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Date : 20170405


Dossier : T-1122-16

Référence : 2017 CF 343

Montréal (Québec), le 5 avril 2017

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

demandeur(intimé)

et

YAN RIVERIN

défendeur(appelant)

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               M. Yan Riverin interjette appel de l’ordonnance rendue par Monsieur le protonotaire Morneau [le protonotaire] le 7 février 2017 rejetant sa requête en contestation d’irrégularités.

[2]               La présente instance s’inscrit dans le cadre plus large de la demande de contrôle judiciaire que le Conseil des Innus de Pessamit [le Conseil] a présentée à l’encontre de la décision arbitrale ayant invalidé le congédiement de M. Yan Riverin.

[3]               Dans le cadre de cette demande de révision judiciaire, le 6 décembre 2016, le protonotaire a rendu une ordonnance prévoyant l’échéancier que les parties devaient respecter. Cette ordonnance prévoyait notamment que le Conseil devait signifier et déposer son dossier de demande sous la règle 309 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] le ou avant le 16 janvier 2017, ce que le Conseil a fait défaut de respecter.

[4]               Dès le 17 janvier 2017, M. Riverin a présenté une requête en contestation d’irrégularités en vertu des règles 58 et 59, demandant le rejet de l’avis de demande de contrôle judiciaire du Conseil et l’annulation de l’instance.

[5]               En réponse à cette requête en contestation d’irrégularités, le Conseil a notamment demandé au protonotaire d’être relevé du défaut d’avoir omis de signifier et de déposer son dossier de demande au plus tard le 16 janvier 2017.

[6]               Le 7 février 2017, le protonotaire a rejeté la requête en contestation d’irrégularités de M. Riverin et, invoquant les règles 3 et 53(2), a permis le dépôt du dossier de demande du Conseil sous la règle 309. Le protonotaire a également indiqué que si ce dossier n’avait pas déjà été signifié par le Conseil, il devrait l’être le ou avant le 13 février 2017, et que le délai de la règle 310 pour la signification et le dépôt du dossier du défendeur commencerait à courir à compter du 15 février 2017.

[7]               M. Riverin interjette donc appel de cette décision du protonotaire et soutient essentiellement (1) que ce dernier a statué ultra petita; et (2) que sa décision est inéquitable.

[8]               En bref, la Cour n’a pas été convaincue que le protonotaire a rendu une décision incorrecte, ou qu’il a erré de façon manifeste et dominante, et rejettera conséquemment l’appel.

II.                Position des parties

[9]               Devant cette Cour, M. Riverin soumet deux arguments. Premièrement, il avance que le protonotaire a statué ultra petita puisqu’aucune demande de prorogation ne lui a été validement soumise par les parties. En effet, le protonotaire ne peut proroger le délai en l’absence d’une requête à cet effet et la demande que le Conseil a formulée dans son dossier de réponse à la requête en contestation d’irrégularités ne constitue pas une telle requête en prorogation de délai. M. Riverin fait notamment référence à la règle 47 et à la décision Nowoselsky c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 418 [Nowoselsky].

[10]           La règle 47 stipule:

47(1) Sauf disposition contraire des présentes règles, le juge et le protonotaire ont compétence pour exercer, sur requête ou de leur propre initiative, tout pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par celles-ci.

(2) Dans les cas où les présentes règles prévoient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sur requête, la Cour ne peut exercer ce pouvoir que sur requête.

[11]           Tandis que le paragraphe 7 de l’arrêt Nowoselsky prévoit :

7  Le paragraphe 8(1) des Règles prévoit que la Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les règles ou fixé par ordonnance. Aux termes du paragraphe 47(2) des Règles, dans les cas où les règles prévoient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sur requête, la Cour ne peut exercer ce pouvoir que sur requête. Ces deux dispositions font en sorte que la Cour ne peut surmonter l'absence de requête en prolongation du délai en prenant une décision sur sa propre requête. La juge des requêtes ne pouvait prendre de décision en l'absence d'un avis de requête en prolongation du délai.

[12]           Deuxièmement, M. Riverin soumet que la décision du protonotaire est inéquitable puisque M. Riverin a tenu pour acquis tout au long des procédures que les délais devaient être respectés, tandis que le Conseil a pu plaider la survenance d’un événement contrôlable pour obtenir une prorogation de délai, faisant ici référence à la décision Chin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 1033.

[13]           Le Conseil répond que le protonotaire n’a pas jugé ultra petita puisque (1) les règles 3 et 53(2) lui permettent de décider comme il l’a fait; et (2) le protonotaire n’a pas à proroger les délais, mais uniquement à autoriser le dépôt du dossier du demandeur, celui-ci étant déjà produit au greffe.

[14]           Les règles 3 et 53(2) prévoient respectivement ce qui suit :

3  Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

53(2)  La Cour peut, dans les cas où les présentes règles lui permettent de rendre une ordonnance particulière, rendre toute autre ordonnance qu’elle juge équitable.

III.             Norme de contrôle de la décision du protonotaire

[15]           Les arguments de M. Riverin soulèvent les deux questions suivantes:

1.         Le protonotaire a-t-il statué ultra petita?

2.         La décision du protonotaire est-elle inéquitable?

[16]           Les parties n’ont pas référé de façon explicite à la norme de contrôle applicable aux questions en litige, mais la Cour doit néanmoins la confirmer.

[17]           La Cour d’appel fédérale a récemment déterminé que notre Cour doit contrôler une décision discrétionnaire d'un protonotaire selon la norme élaborée par la Cour suprême du Canada dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33. Ainsi, « la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d'un juge de première instance est celle de l'erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu'il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c'est celle de la décision correcte » (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 au para 66).

