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Date : 20170331


Dossier : T-2064-15

Référence : 2017 CF 338

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

YACINE AGNAOU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande en contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 9 novembre 2015 par Monsieur Joe Friday, le commissaire à l’intégrité du secteur public [commissaire], rejetant la plainte de représailles déposée le 5 janvier 2013 par le demandeur auprès du Commissariat à l’intégrité du secteur public [CISP].

I.                   Cadre législatif

[2]               L’article 19 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 [Loi] interdit d’exercer des représailles contre un fonctionnaire, ou d’en ordonner l’exercice. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le mot « représailles » comme l’une ou l’autre des mesures ci-après prises à l’encontre d’un fonctionnaire pour le motif qu’il a fait une divulgation protégée ou pour le motif qu’il a collaboré de bonne foi à une enquête menée sur une divulgation ou commencée au titre de l’article 33 de la Loi :

a) toute sanction disciplinaire;

b) la rétrogradation du fonctionnaire;

c) son licenciement et, s’agissant d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada, son renvoi ou congédiement;

d) toute mesure portant atteinte à son emploi ou à ses conditions de travail;

e) toute menace à cet égard.

[3]               Avec l’entrée en vigueur de la Loi, le 15 avril 2007, il est devenu possible pour un fonctionnaire travaillant dans le secteur public de faire une divulgation protégée visant toute une série d’actes répréhensibles : l’usage abusif des fonds ou des biens publics; les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public; le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement; la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu de la Loi et le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un de ces actes répréhensibles (paragraphe 2(1), « acte répréhensible », « divulgation protégée », « fonctionnaire », « secteur public »; article 8, alinéas b) à f) de la Loi).

[4]               De fait, les divulgations peuvent être effectuées à différents moments et à différents échelons : à l’interne, à savoir à un supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur du ministère ou de l’organisation (article 12); à l’externe, à savoir au commissaire (article 13), ou, s’il n’y a pas suffisamment de temps pour faire la divulgation d’une infraction grave à une loi fédérale ou d’un risque imminent, grave et précis, la divulgation peut être faite publiquement (paragraphe 16(1)). À ce chapitre, en tant qu’agent indépendant du Parlement, le commissaire joue un rôle fondamental de chien de garde en enquêtant non seulement sur les divulgations d’actes répréhensibles qu’il a reçues de fonctionnaires (article 13), mais également sur tout autre acte répréhensible dont il peut avoir appris l’existence dans le cadre d’une enquête ou après avoir pris connaissance de renseignements lui ayant été communiqués par une personne autre qu’un fonctionnaire (article 33). Mais le régime de divulgation demeurerait lettre morte si la Loi n’assurait pas du même coup la protection des fonctionnaires divulgateurs.

[5]               Voilà pourquoi que, de manière distincte, la Loi permet au commissaire de tenir des enquêtes (articles 19.7 à 19.9), de faire de la conciliation (articles 20 à 20.2), et de référer au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada [Tribunal], une plainte de représailles formulée par un fonctionnaire en vertu de l’article 19.1 de la Loi si, après réception du rapport d’enquête prévu à l’article 20.3 de la Loi, il est d’avis que cela est justifié (article 20.4). En pareil cas, le commissaire peut demander au Tribunal de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant et, le cas échéant : a) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant (alinéa 20.4(1)a) de la Loi); b) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant et la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de la personne ou des personnes identifiées dans la demande comme étant celles qui ont exercé les représailles (alinéa 20.4(1)a) de la Loi). Évidemment, le succès du régime de protection dépend de la célérité des enquêtes du commissaire et de la confiance des intervenants dans les mécanismes de réparation.

