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Date : 20170404

Dossier : IMM-3138-16

Référence : 2017 CF 340

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 avril 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

DAVID SHTJEFHILAJ,

LINDITE SHTJEFHILAJ,

DIANA SHTJEFHILAJ ET

ORNELA SHTJEFHILAJ (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE,

DAVID SHTJEFHILAJ)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente principale d’immigration (l’agente) le 11 juin 2016 (la première décision). La première décision a été complétée par une lettre datée du 19 juillet 2016 (la lettre de mise à jour) et par une note rédigée le même jour (la note) (collectivement, la décision). Dans cette décision, l’agente rejetait la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  La note

[2]  Les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 9 octobre 2015; elle a été initialement refusée dans la première décision. Cependant, les demandeurs ont changé d’avocat et présenté des observations supplémentaires (les observations supplémentaires) datées du 13 juillet 2016. La lettre de mise à jour indiquait que les observations supplémentaires avaient été acceptées et prises en compte, mais que le refus était maintenu. La note comportait les motifs à l’appui de la lettre de mise à jour.

[3]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été mise en état le 30 septembre 2016. Cependant, les demandeurs n’avaient alors pas reçu la note puisqu’elle n’était pas comprise dans la réponse à la demande présentée conformément à l’article 9 des Règles (la demande). Ils n’ont reçu la note que le 26 octobre 2016, lorsque le défendeur a déposé un affidavit de l’agente signé le 24 octobre 2016. Cet affidavit incluait la note et indiquait que l’agente l’avait préparée le 19 juillet 2016. Les demandeurs n’ont donc pas reçu la décision intégrale avant de présenter leur demande mise en état et de déposer leur mémoire des faits et du droit. Ils n’ont toutefois subi aucun préjudice puisqu’ils ont déposé un mémoire en réponse le 4 novembre 2016. Ce mémoire portait sur l’ensemble de la décision, y compris la note.

III.  La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[4]  Le demandeur principal et sa femme sont citoyens de l’Albanie. Leurs deux filles, Diana (19 ans) et Ornela (16 ans) sont citoyennes des États-Unis.

[5]  Dans la première décision, l’agente a mentionné que le seul élément de preuve dont elle disposait indiquait que le mari et la femme travaillaient comme cuisinier et serveuse depuis 2013 et 2015, respectivement. L’agente a conclu que les demandeurs avaient [traduction] « atteint un certain niveau d’établissement par leur emploi et leurs amitiés au sein de leur collectivité […], mais que ce niveau ne dépassait pas ce à quoi on s’attendrait au bout de quatre ans au Canada ».

[6]  Dans la note, l’agente a exposé les éléments de preuve fournis avec les observations supplémentaires. Il y avait des lettres rédigées par des employeurs et des amis, une lettre du pasteur de l’église fréquentée par la famille, une lettre d’un parent, une lettre du concierge de l’immeuble où ils résidaient, des documents relatifs à l’impôt sur le revenu et des relevés bancaires, le relevé de notes d’Ornela et une lettre de référence de son enseignant, ainsi que des rapports sur la situation régnant dans le pays.

[7]  L’agente a conclu que, même si les demandeurs avaient un emploi, étaient financièrement autonomes et avaient des amis dans la collectivité, leur établissement ne dépassait tout de même pas [traduction] « ce à quoi on s’attendrait ».

[8]  Une travailleuse sociale, qui a interrogé Ornela à deux reprises, a résumé dans son rapport (le rapport) les préoccupations de la jeune fille quant à un déménagement en Albanie. Elle était entre autres préoccupée à l’idée de perdre ses amis et craignait que la barrière linguistique l’empêche de se faire de nouveaux amis et de réussir à l’école. Elle avait peur d’obtenir de moins bons résultats et d’avoir, par conséquent, de moins bonnes possibilités d’études et de carrière. Elle s’inquiétait également de perdre le soutien important de sa sœur aînée, Diana, qui prévoyait fréquenter le Humber College de Toronto. Dans son rapport, la travailleuse sociale a indiqué que, selon elle, Ornela était à une étape de son développement à laquelle elle avait besoin du soutien de ses pairs.

[9]  L’agente a noté que l’Albanie avait un système d’écoles publiques et qu’Ornela, étant citoyenne américaine, pourrait revenir aux États-Unis pour ses études postsecondaires. L’agente a affirmé que puisque les deux parents d’Ornela parlent couramment l’albanais, la jeune fille [traduction] « doit comprendre et parler albanais dans une certaine mesure ». L’agente a jugé que l’adaptation d’Ornela à la vie en Albanie n’était [traduction] « pas impossible », puisqu’elle aurait le soutien de sa famille et avait déjà prouvé sa résilience face au changement lorsqu’elle a déménagé au Canada. Elle a conclu qu’Ornela pouvait entretenir ses amitiés canadiennes à distance grâce à la technologie. Dans la note, l’agente a indiqué que la famille pourrait, de retour en Albanie, se tourner vers l’enseignement privé ou le tutorat pour Ornela, et elle a répété sa conclusion selon laquelle la qualité de vie de la famille en Albanie ne serait pas inférieure au point de compromettre le bien-être d’Ornela.

