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Date : 20170412


Dossier : T-978-16

Référence : 2017 CF 364

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2017

En présence de Madame la juge McVeigh

ENTRE :

ERIC SHIRT, SHANNON HOULE, VALERIE STEINHAUER, ET GREG CARDINAL

demandeurs

et

NATION CRIE DE SADDLE LAKE, COMITÉ D’APPEL DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET RON LAMEMAN, PRÉSIDENT D’ÉLECTION DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Eric Shirt, Shannon Houle, Valerie Steihauer et Greg Cardinal [les demandeurs], contestent une décision de la Nation Crie de Saddle Lake [NCSL], laquelle a rejeté la nomination de chacun de ces demandeurs au poste de chef et de membre du Conseil de la NCSL. Pour les motifs présentés ci-dessous, j’accueille la demande et je renvoie la question de l’établissement de leur admissibilité afin qu’elle soit examinée à nouveau.

II.                 Contexte

[2]               La NCSL est une « bande » comme il est défini dans la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 [Loi sur les Indiens]. Il s’agit d’une nation visée par un traité 6, située dans l’Est de l’Alberta. Leur langue officielle est le crie et leurs élections se déroulent suivant le Règlement sur les élections conformes aux coutumes de la tribu de Saddle Lake  [le Règlement sur les élections]. Le Règlement sur les élections découle des réunions de la bande tenues en 1955 et en 1960.

[3]               La Cour préférerait ne pas s’immiscer dans le processus démocratique de la NCSL par respect de son droit de conduire ses propres élections. Néanmoins, il est parfois nécessaire de le faire et il peut s’avérer utile de rappeler ce que l’on connaît déjà. Le Règlement sur les élections n’a pas changé depuis 1960 et, bien qu’il puisse avoir été adéquat à l’époque, il ne satisfait certainement pas à la situation actuelle.

[4]               La Cour fédérale a un pouvoir de contrôle sur le processus électoral, notamment, sur les organes électoraux comme un comité d’appel et les présidents d’élection (Algonquins de Lac-Barrière c Algonquins de Lac-Barrière [Conseil], 2010 CF 160 aux paragr. 105 et 106).

[5]               Le 8 mars 2016, un « comité des élections » a été nommé par le chef à l’époque, Leonard Jackson. Le 15 mars 2016 ou vers cette date, le chef et le conseil de la NCSL ont mandaté Ron Lameman de la Nation crie de Beaver Lake pour agir à titre de président d’élection de l’élection de 2016. Le comité des élections a été mis sur pied en vue de l’aider lors des élections de 2016. L’avis d’assemblée de mise en candidature a été préparé et envoyé par la suite, le 1er juin 2016, sous la supervision de Ron Lameman.

[6]               Après l’assemblée de mise en candidature, l’échéance relative au dépôt des contestations liées à l’admissibilité a été fixée au 7 juin 2016. Plusieurs contestations ont été présentées par écrit en ce qui a trait à la candidature de candidats qui n’auraient pas satisfait aux exigences prévues au Règlement sur les élections. Toutes les contestations écrites ont été présentées au comité des élections. Ron Lameman était le président d’élection et en avait la responsabilité, mais il n’a aucunement participé à la décision portant sur l’admissibilité.

[7]               Le comité des élections s’est réuni le 6 juin et le 7 juin, et a décidé de retirer le nom des demandeurs de la liste officielle des candidats. Les demandeurs n’auraient pas satisfait aux exigences relatives à la résidence ou étaient en union de fait, ce qui est contraire au Règlement sur les élections. Aucune communication relative à la décision ou aux motifs n’a été acheminée aux candidats. La liste officielle (sans les noms des demandeurs) a été affichée plus tard au cours de la journée, le 9 juin 2016.

[8]               Le comité des élections et Greg Cardinal se sont rencontrés, mais les observations de ce dernier n’ont fait l’objet d’aucune considération puisque la liste officielle des candidats avait déjà été envoyée à l’imprimeur. Eric Shirt a envoyé une lettre au chef, au Conseil et au comité des élections; cette lettre, datée du 10 juin, a été envoyée par courriel, le 13 juin 2016. Aucune réponse ne lui a été envoyée en ce qui a trait à cette lettre. Shannon Houle, qui briguait un nouveau mandat, a également contesté le retrait de son nom de la liste. La personne qui avait proposé son nom, le Dr James Makokis, a envoyé une lettre demandant des explications à cet égard, le 9 juin 2015. Puisque la liste officielle de candidats avait déjà été envoyée à l’imprimerie, ces observations n’ont fait l’objet d’aucune considération.

[9]               Dans sa réponse, Ron Lameman indiquait de manière uniforme que toute question devait être dirigée vers le comité des élections. Il a envoyé les coordonnées de Cora Houle, de Carl Cardinal et de Lena Cardinal à quiconque avait demandé des explications à ce sujet ou avait contesté cette situation.

[10]           Des élections relatives au poste de conseiller ont eu lieu, le 15 juin 2016, et au poste de chef, le 22 juin 2016.

III.               Points en litige

[11]           Les points en litige tels qu’ils ont été présentés par les parties sont les suivants :

  1. D’un point de vue de la procédure, les décisions du comité des élections étaient-elles justes?
  2. Les membres du comité des élections avaient-ils été nommés de manière appropriée et le comité était-il habilité à rendre des décisions en matière d’admissibilité des candidats?
  3. Les décisions du comité des élections étaient-elles raisonnables?

[12]           Si l’on répond aux deux premières par l’affirmative, je devrai alors établir si les décisions de retirer le nom des demandeurs de la liste électorale étaient raisonnables.

