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Date : 20170407


Dossier : IMM-3754-16

Référence : 2017 CF 351

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2017

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

GERALD DESMOND WELLS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Gerald Desmond Wells a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agent d’exécution a rejeté la demande de report du renvoi de M. Wells du Canada jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de l’agent d’exécution ne tenait pas compte de la situation personnelle dans laquelle M. Wells se trouverait s’il devait retourner à Trinité-et-Tobago, à savoir la non-disponibilité potentielle de soins ou de médicaments pour traiter son problème de santé mentale grave. La décision était donc déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.                 Contexte

[3]               M. Wells est citoyen de Trinité-et-Tobago. Il est arrivé au Canada en 1997, à l’âge de 16 ans. Par la suite, il a obtenu le statut de résident permanent à titre de conjoint d’une citoyenne canadienne. Il est père de quatre enfants nés au Canada qui habitent tous avec leurs mères respectives : trois à Winnipeg, au Manitoba, et un à London, en Ontario. M. Wells habite à Mississauga, en Ontario, près de chez sa mère qui est citoyenne canadienne.

[4]               M. Wells a été reconnu coupable de cinq infractions criminelles. La possession de cocaïne en vue du trafic constitue l’infraction la plus grave pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois en 2012. Cela a mené à une conclusion d’inadmissibilité pour cause de criminalité. En dépit du fait qu’il était visé par une mesure de renvoi depuis 2012, M. Wells n’a déposé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que le 15 juillet 2016.

[5]               M. Wells a reçu un diagnostic d’angoisse, d’agoraphobie et de dépression grave. Il affirme que, s’il est renvoyé à Trinité-et-Tobago, il ne pourra pas obtenir de soins ou de médicaments pour traiter son problème de santé mentale et qu’il craint pour sa vie.

[6]               M. Wells a fait l’objet d’une évaluation des risques avant renvoi [ERAR] en août 2015. L’agent qui a effectué l’ERAR a conclu que M. Wells ne serait pas en danger s’il retournait à Trinité-et-Tobago. La juge Ann Marie McDonald a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Wells le 21 juin 2016 (arrêt Wells c. Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2016 CF 697). La juge McDonald a rejeté la demande de M. Wells de produire, en guise d’éléments de preuve, un certain nombre d’articles de journaux décrivant les lacunes dans le système de soins de santé à Trinité-et-Tobago, particulièrement le manque de soins ou de médicaments pour traiter son problème de santé mentale. Elle a conclu que ces articles n’avaient pas été présentés à l’agent d’ERAR et que, par conséquent, ceux-ci ne faisaient pas partie du dossier. La juge McDonald a ainsi conclu (au paragraphe 17) :

Au contraire, la demande d’ERAR a été rejetée pour manque de preuve. Le demandeur a présenté des éléments de preuve de ses problèmes de santé mentale, mais il n’a pas démontré que la situation à Trinité-et-Tobago était telle que ses problèmes de santé mentale nécessitaient la protection prévue aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27. La preuve n’a pas non plus établi que le demandeur ne serait pas en mesure d’obtenir des soins adéquats à Trinité‑et‑Tobago.

[7]               Le 19 août 2016, M. Wells a reçu une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi le 10 septembre 2016. Il a sollicité le report de son renvoi en attendant la décision concernant sa demande présentée pour des raisons d’ordre humanitaire.

III.               Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans sa décision datée du 2 septembre 2016, l’agent d’exécution a conclu que le délai moyen de traitement des demandes présentées pour des raisons d’ordre humanitaire était de 38 mois et qu’une décision concernant la demande de M. Wells n’était donc pas imminente. L’agent a déclaré : [traduction] « Je souligne que, même si le système de santé mentale de Trinité-et-Tobago diffère de celui du Canada, il existe bel et bien et aucun élément de preuve ne nous a été présenté montrant que M. Gerald Desmond WELLS serait privé de traitement pour son problème de santé. »

[9]               L’agent a mentionné que bon nombre des arguments présentés par M. Wells pour appuyer sa demande de report avaient déjà été traités dans la décision concernant l’ERAR. L’agent a conclu que le renvoi de M. Wells du Canada ne l’exposerait pas à [traduction] « une menace pour sa vie ni à des peines ou des traitements disproportionnés ». Il a donc rejeté la demande de report de renvoi de M. Wells.

IV.              Question en litige

[10]           La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire consistait à déterminer si la conclusion de l’agent d’exécution de rejeter la demande de M. Wells en vue de reporter son renvoi du Canada était raisonnable.