IV.  Les questions en litige

  1. Le défaut de fournir la note avant la mise en état de la demande a-t-il constitué un manquement à l’équité procédurale?

  2. L’analyse des questions relatives à l’établissement était-elle raisonnable?

  3. L’analyse de l’intérêt supérieur d’Ornela était-elle raisonnable?

V.  Analyse et conclusions

A.  Le défaut de fournir la note avant la mise en état de la demande a-t-il constitué un manquement à l’équité procédurale?

[10]  Les demandeurs craignaient que la note ait pu être préparée après la mise en état de leur demande d’autorisation. Cependant, puisque j’accepte que la note a été rédigée le 19 juillet 2016, comme l’a indiqué l’agente, je ne constate aucun manquement à l’équité procédurale.

B.  L’analyse des questions relatives à l’établissement était-elle raisonnable?

[11]  Les lettres de soutien fournies par les demandeurs montrent qu’ils travaillent dur, subviennent à leurs besoins et sont intégrés dans leur collectivité. Ils sont appréciés de leurs employeurs, de leurs amis, de leur famille et des membres de leur église. Leurs filles sont très appréciées de leurs amis et de leur famille, et un enseignant de l’école d’Ornela a exprimé son respect et son admiration pour elle. En résumé, les éléments de preuve démontrent qu’il s’agit d’une famille heureuse, sérieuse et bien adaptée. L’agente reconnaît que ce degré d’établissement est un facteur positif, mais qu’il n’est pas exceptionnel puisque c’est ce à quoi on s’attendrait au bout de quatre ans.

[12]  Les demandeurs attaquent cette conclusion en reprochant à l’agente de n’avoir pas précisé ce qui constituerait un degré d’établissement exceptionnel. Cependant, n’oublions pas que la question n’est pas le degré d’établissement des demandeurs. La question est plutôt de déterminer si leur degré d’établissement, quel qu’il soit, est tel que, s’ils devaient quitter le Canada, ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives dépassant les difficultés normalement associées à un départ. À mon avis, lorsque l’agente a indiqué que le degré d’établissement correspondait à ce à quoi on s’attendrait, ce qu’elle a voulu dire et a réellement dit était que leur situation était ordinaire et que rien à leur sujet ne satisfait au critère des difficultés. Autrement dit, ils subiraient les effets normaux d’une séparation, c’est-à-dire la perte de leurs emplois et de leurs amis. Au vu des faits de l’espèce, j’ai conclu que cet aspect de la décision était raisonnable.

C.  L’analyse de l’intérêt supérieur d’Ornela était-elle raisonnable?

[13]  Le seul enfant en cause est Ornela et, à mon avis, l’analyse de son intérêt supérieur était déraisonnable, car irréaliste. Par exemple, l’hypothèse de l’agente selon laquelle Ornela parlait l’albanais était sans fondement, d’autant plus que le rapport précisait que la barrière linguistique tracassait la jeune fille. Il était en outre déraisonnable de la part de l’agente de se fonder sur le déménagement d’Ornela du Michigan en Ontario pour juger qu’elle est résiliente et capable de composer avec un déménagement du Canada en Albanie. Les deux déménagements ne sont pas comparables.

[14]  La conclusion du rapport selon laquelle un retour en Albanie aurait [traduction] « des répercussions très néfastes sur Ornela » était en grande partie fondée sur la barrière linguistique qui l’empêchera de se faire facilement des amis à une étape de son développement où elle a besoin du soutien de ses pairs. L’agente a répondu à cette préoccupation en suggérant qu’Ornela utilise Internet pour garder des liens avec ses amis canadiens. À mon avis, il n’est pas raisonnable de conclure que des adolescents canadiens prendront le temps nécessaire pour maintenir une amitié avec Ornela alors qu’il est peu probable qu’ils la revoient.

[15]  Enfin, bien qu’aucun critère ne soit établi pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, je juge déraisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il n’y aura d’effet négatif sur l’intérêt supérieur d’Ornela que si son bien-être est [traduction] « compromis » en Albanie ou s’il est [traduction] « impossible » pour elle de s’adapter à la vie dans ce pays.

VI.  Conclusion

[16]  La demande sera accueillie.

VII.  Question à certifier

[17]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être réexaminée par un autre agent.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3138-16

INTITULÉ :

SHTJEFHILAJ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2017

COMPARUTIONS :

H. J. Yehuda Levinson

Pour les demandeurs

Tessa Cheer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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