IV.              Norme de contrôle

[13]           Les questions d’équité procédurale et de constitution du comité des élections feront l’objet d’un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte puisqu’elles portent sur des questions de droit, de compétence et d’équité procédurale (Weekusk c Le conseil de bande de la première nation Thunderchild, 2014 CF 845 au paragr. 10; Felix c Sturgeon Lake First Nation, 2014 CF 911 au paragr. 35 [Felix]). Les décisions de retirer les noms des demandeurs de la liste électorale feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

V.                 Discussion

[14]           Le Règlement sur les élections est très court; il ne comprend que trois parties (voir l’annexe A). Le Règlement sur les élections ne vise aucunement de nombreuses questions liées aux élections dont est saisie la Cour, notamment, la création d’un comité des élections, la nomination d’un président d’élection ainsi que la procédure à suivre en cas de contestation des nominations des résultats des élections.

[15]           Les demandeurs soutiennent qu’il n’existe aucune disposition relative à un comité des élections dans le Règlement sur les élections ni prévoyant la nomination d’un comité par un chef, de sa propre initiative. Les demandeurs soutiennent que le chef a nommé des personnes au sein du comité des élections sans suivre aucun critère et sans en préciser le mandat. Le comité des élections a par la suite retiré des candidatures de la liste des candidats - notamment, celles des demandeurs, une décision qui, par ailleurs, en fait une affaire susceptible de contrôle.

[16]           Les demandeurs indiquent que, même si le chef pouvait nommer un comité des élections, les membres de ce comité, lors de l’exercice menant à leur conclusion, se sont uniquement fondés sur des renseignements produits par des membres des familles et des voisins sans procéder par déclaration solennelle, tous des éléments qui rendent leurs décisions susceptibles de contrôle. Ils soutiennent également qu’il incombait au président d’élection de recevoir les candidatures et d’établir si elles étaient admissibles. Les demandeurs soutiennent que le président d’élection n’a pris aucune mesure visant à donner suite aux plantes reçues, qu’il les a plutôt acheminées au comité des élections.

[17]           Les demandeurs soutiennent également que - comme ils l’ont fait valoir devant le comité des élections - que leurs candidatures ne pouvaient être rejetées sur le fondement de leur résidence puisqu’une telle décision est inconstitutionnelle, comme en fait foi la décision rendue par la Cour suprême du Canada (Corbiere c Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203). Il a également été soutenu que, selon le seuil établi, la non‑reconnaissance des unions de fait constitue une violation d’un droit reconnu par la Charte et que, par conséquent, aucune candidature ne peut être considérée comme inadmissible sur ce fondement.

[18]           Le Règlement sur les élections indique que n’importe quel élément non visé par le Règlement est régi par les articles 74 à 78 (anciennement art. 73 à 78 de CRC 1952 de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, selon les demandeurs, en vertu des [traduction] « Procédures de réunion spéciale portant sur la présentation de candidats » du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC ch. 952, lequel est expressément inclus au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens, leurs candidatures étaient valides et avaient été retirées de manière inappropriée.

[19]           Les demandeurs soutiennent qu’ils étaient éligibles puisque Shannon Houle était conseillère au sein de l’ancien conseil et qu’elle avait solennellement déclaré être une résidente. En dépit de cette réalité, les décideurs n’ont pas communiqué avec Mme Houle et ont retiré son nom sans vérifier aucun autre élément de preuve. De même, il a été allégué que Valerie Steinhauer vivait en union de fait, ce qui est contraire au Règlement sur les élections, et de plus, le comité des élections n’a pas communiqué avec Mme Steinhauer. Les seuls éléments de preuve présentés pour valider l’allégation qui lui était défavorable reposaient sur le fait qu’un homme non identifié avait répondu à la porte de sa demeure et le commentaire de la mère de Mme Steinhauer fait à partir de son patio de la maison voisine selon lequel [traduction] « Je lui ai dit de ne pas se présenter ».

[20]           Les défendeurs ont répliqué qu’il est depuis longtemps coutume que le chef en place et le conseil nomment le personnel chargé des élections. Ils affirment également que le comité des élections a évolué par nécessité afin de traiter des contestations liées aux candidatures dès 1984, alors que le Canada avait indiqué à la NCSL que les différends en matière d’élections devaient être réglés à l’interne. Les défendeurs soutiennent que, selon la façon de procéder actuelle, un comité des élections décide si les candidatures satisfont aux critères établis dans le Règlement sur les élections. Ils soutiennent que cette habitude a été établie lors des élections de 2010.

[21]           Les demandeurs soutiennent que la situation est comparable à celle dans Simon c La Nation crie de Samson, 2001 CFPI 467, alors qu’une candidature avait été retirée de la liste même en l’absence de procédures prévues à cet effet. Selon eux, le lait d’autoriser le contrôle judiciaire aurait pour conséquence de permettre que les candidatures inadmissibles demeurent sur la liste sans recours susceptible de rendre leur retrait possible.

[22]           Selon la position défendue par les défendeurs, tout renvoi au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens dans le Règlement sur les élections ne fait pas autorité. Ce sont plutôt les propres coutumes de la bande qui constituent la dernière autorité en matière de conduite d’élections par la bande.

[23]           Selon la position défendue par les défendeurs, aucune objection n’a été présentée lors de la réunion traitant des candidatures, ce qui indique que le processus de mise en candidature s’était déroulé en conformité avec leur coutume. De plus, les défendeurs ont indiqué qu’il n’incombait pas au chef ni au Conseil de reporter les élections ou de prolonger la durée de leur mandat comme le désiraient les demandeurs. Il devait y avoir un moyen de traiter des contestations liées au processus de proposition de candidatures et ils ont choisi de déléguer cette responsabilité au comité des élections et les décisions rendues étaient raisonnables.

