, en dépit du fait que les préoccupations à cet égard avaient été soulevées dans la lettre du 8 octobre 2014.

[8]               Les notes dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) renferment de plus amples détails sur les raisons pour lesquelles le demandeur a été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR. L’agent y mentionne que, même si le médecin avait pris connaissance des arguments du demandeur, il n’avait pas modifié son évaluation médicale initiale, laquelle indiquait que le demandeur avait eu un cancer de stade IIA et non pas un cancer de stade I comme l’indiquait le demandeur. L’agent a accepté le calcul antérieur effectué par le médecin des coûts de santé estimatifs et il a mentionné que ces coûts pourraient être nettement plus élevés si l’on y incluait le coût des soins palliatifs.

[9]               Dans ses notes dans le SMGC, l’agent explique également la raison pour laquelle le demandeur a été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. Notamment, il indique qu’il existait de l’information accessible au public et digne de foi montrant que la Banque centrale d’Iran finance des activités terroristes et de prolifération d’armes de destruction massive; il cite notamment des documents du Département du Trésor des États-Unis indiquant que la BCI envoyait de l’argent à l’organisation terroriste Hezbollah et qu’elle avait demandé à d’autres institutions financières de dissimuler son rôle dans l’obtention de missiles, dans des programmes nucléaires et dans le financement d’activités terroristes. L’agent mentionne également que la BCI figure dans une liste d’entités suscitant des préoccupations, en ce qui concerne les armes de destruction massive, la prolifération nucléaire et les activités visant à contourner les sanctions internationales imposées par l’Union européenne, les Nations Unies et les États-Unis. Il a reconnu que la BCI remplit certaines fonctions légitimes, mais il a également observé que la preuve montre son implication dans la prolifération d’armes de destruction massive et le financement du terrorisme. L’agent ne croyait pas que le demandeur n’avait jamais entendu parler de ces préoccupations pendant ses 40 ans au sein de la BCI, surtout qu’il y avait occupé des postes de cadre supérieur. Il a également jugé qu’il était invraisemblable que le demandeur n’ait jamais été impliqué dans les décisions concernant des politiques et l’attribution de fonds, puisqu’il a été secrétaire général de la BCI et qu’il a participé à l’élaboration et à la supervision de la mise en application de règlements et de lignes directrices visant le système bancaire iranien. Il a précisé que la mise au point d’armes par l’Iran menace la sécurité du Canada et que les personnes qui sont ou qui ont été liées directement ou indirectement à la prolifération nucléaire peuvent être déclarées interdites de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. Dans ses notes dans le SMGC, l’agent a conclu :

[traduction] Compte tenu des postes occupés par le demandeur principal, notamment son poste de secrétaire général de la Banque centrale d’Iran, de ses nombreuses années de service à la BCI, ce qui suppose un certain niveau de responsabilité et de connaissance, j’ai des motifs raisonnables de croire qu’il était impliqué dans les activités de prolifération et de mise au point d’armes de la BCI; en conséquence, le demandeur principal constitue un danger pour la sécurité du Canada. Pour cette raison, j’ai des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR.

III.               Affidavits supplémentaires

[10]           En plus de la décision de l’agent, les parties ont déposé divers affidavits qui retiennent l’attention de la Cour. Le défendeur a déposé un affidavit du Dr René LaMontagne, le médecin qui a évalué l’état de santé du demandeur et les coûts des traitements connexes. Le demandeur a déposé deux affidavits : l’un de Ronald Poulton, son ancien avocat qui a répondu à deux lettres relatives à l’équité procédurale, et l’autre de Bahar Azizian, sa fille qui est une résidente permanente du Canada et qui a aidé à retenir les services de l’avocat du demandeur et à lui transmettre des instructions.

[11]           Le demandeur soutient que l’affidavit du Dr LaMontagne constitue une tentative inappropriée de compléter et de rectifier les motifs pour lesquels le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales, en ajoutant des éléments de preuve et des justifications qui ne figuraient pas déjà au dossier. Le défendeur conteste l’affidavit de Mme Azizian au motif que celui-ci renferme des arguments juridiques et que de grandes parties de cet affidavit sont fondées sur des ouï-dire.