[6]               Du reste, la création du Tribunal – un tribunal spécialisé et indépendant chargé de déterminer si des représailles ont eu lieu et d’accorder une réparation appropriée qui peut inclure la prise de mesures disciplinaires contre toute personne ayant exercé des représailles – constitue une approche très différente des modèles traditionnels en matière de relations de travail (voir notamment El-Helou et Service administratif des tribunaux judiciaires, Power et Delage, 2011 CanLII 93945 (CA TPFD), 2011-TP-01 au para 48 [El-Helou 1]). L’importance que revêt la demande du commissaire, une fois formulée au Tribunal, ne vient pas du fait qu’elle prouve la véracité de son contenu, car ce n’est pas le cas. Il n’empêche, la demande du commissaire en vertu de l’article 20.4 de la Loi est capitale parce qu’elle permet au Tribunal d’exercer sa fonction décisionnelle et, le cas échéant, d’accorder une réparation appropriée (articles 21.7 et 21.8). En matière de représailles, le Tribunal, contrairement au commissaire, a le pouvoir d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment, et à produire les pièces qu’il juge indispensables à l’examen complet de la demande du commissaire, au même titre qu’une cour supérieure d’archives (alinéa 21.2(1)a) de la Loi). De plus, ce sont des juges de la Cour fédérale ou d’autres cours supérieures qui siègent au Tribunal. Ces derniers sont donc particulièrement bien placés pour trancher toute question de preuve ou de droit pouvant se soulever dans le cadre de la demande du commissaire.

[7]               Faut-il le rappeler, le rôle du commissaire n’est pas de décider de la crédibilité des personnes impliquées ou de trancher des questions épineuses de droit, mais plutôt de décider s’il y a un fondement objectif justifiant que la plainte de représailles soit instruite au mérite par le Tribunal. Ainsi, sous couvert de tenir une enquête sur une plainte de représailles (articles 19.3  à 19.7), l’enquêteur, qui présente son rapport et ses recommandations au commissaire, ne doit pas usurper la fonction adjudicative du Tribunal (El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011 CanLII 93947 (CA TPFD), 2011-TP-04 au para 43 [El-Helou 4]). Au risque de me répéter, le commissaire agit comme un filtre et non comme un bouclier des plaintes de représailles autrement recevables. Il faut en effet lire l’alinéa 20.4(3)a) en corrélation avec le paragraphe 19.1(1), qui dicte qu’un fonctionnaire ou ancien fonctionnaire peut déposer une plainte lorsque ce dernier « a des motifs raisonnables de croire qu’il a été victime de représailles ». C’est dans ce contexte que le commissaire doit se demander s’« il y a des motifs raisonnables de croire que des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant » (alinéa 20.4(3)a)). Cela étant dit, l’expression « motifs raisonnables de croire » renvoie à un seuil de preuve moins exigeant que la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » qui s’applique habituellement dans les procès civils et devant de nombreux tribunaux administratifs, incluant le Tribunal (El-Helou 4 aux paras 34-46).

[8]               Par analogie, dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, [2005] ACS no 39 au para 114 [Mugesera], la Cour suprême du Canada précise que la norme des « motifs raisonnables [de penser] » que l’on retrouvait à l’alinéa 19(1)j) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, « exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile », alors que « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ». De plus, comme le souligne également la Cour suprême, « il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit », et à cet égard, la norme des « motifs raisonnables » « ne s’applique qu’aux questions de fait » (Mugesera au para 116).

[9]               D’autre part, l’existence de « motifs raisonnables » n’est pas le seul facteur conditionnant l’exercice de la discrétion du commissaire. Parmi les autres facteurs pertinents mentionnés par le législateur au paragraphe 20.4(3) de la Loi, le commissaire est invité à se demander si l’enquête relative à la plainte ne peut être terminée faute de collaboration d’un administrateur général ou de fonctionnaires (alinéa 20.4(3)b)); si les motifs déjà mentionnés pour refuser de recevoir la plainte s’appliquent (article 19.3 et alinéa 20.4(3)c)); et, s’il est dans l’intérêt public de présenter une demande au Tribunal compte tenu des circonstances relatives à la plainte.

[10]           En l’espèce, la décision contestée a été prise sous l’autorité de l’article 20.5 de la Loi, qui permet au commissaire, après réception du rapport d’enquête préparé par l’enquêteur en vertu de l’article 20.3 de la Loi, de rejeter une plainte de représailles s’il « est d’avis, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l’instruction de celle-ci par le Tribunal n’est pas justifiée », d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte factuel et chronologie des décisions rendues en rapport avec la divulgation protégée et la plainte de représailles du demandeur

[11]           En substance, le demandeur reproche à son ancien employeur, le Service des poursuites pénales du Canada [SPPC], d’avoir exercé des représailles le 10 septembre 2012 suite à la divulgation protégée qu’il a faite à ses supérieurs à l’hiver 2009 (interne), puis en octobre 2011 au CISP (externe), « du cas grave de mauvaise gestion ayant trait au Dossier A (c.f. PSIC-2011-D-1422) ».

