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Date : 20160722


Dossiers : T-1409-04

T-1890-11

Référence : 2016 CF 865

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

T-1409-04

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET

AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

APOTEX INC.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

T-1890-11

ENTRE :

ASTRAZENECA AB ET

AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

APOTEX INC.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Apotex Inc. [Apotex] a contrefait le brevet canadien no 1 292 693 [le brevet 693] et les parties procèdent maintenant à un renvoi visant à établir les dommages-intérêts ou les bénéfices d’Apotex qui seront accordés aux demanderesses [AstraZeneca], au choix d’AstraZeneca.

[2]               AstraZeneca a introduit le renvoi en présentant un énoncé des questions en litige, le 1er juin 2015. Cet acte de procédure a été modifié à trois reprises : le 28 juillet 2015, le 3 février 2016 et le 17 mai 2016. Les deux dernières modifications ont été faites avec le consentement d’Apotex.

[3]               Apotex a déposé son énoncé en réponse des questions en litige le 10 juillet 2015. Cet acte de procédure a été modifié à deux reprises : le 5 août 2015 et le 1er avril 2016. La dernière modification a été faite avec le consentement partiel d’AstraZeneca.

[4]               AstraZeneca a déposé son énoncé en réponse des questions en litige le 17 juillet 2015. Cet acte de procédure a été modifié à deux reprises : le 10 août 2015 et le 11 avril 2016.

[5]               Un des moyens de défense qu’Apotex a invoqués dans son énoncé en réponse des questions en litige est qu’au moment de la contrefaçon, elle disposait de produits de substitution non contrefaits [le moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits], ce qui réduirait, voire éviterait, les dommages-intérêts ou bénéfices auxquels AstraZeneca aurait droit en vertu du renvoi.

[6]               Le renvoi est fixé pour 30 jours à partir du 16 janvier 2017. AstraZeneca n’a pas encore arrêté son choix, entre les dommages-intérêts et une restitution des bénéfices, mais elle doit le faire d’ici le 12 août 2016. Les rapports d’expert devraient être échangés d’ici le 26 août 2016, et les rapports ultérieurs et rapports de réponse doivent être communiqués d’ici le 7 novembre 2016 et le 30 décembre 2016, respectivement.

[7]               Le 26 mai 2016, Apotex a demandé à AstraZeneca l’autorisation de modifier son moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits, énoncé au paragraphe 46 de son deuxième énoncé en réponse des questions en litige modifié. Le 9 juin 2016, AstraZeneca a informé Apotex qu’elle ne consentait pas aux modifications demandées. S’ensuivit la présente requête, dans laquelle il est demandé que les modifications suivantes, ainsi qu’elles sont soulignées et énoncées dans l’avis de requête modifié, soient apportées au paragraphe 46 :

[traduction]

46. De plus, et dans tous les cas, Apotex affirme être simplement tenue de comptabiliser les bénéfices supplémentaires qu’elle a perçus, le cas échéant, découlant de ses activités de contrefaçon, et non de quelque autre activité identique qui ne constitue pas de la contrefaçon. Apotex allègue n’avoir réalisé aucun bénéfice supplémentaire et affirme qu’AstraZeneca n’a subi aucun préjudice supplémentaire du fait de ses activités de contrefaçon, car Apotex disposait des produits de substitution non contrefaits suivants pendant toute la période pertinente :

a)         Retrait de l’hydroxyde de magnésium du noyau de la formulation d’Apotex avec ou sans : (i) une augmentation de la quantité de mannitol ou de quelque autre ingrédient inerte en remplacement et/ou (ii) l’application d’un sous-enrobage entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant, et/ou (iii) l’utilisation de conditions anhydres (c.-à-d. utilisation de solvants organiques à la place de l’eau);

b)         Substitution d’un liant en place, ou retrait, du poly(vinyl pyrrolidone) [PVP] du noyau de la formulation d’Apotex, avec ou sans le retrait de l’hydroxyde de magnésium. Un exemple de ce liant de substitution pourrait être l’hydroxypropylcellulose (HPC). Cependant, d’autres liants cellulosiques auraient également pu être utilisés;

c)         Remplacement du matériau d’enrobage dans la formulation d’Apotex, ou dans les formulations décrites aux paragraphes a) et b) ci-dessus, de manière à substituer le copolymère d’acide méthacrylique par un enrobage composé de phtalate d’hydroxypropylméthylcellulose, d’acétate-succinate d’hydroxypropylméthylcellulose ou de copolymère d’acide méthacrylique à base de méthanol;

