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Date : 20170412


Dossier : IMM‑4754‑16

Référence : 2017 CF 359

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

QIONGHUAN ZHOU,

JINGQU CAO

ET ZIYE CAO (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’instance

[1]               La Cour est saisie, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 19 octobre 2016 (la décision contrôlée) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’ont qualité ni de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

II.                 Rappel des faits

[2]               Les demandeurs adultes, citoyens chinois unis par le mariage, soutiennent avoir été pris pour cibles par le Bureau de la planification familiale pour avoir enfreint les dispositions chinoises qui limitent le nombre des naissances. Leur fils, âgé de cinq ans, est aussi citoyen chinois et demandeur à la présente instance.

[3]               L’épouse déclare avoir fait l’objet d’un diagnostic d’atteinte inflammatoire pelvienne après avoir subi un avortement forcé le 2 mars 2015. On lui a dit qu’elle serait obligée de porter un dispositif intra-utérin dans le cas où ses symptômes disparaîtraient; si elle ne se conformait pas à cette obligation, elle ou son mari serait stérilisé. Motivés par la peur qu’inspirait à l’épouse l’insertion d’un dispositif intra-utérin, la crainte d’une stérilisation forcée qu’éprouvaient les deux conjoints et leur désir commun d’avoir d’autres enfants, les demandeurs se sont enfuis de Chine pour arriver au Canada en passant par les États‑Unis. Après leur départ de Chine, un avis de stérilisation a été déposé chez eux.

[4]               Des passeurs ont aidé les demandeurs à obtenir des visas américains en Chine au moyen de faux documents, ainsi qu’à se rendre à Toronto en passant par les États‑Unis.

[5]               Selon les demandeurs, un ami du mari leur a envoyé des documents de Chine pour appuyer leur demande d’asile, que la SPR a instruite le 25 septembre 2015 et le 29 juin 2016. À la première audience, la commissaire saisie du cas s’est déclarée préoccupée par le fait que l’encre de tous les cachets était [traduction] « humide et avait bavé sur la page » et s’était transférée sur les documents voisins. Elle en a conclu au caractère frauduleux des documents et, le 19 octobre 2016, elle a rejeté la demande d’asile des demandeurs comme manifestement non fondée.

[6]               La commissaire était confortée dans sa conclusion selon laquelle les documents étaient frauduleux par deux faits : les demandeurs avaient déjà utilisé de faux papiers en Chine pour obtenir des visas américains, et le témoignage de l’épouse touchant le moment où ils avaient reçu les documents et les avaient fait traduire manquait de précision, alors que ces événements s’étaient produits dans les deux semaines précédant la première audience.

III.               La question en litige

[7]               La question décisive est celle de savoir si la description donnée par la SPR du problème de [traduction] « l’encre humide » était exagérée au point de pouvoir être considérée comme déraisonnable, et par conséquent impropre à motiver une conclusion de fraude et le rejet de la demande d’asile comme manifestement non fondée.

[8]               On ne discernait aucune bavure d’encre sur les documents contenus dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) : les cachets et les pages y étaient impeccables. Étant donné les nombreuses taches et traînées d’encre dont la SPR avait fait vigoureusement état, la Cour s’est rendue à l’évidence que les documents versés au DCT n’étaient pas les originaux. Le greffe de la Cour n’a pu obtenir les originaux de la CISR, au motif qu’elle les avait rendus aux demandeurs à la demande de la commissaire, qui leur avait dit au cours de l’audience : [traduction] « nous vous les rendrons quand la décision sera prononcée ». Le greffe s’est alors enquis auprès de l’avocat des demandeurs si ses clients disposaient encore des originaux. L’avocat a rapidement obtenu ceux‑ci (les documents originaux) avec l’aide d’un interprète et les a aussitôt communiqués au greffe; ils ont pu être ainsi versés au dossier certifié du tribunal conformément à mon ordonnance en date du 6 avril 2017.

[9]               Voici la liste des documents originaux :

1.                  Un certificat d’opération d’avortement daté du 2 mars 2015.

2.                  Un avis de mesure de planification familiale daté du 3 mars 2015.

3.                  Un certificat de diagnostic daté du 9 mars 2015.

4.                  Un certificat des Services de planification familiale (livret bleu), dont la dernière inscription est datée du 10 avril 2015.

5.                  Un livret médical portant des cachets datés des 2 mars, 9 mars, 10 avril, 7 mai et 8 juin 2015.

6.                  Un avis de stérilisation daté du 7 juillet 2015.

7.                  Un avis d’amende daté du 23 juillet 2015.

IV.              Analyse

[10]           Le dossier comprend les observations suivantes concernant l’encre humide (c’est moi qui souligne).