[12]           S’agissant de la mesure de représailles dont il dit avoir été victime, le demandeur mentionne dans sa plainte :

Le 18 juin 2012, je fais valoir auprès du SPCC mon droit de priorité pour combler un des deux postes d’avocat-conseil de niveau LA-2B à son administration centrale. Les deux postes en question avaient été affichés le 15 juin 2012 par la haute direction du ministère, laquelle annonçait avoir décidé de les combler par deux de ses employés qualifiés dans un bassin créé depuis juillet 2009. Or, à cette date, je bénéficiais d’un droit de priorité actif depuis le 1er novembre 2010 qui me donnait une priorité de nomination à partir de ce bassin auquel je m’étais aussi qualifié et qui avait donné lieu à six nominations auparavant (la dernière candidature retenue avant celles en litige ayant été affichée le 17 octobre 2010).

La haute direction du SPPC manœuvra pendant les semaines qui suivront pour usurper l’emploi auquel j’avais pourtant un droit clair. J’avais pour ma part très rapidement compris que les dirigeants du SPPC rechercheront par tous les moyens à m’empêcher d’occuper une fonction dans « leur » organisation en raison de ma divulgation du cas du dossier [A] (c.f. votre dossier PSIC-2011-D-1422). Ainsi, dès le 20 juin 2012, j’alerte la direction des priorités de la Commission de la fonction publique (CFP) dans l’espoir qu’elle protège mes droits. Celle-ci m’avait alors informé que les dirigeants du SPPC avaient été avisés qu’aucune nomination à partir du bassin ne se ferait avant la mienne.

Malheureusement, la direction des priorités de la CFP ne pourra rien faire de plus contre la détermination de la haute direction du SPPC à m’empêcher d’accéder à mon poste. C’est ainsi que, le 13 septembre 2012, le Directeur général des ressources humaines du SPPC m’informe que la décision de combler les deux postes par reclassification et non par l’intermédiaire du bassin était irrévocable et a été prise solidairement par la haute direction du SPPC (i.e. le Directeur des poursuites pénales et ses deux Directeurs adjoints).

[13]           Le demandeur précise également dans sa plainte que les personnes suivantes seraient responsables des représailles : Me Brian Saunders, Directeur des poursuites pénales; Me George Dolhai, Directeur adjoint et avocat général principal; Me André A. Morin, Procureur fédéral en chef; et Monsieur Denis Desharnais, Directeur général, Direction générale des ressources humaines. Plus spécifiquement, ces individus auraient procédé à la reclassification des deux postes en question dans le but d’éviter de nommer le demandeur – alors bénéficiaire d’un statut de priorité de nomination – dans l’un de ceux-ci, et ce, parce que le demandeur a fait une divulgation protégée (interne et externe).

[14]           Ce n’est pas la première fois qu’une décision du commissaire prise à l’égard de la plainte de représailles du demandeur fait l’objet d’un examen judiciaire (voir le dossier T‑429‑13/A‑110-14). Rappelons que le 12 février 2013, suite à un examen sommaire par un analyste du CISP, Monsieur Friday, qui coiffait alors le titre de sous-commissaire, avait refusé de statuer sur la plainte au motif que celle-ci débordait de sa compétence – ce qui constitue un motif d’irrecevabilité en vertu de l’alinéa 19.3(1)c) de la Loi – et ce, bien qu’il ait été par ailleurs satisfait que les reclassifications en question puissent constituer une mesure de « représailles », telle que définie au paragraphe 2(1) de la Loi. D’une part, le sous-commissaire concluait que les courriels invoqués par le demandeur (notamment ceux échangés les 1er et 2 avril 2009) ne sauraient constituer une divulgation interne au sens de l’article 12 de la Loi parce qu’il n’y avait aucune mention spécifique d’actes répréhensibles, tel que définis à l’article 8 de la Loi. D’autre part, la deuxième condition prévue à la définition de « représailles » (paragraphe 2(1) de la Loi), n’était pas « satisfaite » étant donné que le demandeur n’avait pas démontré comment ses gestionnaires auraient pu être au courant de l’existence de la divulgation protégée qu’il avait faite le 13 octobre 2011 au commissaire (dossier PSIC-2011-D-1422 qui réfère lui-même à la divulgation interne faite durant l’hiver 2009 relativement au Dossier A dont il est question plus loin dans les présents motifs aux paras 23-27), Ainsi, le commissaire explique dans sa lettre du 12 février 2013 qu’il « refuse de statuer sur [la] plainte, en vertu de l’alinéa 19.3(1)c) de la Loi car il n’y a aucun lien entre [la] divulgation protégée et la mesure de représailles prétendument prise contre [le demandeur] ».