[24]           Selon les défendeurs, le comité des élections a tenté de communiquer avec tous les candidats inscrits après avoir reçu des lettres de contestation à leur égard. Deux demanderesses (Shannon Houle et Valerie Steinhauer) ont reçu un tel avis. Les deux autres demandeurs (Eric Shirt et Greg Cardinal) ont été informés des exigences en matière d’éligibilité et de la possibilité que des candidatures fassent l’objet de contestations.

[25]           Les demandeurs indiquent à la Cour que tous les demandeurs ont eu la possibilité de s’adresser au comité des élections au sujet de leur contestation respective. Ils ont refusé de profiter de cette occasion qui leur était présentée. Selon la position des défendeurs, lorsque la possibilité que soit exercée l’équité procédurale est offerte, mais refusée, il est impossible d’invoquer l’iniquité par la suite. Le comité des élections a cherché à obtenir des renseignements susceptibles d’appuyer les contestations faites à l’endroit d’Eric Shirt, de Greg Cardinal et de Valerie Steinhauer, ce qui rend leurs décisions raisonnables.

A.                 Le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens s’applique-t-il à la bande visée en l’espèce?

[26]           Lorsqu’on a communiqué avec Affaires indiennes et du Nord Canada [AINC] au sujet de la NCSL, une lettre de réponse, datée du 1er juin 2016,  a été envoyée. AINC a indiqué que l’unique rôle qu’il jouait en matière d’élections d’une bande selon la coutume était d’enregistrer le nom des candidats gagnants. Le dernier paragraphe se lit comme suit : [traduction] « Lorsqu’un différend porte sur le processus électoral dans une communauté ou une coutume, il doit être réglé conformément aux dispositions pertinentes du code des élections, ou par les tribunaux  ».

[27]           Je reconnais que cette bande dispose d’un règlement sur les élections régissant les élections du chef et du Conseil depuis un bon moment. Par conséquent, l’article 74 de la Loi sur les Indiens et le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens ne s’appliquent pas (Bone c Bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] A.C.F. no 150, 107 FTR 133, au paragr. 103 [Bone]).

B.                 Coutumes non écrites relatives aux élections

[28]           Les parties conviennent que le Règlement sur les élections ne contient aucune disposition visant la nomination d’un comité des élections ni sur les critères relatifs à leur fonctionnement. Il ne contient également rien sur les rôles et responsabilités du président d’élection. Les parties conviennent également que les coutumes de la bande en matière d’élections n’ont jamais été adoptées par une résolution du conseil de bande (RCB) ni par la majorité des membres.

[29]           La Cour a été saisie d’éléments de preuve démontrant que la bande avait créé un comité de réforme électorale en vue de modifier le Règlement sur les élections. À ce jour, les membres de la bande n’ont toujours pas réussi à adopter le moindre amendement.

[30]           Il a été confirmé dans la jurisprudence que les coutumes de bande en matière d’élection n’ont pas toujours besoin d’être présentées par écrit. La Loi sur les Indiens [traduction] « n’offre aucune orientation quant au moyen d’identifier la coutume en question » (le juge suppléant Heald. dans Bone, précitée, au paragr. 27, citant le juge Strayer dans Bigstone c Big Eagle, [1992] A.C.F. no 16, 52 FTR 109).

[31]           Dans deux décisions récentes, la juge Strickland a traité des éléments requis pour établir des coutumes de bande qui ne sont pas écrites. Elle a conclu que le fait de déterminer si des actions sont conformes à une coutume de bande nécessite des éléments de preuve démontrant que l’action était [traduction] « fermement établie, généralisée et suivie de façon constante et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un large consensus » (Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, au paragr. 62; Beardy c Beardy, 2016 CF 383, au paragr. 97 [Beardy], citant Francis c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 FPI 115, aux paragr. 21 à 30; Prince c Première Nation de Sucker Creek no 150A, 2008 CF 1268, au paragr. 28; Metansinine c Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, au paragr. 28; Joseph c Première nation de Yekooche, 2012 CF 1153 aux paragr. 36 à 39).

[32]           Dans Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30, il a été conclu qu’une Première Nation peut élire des dirigeants selon la coutume, à condition que certaines exigences fondamentales soient respectées. À titre d’exemple, la coutume doit être reconnue par une majorité de membres de la bande et non pas uniquement par le chef et le Conseil. Il ne suffit pas que les membres de la bande acceptent la nouvelle coutume en tant que communauté, la communauté doit savoir qu’elle a été acceptée par les membres. En l’espèce, il aurait fallu que la possibilité que le chef, agissant seul, nomme trois personnes pour siéger à un comité d’appel dont le mandat serait de décider si les candidats satisfont aux critères ait été acceptée par la majorité des membres.

[33]           De plus, il aurait fallu qu’une majorité des membres s’entendent sur le fait que les délibérations portant sur les compétences des personnes mises en candidature ne seraient pas partagées avec ces dernières, qu’il ne leur serait pas permis de répondre aux allégations à leur sujet, et qu’elles ne recevraient aucun motif justifiant le retrait de leur nom de la liste des candidatures.

[34]           Les défendeurs soutiennent qu’une coutume non écrite peut avoir été établie si la bande a procédé d’une certaine façon lors de plusieurs élections. Je partage l’avis selon lequel une coutume peut être non écrite, mais je suis en désaccord avec la notion selon laquelle le comité des élections de la NCSL constitue une coutume. Utilisant les deux éléments décrits dans Bande indienne de McLeod Lake c Chingee, [1998] A.C.F. 1185, 153 FTR 257 [McLeod], le comité des élections de la NCSL n’a pas été créé de façon répétée et il n’a pas non plus été adopté par une action unique (comme un amendement au Règlement sur les élections).