[12]           En règle générale, le dossier en vue du contrôle judiciaire se limite normalement à ce qui se trouvait devant un décideur; sinon, une demande de contrôle judiciaire risquerait de se transformer en un procès sur le fond, alors que le contrôle judiciaire consiste en fait à évaluer la légalité de l’action de nature administrative (voir : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 14 à 20, 428 NR 297, cité dans Gaudet c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254, au paragraphe 4, [2013] ACF no 1189; voir également Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 13 à 28, 261 ACWS (3d) 441).

[13]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il est reconnu peu d’exceptions au principe général interdisant à la Cour d’admettre des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur. Une exception s’applique à des situations où des affidavits sont parfois nécessaires pour porter à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale.

[14]           À mon avis, en l’espèce, le seul affidavit qui mérite d’être accepté et d’être examiné par la Cour est celui de M. Poulton, parce que celui-ci porte sur l’absence d’une lettre médicale manuscrite, tant au dossier de la demande qu’au dossier certifié du tribunal. Cette lettre, datée du 17 juin 2014, indique que le cancer du pancréas du demandeur était un cancer de stade IIA. L’ancien avocat du demandeur a obtenu une copie de cette lettre après avoir soumis une demande à cette fin en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A-1.

IV.              Questions en litige

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève plusieurs questions qui peuvent être énoncées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas le rapport médical du Dr LaMontagne?

3.                  La décision d’interdiction de territoire prise par l’agent en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR était-elle déraisonnable?

4.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas l’examen sur une interdiction de territoire mené par l’Agence des services frontaliers du Canada et les documents de source ouverte?

5.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité sans convoquer le demandeur à une entrevue?

6.                  La décision d’interdiction de territoire prise par l’agent en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR était-elle déraisonnable?

V.                 Analyse

A.                 Norme de contrôle

[16]           La décision de l’agent concernant l’interdiction de territoire visant le demandeur pour des raisons médicales doit être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Vazirizadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 807, au paragraphe 15, 179 ACWS (3d) 909; Iqbal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1167, au paragraphe 16, [2011] ACF no 1879). Au moment d’examiner l’interdiction de territoire visant le demandeur pour des raisons médicales, l’agent d’immigration doit « se demander si l’avis de la médecin était raisonnable ou non » Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, au paragraphe 48, [2012] 4 RCF 3 [Sapru]). De même, la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent voulant qu’un demandeur ait été interdit de territoire pour raisons de sécurité du fait qu’il représente un danger pour la sécurité du Canada est une question mixte de faits et de droit qui doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable (S. N. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 821, au paragraphe 28, [2016] ACF no 810 [S N]; Alijani c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 327, au paragraphe 16, [2016] ACF no 297).

[17]           Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir lorsque la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible; il faut alors déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ces critères sont respectés si « les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »: Newfoundland and Labrador Nurses’ Union v Newfoundland and Labrador c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59, 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].

[18]           Par exemple, la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur (voir : Dunsmuir, au paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Au moment d’appliquer une norme de la décision correcte, il n’est pas seulement question de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte, mais également d’établir si le processus suivi pour prendre la décision était équitable (voir Hashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199; Makoundi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 249 ACWS (3d) 112).

[19]            Il convient de noter que la teneur de l’obligation d’équité procédurale se situe habituellement « vers l’extrémité inférieure du registre », en ce qui concerne les demandes de visa présentées par des personnes hors du Canada parce que « les intérêts en jeu dans de tels cas sont moins importants » (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) v. Khan), 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32, [2002] 2 RCF 413 [Khan]; Fouad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 460, au paragraphe 14, [2012] ACF no 768).

B.                 L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas le rapport médical du Dr LaMontagne?

[20]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas le rapport médical du Dr LaMontagne, lequel indiquait que le cancer du pancréas du demandeur était un cancer de stade IIA. Il soutient que le rapport médical du Dr LaMontagne constitue une preuve extrinsèque qu’il aurait dû pouvoir évaluer et réfuter. L’agent n’a jamais fourni au demandeur l’opinion du Dr LaMontagne voulant que son cancer soit un cancer de stade IIA et, de l’avis du demandeur, l’équité exigeait qu’on lui offre la possibilité de réagir à ce diagnostic. Le demandeur ajoute que la lettre relative à l’équité procédurale que lui avait fournie l’agent ne faisait pas mention du fait qu’il était atteint d’un cancer du pancréas de stade IIA; il cite Firouz-Abadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 835, au paragraphe 20, [2013] 2 RCF  31, où la Cour a déclaré qu’une lettre d’équité procédurale d’un agent des visas « doit expliquer clairement toutes les préoccupations pertinentes pour que le demandeur sache ce qu’il a à démontrer et qu’il ait une véritable possibilité d’y répondre utilement ».