[15]           Le demandeur a demandé la révision judiciaire de cette première décision négative du sous-commissaire. Suite au jugement défavorable rendu par le juge Annis le 27 janvier 2014 (Agnaou c Canada (Procureur général), 2014 CF 87, [2014] ACF no 117), le 2 février 2015, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du demandeur (Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 29, [2015] ACF no 116 [Agnaou CAF 29]). Essentiellement, la Cour d’appel fédérale a statué que le commissaire ne doit rejeter sommairement une plainte en matière de représailles que lorsqu’il est évident et manifeste qu’elle est irrecevable pour un des motifs décrits au paragraphe 19.1(3) de la Loi (Agnaou CAF 29 aux paras 66-69). La question était donc de savoir si le commissaire pouvait raisonnablement conclure qu’il est évident et manifeste que les courriels mentionnés par le demandeur ne peuvent constituer une divulgation interne au sens de l’article 12. À ce chapitre, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un divulgateur n’a pas à invoquer la Loi dans sa communication à son supérieur hiérarchique ni à mentionner la définition d’actes répréhensibles, l’article 12, le commissaire ou quelque autre organisme, pour que l’on puisse conclure qu’il a fait une divulgation interne au sens de l’article 12. Bref, la Loi ne requiert pas que le fonctionnaire communique le fait qu’il est en train de faire une divulgation au sens de la Loi (Agnaou CAF 29 au para 75).

[16]           Quant à la nature de la divulgation d’actes répréhensibles, dans les motifs de jugement fournis par la juge Gauthier, il est précisé au paragraphe 88 :

L’expression « cas graves de mauvaise gestion » utilisée à l’article 8 de la Loi n’est pas définie dans la Loi et dépend bien entendu de l’organisation impliquée. Ici, compte tenu de la nature même du mandat du SPPC, le dossier est somme toute assez inhabituel, et il est plus difficile de cerner les paramètres exacts de ce qui pourrait constituer un tel acte répréhensible. L’intérêt public est souvent une considération importante dans la décision d’intenter une poursuite pénale et il est vrai que cette décision ne doit pas faire l’objet d’ingérence indue. L’analyste a aussi conclu qu’il n’y avait aucun élément indiquant de la mauvaise foi de la part de l’appelant. Dans de telles circonstances, l’appelant pouvait croire qu’il communiquait à sa supérieure des renseignements qui pourraient démontrer un acte grave de mauvaise gestion.

[17]           Le jugement de la Cour d’appel fédérale reconnaît également qu’il existe, à première vue, un lien de causalité direct l’allégation de représailles et la divulgation interne aux supérieurs, alors que le courriel du 1er avril 2009 n’exclut pas la possibilité que la divulgation soit également faite à l’externe (Agnaou CAF 29 aux paras 73-89, en particulier les paras 77, 78 et 87). En conséquence, la Cour d’appel fédérale a jugé que la conclusion d’irrecevabilité de la plainte de représailles était déraisonnable et a retourné le dossier au commissaire, tout en précisant, compte tenu du long délai écoulé depuis le dépôt de la plainte, « qu’il s’agit ici d’un cas exceptionnel où il est nécessaire de déclarer cette plainte recevable ».

