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Date : 20170419


Dossier : IMM-3573-16

Référence : 2017 CF 377

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

BHUPENDRA KUMAR JAIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Bhupendra Kumar Jain, est un citoyen de l’Inde de 53 ans qui, en 2014, a demandé un visa de résidence permanente en tant que travailleur qualifié (fédéral); sa demande de visa s’étendait à sa conjointe et à ses deux enfants en tant que membres de sa famille qui l’accompagnaient. Dans une lettre datée du 20 novembre 2014, un agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a informé le demandeur qu’une décision favorable avait été rendue à l’égard de son « admissibilité au traitement », mais que la décision finale concernant son « admissibilité à la sélection » au titre de travailleur qualifié (fédéral) serait prise par un bureau des visas.

[2]               Dans une lettre datée du 29 juin 2016, un agent d’immigration (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni, a rejeté sa demande de visa de résidence permanente, parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur était apte à réussir son établissement économique au Canada. Le demandeur a maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) visant le rejet de sa demande de résidence permanente par l’agent.

I.                    Contexte

[3]               La Section 1 de la Partie 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, en sa version modifiée, (Règlement), décrit la procédure que doit suivre un ressortissant étranger pour soumettre une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de travailleurs qualifiés. Entre autres, un demandeur doit démontrer qu’il possède de l’expérience dans l’une des professions énumérées dans la Classification nationale des professions (CNP). Un demandeur doit aussi démontrer qu’il est apte à réussir son établissement économique au Canada; cette aptitude est évaluée au moyen de l’attribution de points selon les critères de sélection décrits à l’alinéa 76(1)a) du Règlement. Ces critères visent l’éducation du demandeur, sa compétence en français ou en anglais, son expérience, son âge, son emploi réservé au Canada, ainsi que sa capacité d’adaptation. Pour qu’un visa de résidence permanente lui soit accordé, un demandeur doit obtenir au minimum 67 points. Toutefois, lorsque le nombre de points attribués ne constitue pas un indicateur suffisant de l’aptitude d’un travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, un agent d’immigration peut, en vertu du paragraphe 76(3), substituer au critère énoncé à l’alinéa 76(1)a) sa propre appréciation de l’aptitude du travailleur à y parvenir.

[4]               Fort de sa vaste expérience du secteur bancaire, le demandeur a souhaité être évalué sous le code 0013 de la CNP : Cadres supérieurs/cadres supérieures - services financiers, communications et autres services aux entreprises. Dans sa demande, il reconnaît qu’il n’a pas le nombre minimum de points exigés dans les critères de sélection énoncés à l’alinéa 76(1)a) du Règlement car, selon sa propre évaluation, il obtient une note de 66, soit un point de moins que le minimum requis. Il a obtenu cette note en attribuant 22 points à son éducation, 24 points à sa connaissance de l’anglais, 15 points à son expérience et 5 points à sa capacité d’adaptation; il ne s’est pas accordé de point pour son âge ni pour un emploi réservé au Canada.

[5]               Comme la note que s’était attribuée le demandeur se situait sous le nombre minimum de points requis, il a demandé une substitution en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement. Le guide opérationnel applicable indique que ce paragraphe « peut être appliqué lorsqu’un agent croit que le nombre total de points ne constitue pas un indicateur suffisant de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada ». Le demandeur a déclaré à l’agent qu’il était très probable que lui et sa famille réussiraient leur établissement économique au Canada pour diverses raisons : son employabilité fondée sur son expérience de cadre supérieur dans le secteur bancaire international; ses compétences en anglais; l’éducation et l’expérience professionnelle de sa conjointe; le fait qu’il n’avait que 50 ans; son statut antérieur de résident permanent au Canada; l’inscription de son fils à l’Université de la Colombie-Britannique; ses actifs financiers. Il a également déclaré dans sa demande que ses ressources financières rehausseraient l’aptitude des membres de sa famille à réussir leur établissement économique au Canada, car il possédait près de 3 000 000 $ CA d’actifs et qu’il transférerait au moins 1 000 000 $ CA lorsqu’ils immigreraient.