[21]           Le défendeur maintient que l’agent n’était pas tenu de remettre au demandeur une copie du rapport du médecin. Il estime que le demandeur n’a pas cité de précédents pour étayer sa position parce qu’il n’en existe pas. Selon le défendeur, le fait de rendre obligatoire la remise au demandeur d’une copie du rapport du médecin aurait pour effet de créer un processus interminable où le demandeur produirait de nouvelles preuves assorties de nouveaux rapports médicaux que l’agent (qui n’a pas reçu de formation médicale) devrait transmettre au médecin pour obtenir une nouvelle opinion, laquelle serait ensuite envoyée au demandeur.

[22]           La jurisprudence semble indiquer que, même si un agent d’immigration n’est pas tenu de divulguer l’intégralité du rapport d’évaluation du médecin, il doit néanmoins informer pleinement le demandeur du diagnostic médical, du pronostic et des services médicaux attendus afin de lui permettre de répondre de manière significative. Dans Khan, la Cour d’appel fédérale a indiqué : « Si un demandeur de visa est informé du diagnostic médical, du pronostic médical et des services susceptibles d’être requis, et s’il apprend que, vu son état de santé, son admission imposerait un fardeau excessif pour les services médicaux ou sociaux, l’équité ne requiert pas en principe d’autres communications, du moins lorsqu’il n’est pas demandé de renseignements complémentaires » (para 37). De même, dans Oliveira c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 1283, au paragraphe 11, 226 FTR 302, la Cour a indiqué que la lettre d’équité procédurale d’un agent doit : « doit clairement informer le requérant du diagnostic médical et du pronostic médical, ainsi que des services susceptibles d’être nécessaires. Le ministre n’est pas en principe tenu d’exposer dans la lettre de seconde chance les détails au soutien de la conclusion, dans la mesure où le requérant connaît effectivement les motifs de l’éventuel refus et dans la mesure où il a la connaissance nécessaire pour mener l’affaire plus loin. » Dans Sapru, la Cour d’appel fédérale a indiqué que, dans le contexte de l’évaluation de l’admissibilité médicale en vertu de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, une lettre d’équité procédurale doit « exposer clairement toutes les préoccupations pertinentes et accorder une véritable possibilité de répondre utilement à toutes ces préoccupations » (paragraphe 64).

[23]           À la lumière de la jurisprudence exposée ci-dessus et parce que l’obligation d’équité procédurale se situe habituellement vers l’extrémité inférieure du registre, en ce qui concerne les demandes de résidence permanente présentées par des personnes hors du Canada, en l’espèce l’agent n’était pas tenu de produire et de divulguer l’évaluation et le rapport du médecin. Cependant, dans sa lettre d’équité procédurale, l’agent devait aviser et informer clairement le demandeur du diagnostic médical et du pronostic médical, ainsi que des services susceptibles d’être nécessaires afin de donner au demandeur une véritable possibilité d’y répondre utilement.

[24]           En l’espèce, même si la lettre d’équité procédurale de l’agent mentionne le diagnostic de cancer du pancréas et fait largement référence à l’avis du médecin, cette lettre ne fait aucune mention du fait que le demandeur est atteint d’un cancer de stade IIA. Ce fait important et significatif pour la détermination de l’agent n’était pas mentionné dans la lettre d’équité procédurale. À mon avis, cela est injuste, parce que l’absence de toute mention du stade auquel avait progressé le cancer du pancréas du demandeur signifiait qu’il n’avait pas été pleinement et entièrement informé des détails du diagnostic médical qu’il devait examiner et réfuter. La détermination de l’agent voulant que le demandeur soit interdit de territoire en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR ne peut être maintenue et doit être annulée.

C.                 La décision d’interdiction de territoire prise par l’agent en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR était-elle déraisonnable?

[25]           Comme je conclus que le demandeur a été traité de manière injuste, puisqu’il n’a pas été informé des détails du diagnostic médical qu’il devait réfuter, il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement pour trancher cette question. Une décision issue d’un processus injuste ne peut pas être justifiée et, en conséquence, la détermination de l’agent que le demandeur était interdit de territoire pour raisons médicales en vertu de l’alinéa 38 (1)c) de la LIPR était déraisonnable.