(c.1) Utilisation des mêmes ingrédients et procédés que ceux utilisés par Apotex pour ses capsules d’Apo-omeprazole ou pour les formulations décrites aux paragraphes a), b) et c) ci-dessus, en remplaçant toutefois la granulation par voie humide par la granulation par voie sèche;

d)         Un microcomprimé dont le noyau contient de l’oméprazole ainsi qu’un ou plusieurs des ingrédients suivants : lactose (anhydre), carboxyméthylcellulose (réticulée), stéarate de magnésium, cellulose microcristalline, sulfate sodique de lauryle, oxyde de magnésium et silice sublimée; et dont l’enrobage gastrorésistant contient un ou plusieurs des ingrédients suivants : copolymère d’acide méthacrylique, phtalate d’hydroxypropylméthylcellulose, phtalate de poly(acétate de vinyle), acétate-succinate d’hydroxypropylméthylcellulose, bicarbonate de sodium et citrate d’éthyle;

e)         Utilisation du même procédé que celui utilisé par KUDCo aux États-Unis ou d’un procédé connexe qui n’inclut pas une couche intermédiaire entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant;

f)         Utilisation du même procédé que celui utilisé par Mylan aux États-Unis ou d’un procédé connexe qui n’inclut pas une couche intermédiaire entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant;

g)         Utilisation du même procédé que celui utilisé par Lek aux États-Unis ou d’un procédé connexe qui n’utilise pas de solvant durant la fabrication.

[8]               L’instruction de cette requête devait avoir lieu à Toronto, durant la séance générale de la Cour, dans l’après-midi du 12 juillet 2016. Ce matin-là, toutefois, Apotex a envoyé une lettre à la Cour l’avisant que [traduction] « Apotex ne souhait[ait] plus apporter les modifications indiquées au paragraphe 46d) de son énoncé en réponse des questions en litige ».

[9]               Par conséquent, les modifications maintenant demandées par Apotex ne concernent que les paragraphes 46b), c) et c.1), qui portent sur le moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits s’énonçant comme suit :

b)         Substitution d’un liant en place, ou retrait, du poly(vinyl pyrrolidone) [PVP] du noyau de la formulation d’Apotex, avec ou sans le retrait de l’hydroxyde de magnésium. Un exemple de ce liant de substitution pourrait être l’hydroxypropylcellulose (HPC). Cependant, d’autres liants cellulosiques auraient également pu être utilisés;

c)         Remplacement du matériau d’enrobage dans la formulation d’Apotex, ou dans les formulations décrites aux paragraphes a) et b) ci-dessus, de manière à substituer le copolymère d’acide méthacrylique par un enrobage composé de phtalate d’hydroxypropylméthylcellulose, d’acétate-succinate d’hydroxypropylméthylcellulose ou de copolymère d’acide méthacrylique à base de méthanol;

c.1)      Utilisation des mêmes ingrédients et procédés que ceux utilisés par Apotex pour ses capsules d’Apo-omeprazole ou pour les formulations décrites aux paragraphes a), b) et c) ci-dessus, en remplaçant toutefois la granulation par voie humide par la granulation par voie sèche;

[10]           Apotex a déposé un affidavit de Michael J. Cima, Ph. D., qui a examiné l’énoncé en réponse des questions en litige et celui proposé par la présente requête, et qui a confirmé que [traduction] « les changements mineurs ne nécessiteraient pas une méthode d’essai différente » [non souligné dans l’original]. L’avocat d’Apotex a indiqué que les modifications proposées avaient peut-être une [traduction] « plus grande incidence sur la méthode d’essai, mais que la méthode ne différait pas, même s’il y avait maintenant 13 [formulations à analyser], alors qu’il n’y en avait qu’une seule auparavant ».