II.                 Décision de l’agent

[6]               Dans une lettre datée du 29 juin 2016, l’agent a rejeté la demande de visa de résidence permanente du demandeur. L’agent cite le paragraphe 12(2) de la LIPR et le paragraphe 75(1) du Règlement, en vertu desquels un ressortissant étranger peut être sélectionné en tant que membre de la catégorie de l’immigration économique à titre de travailleur qualifié du fait de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. L’agent a passé en revue les critères de sélection énoncés au paragraphe 76(1) du Règlement et il a accordé 66 points au demandeur. L’appréciation de l’agent de chaque critère de sélection était identique à l’auto-appréciation soumise par le demandeur. L’agent a mentionné que le demandeur n’avait pas obtenu le nombre minimum de points requis pour obtenir un visa de résidence permanente.

[7]               L’agent s’est ensuite penché sur la demande de prise en considération du demandeur en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, lequel indique que, lorsque le nombre de points obtenus ne constitue pas un indicateur suffisant de l’aptitude d’un travailleur à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut y substituer son appréciation de l’aptitude du demandeur. Après avoir passé en revue les arguments du demandeur à ce sujet, l’agent a exprimé ses craintes que le demandeur ne réussisse pas son établissement économique au Canada :

[traduction] Vous déclarez que votre expérience antérieure vous permettra de trouver du travail dans le domaine des services financiers, mais cela ne me convainc pas que vous allez réussir votre établissement économique en dépit du fait que vous n’obtenez pas le nombre de points requis. Les éléments de preuve concernant vos actifs montrent que, pour des motifs d’ordre financier, vous pourriez ne pas être considéré comme étant inadmissible; cependant, cela ne démontre pas votre aptitude à réussir votre établissement économique. J’ai examiné toute l’information que vous avez soumise; cependant, cette information et les explications qui l’accompagnent ne me convainquent pas que vous réussirez votre établissement économique au Canada malgré le fait que vous n’obtenez pas le nombre suffisant de points. Par conséquent, je ne substitue pas mon appréciation en vertu du paragraphe 76(3).

[8]               L’agent mentionne dans ses notes dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) que le demandeur [traduction] « n’a pas fourni de plan précis sur les mesures qu’il compte prendre pour se trouver un emploi et réussir son établissement économique au Canada » et qu’il n’a pas présenté de preuve qu’il avait [traduction] « établi des contacts avec des employeurs potentiels au Canada ou… qu’il avait des offres potentielles d’emploi au Canada ». L’agent a reconnu que le demandeur disposait d’actifs financiers importants, lesquels faciliteraient l’établissement de sa famille, mais il a jugé que cela [traduction] « n’équivalait pas à un établissement économique ». L’agent a également noté que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence, ayant renoncé à son statut antérieur de résident permanent en 2014, et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas satisfait ces exigences; dans le SMGC, l’agent déclare : [traduction] « le fait qu’il n’ait pas réussi son établissement économique au Canada dans le passé est préoccupant ». L’agent conclut sa substitution de l’appréciation en disant que les points attribués comme il se devait reflétaient l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada.

III.               Questions en litige

[9]               Dans ses arguments, le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en déclarant que les actifs financiers importants n’équivalent pas à un établissement économique?

3.                  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

4.                  Est-ce que l’agent a indûment réexaminé la décision prise par l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada?

IV.              Analyse

A.                 Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle, en ce qui concerne l’évaluation par un agent des visas d’une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), est la norme de la décision raisonnable; la même norme s’applique à une décision d’un agent des visas qui est tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement (voir : Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 835, au paragraphe 16, [2013] ACF no 884; Ghajarieh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 722, au paragraphe 12, 435 FTR 211 [Ghajarieh]; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 661, au paragraphe 9, [2013] ACF no 726). Comme il est mentionné dans Ghajarieh, un agent des visas qui rend une décision fondée sur le paragraphe 76(3) est « est un décideur spécialisé dont les conclusions factuelles quant à l’admissibilité d’un demandeur à la résidence permanente au Canada commandent une grande déférence » (au paragraphe 12).

[11]           Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir lorsque la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible; il faut alors déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Ces critères sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en déclarant que les actifs financiers importants n’équivalent pas à un établissement économique?