[35]           L’affidavit de Finlay Moses, comprenant un ordre du jour de la réunion sur les candidatures de 2010, a été présenté comme une preuve démontrant que le comité des élections constitue une coutume établie. L’ordre du jour indique que les « [c]ontestations portant sur la question de candidats autorisés à se présenter aux élections devraient être présentées par écrit et en personne ». Le procès-verbal de la réunion sur les candidatures de 2013 indique que les Règlement sur les élections de 1955 à 1960 demeurent en vigueur. Il y est également indiqué ce qui suit :

  [traduction]

Toute contestation visant toute candidature, si celle-ci vise tout membre de la bande, doit être présentée par écrit et signifiée en personne et toute lettre relative à une telle contestation doit être présentée au plus tard, le 31 mai 2013. Présentée au bureau dans une enveloppe scellée et leur nom doit y être inscrit. Toute contestation par un candidat doit être présentée à n’importe quel membre de l’équipe électorale, Clifford, Dean et Finlay. Les vérifications du casier judiciaire doivent être produites le vendredi à 15 h au plus tard. Le jour de l’élection, le dépouillement du scrutin doit se faire à la main.

[36]           Une lettre détaillée sur laquelle il était indiqué « Urgent » a été envoyée le 13 juin 2016, en ce qui a trait à des irrégularités dans le Règlement sur les élections. Il y est indiqué au premier paragraphe :

[traduction]

Nous, en tant que relations unies nêhiyawak, désirons attirer votre attention sur une question urgente afin d’assurer le traitement immédiat d’éléments importants des coutumes en matière des élections de la tribu. L’iniquité procédurale dans le cadre de la présente élection a créé des ambiguïtés. Il y a un urgent besoin de traiter de ces questions importantes afin d’assurer la transparence et le caractère redevable. La présente lettre précise ces irrégularités et offre des recommandations convaincantes en vue d’une résolution.

[37]           Cette lettre est le dernier de plusieurs documents relatifs aux réunions des membres de la bande et de sensibilisation au fait que le Règlement sur les élections a besoin d’une mise à jour. Le procès-verbal de la réunion du 20 septembre 1984 a été déposé en preuve; il y a été question de l’interprétation de candidatures admissibles même à cette époque, ainsi que d’autres éléments liés aux élections.

[38]           Selon la preuve inscrite au dossier certifié du tribunal [DCT], une réunion du comité des élections a eu lieu le 25 octobre 2012. De nombreux points ont fait l’objet de considérations pour connaître la marche à suivre à l’avenir, mais celui qui est important en ce qui a trait à la présente affaire est celui qui se trouve sous la rubrique « Appels  ». Les éléments qui y sont consignés sont les suivants :

[TRADUCTION]

-     Avons-nous un tribunal d’appel?

-     A-t-on chiffré le coût des appels? Il s’agit d’un processus plutôt coûteux.

-     Il faut avoir recours à un avocat

-     À titre d’exemple, un appel a coûté 750 000 $ à la Nation cri de Samson.

[39]           Les éléments de preuve mentionnés aux paragraphes ci-dessus démontrent que la bande est au courant et qu’elle discute de critères relatifs aux élections dont la bande a besoin. D’autres dossiers font état d’une discussion de la NCSL sur la question de savoir si elle doit prolonger la durée du mandat des élus de trois à quatre ans et sur les moyens visant à établir les critères liés aux postes de chef et de membres du Conseil. Le procès-verbal comprend un questionnaire de sondage destiné aux membres en vue d’une mise à jour des lois relatives aux élections. D’autres notes, procès-verbaux et avis indiquent que le comité des élections a continué de discuter, mais aucun dossier n’a été présenté indiquant quelconque changement au Règlement sur les élections qui en aurait découlé.

[40]           Il ressort de cette situation de fait que la bande ne dispose d’aucune coutume généralement acceptée par la majorité des membres. La preuve met en évidence les efforts que déploie la bande en vue d’élaborer un règlement sur les élections qui refléterait la volonté des membres, mais aussi que cet objectif n’a pas encore été atteint.

[41]           Les éléments de preuve dont je dispose ne suffisent pas à démontrer que le déroulement de cette élection respectait la coutume au sens établi dans la jurisprudence. Je dispose cependant d’éléments de preuve que le comité de réforme électorale n’a pu obtenir de consensus sur plusieurs points, notamment, celui de la formation d’un comité des élections.

[42]           Même si les défendeurs établissent la preuve de la création du comité des élections depuis plusieurs élections (ce qui est, par ailleurs, contredit par le procès-verbal du comité sur la réforme électorale mentionné dans l’affidavit de Finlay Moses), c’est un échec en ce qui concerne le second, c’est-à-dire, l’élément subjectif de McLeod. L’élément subjectif repose sur une réunion de la bande ou sur d’autres moyens pour démontrer qu’il y avait eu consensus en ce qui a trait à la nouvelle coutume. Des éléments de preuve présentés, rien ne démontre que les membres de la NCSL ont approuvé la structure du comité des élections utilisée dans le cadre de cette élection. Les défendeurs soutiennent que l’absence d’objections soulevées lors de la réunion sur les candidatures indique une approbation implicite. Il se peut que les membres de la NCSL n’aient pas été au courant des procédures en vigueur en ce qui a trait au règlement de différends liés aux candidatures. Le procès-verbal de la réunion sur les candidatures ne donne aucun renseignement pouvant confirmer qu’une présentation relative aux procédures de contestation avait été faite aux membres ou que des discussions sur le sujet avaient eu lieu.

C.                 Méthode de nomination des membres au sein du comité d’appel.

[43]           Dans une lettre datée du 29 juin 2016, le chef a écrit « En ma qualité de chef de la Nation crie de Saddle Lake, j’ai répondu à un texte reçu de Shannon Houle, en ces mots : [traduction] « j’ai nommé le comité, et non Sheila parce que c’était difficile d’avoir l’approbation du conseil en raison de la difficulté à obtenir le quorum ». À la suite de la lettre, il y a une note manuscrite datée du 23 moi (possiblement mai ou mars) 2016 dans laquelle il est indiqué que le chef intérimaire, Lenny J Jackson,  a nommé Lena Cardinal à titre de membre du comité des élections. Le conseiller George Cardinal a proposé le nom de Carl H Cardinal au poste de membre. Cora Houle a été nommée au comité des élections lors de la réunion du conseil de bande du 8 mars 2016. Dans le DCT se trouvent des serments de confidentialité signés par tous les membres du comité des élections datés du 3 juin 2016. Ron Lameman a signé en tant que témoin des serments en question.