[11]           Aux paragraphes 60 à 72 de son mémoire, Apotex fait valoir que l’autorisation de ces modifications ne causera aucun préjudice à AstraZeneca, car cette dernière [traduction« connaît depuis longtemps la portée du moyen de défense d’Apotex fondé sur les produits de substitution non contrefaits, comme l’indiquent les modifications proposées et les réponses qu’Apotex a fournies lors de l’interrogatoire préalable et sa divulgation à l’égard d’essais inter partes ».

[12]            Bien qu’Apotex aille trop loin lorsqu’elle affirme qu’AstraZeneca [traduction« connaît depuis longtemps » les éléments susmentionnés, il est manifeste toutefois qu’AstraZeneca connaissait la position d’Apotex qui se reflète dans bon nombre, sinon la totalité, des modifications qu’elle propose depuis déjà quelque temps.

[13]           AstraZeneca, citant Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 [Merck c. Apotex] et Teva Canada Limited v. Gilead Sciences Inc., 2016 FCA 176 [Teva c. Gilead], fait valoir que la question préliminaire que l’on doit se poser durant l’examen d’une requête en modification est la suivante : [traduction] « La modification proposée a-t-elle une possibilité raisonnable d’être accueillie? ».

[14]           Dans l’arrêt Merck c. Apotex, Apotex sollicitait la modification de sa défense, mais la Cour d’appel fédérale a estimé que ces modifications « ajouteraient un moyen de défense entièrement nouveau à la défense ». Dans cette affaire, Apotex avait précédemment reconnu que son produit, l’apo-lisinopril, constituerait une contrefaçon du brevet en cause, mais elle demandait maintenant la rétractation de cet aveu, car elle avait découvert que le composé actif du produit de Merck était le lisinopril dihydrate, un composé qui ne figurait pas dans le brevet. La Cour était d’avis que les modifications proposées « s’éloigneraient considérablement de la position qu’a fait valoir jusqu’à présent Apotex dans ses actes de procédure ».

[15]           AstraZeneca soutient que les modifications que propose Apotex en vertu de la présente requête introduiraient également un nouveau moyen de défense qui n’a encore jamais été invoqué par Apotex. Je ne puis accepter cette observation. Il est reconnu qu’Apotex a fait valoir depuis le début du litige concernant le brevet 693 qu’elle disposait de produits de substitution non contrefaits. En vertu des modifications qu’elle propose maintenant, Apotex cherche à augmenter le nombre de formulations pour les produits de substitution non contrefaits dont elle dispose. Il ne s’agit donc pas d’ajouter un nouveau moyen de défense, mais plutôt d’élargir les éléments de preuve sur lesquels Apotex souhaite fonder sa défense.

[16]           Dans l’arrêt Teva c. Gilead, quelque deux ans après que Teva a engagé une action afin que le brevet en cause soit déclaré invalide pour cause d’évidence, de double brevet, de portée excessive, d’absence d’utilité et d’ambiguïté, Teva a demandé qu’une modification soit apportée afin d’inclure une allégation selon laquelle le brevet avait été obtenu frauduleusement en induisant le Bureau des brevets en erreur, le brevet était donc invalide également pour ce motif. Le juge saisi des requêtes a conclu que les éléments de preuve présentés à l’appui de la requête n’étayaient pas la modification proposée et que celle-ci n’avait donc pas de possibilité raisonnable d’être accueillie. La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que les modifications proposées [traduction] « introduisent de nouveaux motifs pour appuyer la mesure de redressement demandée », ajoutant que [traduction] « si les motifs n’ont pas une possibilité raisonnable d’être accueillis, les autoriser dans le litige ne ferait que compliquer et prolonger l’instruction inutilement et sans raison ».