[12]           Le demandeur s’appuie fortement sur Choi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 577, au paragraphe 21, 167 ACWS (3d) 979 [Choi], où la Cour a affirmé que : « toute prise en considération effectuée en vertu du paragraphe 76(3) ne doit pas se limiter à l’attribution des points, mais doit plutôt englober tous les facteurs énoncés au paragraphe 76(1), y compris le montant des fonds que possède un demandeur ». Selon le demandeur, les fonds d’établissement constituent un important facteur dont il fallait tenir compte et, dans la présente instance, que l’agent a de toute évidence commis une erreur en concluant que la disponibilité de tels fonds n’est pas un indicateur de « l’établissement économique ».

[13]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son appréciation et son traitement des fonds d’établissement du demandeur. Le défendeur fait une distinction par rapport à la décision Choi, non seulement parce que celle-ci a été rendue en vertu d’un régime législatif différent, mais également parce que l’agent des visas dans Choi n’a absolument pas tenu compte de l’existence des fonds d’établissement. En l’espèce, contrairement à Choi, le défendeur maintient que l’agent a en fait pris en considération les fonds d’établissement du demandeur. Le défendeur cite Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 418, au paragraphe 31, 366 FTR 230 [Xu], dans laquelle le juge Zinn a observé que : « Le législateur non seulement a décidé de faire des fonds d’établissement ou de l’emploi réservé une exigence minimale, mais a également enlevé ces deux éléments de la liste des critères auxquels un agent peut substituer son appréciation. » De plus, le défendeur cite Zulhaz Uddin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1005, au paragraphe 41, [2012] ACF no1095, où le juge O’Keefe a déclaré que : « les agents ne sont pas tenus de prendre les [fonds d’établissement] en compte dans le cadre d’une analyse fondée sur le paragraphe 76(3) ». De l’avis du défendeur, l’agent a constaté les fonds d’établissement du demandeur, mais il a raisonnablement conclu que ce facteur n’équivaut pas à un établissement économique au Canada.

[14]           En dépit des arguments contraires des parties, les cas qu’elles citent relativement à cette question ne sont pas contradictoires. Dans Xu, la Cour n’a pas déclaré qu’un agent des visas ne pouvait jamais tenir compte des fonds d’établissement lorsqu’il procédait à une substitution de l’appréciation en vertu du paragraphe 76(3); au contraire, le juge Zinn a simplement refusé d’importer l’obligation pour un agent de prendre de tels fonds en compte :

[32]      À mon avis, si la Cour décidait de lire dans la version actuelle du Règlement la règle selon laquelle les fonds d’établissement doivent être pris en compte par l’agent, elle outrepasserait son rôle.  Je crois que le paragraphe 76(3) du Règlement ne requiert pas la prise en compte des fonds d’établissement dont dispose la demanderesse; cependant, cela ne signifie pas qu’un agent ne peut pas prendre en compte les fonds d’établissement d’un demandeur.

[33]      Dans le jugement Choi, le juge Kelen a estimé que l’agent n’était pas tenu de prendre en compte les fonds d’établissement; il a plutôt considéré que « toute prise en considération effectuée en vertu du paragraphe 76(3) ne doit pas se limiter à l’attribution des points, mais doit plutôt englober tous les facteurs énoncés au paragraphe 76(1) ». [...]

[15]           En l’espèce, l’agent a explicitement pris en considération les fonds d’établissement du demandeur et il a indiqué dans ses notes dans le SMGC que le demandeur [traduction] « dispose d’actifs financiers importants, lesquels faciliteraient l’établissement de sa famille, mais cela n’équivaut pas à un établissement économique ». L’agent a fait cette déclaration immédiatement après avoir cité le manque de preuves concernant les efforts déployés par le demandeur pour trouver un emploi au Canada. Le fait que l’agent n’ait pas déclaré que les fonds d’établissement ne constituent pas « un indicateur » de l’établissement économique ne va pas à l’encontre de la jurisprudence; au contraire, l’agent a conclu que ces fonds, à eux seuls, « n’équivalent pas » à un établissement économique.

[16]           Dans Xu, la Cour a mentionné que l’existence d’un fonds d’établissement en soi ne constituait pas un indicateur de l’aptitude d’un demandeur à réussir son établissement économique.