[44]           Selon les éléments de preuve dont est saisie la Cour, c’est le chef seul qui a nommé Carl et Lena Cardinal sans que soit donnée une ligne directrice relative aux exigences minimales de la composition du conseil (comme le nombre de membres, les exigences relatives aux anciens, etc.). Cette situation factuelle indique qu’il n’existe même pas d’avis public portant sur leur rôle ou sur leur fonctionnement.

[45]           La nomination de personnes à un comité des élections par un chef, agissant seul, ne peut être interprétée comme une coutume. Le fait qu’il en avait été ainsi lors des élections de 2010 et de 2013 et que personne n’avait contesté peut démontrer un mouvement vers une coutume, mais il ne s’agit pas d’une réponse définitive. Une majorité de membres de la bande doit être d’accord pour qu’il y ait coutume, et ces membres doivent en être au courant. J’ai un affidavit reçu de Finlay Moses qui indique qu’il s’agit d’une coutume de la NCSL. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’une preuve suffisante pour démontrer que la majorité des membres ont approuvé la coutume et qu’ils étaient au courant de son existence.

[46]           Le Règlement sur les élections ne contient aucune disposition relative à une « contestation » d’une candidature et encore moins à la création d’un comité des élections. Les membres de la bande avaient le droit de connaître les critères, le rôle et le processus en ce qui a trait à la nomination des membres du comité des élections.

[47]           Je conclus que l’élection de 2016 de la NCSL n’a pas eu lieu selon la coutume approuvée par la majorité des membres de la bande, lesquels étaient au courant de l’existence de la nouvelle coutume en question. En fait, il a été démontré qu’il n’y avait jamais eu consensus concernant les mécanismes pour régir les élections.

[48]           Ce résultat est malheureux puisque toutes les personnes concernées tentaient de faire de leur mieux pour la nation. Le problème tient au fait que les Règlements sur les élections de 1955 et de 1960 ne sont pas adéquats et que les coutumes électorales qui se seraient prétendument développées n’ont jamais reçu l’appui ni l’approbation de la communauté dans son ensemble.

[49]           Même si mon analyse présentée ci-dessus était erronée, il y a eu non-respect de l’équité procédurale, sujet que je vais, par ailleurs, aborder à l’instant.

D.                 Équité procédurale

[50]           Dans Desnomie c Première nation de Peepeekisis, 2007 CF 426, au paragraphe 19, le juge Blais était saisi d’une affaire où le code électoral de la Première Nation « ne semble renfermer aucune disposition sur la manière dont un tel Conseil des Anciens aurait dû être constitué, de telle sorte qu’il est impossible de dire si la procédure suivie était conforme à ce texte ». Il a par la suite conclu que « nous devons nous en rapporter aux principes de l’équité procédurale pour savoir si le Conseil des Anciens a porté atteinte aux droits du demandeur et si la procédure suivie pour instituer le Conseil des Anciens suscite une crainte raisonnable de partialité ».

[51]           Les décisions qui sont administratives et touchent « les droits, privilèges ou biens d’une personne » entraîner[ont] l’application de l’obligation d’équité (Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817,  p. 836 [Baker], qui nous renvoie à l’arrêt Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, p. 653). La présente affaire portait sur une décision administrative définitive ayant d’importantes répercussions sur les droits, privilèges et intérêts de personnes, d’où l’obligation d’y avoir une équité procédurale (Foster c Canada (Procureur général), 2015 CF 1065 aux paragr. 28 et 30). Les parties s’entendent pour dire que les demandeurs avaient droit à l’équité procédurale; la question est d’établir l’ampleur de cette obligation.

[52]           Pour déterminer le degré d’équité procédurale qui s’impose dans la situation en cause, je pourrais appliquer les facteurs établis dans Baker, précité, aux paragraphes 23 à 27. Néanmoins, j’estime qu’il n’y a pas lieu de procéder à une analyse exhaustive comme dans Baker puisque la Cour d’appel fédérale [FCA] a présenté une marche à suivre dans Bruno c Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249 [Samson], laquelle s’applique aux faits dont je suis saisie.

[53]           Dans Samson, précité, le juge de première instance a conclu que le droit à la justice naturelle d’un candidat à un conseil de bande jugé comme inadmissible avait été dénié parce que la commission d’appel avait refusé de l’entendre. La CAF était également de l’avis que la commission aurait au moins dû offrir l’occasion au candidat de présenter ses observations, considérant l’importance d’une décision négative pour la personne visée. Dans cette affaire, il en a découlé que le demandeur n’avait pas pour autant droit à une audience complète. Néanmoins, il aurait dû avoir la possibilité d’être informé de la preuve réunie contre lui et d’y répondre de sorte que la conclusion de la commission puisse avoir été fondée sur un examen complet et juste des éléments au dossier.

[54]           Il est bien établi en droit que la coutume ne peut ignorer ou outrepasser les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale (Beardy, précité, au paragr. 126; Felix, précité, au paragr. 76). Néanmoins, le contenu de cette obligation est tributaire du contexte particulier de chaque cas et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée (Samson, au paragr. 20).

[55]           Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les éléments de preuve dont je suis saisie ne me permettent pas de conclure que le processus de nomination de deux membres au comité des élections par le chef, agissant seul, constitue une coutume. Même si cette façon de faire était coutumière, les nominations faites sans transparence ou sans suivre aucune procédure que le comité devait répéter par la suite constituaient une iniquité procédurale.