[17]           La situation dans Teva c. Gilead ne se compare pas à celle en l’espèce. En l’espèce, le moyen de défense fondé sur des produits de substitution non contrefaits est invoqué depuis le début. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, ce qui est nouveau ici, ce sont les éléments de preuve sur lesquels Apotex veut se fonder pour étayer cette défense. Si ce moyen de défense n’avait pas déjà été avancé et qu’Apotex souhaitait l’introduire à ce stade tardif, les observations formulées dans l’arrêt Teva c. Gilead seraient alors pertinentes. En bref, il serait alors approprié pour la Cour de se demander si le moyen de défense fondé sur des produits de substitution non contrefaits avait une possibilité raisonnable d’être accueilli.

[18]           AstraZeneca prétend que le même examen devait être fait en l’espèce et que la Cour devait se demander si la modification proposée visant l’ajout de nouvelles formulations pour prouver le moyen de défense fondé sur des produits de substitution non contrefaits a une possibilité raisonnable d’être accueillie. Elle ajoute toutefois que ce moyen de défense n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueilli, pour les deux motifs suivants. Premièrement, le propre protocole d’essai d’Apotex est tel que les essais de stabilité ne pourront être terminés avant la date de début du procès, de sorte qu’il sera impossible d’établir si les 13 formulations qui doivent être soumises aux essais constituent de véritables produits de substitution. Deuxièmement, AstraZeneca allègue qu’Apotex ne pourra établir, au moment de l’instruction, si l’une ou l’autre de ces nouvelles formulations aurait pu raisonnablement être prévue il y a douze ans, car elles n’ont été mises au point que récemment, comme l’indique la récente requête en modification.

[19]           Lorsque j’examine ces thèses, j’en viens à me demander si le critère de la « possibilité raisonnable d’être accueilli » est le point de départ qui convient lorsque la modification demandée ne vise ni l’introduction d’un nouveau moyen de défense ni la rétractation d’un aveu.

[20]           Il se pourrait bien qu’Apotex soit incapable, lors de l’instruction, de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’une ou plusieurs des 13 formulations ne constituent pas un véritable produit de substitution à cause de données non concluantes sur la stabilité des produits. Cependant, comme l’a indiqué l’avocat d’Apotex, c’est à lui qu’il incombe de régler ce problème et il pourrait avoir à produire des éléments de preuve d’expert indiquant que les essais de stabilité réalisés avant l’instruction montrent, pour un expert, qu’il est plus probable qu’improbable que la formulation soit stable. Le juge qui préside pourrait également conclure qu’aucune de ces 13 formulations ne constitue un produit de substitution non contrefait qu’Apotex « aurait » utilisé il y a 12 ans, car aucun élément de preuve n’indique qu’Apotex avait déjà envisagé l’une ou l’autre de ces formulations à l’époque puisque celles-ci sont de conception récente. Selon Apotex, la bonne question à poser pour déterminer si un produit constitue ou non un produit de substitution non contrefait est la suivante : [traduction] « Si vous essayez d’envisager la situation d’Apotex il y a 12 ans en fonction de ce qu’elle est aujourd’hui, croyez-vous qu’Apotex aurait à l’époque fabriqué exactement les mêmes produits de substitution que ceux qu’elle fabrique aujourd’hui? ». Il s’agit de questions de droit et de preuve que le juge qui préside sera le mieux en mesure de trancher. Il est impossible, à cette étape du processus, sans l’avantage du témoignage et du contre-interrogatoire d’un témoin et sans éléments de preuve attestant des résultats des essais, de faire une évaluation éclairée permettant de déterminer si les modifications proposées ont une possibilité raisonnable d’être accueillies.

[21]           À mon avis, la meilleure façon d’exprimer la question préliminaire, au moment d’examiner une requête en modification visant à élargir la portée des éléments de preuve disponibles pour étayer une défense existante, est celle énoncée par le protonotaire Lafrenière dans son ordonnance rendue le 8 avril 2011 dans cette même instance. En accueillant une requête présentée par AstraZeneca visant à modifier sa deuxième déclaration modifiée, le protonotaire a fait remarquer :

[traduction] Dans le cas d’une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier, la cour doit présumer de la véracité des faits allégués à l’appui de la modification proposée. En règle générale, une modification devrait être autorisée en tout temps, à moins qu’elle ne cause à la partie adverse une injustice qui ne peut être dédommagée par l’adjudication de dépens. Une modification doit toutefois être refusée dans le cas où elle ne résisterait pas à une requête en radiation. [Non souligné dans l’original.]