[31]      Le législateur non seulement a décidé de faire des fonds d’établissement ou de l’emploi réservé une exigence minimale, mais a également enlevé ces deux éléments de la liste des critères auxquels un agent peut substituer son appréciation.  On serait en droit de penser que, si le législateur en a décidé ainsi, c’est parce qu’il était d’avis que, au-delà d’un minimum, les fonds d’établissement ne reflètent pas l’aptitude d’un candidat à réussir son établissement économique. L’alinéa 76(1)b) du Règlement donne l’impression que le législateur considère au premier chef la manière dont les travailleurs qualifiés répondront à leurs besoins économiques immédiats à leur arrivée au Canada. Vraisemblablement, si les ressources en question ne sont pas comprises dans le calcul des points, c’est parce qu’un candidat sans emploi finira par les épuiser, et aussi parce qu’elles ne permettent pas de dire si l’étranger trouvera un emploi..... En revanche, un emploi réservé est un fort signal que l’étranger est suffisamment compétent, dans son domaine, pour prendre sa place sur le marché du travail au Canada, et c’est pourquoi des points sont attribués pour un emploi réservé.

[17]           En l’espèce, il était raisonnable pour l’agent de déclarer et de conclure que les fonds d’établissement n’équivalent pas à un établissement économique aux fins de l’obtention d’un visa de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Si ce n’était pas le cas, les personnes ayant des sommes d’argent et des actifs importants seraient admissibles sous cette catégorie même si elles n’avaient obtenu aucun point sous les critères de sélection énoncés à l’alinéa 76(1)a). Bien que les fonds d’établissement puissent être une considération pertinente lorsqu’un agent des visas procède à une substitution de l’appréciation en vertu du paragraphe 76(3), ceux-ci n’équivalent pas en soi à un établissement économique ou à l’aptitude d’un travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada. Un agent peut considérer que l’existence d’un fonds d’établissement constitue l’un des facteurs pertinents pour déterminer si un travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada.

C.                 La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[18]           Aux dires du demandeur, la décision de l’agent est déraisonnable au vu des fonds d’établissement importants du demandeur, de son expérience, de ses liens avec le Canada, de son âge et du besoin énoncé de travailleurs sous le code 0013 de la CNP. Il mentionne qu’il ne lui manquait qu’un point pour atteindre les 67 points exigés pour l’obtention du visa de résidence permanente et que sa situation aurait dû inciter l’agent à prendre une décision différente pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le montant de son fonds d’établissement était environ 40 fois supérieur au montant exigé d’une famille de quatre personnes. Ensuite, selon les instructions ministérielles à jour, son expérience professionnelle correspondait à un poste pour lequel la demande était forte sur le marché du travail. Enfin, il n’avait reçu aucun point pour son âge en dépit du fait qu’il n’avait que 50 ans au moment de sa demande.

[19]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement était conforme à la jurisprudence et était raisonnable. Le paragraphe 76(3) ne s’applique qu’exceptionnellement lorsque le nombre de points accordé ne reflète pas l’aptitude du travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada. Selon le défendeur, il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’agent des visas qui prend une décision; « Le fait que le demandeur ou même la Cour aurait évalué les facteurs différemment n’est pas un motif justifiant un contrôle judiciaire » (Esguerra c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 413, au paragraphe 16, 166 ACWS (3d) 358). Le défendeur déclare, en s’appuyant sur (Roohi c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 1408, au paragraphe 32, [2008] ACF no 1834, que la substitution d’appréciation « peut être une substitution d’appréciation défavorable tout comme une substitution d’appréciation favorable ». Il ajoute que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que, vu sa situation, l’agent se devait d’exercer le pouvoir discrétionnaire exceptionnel que lui confère le paragraphe 76(3).

[20]           Le demandeur n’allègue pas que la décision de l’agent ne satisfait pas aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification du processus décisionnel. Par contre, il soutient que la décision de l’agent est une décision déraisonnable et inacceptable. À mon avis, les arguments du demandeur ne sont rien de plus qu’un désaccord avec la conclusion à laquelle en est venu l’agent. Il n’appartient pas au demandeur ni à la Cour de réévaluer l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement.