[18]           Concurremment, dans un jugement distinct, rendu le 2 février 2015, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel que le demandeur avait porté à l’encontre du jugement rendu le 27 janvier 2014 par le juge Annis qui rejetait sa demande de révision judiciaire visant à annuler la décision du sous-commissaire de ne pas enquêter sur la divulgation d’acte répréhensible faite le 13 octobre 2011 par le demandeur aux termes de l’article 13 de la Loi (Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 30, [2015] ACF no 117 confirmant 2014 CF 86, [2014] ACF n102). Rappelons que dans cette divulgation protégée, le demandeur réitérait que les agissements des gestionnaires du bureau régional du Québec [BRQ] et des personnes de l’Administration centrale du SPPC n’étaient pas conformes à plusieurs lois du Canada, tandis que ses supérieurs et leurs subalternes avaient commis des actes répréhensibles lorsqu’ils se sont opposés durant l’hiver 2009 au dépôt d’accusations dans le Dossier A en utilisant des moyens portant atteinte à l’intégrité du système de poursuite objectif, transparent et indépendant du Canada.

[19]           En l’espèce, la décision du sous-commissaire de fermer le dossier relatif à ces allégations d’actes répréhensibles avait été prise le 6 septembre 2012, alors que les représailles alléguées par le demandeur dans la plainte sous étude concernant le processus de dotation ont été prises le 13 septembre 2012.

[20]           En principe, lorsqu’il s’agit d’une divulgation externe, le paragraphe 27(1) de la Loi prévoit qu’« [a]u moment de commencer l’enquête, le commissaire informe l’administrateur général concerné de la teneur de la divulgation en cause. » Toutefois, dans la lettre de refus de la plainte de représailles du 12 février 2013, le sous-commissaire explique que dans le cas particulier du demandeur, « l’administrateur général n’a jamais été contacté car nous n’avons jamais initié d’enquête. Conséquemment, nous n’avons jamais avisé le SPPC de [la] divulgation ».

III.             Enquête menée au sujet de la plainte de représailles

[21]           Le 17 février 2015, suite au renvoi du dossier par la Cour d’appel fédérale, un enquêteur du CISP a été désigné en vertu du paragraphe 19.7(1) de la Loi par Monsieur Friday, alors commissaire intérimaire, pour enquêter au sujet des allégations de représailles formulées par le demandeur. Dans la lettre qu’il adresse au demandeur, le commissaire intérimaire précise à ce sujet :

Le Commissariat enquêtera l’allégation qu’une mesure de représailles a été prise à votre égard, le 13 septembre 2012, suite à votre divulgation protégée alléguée faite le 2 avril 2009, conformément à l’article 12 de la Loi. Plus spécifiquement, l’enquête portera sur votre allégation que les gestionnaires du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) identifiés ci‑dessus ont procédé à la reclassification de deux postes, dans le but d’éviter de vous nommer dans un de ces postes, en tant que bénéficiaire de priorité.

[22]           Suivant les informations et documents colligés par l’enquêteur, les faits saillants suivants ressortent du dossier.

[23]           Initialement, le demandeur travaillait au BRQ à titre de procureur de la Couronne fédérale dans l’équipe des crimes économiques depuis 2003. Or, le 24 janvier 2006, le demandeur se voit attribuer le Dossier A, un dossier de nature fiscale auquel il doit faire des recommandations de poursuite. Plus précisément, le demandeur doit déterminer s’il s’avérait nécessaire d’intenter des poursuites pénales visant la filiale d’une société multinationale qui avait fait défaut de donner suite aux demandes de renseignements de l’Agence du Revenu du Canada [ARC ou le client]. Après analyse du dossier, le demandeur recommande effectivement au client d’intenter des poursuites.

[24]           Toutefois, des personnes occupant des postes de gestionnaire au SPPC ne partagent pas le même avis que le demandeur. Aussi, le 4 novembre 2008, le demandeur rencontre l’avocat général du BRQ, de même que la procureure fédérale en chef adjointe. Celle-ci estime qu’il est alors prématuré d’intenter des poursuites puisque la Division générale des appels de l’ARC est saisie d’un avis d’opposition aux nouvelles cotisations émises à l’encontre de la société en question. Cette position est reprise par la nouvelle superviseure du demandeur, après que celui-ci ait demandé un second avis. Malgré tout, le demandeur maintient sa position quant la nécessité d’aller de l’avant avec des poursuites. Le 10 février 2009, il transmet sa recommandation finale à l’avocat général du BRQ. Suivent diverses rencontres avec des membres du BRQ afin de discuter des enjeux de telles poursuites.

