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Date : 20170411


Dossier : T‑62‑16

Référence : 2017 CF 358

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

JACQUELINE MASON

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI

ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

(auparavant désigné « MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES »)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               La présente affaire illustre l’application juridique du proverbe « Qui tard arrive, mal loge ». Mme Jacqueline Mason (Mme Mason), plaideuse non représentée, a demandé le 22 octobre 2015 le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS) avait repoussé son appel d’une décision de la division générale du même tribunal, portant rejet par voie sommaire du recours qu’elle avait exercé contre la décision du ministre portant elle-même rejet de sa demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 (le RPC).

[2]               Il est apparu au cours des plaidoiries qu’une question importante, effleurée dans les instances précédentes et dans les observations écrites présentées à la Cour, n’avait pas été examinée à fond dans ces instances ni même dans le présent contrôle judiciaire. Cette question est celle de la date à laquelle Mme Mason a fait sa demande de prestations d’invalidité. Il avait été considéré comme acquis que cette date était le 4 septembre 2013, mais un doute sérieux pèse maintenant sur ce point.

II.                 Rappel des faits

[3]               Il n’entre pas dans mes intentions d’examiner la totalité des questions que soulève la présente affaire, mais seulement celle qui justifie son renvoi pour nouvel examen.

[4]               Les dispositions clés à cet égard sont celles du paragraphe 42(2) du RPC, selon lequel une demande de prestations d’invalidité doit être présentée au plus tard 15 mois après la survenance du fait générateur d’invalidité :

42 (2) Pour l’application de la présente loi :

42 (2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

(La Cour souligne)

(Court’s underlining)

[5]               Mme Mason a subi une lésion professionnelle à la tête le 22 juin 2011. Elle a eu 60 ans en mai 2012 et a commencé à recevoir une pension de retraite du RPC le 1er juin de la même année. Elle a alors essayé de profiter de la possibilité de remplacer sa prestation de retraite du RPC par une prestation d’invalidité du même régime.

66.1 (1) Un bénéficiaire peut demander la cessation d’une prestation s’il le fait de la manière prescrite et, après que le paiement de la prestation a commencé, durant la période de temps prescrite à cet égard.

66.1 (1) A beneficiary may, in prescribed manner and within the prescribed time interval after payment of a benefit has commenced, request cancellation of that benefit.

(1.1) Toutefois, le bénéficiaire d’une prestation de retraite ne peut remplacer cette prestation par une prestation d’invalidité si le requérant est réputé être devenu invalide, en vertu de la présente loi ou aux termes d’un régime provincial de pensions, au cours du mois où il a commencé à toucher sa prestation de retraite ou par la suite.

(1.1) Subsection (1) does not apply to the cancellation of a retirement pension in favour of a disability benefit where an applicant for a disability benefit under this Act or under a provincial pension plan is in receipt of a retirement pension and the applicant is deemed to have become disabled for the purposes of entitlement to the disability benefit in or after the month for which the retirement pension first became payable.

(2) Dans les cas où est acceptée une demande prévue au paragraphe (1) ou aux termes d’une disposition en substance semblable d’un régime provincial de pensions et que le montant de la prestation versée est retourné dans le délai prescrit à cet égard ou dans le délai que prévoit le régime provincial de pensions, la prestation est, pour l’application de la présente loi, réputée ne pas avoir été payable pour la période concernée.

(2) Where a request made under subsection (1) or under a substantially similar provision of a provincial pension plan is granted and the amount of the benefits paid is repaid within the prescribed time or, in the case of a provincial pension plan, the time provided thereunder, that benefit shall be deemed for all purposes of this Act not to have been payable during the period in question.

(La Cour souligne)

(Court’s underlining)

[6]               Il est acquis aux débats que la « date limite » de présentation de la demande de Mme Mason était le 1er septembre 2013, soit 15 mois après juin 2012, le mois où elle était réputée être devenue invalide. Le 1er septembre 2013 tombait un dimanche, et le premier jour ouvrable suivant était le mardi 3 septembre. On pourrait considérer le 31 août 2013 comme la date limite, 15 mois entiers s’étant alors écoulés, mais cette différence d’un jour est sans conséquence, puisqu’elle n’aurait pas empêché le même problème de se poser.

[7]               Emploi et Développement social Canada (EDSC) a ouvert et tamponné la demande de prestations d’invalidité de Mme Mason le 4 septembre 2013. La preuve ne contient aucun élément tendant à établir la date à laquelle EDSC aurait reçu cette demande. Le mercredi 4 septembre 2013 était le deuxième jour ouvrable suivant le congé de la fête du Travail, qui tombait cette année‑là le 2 septembre.