[21]           La décision de l’agent en l’espèce était raisonnable. En vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, il incombe à l’agent des visas de déterminer « l’aptitude d’un travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada lorsque le nombre de points qu’il a obtenus n’en constitue pas un indicateur suffisant ». En procédant à la substitution d’appréciation, l’agent a passé en revue chacun des critères de sélection, le fonds d’établissement du demandeur, ainsi que les efforts déployés par celui-ci pour se trouver un emploi au Canada, et il a déterminé que les points accordés constituaient en fait un indicateur suffisant de l’aptitude ou de l’inaptitude du travailleur à réussir son établissement économique au Canada. Même si le demandeur disposait d’un fonds d’établissement important, il n’a fourni aucune preuve de ses efforts pour se trouver un emploi au Canada. L’agent a tenu compte de ces considérations au moment de prendre sa décision finale. L’important fonds d’établissement du demandeur n’exigeait pas une décision favorable. L’agent était en droit d’examiner tous les facteurs pour déterminer si les points attribués comme il se devait reflétaient l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. La décision de l’agent ne devrait pas être modifiée parce qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

D.                 Est-ce que l’agent a indûment réexaminé la décision prise par l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada?

[22]           Le demandeur soutient que l’agent a indûment réexaminé la décision prise par l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, et il mentionne la lettre de ce dernier datée du 20 novembre 2014 l’informant qu’une décision favorable avait été rendue à l’égard de son « admissibilité au traitement », mais que la décision finale concernant son « admissibilité à la sélection » au titre de travailleur qualifié (fédéral) serait prise par un bureau des visas. Le demandeur laisse entendre que l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a pris une décision positive en vertu du paragraphe 76(3), de sorte que l’analyse de l’agent se limitait à déterminer si le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, motifs sanitaires, sécurité ou criminalité.

[23]           Le défendeur affirme que l’argument du demandeur n’est pas fondé, parce qu’il ne reconnaît pas les rôles distincts que jouent un agent de soutien au programme et un agent des visas. Conformément aux instructions ministérielles, la tâche d’un agent de soutien au programme consiste uniquement à déterminer si la demande d’un demandeur est admissible au traitement. Lorsque l’admissibilité ou la non-admissibilité a été établie, l’agent de soutien au programme renvoie le dossier au bureau des visas qui procédera à la décision finale en matière de sélection. En l’espèce, les notes dans le SMGC indiquent que c’est ce qui s’est produit. L’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a mentionné que la demande du demandeur pouvait être traitée et il a précisé que le dossier serait transmis au « bureau des visas à des fins d’évaluation/de prise de décision » et « ...de substitution d’appréciation éventuelle ».

[24]           À cet égard, je suis d’accord avec le défendeur. L’argument du demandeur est sans fondement. L’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas déterminé si un visa de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) devrait ou non être accordé au demandeur. La lettre de l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada indique que la demande du demandeur pouvait être traitée et il déclare explicitement que la décision finale concernant son « admissibilité à la sélection au titre de travailleur qualifié (fédéral) » serait prise par un bureau des visas. L’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ne prétendait pas prendre une décision concernant le bien-fondé de la demande de résidence permanente du demandeur, encore moins procéder à une substitution d’appréciation en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement. Les notes datées du 12 novembre 2014 dans le SMGC le confirment et indiquent que : [traduction] « le demandeur ne semble pas avoir les 67 points minimum requis dans la grille de sélection. À l’attention de l’agent à des fins d’examen »; et huit jours plus tard, soit le 20 novembre 2014, elles indiquent que le dossier a été [traduction] « envoyé au bureau des visas à des fins de substitution d’appréciation éventuelle ». Donc, l’agent de soutien au programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a jamais pris de décision quant au bien-fondé de la demande de visa de résidence permanente soumise par le demandeur; il n’a effectué que l’examen initial de la demande pour confirmer son « admissibilité au traitement », puisqu’il incombait à un bureau des visas de prendre la décision finale relativement à « l’admissibilité du demandeur à la sélection au titre de travailleur qualifié (fédéral) ».

V.                 Conclusion

[25]           Pour les motifs établis ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de l’agent en l’espèce est justifiable, transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[26]           Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier, aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3573-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

BHUPENDRA KUMAR JAIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

Pour le demandeur

 

Catherine Vasilaros

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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