Cette décision a été confirmée en appel par le juge Mosley (2011 CF 598) et par la Cour d’appel fédérale lors d’un second appel (2012 CAF 68).

[22]           Apotex fait valoir, et je suis d’accord, qu’AstraZeneca ne réussirait pas à faire radier les modifications proposées si elles avaient figuré dans le premier énoncé en réponse des questions en litige, car, comme Apotex le mentionne, elle invoque depuis le début les produits de substitution non contrefaits sans objection de la part d’AstraZeneca. De plus, AstraZeneca n’a formulé aucune observation selon laquelle la modification demandée est à ce point déficiente qu’elle ferait l’objet d’une requête en radiation.

[23]           La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bauer Hockey Corp. c. Sports Maska inc. (Reebok-CCM Hockey), 2014 CAF 158, au paragraphe 15, a indiqué que les Règles des Cours fédérales prescrivent une « approche libérale » en matière de modification et que les principes que la Cour doit appliquer pour déterminer si une modification doit être autorisée sont énoncés dans Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 CF 3 (C.A.F.), au paragraphe 13 :

[M]ême s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

[24]           Dans l’arrêt Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il convenait d’appliquer le critère « exposé » dans la décision Continental Bank Leasing Corp c. La Reine, 1993 DTC 298, à la page 302 :

[J]e préfère tout de même examiner la question dans une perspective plus large : les intérêts de la justice seraient-ils mieux servis si la demande de modification ou de rétractation était approuvée ou rejetée? Les critères mentionnés dans les affaires entendues par d’autres tribunaux sont évidemment utiles, mais il convient de mettre l’accent sur d’autres facteurs également, y compris le moment auquel est présentée la requête visant la modification ou la rétractation, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant, ou dont la présence ou l’absence soit nécessairement déterminante. On doit accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le contexte de l’espèce. Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite.

[25]           Apotex doit d’abord établir que la modification proposée est nécessaire pour trancher la véritable question en litige entre elle et AstraZeneca. À mon avis, elle s’est acquittée de ce fardeau. L’avocat soutient que des [traduction] « centaines de millions de dollars » pourraient être en jeu dans le renvoi. S’il est accueilli, le moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits réduira le montant qu’Apotex sera tenue de payer; ce moyen de défense est l’une des principales questions en litige entre les parties, et elle se pose depuis le début.

[26]           Apotex doit ensuite démontrer à la Cour : (1) que la modification ne causera à AstraZeneca aucune injustice ni aucun préjudice qui ne pourraient être dédommagés par l’adjudication de dépens et (2) que la modification servirait les intérêts de la justice.

[27]           Apotex affirme qu’AstraZeneca ne subira aucun préjudice. Elle répondra à toute demande d’interrogatoire supplémentaire de la part d’AstraZeneca et elle ne demande aucune modification, ni prorogation, du calendrier actuellement prévu pour l’échange des avis d’essais expérimentaux et la présentation des rapports d’expert liés au moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits, et elle-même ne demande pas d’autre interrogatoire préalable. Apotex fait valoir ce qui suit :

[traduction] [T]oute plainte de préjudice ou de retard formulée par AstraZeneca ne peut satisfaire au seuil élevé établi à l’égard des préjudices non indemnisables. Cela vaut particulièrement lorsqu’on examine la question dans le contexte de la jurisprudence récente, selon laquelle des modifications peuvent être autorisées [traduction] « à un stade avancé du procès » ou même après le procès et le jugement. La récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 242, est pertinente à cet égard.

[28]           AstraZeneca soutient que [traduction] « la portée des modifications proposées nécessiterait un interrogatoire préalable exhaustif ». Au paragraphe 68 de son mémoire des arguments, elle écrit qu’il [traduction« existe des milliers de nouveaux produits de substitution non contrefaits ». Il aurait pu en être ainsi si Apotex avait maintenu la modification proposée au paragraphe 46d), mais ce n’est plus le cas. En fait, les deux parties conviennent que les modifications proposées ne portent que sur 13 nouvelles formulations énumérées dans l’avis d’essai présenté par Apotex juste avant le dépôt de la présente requête.