[56]           Il en est de même en ce qui a trait à la procédure suivie par le président d’élection. Son rôle était précisé dans un contrat, lequel n’avait cependant jamais été approuvé par les membres. Il est clairement indiqué dans le contrat en tant que tel que le rôle du président d’élection consiste à déterminer qui satisfait aux critères d’éligibilité prévus au code en matière d’élections. Pourtant, il a été démontré qu’il ne jouait aucun rôle en ce qui a trait la détermination de l’admissibilité des candidatures puisqu’il se contentait d’acheminer toutes les contestations et préoccupations au comité des élections.

[57]           Comme ce fut le cas dans Samson, les demandeurs étaient personnellement concernés par la décision de refuser d’accepter leurs candidatures aux postes de chef ou de conseiller. Les demandeurs étaient, au minimum, en droit de recevoir un avis, d’avoir l’occasion de présenter des observations et que ces observations soient prises en considération de façon équitable.

[58]           Selon le témoignage de Cora Houle, la procédure coutumière en vigueur à la NCSL prévoit que les lettres de contestation demeurent secrètes et ne sont partagées avec personne à l’extérieur du comité. Elle indique que, s’il était possible de communiquer avec un candidat visé par une contestation, « [u]ne occasion lui serait offerte afin qu’il puisse rencontrer le comité en personne en vue de discuter des motifs de la contestation ». Elle précise également que le comité a fait un effort en vue de vérifier l’admissibilité des candidats visés par une contestation en communiquant avec d’autres membres de la communauté.

[59]           Cora Houle indique que la décision de retirer les noms des candidats visés par une contestation avait été unanime lors des réunions tenues le 6 et le 7 juin à l’édifice administratif de la NCSL. Les décisions de retirer Eric Shirt, Shannon Houle, Valerie Steinhauer et Greg Cardinal avaient été rendues le 7 juin 2016, tôt dans l’après-midi. La liste officielle des candidats sans les noms des demandeurs a été affichée le 9 juin 2016.

[60]           Selon le témoignage de Cora Houle, personne n’a communiqué avec Eric Shirt parce qu’on n’avait pas ses coordonnées. Après s’être adressée à sa propre sœur, Cora Houle a établi qu’il ne possédait aucune « maison à Saddle Lake de laquelle il lui était possible d’exploiter son entreprise ».

[61]           Un certain nombre de lettres de contestation ont été présentées contre Shannon Houle. Cora Houle a déclaré que le comité des élections avait indiqué à Shannon Houle en personne, le 6 juin 2016, que [traduction] « le comité avait  besoin de discuter de sa candidature ». Cora Houle a déclaré que Shannon Houle avait répondu qu’elle y serait, mais qu’elle ne s’est jamais présentée. Son bureau était fermé à clé et elle a refusé de rencontrer le comité.

[62]           Personne n’a réussi à communiquer avec Greg Cardinal parce que personne n’avait ses coordonnées. Cora Houle a précisé qu’une autre personne savait qu’il n’habitait pas à Saddle Lake et qu’elle avait eu une conversation avec un voisin de la sœur de Greg Cardinal. Ce voisin aurait confirmé qu’il n’habitait pas chez sa sœur et, par conséquent, son nom a été retiré de la liste. Suivant cette décision, le comité a rencontré Greg Cardinal, le 9 juin 2016, et a entendu ses explications. Cependant, puisque la liste officielle, sans son nom, était déjà à l’imprimerie, ses observations n’ont pas été prises en considération de façon équitable.

[63]           La candidature de Valerie Steinhauer a fait l’objet de contestations sous prétexte qu’elle vivait en union de fait. Cora Houle a déclaré qu’elle et Carl Cardinal s’étaient rendus chez Valerie Steinhauer, le 7 juin 2016, mais que cette dernière n’était pas à la maison. Ils ont laissé un message à un homme qui a ouvert la porte et leur a répondu que Valérie devrait les rappeler. Elle a communiqué avec le comité par téléphone et on lui a indiqué que son conjoint de fait était à la maison au moment de leur visite. Valerie Steinhauer a alors raccroché.

[64]           Dans les quatre cas, le comité des élections a renoncé à toute responsabilité qui pourrait lui incomber et s’est contenté de faire des accusations. Il serait relativement simple d’éviter qu’à l’avenir se produisent des situations problématiques comme celles mentionnées, notamment l’impossibilité de communiquer avec des candidats. Lorsque la candidature d’une personne est proposée, cette dernière devrait produire ses coordonnées, notamment, téléphone, courriel, adresse ou autres moyens de communiquer avec elle, comme un élément intégrant du processus de mise en candidature.

[65]           Les procédures du comité des élections visant à établir la résidence d’Eric Shirt, de Shannon Houle, et de Greg Cardinal n’ont pas satisfait aux exigences minimales, notamment au droit de recevoir un avis, d’avoir l’occasion de présenter des observations et que ces observations soient prises en considération de façon équitable. Ce manquement est une violation du principe de justice naturelle en raison de l’importance de la décision pour chacun des demandeurs. L’inéligibilité de Valerie Steinhauer était fondée sur sa relation de fait, ce que je considère comme injuste au plan procédural pour les mêmes motifs que ceux soulevés dans le cas des trois autres demandeurs. Cependant, elle conteste également au plan juridique les exigences liées à l’union de fait, dont elle prétend qu'elles sont contraires à l’article 15 de la Charte des droits, une question que j’aborderai plus loin.

[66]           À cet égard, même si j’avais tort, l’absence totale de motifs de la part du comité des élections me porte à conclure que les conclusions négatives rendues par celui-ci étaient déraisonnables. Les motifs inscrits dans l’affidavit sont si arbitraires et vagues qu’ils n’ont aucune valeur.