[18]           Ainsi, la question de déterminer si le protonotaire a statué ultra petita constitue une question de droit commandant l’application de la norme de la décision correcte. Par ailleurs, la question de déterminer si la décision du protonotaire est équitable ou non constitue quant à elle une question mixte de fait et de droit entrainant l’application de la norme de l’erreur manifeste et dominante. À cet égard, la Cour d’appel fédérale, dans la décision Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, a repris les propos énoncés dans Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46, pour décrire la nature d’une erreur manifeste et dominante en ces termes :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. [Références omises.]

IV.             Analyse

A.                Question 1 : Le protonotaire a-t-il statué ultra petita?

[19]           M. Riverin réfère à la règle 8(1) qui stipule que « [l]a Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance » (soulignement ajouté) pour soumettre que « la décision du protonotaire est ultra petita ». M. Riverin invoque le moyen de l’ultra petita pour soutenir que le protonotaire a décidé au-delà de ce qui lui était demandé puisque la demande pour la prorogation de délai présentée par le Conseil était invalide et que la situation est donc assimilable à une situation où aucune demande de prorogation n’aurait été soumise.

[20]           M. Riverin réfère à l’arrêt Nowoselsky précité. Or, dans la décision Mazhero c Fox, 2011 CF 392, la juge Tremblay-Lamer a plutôt distingué cet arrêt de la situation en litige comme suit :

9  L'intimé s'appuie sur l'arrêt Nowoselsky c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 418, 329 NR 238 (Nowoselsky), de la Cour d'appel fédérale pour soutenir que c'est uniquement par voie de requête que peut être demandée une prorogation de délai sous le régime de la LCF. La Cour d'appel fédérale a bien mentionné dans l'arrêt Nowoselsky que les paragraphes 8(1) et 47(2) des RCF faisaient en sorte que « la Cour ne peut surmonter l'absence de requête en prolongation du délai en prenant une décision sur sa propre requête ». Cet arrêt peut toutefois être écarté à titre de précédent en l'espèce. Dans Nowoselsky, le demandeur n'avait jamais demandé de prorogation de délai pour le dépôt de son appel. En l'espèce, quoique les requérants n'aient pas déposé d'avis de requête en bonne et due forme afin que soit prorogé le délai fixé dans l'ordonnance du 17 septembre de la protonotaire Aronovitch, ils ont bien présenté une demande écrite, dont copie a été transmise à l'intimé.

[21]           Dans le cas qui nous occupe, et suivant la jurisprudence précitée, le protonotaire a accordé la prorogation de délai non pas de son propre chef, mais bien en réponse à une demande du Conseil à cet effet, demande contenue dans le dossier de réponse à la requête en contestation d’irrégularités.

[22]           De plus, la règle 59b) prévoit expressément que, lorsque la Cour conclut à l’inobservation des Règles par une partie suite à une requête présentée en vertu de la règle 58, elle peut « autoriser les modifications nécessaires pour corriger l’irrégularité ».

[23]           Ainsi, bien que le Conseil n’ait pas présenté une requête en prorogation de délai en bonne et due forme, il a néanmoins demandé la prorogation du délai pour pouvoir déposer son dossier de demande. Le protonotaire n’a pas erré en considérant la demande du Conseil, sa décision n’est pas incorrecte, et la Cour rejettera donc cet argument.

B.                Question 2 : La décision du protonotaire est-elle inéquitable?

[24]           La Cour doit ensuite déterminer si la décision du protonotaire est inéquitable, tel que le prétend M. Riverin. Tel qu’indiqué précédemment, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de l'erreur manifeste et dominante.

[25]           Le protonotaire a accepté l’explication du Conseil à l’effet qu’une erreur administrative expliquait son retard et son défaut de déposer son dossier de demande au plus tard le 16 janvier 2017. Par inadvertance, une adjointe administrative du bureau de ses procureurs aux prises avec des problèmes personnels a enregistré la date butoir au 23 janvier plutôt qu’au 16 janvier 2017.

[26]           Le protonotaire a considéré qu’il aurait été dans l’intérêt de la justice et de l’avancement du présent dossier pour les procureurs de M. Riverin d’allouer plus de temps au Conseil pour demander une prorogation de délai. Le protonotaire a noté le fait qu’il s’agissait du deuxième défaut du Conseil de respecter un délai, et a qualifié les remèdes recherchés par M. Riverin comme étant « sévères » et « beaucoup trop drastiques » dans le cadre d’une requête en contestation d’irrégularités.

[27]           Bien que la règle 59c) prévoie le pouvoir de la Cour d’annuler une instance, la règle 59b) prévoit quant à elle le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’autoriser les modifications nécessaires pour corriger l’irrégularité. Le protonotaire pouvait donc déterminer que le dossier de réponse du Conseil contenait des explications plausibles et raisonnables, propres à lui permettre de faire droit au dépôt du dossier de demande du Conseil (CP Ships Trucking Ltd c Kuntze, 2006 CF 215 au para 9; 2006 CF 1174 au para 90).

[28]           La Cour ne peut conclure que cette détermination est entachée d’une d’erreur manifeste et dominante, ni qu’elle est inéquitable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         L’appel est rejeté;

2.         Le tout sans frais.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1122-16

INTITULÉ :

LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT c YAN RIVERIN

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À MONTRÉAL, QUÉBEC, SUITE À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2017

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Kenneth Gauthier

pour le demandeuR(INTIMÉ)

François Boulianne

pour le défendeur(APPELANT)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kenneth Gauthier

Baie-Comeau (Québec)

pour le demandeur(INTIMÉ)

Neashish & Champoux

Wendake (Québec)

pour le défendeur(APPELANT)

 

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