V.                 Analyse

[11]           La décision d’un agent d’exécution de refuser de reporter un renvoi peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour qui s’appuiera sur la norme applicable de la décision raisonnable (arrêt Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25 [arrêt Baron]). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[12]           Une mesure de renvoi doit être exécutée dès que possible (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, paragraphe 48(2) [LIPR]). Le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de reporter le renvoi est très limité, et ne devrait être exercé qu’en ce qui a trait aux divers facteurs directement applicables au renvoi (décision Uribe Meneses c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 713, au paragraphe 5; arrêt Baron, au paragraphe 49). Même si un agent d’exécution peut tenir compte d’un large éventail de facteurs en décidant de reporter un renvoi, le report doit être interprété de façon restrictive au détriment de l’obligation positive de l’agent d’exécution en vertu de l’ERAR d’exécuter l’ordonnance (arrêt Baron au paragraphe 51; décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682, [2001] ACF no 295, aux paragraphes 43 à 48 [décision Wang]). Comme l’a soutenu le juge Nadon dans l’arrêt Baron, au paragraphe 51, en citant le juge Pelletier dans la décision Wang :

Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle. [Souligné dans l’original.]

[13]           Selon M. Wells, les articles de journaux qu’il a déposés contredisent la déclaration de l’agent d’exécution selon laquelle [traduction] « aucun élément de preuve ne nous a été présenté montrant que M. WELLS serait privé de traitement pour son problème de santé ». Ces articles présentent des lacunes graves dans la prestation de services de santé mentale à Trinité‑et‑Tobago, plus particulièrement la rareté des soins et des médicaments. Selon la preuve offerte, les médicaments prescrits pour traiter les problèmes de santé mentale ne sont pas couverts par les services sociaux de Trinité-et-Tobago.

[14]           M. Wells soutient que l’agent d’exécution n’a pas non plus pris en considération le fait qu’il ait reçu un diagnostic de légère déficience intellectuelle. Il a déjà tenté de se suicider et il a toujours des idées suicidaires. Ce sont ses enfants qui l’incitent à ne pas passer à l’acte et sa mère l’aide à suivre son plan de traitement. À Trinité-et-Tobago, il n’aurait pas les moyens de payer des soins ou des médicaments. D’ailleurs, il n’a pas non plus les moyens de les payer au Canada; son équipe de soins lui fournit gratuitement des échantillons.

[15]           Le défendeur déclare qu’un agent d’exécution est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, et ce, même s’il ne les mentionne pas précisément dans sa décision. En l’espèce, la décision de l’agent se lit comme suit : [traduction] « Je prends en considération les déclarations et les articles concernant [le] système de santé mentale à Trinité-et-Tobago. J’ai également pris en considération les documents médicaux relatifs au problème de santé mentale de M. Gerald Desmond WELLS. » Le défendeur prévient qu’un agent d’exécution chargé d’une demande de report se préoccupe uniquement des intérêts à court terme du demandeur et que l’on ne s’attend pas à ce qu’il effectue un examen approfondi des motifs d’ordre humanitaire ou une analyse des risques.

[16]           Même si l’agent d’exécution a [traduction] « pris en considération » les articles de journaux et la preuve médicale soumis par M. Wells, la décision n’en contient aucune analyse. Même à la lumière de la portée limitée du pouvoir discrétionnaire de l’agent, cette omission soulève des questions de droit susceptible de révision.

[17]           Dans Averin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1456, le juge James O’Reilly a soutenu ce qui suit :

[11] Selon moi, vu les éléments de preuve dont il disposait, l’agent avait l’obligation d’examiner si le fait que les médicaments n’étaient pas offerts à M. Averin présentait une « circonstance personnelle impérieuse » qui justifiait un report. Le simple fait que M. Averin avait une demande CH en cours n’aurait pas justifié un report. Cependant, le fait que M. Averin n’aurait pas accès aux médicaments dont il avait besoin aurait fourni ladite justification. L’agent n’a pas examiné cette question.

[12] Selon la Cour, la décision l’agent était déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte d’une circonstance personnelle impérieuse à laquelle était exposé M. Averin. L’agent disposait d’éléments de preuve établissant que M. Averin pourrait ne pas avoir accès aux médicaments dont il avait besoin. L’agent n’a simplement pas tenu compte de cette preuve. La Cour conclut donc que la décision de l’agent ne représente pas une issue défendable basée sur la preuve dont il disposait et sur le droit qui exige que l’agent examine les circonstances personnelles du demandeur. Par conséquent, la Cour doit accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour des raisons semblables. En l’espèce, l’agent d’exécution disposait d’éléments de preuve établissant que M. Wells pourrait ne pas recevoir à Trinité-et-Tobago les soins ou les médicaments que nécessite son problème de santé mentale. La décision de l’agent d’exécution ne tient pas compte de la circonstance personnelle impérieuse à laquelle est exposé M. Wells et, en conséquence, elle est déraisonnable.

[19]           À la lumière de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner le second argument de M. Wells concernant l’évaluation de l’agent d’exécution de l’intérêt supérieur de ses quatre enfants.

VI.              Conclusion

[20]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’exécution pour réexamen. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un agent d’exécution différent afin que celui-ci procède à un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3754-16

 

INTITULÉ :

GERALD DESMOND WELLS c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WazanaLaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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