E.                  Charte

[67]           Aucun élément de preuve n’a été produit en ce qui a trait à la question à savoir si le Règlement sur les élections respectait la Charte. Je n’ai pas à trancher de cette question puisque j’ai déjà conclu que les décisions rendues ne respectaient pas les principes de l’équité procédurale. Je me contenterai de dire qu’une disposition prévoyant que la candidature d’une personne ne peut être proposée en raison de sa situation de famille semblerait être une pratique discriminatoire et inconstitutionnelle.

[68]           Je n’aborderai pas non plus les autres questions soulevées par les parties, étant donné que j’accueille la demande.

VI.              Conclusion

[69]           Notre Cour ne souhaite pas s’immiscer dans le choix des dirigeants d’aucune Première Nation par respect envers leur droit à régir leurs propres élections. Néanmoins, si aucune autre réparation interne ne semble offerte au sein d’une bande, la Cour fédérale demeure disposée à contribuer à l’établissement d’une décision définitive.

[70]           Toute nouvelle coutume se doit d’être reconnue par un consensus des membres ou par un amendement au Règlement sur les élections. Les membres doivent savoir comment sont élus le chef et les membres du conseil.

[71]           Les défendeurs m’ont demandé si je suspendrais ma décision jusqu’à la prochaine élection de la bande prévue en 2019 si la demande était accueillie. Les défendeurs semblent convaincus que les mêmes difficultés se reproduiront si je renvoie la demande afin que de nouvelles élections aient lieu. Je ne partage pas leur avis. J’ai confiance dans la Nation crie de Saddle Lake et suis convaincue que les gens sauront concevoir et mettre en œuvre un processus d’élection et de mise en candidature transparent, équitable au plan procédural, et non partisan, étant donné leur expérience des 60 dernières années à gérer leurs propres élections.

[72]           La décision de retirer les noms des demandeurs de la liste officielle des candidats est annulée. Étant donné l’atteinte à l’intégrité du processus relatif aux candidatures, leur éligibilité doit être établie de façon adéquate. Dans l’éventualité que toute candidature puisse être jugée comme éligible, il faut tenir de nouvelles élections.

[73]           Je remarque qu’un président d’élection a été embauché comme personne désignée assumant la supervision des élections de la bande et qu’il est précisé dans son contrat qu’il doit établir l’éligibilité des candidatures. De solides arguments peuvent être avancés en faveur de la thèse selon laquelle le président d’élection puisse rendre des décisions sur l’éligibilité, comme ce fut le cas, par ailleurs, dans Samson. À mon avis, il serait raisonnable que le chef et le Conseil puissent raisonnablement décider que le président d’élection tranche les différends. Si telle était leur volonté, le pouvoir du président d’élection devrait précisément être noté dans un procès-verbal ou dans une RCB, ou dans les deux, et tous les membres devraient connaître les procédures, son rôle et ses responsabilités.

[74]           À titre subsidiaire – et de façon beaucoup plus fiable – la bande peut, avec la majorité, décider des critères relatifs à la composition d’un comité des élections, notamment, la méthode de nomination, les électeurs, la durée du mandat, leurs obligations, ainsi qu’une procédure à respecter en cas de différends liés aux candidatures et aux élections. Puis l’avis relatif à la procédure à respecter doit être acheminé aux membres de la bande.

[75]           Je ne désire aucunement orienter la formulation du règlement, je ne fais que suggérer des principes directeurs pouvant servir aux membres dans l’établissement d’un mécanisme visant la tenue de leur élection.

[76]           S’il faut tenir une nouvelle élection, il faut le faire dans le respect du Règlement sur les élections, ou d’une coutume, ou des deux, que la majorité des membres de la bande appuient. Toute procédure adoptée par la bande doit respecter l’équité procédurale, notamment, être une procédure connue par tous les membres. Si une candidature fait l’objet d’une contestation, un avis à cet égard doit être envoyé à la personne visée et cette dernière doit avoir l’occasion de réagir. Toute décision de retirer une candidature à la suite d’une contestation doit être rendue par un décideur impartial ou des décideurs impartiaux, qui sauront prendre les observations des personnes visées en considération de façon entière et équitable. Puisqu’aucune de ces procédures n’est actuellement définie dans le Règlement sur les élections, celui-ci doit être modifié ou une coutume doit être approuvée par la majorité des membres de la bande. Le chef et le Conseil actuellement en poste y demeureront jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection s’il s’avère nécessaire de tenir une nouvelle élection au cas où une ou plus d’une candidature devient éligible.

[77]           Les deux parties réclament des dépens. Les défendeurs m’ont renvoyée à une affaire d’élections dans laquelle des dépens de 10 000 $ avaient été accordés au motif qu’il était dans l’intérêt public de le faire. Les demandeurs contestent vigoureusement en soutenant qu’il ne serait pas approprié d’accorder les 10 000 $ demandés puisqu’il s’agit de la première contestation du Règlement sur les élections et qu’il serait inéquitable d’accorder cette somme.

[78]           Je vais accorder un montant forfaitaire à titre de dépens. Il est étonnant de constater qu’en dépit de cette longue période au cours de laquelle le Règlement sur les élections a été utilisé, c’est la première fois qu’un différend ne peut être réglé par la NCSL. Ce constat est de bon augure pour la possibilité que la bande puisse adopter par consensus un nouveau Règlement sur les élections. Il s’agissait d’une affaire d’intérêt public, mais les demandeurs ont engagé des frais pour présenter cette cause et leurs coûts n’ont pas été remboursés par la bande. J’accorderai des dépens de 2 000 $. La totalité des dépens (2 000 $) doit être divisée en parts égales et versée à chaque demandeur séparément et immédiatement par le défendeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est accueillie. La décision du comité de retirer les noms des candidats de la liste est annulée;

2.                  Les candidatures retirées doivent être soumises à un nouveau processus visant à établir l’éligibilité des candidats et si ceux-ci s’avèrent éligibles dans au moins un cas, il faudra alors tenir une nouvelle élection;

3.                  Des dépens sont accordés en un montant forfaitaire de 2 000 $. Cette somme totale doit être divisée en parts égales et répartie entre les demandeurs et doit être versée immédiatement à chaque demandeur par les défendeurs.