D.                 L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas l’examen sur une interdiction de territoire mené par l’Agence des services frontaliers du Canada et les documents de source ouverte?

[26]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas l’examen sur une interdiction de territoire mené par l’Agence des services frontaliers du Canada et les documents de source ouverte. Selon le demandeur, même si la lettre d’équité procédurale mentionne de [traduction] « nombreux rapports fondés sur des renseignements de source ouverte » et faisant état du soutien financier de la Banque centrale d’Iran à des organisations terroristes et de son implication dans le trafic d’armes nucléaires, ces rapports n’ont pas été divulgués au demandeur en dépit de sa demande au bureau des visas en vue de les obtenir. Le demandeur considère les rapports de l’Agence des services frontaliers du Canada comme [traduction] « un outil d’assistance judiciaire » qui aurait dû être divulgué et dont la non-divulgation l’a empêché de rectifier plusieurs erreurs dans le rapport, notamment les définitions des termes et expressions [traduction] « se livrer au terrorisme », « complicité », ainsi que « danger pour le public », lesquels vont à l’encontre de la jurisprudence.

[27]           Le défendeur soutient que le contenu de l’obligation d’équité procédurale due au demandeur était faible, parce que les décisions relatives à l’interdiction de territoire se traduisent par une obligation d’équité moins rigoureuse lorsqu’il s’agit de refuser un visa à une personne hors du Canada. Selon le défendeur, même si l’agent n’était pas tenu de divulguer les documents de source ouverte accessibles au public, il a clairement exposé les allégations portées contre la Banque centrale d’Iran relativement à la prolifération d’armes nucléaires et leurs sources, à savoir le Département du Trésor des États-Unis et l’Union européenne. Il soutient que l’agent s’est acquitté de l’obligation d’équité procédurale en informant le demandeur des préoccupations spécifiques concernant son interdiction de territoire et en lui fournissant suffisamment de renseignements pour lui permettre de prendre connaissance des arguments à réfuter et d’y répondre. Il affirme aussi que l’agent n’était pas tenu de divulguer l’évaluation de l’interdiction de territoire effectuée par l’Agence des services frontaliers du Canada, parce l’information contenue dans cette évaluation était divulguée dans la lettre d’équité procédurale datée du 8 octobre 2014.

[28]           Je suis d’accord avec le défendeur que l’agent n’était pas tenu de divulguer le rapport même de l’Agence des services frontaliers du Canada. La comparaison du rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada à la lettre d’équité procédurale de l’agent montre que l’agent a divulgué tous les faits pertinents pour le demandeur relativement aux allégations qui sous-tendent les préoccupations relativement à son interdiction de territoire. Comme il est mentionné dans S N, ce qui importe, c’est : que les renseignements contenus dans le rapport de l’ASFC ont été communiqués au demandeur, comme cela a été fait; le document lui-même n’a pas besoin d’être présenté » (au paragraphe 27). De même, dans Fallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1094, au paragraphe 9, [2015] ACF no 1106, la Cour a jugé que l’obligation d’équité procédurale n’obligeait pas un agent des visas à divulguer l’évaluation de l’interdiction de territoire effectuée par l’Agence des services frontaliers du Canada, parce que la lettre d’équité procédurale mentionnait que le fait que le demandeur occupait un poste dans la haute direction au sein « d’une entreprise qui est visée par des sanctions internationales... Pouvait entraîner le rejet de sa demande ». C’est également le cas en l’espèce. Le demandeur était parfaitement au courant des allégations et l’agent n’était pas tenu de divulguer également le rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada.

[29]           Par conséquent, vu les circonstances en l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’agent était tenu de divulguer des documents de source ouverte qui appuyaient la décision relative à l’interdiction de territoire. La Cour d’appel fédérale a établi la règle de base à cet égard dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 565, [1998] 3 RCF 461, (CA); il n’y a pas lieu de divulguer des sources d’information documentaire qui ont déjà été publiées avant qu’une décision ne soit rendue. L’importance accordée par l’agente à l’information obtenue des sites Web a été jugée juste et non comme une utilisation injuste d’éléments de preuve extrinsèques dans plusieurs décisions de la Cour (voir par exemple, Majdalani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, au paragraphe 58, 472 FTR 285; Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, aux paragraphes 39 et 40, 164 ACWS (3d) 667; De Vazquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 530, aux paragraphes 27 et 28, 456 FTR 124; Pizarro Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 46, 434 FTR 69).