[29]           Aucune partie n’a présenté d’élément de preuve permettant d’établir l’étendue de l’interrogatoire préalable qui serait nécessaire si les modifications étaient autorisées. Il est évident que certains interrogatoires préalables supplémentaires seront nécessaires, mais la Cour ne peut, sans éléments de preuve, accepter la prétention d’AstraZeneca selon laquelle l’étendue de l’interrogatoire préalable aurait pour effet, soit de retarder le procès, soit de restreindre son droit à un interrogatoire préalable.

[30]           En plus de l’interrogatoire préalable supplémentaire que les modifications pourraient occasionner, celles-ci nécessiteront également des essais supplémentaires. Selon l’avis d’essai signifié par Apotex, une période d’un mois environ sera requise pour ces essais. Ce délai n’est pas excessif au point de conclure que les essais auront une incidence importante sur les mesures à prendre dans le cadre du litige ou sur la date du procès.

[31]           Le meilleur argument avancé par AstraZeneca concernant le préjudice est qu’elle pourrait ne pas terminer les nouveaux interrogatoires préalables requis avant le 12 août 2016, date limite à laquelle elle doit fait connaître son choix, entre les dommages-intérêts et les bénéfices d’Apotex. Dans son ordonnance prononcée le 9 décembre 2013, la protonotaire a indiqué qu’AstraZeneca [traduction] « n’a pas à choisir avant d’avoir mené tous les interrogatoires préalables et obtenu tous les documents nécessaires sur toutes les questions en litige énoncées au paragraphe 1 ci-dessus ». Les questions en litige ainsi établies portent sur [traduction] « le quantum des dommages-intérêts découlant de toute contrefaçon », sur les « bénéfices de la défenderesse découlant de toute contrefaçon » et sur « l’usage expérimental et réglementaire invoqué en défense par la défenderesse ». On note toutefois qu’aucun élément de preuve présenté à la Cour n’indique qu’il est impossible ou improbable de terminer les interrogatoires préalables supplémentaires requis avant le 12 août 2016, et rien n’indique que cette date ne pourrait pas être reportée, au besoin, par le juge qui préside, à une date ultérieure, sans que cela compromette la date du procès fixée pour janvier 2017.

[32]           Étant donné l’engagement d’Apotex de pleinement collaborer à tout interrogatoire préalable supplémentaire, ainsi qu’à l’absence d’éléments de preuve indiquant que ces interrogatoires auront une incidence sur le calendrier actuel, si ce n’est peut-être sur la date à laquelle AstraZeneca devra faire connaître son choix – date qui pourra être reportée au besoin sans que cela n’ait d’incidence, la Cour est convaincue qu’Apotex a démontré qu’AstraZeneca ne subira aucun préjudice qui ne pourrait être dédommagé par l’adjudication de dépens.

[33]           AstraZeneca fait valoir que les modifications proposées ne servent pas les intérêts de la justice, car elles sont [traduction] « radicales et inopportunes, et la conduite d’Apotex milite contre leur autorisation ».

[34]           Selon AstraZeneca, le fardeau pour la partie qui présente la requête est plus lourd lorsqu’il y a un changement radical : Merck c. Apotex et Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 [BMS]. Cependant, il ressort du paragraphe 5 de l’arrêt BMS, que le fardeau est plus lourd non seulement parce que les modifications proposées constituent un « changement radical », mais aussi parce qu’elles « auraient pour conséquence un changement radical de la nature des questions en litige » [non souligné dans l’original]. La Cour a conclu que la rétractation d’un aveu important dans l’arrêt Merck c. Apotex et la présentation d’un nouveau moyen de défense dans BMS constituaient dans chaque cas un changement radical de la nature des questions en litige. Comme l’existence de produits de substitution non contrefaits constitue depuis le début de la présente action une importante question en litige, je ne peux conclure, comme le demande AstraZeneca, que l’ajout de quelque 13 différents produits de substitution non contrefaits possibles modifie la nature des questions en litige, sans preuve à l’appui. En l’espèce, AstraZeneca n’a fourni aucune preuve à cet effet, et l’expert d’Apotex affirme que son examen des formulations des produits de substitution non contrefaits, avant et après les modifications, l’amène à confirmer qu’il s’agit de [traduction] « changements mineurs ».