[8]               Selon sa preuve, Mme Mason a posté sa demande à la mi‑août, au bureau de poste local de Princeton, petite ville du Sud de la Colombie‑Britannique. Elle tenait à présenter cette demande avant septembre, parce qu’elle ne savait pas avec certitude si elle avait jusqu’au début de ce mois ou jusqu’à la fin août.

[9]               Le ministre a rejeté la demande de Mme Mason au moment du dépôt initial, puis après réexamen, apparemment au motif de la date à laquelle elle était réputée être devenue invalide.

[10]           La demanderesse a fait appel de la décision en réexamen du ministre devant la division générale du TSS. Celle‑ci a conclu que Mme Mason ne pouvait annuler sa pension de retraite pour la remplacer par des prestations d’invalidité, au motif qu’elle n’avait présenté sa demande que le 4 septembre 2013. La division générale a donc rejeté son appel par voie sommaire en application du paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, au motif qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[11]           Mme Mason a alors appelé de la décision de la division générale du TSS devant la division d’appel du même tribunal, qui a conclu comme suit :

Malheureusement, l’appelante n’a tout simplement pas présenté sa demande de pension d’invalidité assez tôt et ne peut donc pas se prévaloir du paragraphe 66.1(1) du Régime de pensions du Canada.

[12]           Les observations de la demanderesse étaient remplies de références au régime fédéral de prestations d’invalidité aussi bien qu’au régime provincial d’indemnisation des victimes d’accidents du travail.

III.               Analyse

[13]           La question qu’il importe ici de trancher est celle de savoir si l’on peut considérer comme une décision raisonnable l’acceptation par la division d’appel de la conclusion de la division générale selon laquelle Mme Mason n’avait pas demandé les prestations d’invalidité dans le délai prescrit.

[14]           Comme il est expliqué au paragraphe 54 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 90 [Dunsmuir], le contrôle applicable aux conclusions de fait de la division d’appel et à son interprétation de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat doit se faire suivant la norme de la raisonnabilité.

[15]           Pour pouvoir intervenir, la Cour doit conclure que la décision en cause n’est pas raisonnable, au motif que d’importants facteurs pertinents n’y ont pas été pris en considération. La Cour est sensible à la franchise dont l’avocate du défendeur a fait preuve, en tant qu’officier de justice, en reconnaissant l’absence d’éléments de preuve tendant à établir quand EDSC avait effectivement reçu la demande de Mme Mason.

[16]           La division d’appel, sans formuler à ce sujet d’analyse raisonnée, paraît avoir considéré l’ouverture de l’enveloppe de la demanderesse et l’apposition de la date au tampon sur cette enveloppe comme constituant la réception de la demande. Or, soit dit en tout respect, aucun élément de la preuve ne tend à établir le moment de la réception de la demande ni le fait qu’elle n’aurait pas pu se trouver dans le système de courrier d’EDSC avant le week-end de la fête du Travail.

[17]           La division d’appel a assimilé cette « réception » à la « présentation » de la demande de Mme Mason, sans examiner le point de savoir si ces deux termes sont synonymes.

[18]           La division d’appel n’a pas tenu compte du fait que la poste était le mode de communication choisi par l’administration fédérale ni du point de savoir si, en conséquence de ce choix, la remise à Postes Canada, en tant que mandataire de cette administration, ne pourrait pas valoir remise à EDSC. Elle n’a pas non plus pris en considération le fait que Mme Mason avait posté sa demande à la mi‑août, soit bien avant la date limite.

[19]           La division d’appel n’a pas fait entrer dans son analyse l’objet des dispositions applicables, qui est en partie de verser des prestations aux personnes ayant cotisé au RPC. Or la signification de ces dispositions, pour ce qui concerne la « présentation » d’une demande, doit être examinée à la lumière de l’objet desdites dispositions et de la loi qui les contient, qui commandent une interprétation équitable et libérale.

[20]           Même si elle conclut au caractère déraisonnable de la décision de la division d’appel, la Cour reconnaît qu’il n’était peut-être pas toujours facile de suivre les observations de la demanderesse ou de comprendre ses prétentions.

[21]           Quoi qu’il en soit, la présente affaire nécessite un supplément de réflexion et sera donc renvoyée au TSS pour nouvel examen, ce qui permettra à la demanderesse de mieux exposer les circonstances pertinentes.

IV.              Conclusion

[22]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et annulée la décision de la division d’appel. La Cour ordonnera que la demande de prestations d’invalidité de la demanderesse soit instruite de novo par un autre ou d’autres décideurs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la division d’appel est annulée.

3.                  La demande de prestations d’invalidité de la demanderesse devra être instruite de novo par un autre ou d’autres décideurs.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑62‑16

 

INTITULÉ :

JACQUELINE MASON c. LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL (auparavant désigné « MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES »)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MARS 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2017

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Mason

 

POUR LA DEMANDERESSE

(NON REPRÉSENTÉE)

 

Sandra L. Doucette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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