[30]           Comme l’indiquent les notes dans le SMGC, l’agent s’est appuyé sur deux sites Web, lesquels sont également mentionnés dans le rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada : le site Web du Département du Trésor des États-Unis et un article du Wall Street Journal diffusé en ligne. Le demandeur était au courant des allégations dont il faisait l’objet. Il n’a pas été privé de l’équité procédurale du fait que l’agent n’ait pas divulgué l’information recueillie sur ces sites Web. Même si les commentaires de la Cour dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, au paragraphe 77, [2005] 1 RCF 485 [Ali], donnent à penser que l’agent aurait dû divulguer l’information, surtout que le demandeur en avait explicitement fait la demande au bureau des visas, la présente affaire se distingue de l’affaire Ali parce que, dans ce cas, l’agent d’immigration a simplement informé le demandeur qu’il était interdit de territoire puisqu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Ali était membre d’un groupe terroriste et l’agent n’avait pas fourni de preuve permettant d’appuyer la conclusion que le groupe en question était le Mohajir Qaumi Movement. Au contraire, l’agent en l’espèce a indiqué explicitement que le Département du Trésor des États-Unis avait déclaré que la Banque centrale d’Iran était impliquée dans l’obtention de missiles, des programmes nucléaires et le financement d’activités terroristes. Le demandeur était au courant des allégations dont il faisait l’objet.

E.                  L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité sans convoquer le demandeur à une entrevue?

[31]           Le demandeur soutient que l’agent a, à tort, tiré des conclusions défavorables quant à sa crédibilité sans mener d’entrevue. Plus précisément, l’agent a rejeté la déclaration du demandeur à l’effet qu’il ignorait les allégations dont faisait l’objet la Banque centrale d’Iran. Dans ses notes dans le SMGC, l’agent indique :

[traduction] Compte tenu de l’information disponible [au sujet de la BCI], j’ai peine à croire que le demandeur n’a jamais entendu parler de ces préoccupations pendant qu’il était à l’emploi de la BCI et depuis qu’il a pris sa retraite... j’estime incroyable le fait que le demandeur n’ait pas participé à la prise de décisions concernant les politiques et concernant l’attribution de fonds, surtout qu’il a occupé le poste de secrétaire général de la Banque centrale d’Iran et parce qu’il a mentionné dans son affidavit que ses tâches entre 2003 et 2009 consistaient à superviser l’élaboration et la supervision de la mise en application de règlements et de lignes directrices visant le système bancaire iranien.

[32]           Le demandeur affirme que son témoignage sous serment aurait dû être réputé vrai à moins de preuve du contraire. Selon le demandeur, si l’agent ne le croyait pas, il avait alors l’obligation de l’interviewer ou de lui permettre de dissiper les préoccupations concernant sa crédibilité.

[33]           À cet égard, je suis d’accord avec le demandeur; au minimum, on aurait dû lui permettre de dissiper les préoccupations de l’agent concernant sa crédibilité. Le demandeur a déclaré clairement dans l’affidavit qu’il a soumis à l’agent que : [traduction« Je n’ai jamais été mis au courant, directement ou indirectement, que la Banque centrale d’Iran acheminait des fonds vers des organisations terroristes ou qu’elle était impliquée dans la mise au point d’armes, nucléaires ou autre. Je n’ai jamais entendu de telles choses à la banque et je n’ai jamais vu de documents à ce sujet. » Le fait que le demandeur ait été ou n’ait pas été au courant des allégations dont la BCI faisait l’objet constituait une question centrale pour déterminer son interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR; en conséquence, ne pas lui permettre de dissiper les préoccupations de l’agent concernant sa crédibilité constitue en l’espèce un manquement à l’obligation procédurale.

F.                  La décision d’interdiction de territoire prise par l’agent en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR était-elle déraisonnable?

[34]           Le demandeur soutient que les conclusions de l’agent concernant l’alinéa 34(1)d) de la LIPR étaient déraisonnables. Selon le demandeur, pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire, l’agent devait établir qu’il constituait un « danger actuel ou futur » pour le public et que ce danger devait être tangible et être identifié; celui-ci ne pouvait pas être spéculatif ou être relié au passé. En outre, le demandeur affirme que, pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d), il fallait avoir des preuves que ses actes mettaient directement en péril la sécurité du Canada ou qu’il était complice à des activités pouvant mettre en danger la sécurité du Canada. Il soutient que, pour que l’on puisse établir la complicité, il devait avoir fait des contributions importantes aux activités de la Banque centrale d’Iran, laquelle était impliquée dans des transactions qui contribuaient à la prolifération d’activités nucléaires et à l’expansion du programme nucléaire de l’Iran.