« Glennys L. McVeigh  »

Juge


[traduction]

ANNEXE A

COUTUMES TRIBALES DE SADDLE LAKE

LES ÉLÉMENTS PRÉSENTÉS CI-DESSOUS ONT ÉTÉ PUISÉS DANS LES PROCÈS‑VERBAUX DES RÉUNIONS DE LA BANDE TENUES SUR LA RÉSERVE DE SADDLE LAKE EN 1955 ET 1960. TOUS LES SECTEURS NON VISÉS PAR LES ÉLÉMENTS MENTIONNÉS DANS LA PRÉSENTE SERONT VISÉS PAR LA LOI SUR LES INDIENS, COMME IL EST INDIQUÉ AUX ARTICLES 73 À 78.

******************************************************************************

Article (1) :

Éligibilité à la mise en candidature

a) Aucune personne occupant un poste de fonctionnaire ne peut être éligible à une mise en candidature.

b) Aucune personne ne peut être mise en candidature à une élection si elle n’est pas présente, à moins qu’elle ait signifié par écrit son acceptation à la mise en candidature.

c) Aucune personne vivant en union de fait ne peut être éligible à une mise en candidature.

d) Aucune personne qui maintient sa résidence à l’extérieur d’une réserve ne peut être éligible à une mise en candidature. Si sa résidence principale ou celle de sa famille est située sur la réserve, elle devient éligible. Néanmoins, elle n’est autorisée à manquer qu’une seule réunion régulière, sauf pour des raisons de santé.

e) Aucune personne reconnue coupable en vertu du Code criminel du Canada ne peut être éligible à une mise en candidature.

f) Aucune personne n’ayant pas atteint l’âge de 21 ans, le jour de la mise en candidature, n’est éligible à proposer la mise en candidature d’une personne ou à faire l’objet d’une proposition de mise en candidature.

g) Toute proposition doit avoir été appuyée pour être valide.

Article (2) :

Règlement sur la tenue des votes

a) Tout membre de la bande ayant atteint l’âge de 21 ans, le jour de la mise en candidature, qu’il demeure sur la réserve ou non, doit être éligible à voter; exception faite des Autochtones détentrices de coupons rouges. 

b) Les résidents de la réserve de Goodfish Lake ne sont pas autorisés à voter pour le chef ou un membre du conseil de la réserve de Saddle Lake.

c) Les résidents de la réserve de Saddle Lake ne sont pas autorisés à voter pour le chef ou un membre du conseil de la réserve de Goodfish.

d) Une personne qui ne réside sur aucune de ces réserves, mais qui est un membre de la bande peut voter une fois dans la réserve de son choix.

Article (3) :

Règlement sur les procédures d’élection

a) Le chef et les membres du conseil sont élus pour un mandat de trois ans.

b) La réserve de Saddle Lake aura neuf membres.

c) La réserve de Goodfish Lake aura quatre membres.

d) L’élection du chef, qui sera choisi parmi les membres du conseil, aura lieu à la suite de l’élection des membres du conseil.

e) La nomination d’un interprète* doit avoir lieu (un pour la réserve de Saddle Lake et un autre pour la réserve de Goodfish Lake) lors d’une réunion de la bande à la fois durant le jour des propositions de mise en candidature et le jour des élections.

f) Tout membre du conseil ou chef qui se serait rendu coupable d’une conduite fautive et qui est visé par une pétition demandant son retrait, laquelle est signée par 60 % des résidents membres de la réserve, sera destitué par le président d’élection alors en poste et une élection partielle devra être organisée afin que ce siège soit occupé.

g) Le surveillant de district est le président d’élection permanent et il lui incombe d’organiser des élections à la fin de chaque mandat de trois ans. La méthode qu’il utilise en vue de mener des réunions de proposition de candidatures (sauf lorsqu’il est question d’en fermer une), le scrutin secret, l’ouverture, la fermeture et le dépouillement du scrutin doivent demeurer les mêmes tels qu’il est établi dans le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, article 73 de la Loi sur les Indiens, à condition qu’il n’y ait aucun conflit avec tout règlement, toute règle ou ordonnance adoptés par la bande. Le président d’élection est autorisé à nommer les greffiers du scrutin, et est autorisé à payer les dépenses liées à l’élection à même le budget de la bande une fois que le montant a été présenté au conseil et que celui-ci l’approuvé.

* Interprète : doit être une personne qui peut réellement agir à titre d’interprète de la langue crie vers la langue anglaise et de la langue anglaise vers la langue crie. Cette personne ne doit pas être membre de la bande de Saddle Lake. Elle doit être rémunérée au taux établi par le conseil de bande.

Procédures relatives aux réunions spéciales de proposition de candidatures

Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande. Loi sur les Indiens, article 75, paragr. « 1  ».

Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d’une bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées. *Loi sur les Indiens, article 75, paragr. « 2 », Article 75, L.R.C., ch 149, art. 74.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-978-16

 

INTITULÉ :

ERIC SHIRT ET AL C NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 17 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Mme Priscilla Kennedy

Pour les demandeurs

Mme Brooke Barrett

M. Lee Carter

Pour les défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLAPIPER (CANADA) LLP

Edmonton (Alberta)

Pour les demandeurS

Rae and Company

Calgary (Alberta)

Pour les défendeurs

 

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