[35]           Quoi qu’il en soit, la situation en l’espèce diffère de celle dans l’arrêt BMS, où le procès devait débuter environ six mois plus tard et où les parties voulaient introduire des moyens de défense entièrement nouveaux, près de dix ans après le début de l’instance. Dans cette affaire, contrairement à la situation en l’espèce, la partie ayant présenté la requête soutenait qu’elle demanderait d’autres interrogatoires préalables et affidavits de la part de la partie opposée. En l’espèce, c’est la partie opposée qui demandera cela. AstraZeneca fait valoir que les modifications proposées [traduction] « nécessiteraient des interrogatoires préalables exhaustifs », mais ne présente aucun élément de preuve pour étayer cette simple affirmation dans son mémoire. Ainsi qu’il a été mentionné, la Cour ne dispose d’aucun élément permettant de conclure que les dates prévues pour les étapes préalables à l’instruction, et encore moins la date du procès, devront être modifiées pour s’acquitter du « fardeau » lié aux interrogatoires préalables supplémentaires. Si AstraZeneca était d’avis contraire, elle aurait pu, et aurait dû, déposer un affidavit à cet effet d’une personne qui connaissait bien le présent litige. Comme elle ne l’a pas fait, il n’est pas inéquitable pour la Cour de tirer la conclusion qu’une telle déclaration ne pourrait être faite sous serment.

[36]           AstraZeneca affirme que la requête en modification n’est pas opportune, compte tenu du stade auquel en est rendu le présent litige. Encore une fois, elle fait valoir que d’autres interrogatoires préalables et essais devront être menés; cependant, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la Cour n’est pas convaincue que ces interrogatoires supplémentaires ne peuvent être réalisés selon le calendrier actuel du procès, ni que les essais nécessiteront plus de 30 jours supplémentaires, de sorte qu’ils pourront être intégrés au calendrier actuel.

[37]           AstraZeneca invoque également la conduite d’Apotex dans la présente instance et allègue que son moyen de défense fondé sur des produits de substitution non contrefaits a changé jusqu’à la date à laquelle la requête a été instruite. Malgré le bien-fondé de cette observation, la Cour conclut que l’avis d’essai (des 13 formulations), signifié par Apotex quelques jours avant le dépôt de la présente requête, indique de façon précise les formulations sur lesquelles Apotex se fondera pour étayer son moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits. La date de cet avis a été fixée par le juge qui préside, qui connaissait la date prévue du procès. Les parties connaissaient depuis longtemps les paramètres du moyen de défense fondé sur les produits de substitution non contrefaits, en regard des formulations devant être testées pour fournir des éléments de preuve à l’appui de ce moyen de défense. Par conséquent, bien que, dans une certaine mesure, l’éventail exact des formulations ait toujours quelque peu varié, les modifications demandées occasionnent peut-être de plus grands changements.

[38]           Je conclus qu’Apotex s’est acquittée de son fardeau en l’espèce, et la requête sera accueillie. Je n’adjuge pas à Apotex les dépens qu’elle a demandés. Le retrait très tardif de sa modification proposée au paragraphe 46d), et les changements qui en ont résulté, ne justifient pas l’adjudication de dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE qu’Apotex soit autorisée à soumettre un nouvel énoncé en réponse des questions en litige modifié, qui suivra le modèle établi à l’annexe A de son avis de requête modifié, à l’exception des modifications proposées au paragraphe 46d) qui ont été retirées.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1409-04

INTITULÉ :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AL. c. APOTEX INC.

ET DOSSIER :

T-1890-11

INTITULÉ :

ASTRAZENECA AB ET AL. c. APOTEX INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 JUILLET 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Mark Biernacki

Abigail Smith

 

Pour les DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

 

Pour la DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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