[11]           La commissaire note dans la décision contrôlée que [traduction] « les cachets de tous les documents s’étaient transférés les uns sur les autres ».

[12]           À propos du livret médical, la commissaire a déclaré oralement :

[traduction] (…) les pages de couverture avant et arrière de ce livret sont toutes deux couvertes de bavures d’encre rouge, et on remarque sur la couverture arrière un transfert très évident du cachet de l’un des autres documents.

[13]           Elle a aussi écrit ce qui suit :

[traduction] J’ai passé le doigt sur tous les cachets sans exception de ces documents et constaté que l’encre de chacun d’eux, quels que soient l’organisme tamponneur ou la date, était encore humide et avait bavé sur la page et s’était transférée sur d’autres documents.

[14]           La commissaire a qualifié les cachets humides de [traduction] « tout à fait irréguliers et inhabituels », et elle a conclu que les documents avaient [traduction] « tous été tamponnés ensemble et empilés très récemment, d’où le transfert de l’encre des cachets les uns sur les autres ».

[15]           La commissaire a formulé oralement les observations suivantes à l’audience :

[traduction] […] une grande quantité de l’encre de vos cachets m’est restée sur les mains … J’en ai le bout des doigts tout taché.

[…] nous avons ici, dans un livret médical, un cachet daté de mars dont l’encre bave.

[…] Il faut vraiment que je frotte avec mon pouce… vigoureusement …voilà … [une traînée d’encre].

[16]           [traduction] « [I]l fallait quand même un frottement assez vigoureux pour étaler l’[…]encre rouge sur les documents médicaux », a fait valoir l’avocat des demandeurs dans les observations orales qu’il a formulées devant la SPR.

[17]           La décision contrôlée me paraît soulever les questions suivantes :

1.                  Est‑ce que les cachets de tous les documents se sont transférés sur d’autres documents?

2.                  Le cachet d’un autre des documents originaux se retrouve‑t‑il sur la couverture arrière du livret médical?

3.                  Les couvertures avant et arrière du livret médical sont‑elles [traduction] « couvertes » de bavures d’encre rouge?

4.                  Peut‑on observer que l’encre du cachet de chaque document a bavé sur la page pour se transférer sur les autres documents?

[18]           L’examen des documents originaux permet de donner à ces questions les réponses suivantes, que je formulerai dans le même ordre que les questions :

Question 1.             Cette observation est inexacte. Aucun des cachets ne s’est transféré sur un autre document original.

Question 2.             Il y a seulement une trace qu’on pourrait supposer provenir du cachet d’un autre document. Elle apparaît sur la couverture arrière du livret médical. Elle est si faible qu’on ne peut en déterminer la source. On ne sait donc pas avec certitude si elle provient d’un autre des documents originaux.

Question 3.             Les couvertures du livret médical ne sont pas [traduction] « couvertes de bavures » d’encre rouge. On observe quelques marques d’encre rouge sur la couverture avant et une sur la couverture arrière. Aucune de ces marques n’est une [traduction] « bavure », et elles ne [traduction] « couvrent » par le livret. En fait, on les perçoit à peine au premier coup d’œil.

Question 4.             Le doigt de la commissaire n’a pas laissé de traces sur le document 4. Elle a cependant pu étaler de très petites quantités d’encre des cachets apposés sur les documents 1, 2, 3, 6 et 7. En outre, deux des cinq cachets du livret médical ont été légèrement altérés. Elle a pu dans chacun de ces cas, en appuyant fortement, étaler de très petites quantités d’encre des cachets sur une étendue d’un quart de pouce à un demi-pouce. Les traces qu’elle a ainsi laissées étaient si faibles qu’elles n’apparaissaient pas sur les photocopies. L’encre n’avait dans aucun cas [traduction] « bavé sur la page pour se transférer sur d’autres documents ».

V.                 Conclusion

[19]           Je m’étais attendu à voir les documents originaux couverts de longues et épaisses traînées d’encre humide et tous leurs cachets transférés les uns sur les autres. Or il n’en est rien. La décision contrôlée me paraît déraisonnable au motif qu’elle exagère considérablement le problème de l’encre. En conséquence, cette décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à la SPR pour nouvel examen par un autre de ses commissaires.

VI.              Certification

[20]           Aucune question n’a été proposée à la certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la décision contrôlée soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour nouvel examen par un autre de ses commissaires.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DoSSIER :

IMM‑4754‑16

 

INTITULÉ :

QIONGHUAN ZHOU, JINGQU CAO ET ZIYE CAO (MINEUR) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVRIL 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AVRIL 2017

COMPARUTIONS :

Phillip J.L. Trotter

POUR LES DEMANDEURS

Jocelyn Espejo‑Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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