[35]           Le demandeur est d’avis que l’agent s’est fié de façon déraisonnable au fait que l’Union européenne et le Canada avaient imposé des sanctions à l’Iran pour le déclarer interdit de territoire au Canada et, qu’en outre, les sanctions imposées ne peuvent pas prouver une allégation en vertu de l’alinéa 34(1)d). Il ajoute que l’agent a appliqué le mauvais critère, en ce qui concerne la complicité en vertu de l’article 34 de la LIPR et, à cet égard, il déclare que l’agent n’a pas appliqué Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 [Ezokola] et qu’il a conclu de façon déraisonnable que ses longs états de service et les postes qu’il avait occupés au sein de la haute direction de la Banque centrale d’Iran constituaient de la complicité avec sa présumée participation à la prolifération nucléaire.

[36]           Le défendeur appuie la décision de l’agent soutenant qu’elle était raisonnable. À son avis, l’alinéa 34(1)d) de la LIPR ne prévoit pas de restrictions quant au temps et une conclusion d’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité en vertu de l’article 34 de la LIPR exige que le ministre ait des motifs raisonnables de croire que les faits ayant donné lieu à l’interdiction sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Il croit que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur, un cadre supérieur à la Banque centrale d’Iran, était au courant des activités qui menaçaient la sécurité du Canada.

[37]           Je pense que le critère visant la complicité qui ressort de l’affaire Ezokola n’est pas pertinent pour l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, et ce, même si une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)c) donne peut‑être ouverture à l’analyse de la question de la complicité (voir Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 25, [2016] 1 RCF 428). L’affaire Ezokola portait sur la question du refus de consentir à un haut fonctionnaire la protection accordée aux réfugiés en vertu de l’article 1F (a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés pour avoir été complice d’un crime contre la paix, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité commis par un gouvernement. La présente instance porte sur une demande de résidence permanente et non sur une demande de protection accordée aux réfugiés. En outre, une conclusion d’interdiction de territoire pour motifs de sécurité en vertu de l’article 34 de la LIPR exige qu’il existe « des motifs raisonnables de croire que les faits emportant interdiction de territoire sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, au paragraphe 30, [2014] 2 RCS 33).

[38]           En l’espèce, l’agent a déterminé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada, parce qu’il avait occupé des postes au sein de la haute direction de la Banque centrale d’Iran et parce que sa déclaration voulant qu’il ignorait les allégations portées contre la BCI n’était pas crédible. Cette détermination ne pouvant pas être justifiée, elle est par conséquent déraisonnable. Il n’existe absolument aucune preuve démontrant que le demandeur était au courant ou qu’il aurait dû être au courant des activités de la Banque centrale d’Iran. L’agent s’est appuyé sur le poste de cadre supérieur du demandeur pour tirer une conclusion défavorable sur sa crédibilité, et ce, en dépit du témoignage sous serment du demandeur selon lequel il ignorait l’implication de la Banque centrale d’Iran dans le financement d’activités terroristes ou la prolifération nucléaire. Après avoir tiré cette conclusion relativement à la crédibilité, l’agent a déraisonnablement inféré, là encore en raison de l’association du demandeur avec la BCI, qu’à l’instar de la BCI, il constituait un danger pour la sécurité du Canada en acheminant des fonds à des organisations terroristes et en participant à la mise au point d’armes nucléaires. C’est là une forme de « culpabilité par association » contre laquelle la Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde dans Ezokola (voir les paragraphes 80 à 82). Cela est d’autant plus troublant en l’espèce parce que l’agent a fait ces inférences et a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR sans accorder au demandeur la possibilité de dissiper ses préoccupations au sujet de la crédibilité. En l’espèce, la décision d’interdiction de territoire prise par l’agent en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR était déraisonnable.

VI.              Conclusion

[39]           Pour les motifs établis ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour un nouvel examen.

[40]           Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; la décision de l’agent d’immigration datée du 12 avril 2016 est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2434-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HESHMATOLLAH AZIZIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

Hadayt Nazami

 

Pour le demandeur

 

Michael Butterfield

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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