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Date : 20170323


Dossier : IMM-4063-16

Référence : 2017 CF 308

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

JOCELYNE FILS-AIMÉ

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, une ressortissante haïtienne, se pourvoit en contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’une agente d’immigration [l’Agente] qui, le 31 août 2016, rejetait sa demande de résidence permanente pour considérations humanitaires soumise aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi].

[2]               La demanderesse est arrivée au Canada en mai 2015 afin de prêter assistance à un de ses fils, Vladimir Gelin, 37 ans et citoyen canadien, qui, entre 2011 et 2013, a été victime de deux accidents de voiture qui l’ont laissé avec des problèmes d’entorses cervicale et lombaire.  La demanderesse était alors munie d’un visa de résident temporaire émis en 2012 et valide jusqu’au 25 février 2017. Jusqu’à son arrivée au Canada, la demanderesse avait toujours vécu à Haïti, où vivent aussi son autre fils, Jean Richard Nicholas, sa fille, Nedji Mondésir, et son petit-fils, Wendji Mondésir.

[3]               La demande de résidence permanente de la demanderesse est essentiellement fondée sur les besoins de son fils, Vladimir Gelin, qui, selon la demanderesse, est le pilier de toute la famille.  La demanderesse estime sa présence au Canada, de même que celle, éventuelle, de sa fille et de son petit-fils, nécessaires pour venir en aide à Vladimir.

[4]               Cela n’a pas convaincu l’Agente qui a noté :

a.         l’absence de détails sur les soins que la demanderesse prodigue à son fils, dont l’état serait par ailleurs stable, et sur la présence possible d’autres personnes dans l’entourage de Vladimir qui pourraient lui apporter le soutien requis par sa condition;

b.         que c’est Vladimir qui soutient financièrement sa mère pendant qu’elle est au Canada, ce qui laisse entrevoir qu’il est de retour sur le marché du travail et que la nécessité de la présence de la demanderesse s’en trouve diminuée;

c.         que Vladimir soutient financièrement la demanderesse au détriment de sa propre santé, ce qui ne favorise pas la demande de résidence permanente de la demanderesse; et

d.         que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle se serait intégrée socialement depuis son arrivée au Canada;

[5]               La demanderesse reproche essentiellement à l’Agente d’avoir négligé d’examiner sa demande sous l’angle du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que le requiert, selon elle, même si Vladimir est âgé de 37 ans, l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy].

[6]               Je ne saurais souscrire à ce point vue.

[7]               Il importe de rappeler, d’entrée de jeu, que la décision de l’Agente doit être appréciée par la Cour suivant la norme de la décision raisonnable, ce qui suppose une retenue considérable envers les conclusions de fait et mixtes de fait et de droit tirées par l’Agente (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 18 [Kinasa]; Basaki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 166 au para 18).

[8]               Il importe aussi de rappeler (i) qu’une dispense accordée aux termes de l’article 25 de la Loi constitue une mesure exceptionnelle puisque la Loi prévoit que c’est de l’extérieur du Canada que le statut de résident permanent doit être sollicité, (ii) que les décisions rendues en ce domaine sont hautement discrétionnaires, (iii) qu’il n’appartient pas au décideur administratif de signaler au demandeur les lacunes de sa preuve de manière à lui permettre de les combler, et (iv) qu’ il n’appartient surtout pas à la Cour de soupeser à nouveau les facteurs pertinents lorsqu’elle contrôle l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (Abeleira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1340 aux para 12, 14 et 15 ; Nicayenzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 595 aux para 15, 16 et 25 ; Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 797 au para 11 ; Abdirisaq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 300 au para 3; Kinasa au para 45).

[9]               En l’espèce, l’argument fondé sur l’arrêt Kanthasamy constitue un faux débat puisque l’Agente a, de fait, considéré la demande de dispense sous l’angle de la situation vécue par Vladimir et que le défendeur reconnaît, à bon droit, qu’en certaines circonstances, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant peut trouver application dans des cas où « l’enfant » concerné a plus de 18 ans.

[10]           Ce que la demanderesse reproche plutôt à l’Agente, ultimement, c’est de ne pas avoir attribué suffisamment de poids à la condition médicale de Vladimir et au fait qu’elle serait la seule à pouvoir s’occuper de lui.  Or, à la lumière de la preuve qu’elle avait devant elle, je ne peux dire que les conclusions tirées par l’Agente sont déraisonnables à cet égard. D’une part, la preuve médicale au dossier remonte à 2013 et 2014 et rien n’appuie la lecture qu’en a faite la procureure de la demanderesse à l’audition du présent recours. D’autre part, comme l’a noté l’Agente, la preuve ne donne aucun détail sur la nature et l’étendue des soins requis par Vladimir. Enfin, comme l’Agente l’a également noté, rien dans la preuve ne permet de savoir si des personnes de l’entourage de Vladimir seraient en mesure de lui apporter le soutien que sa condition, quelle qu’elle soit, requiert.  Pourtant, la demanderesse est seulement arrivée au Canada en mai 2015, soit près de deux ans après que se soit produit le deuxième accident subi par Vladimir.  Si tant est que la situation l’exigeait, quelqu’un d’autre que sa mère a dû s’occuper de lui pendant cette période. Bref, l’Agente a jugé que la preuve de la condition médicale de Vladimir et des soins que celle-ci requiert était vague et ne pouvait se voir attribuer qu’un faible poids. Je ne saurais dire qu’elle a erré en concluant de la sorte.

[11]           Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve qui était devant le décideur administratif et d’en tirer ses propres conclusions, notamment quant au poids à attribuer aux différents facteurs entrant en ligne de compte dans l’analyse d’une demande de dispense soumise aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi. Là n’est pas son rôle (Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1312 au para 17, citant Negm c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 272 au para 34; Paniagua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1085 au para 8; Orellana Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 611 au para 14).

[12]           La demanderesse a bien tenté de parfaire et bonifier son dossier, notamment quant à l’état de santé actuel de Vladimir et la nature de l’assistance qu’elle lui prodigue, en produisant au soutien du présent recours une preuve additionnelle. Toutefois, comme le note à juste titre le défendeur, comme cette preuve n’était pas devant l’Agente, la Cour ne peut la considérer (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19).

[13]           Enfin, il n’y a aucun mérite à l’argument de la demanderesse suivant lequel l’Agente, si elle avait des réserves sur la qualité de la preuve produite au soutien de la demande de dispense, avait le devoir d’en signaler les lacunes à la demanderesse et de lui permettre d’y pallier. L’Agente n’avait pas cette obligation (Kinasa au para 45).

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale. Je ne vois pas non plus matière à certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4063-16

INTITULÉ :

JOCELYNE FILS-AIMÉ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 23 mars 2017

COMPARUTIONS :

Émilie Le-Huy

Pour la demanderesse

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Émilie Le-Huy

Avocate

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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