[25]           Le 4 mars 2009, le demandeur est avisé que le BRQ n’intentera pas de poursuite dans le Dossier A. Devant ce refus, le demandeur annonce qu’il entend en appeler aux supérieurs du SPPC. Le 24 mars 2009, le comité des avocats généraux se réunit et confirme la décision rendue plus tôt. Toutefois, le demandeur ne prend pas part à cette rencontre et ne peut donc pas exposer son point de vue.

[26]           Le 1er avril 2009, dans une ultime tentative, le demandeur rencontre une nouvelle fois le procureur en chef, afin de le convaincre de la nécessité de telles poursuites mais en vain, après quoi, il sera dessaisi du Dossier A. À titre d’éléments objectifs de preuve corroborant la divulgation d’actes répréhensibles, le demandeur a produit les courriels envoyés à sa supérieure, Madame Sylvie Boileau, dont le courriel du 2 avril 2009, dans lequel il affirme :

Compte tenu que les intervenants externes ont déjà été avisés de la décision de notre Procureur en chef, je ne peux que réévaluer le caractère opportun de mes démarches visant à faire valoir au Directeur des poursuites pénales que cette décision a été prise contrairement aux politiques de notre organisation et qu’elle dessert l’intérêt public.

Je vais, les prochaines semaines, me concentrer sur mes dossiers actifs et réfléchirai sur les suites à donner à cette grave affaire. Mes décisions seront définies par mes responsabilités de procureur à la Couronne telles qu’elles sont précisées dans nos lois et nos politiques. Le cas échéant, notre Procureur en chef en sera informé par les autorités compétentes.

[Nos soulignements]

[27]           Comme on peut le constater, le demandeur menace l’employeur qu’il va aller plus loin et qu’il considère toutes les hypothèses (« les suites à donner à cette grave affaire »), ce qui bien entendu inclut une divulgation au commissaire même si cela n’est pas mentionné expressément dans le courriel du 2 avril 2009. À la suite de cette divulgation, les relations de travail entre le demandeur et ses supérieurs se détériorent rapidement. Le 7 avril 2009, les gestionnaires du demandeur, se disant inquiets pour la santé du demandeur, mettent immédiatement celui-ci en arrêt de travail jusqu’à ce qu’il produise une lettre de médecin affirmant qu’il peut reprendre ses fonctions. En mai 2009, le demandeur dépose trois griefs, quatre plaintes en harcèlement, ainsi qu’une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code Canadien du travail, LRC 1985, c L-2, pour contester la validité des mesures prises par l’employeur.

[28]           Le 26 juin 2009, un protocole d’entente [l’Entente] pour régler les griefs et les plaintes en question intervient entre les parties. Me Dolhai appose sa signature à titre de représentant de l’employeur. En considération des avantages décrits dans l’Entente, le demandeur s’engage notamment à quitter le SPPC et libérer son bureau le 3 juillet 2009 et à ne pas retourner au SPPC, que ce soit pendant ou à la fin du congé, y inclut pendant la période que durera sa priorité à la Commission de la fonction publique. De plus, il s’engage à ne pas déposer d’autres plaintes, griefs ou tout autre recours découlant des plaintes et griefs énumérés à l’annexe 1 de l’Entente.

[29]           En juillet 2009, le demandeur se qualifie dans un bassin pour deux postes d’avocat-conseil pour le SPPC; un concours pour lequel il avait déjà postulé en 2008. Le 18 juin 2012, le demandeur fait valoir son droit de priorité. Le 13 septembre 2012, soit près d’une semaine après la décision du sous-commissaire de ne pas faire d’enquête au sujet de la divulgation du demandeur concernant la gestion du Dossier A, le SPPC informe le demandeur que le poste pour lequel il s’est qualifié avec sa priorité sera comblé par le biais de reclassification et non par l’intermédiaire du bassin créé. Cette décision est irrévocable et prise solidairement par la haute direction du SPPC. Pour le demandeur, cet acte de représailles est clairement relié à la divulgation interne de l’hiver 2009 et/ou la divulgation externe du 13 octobre 2011.

[30]           Tel que décrit précédemment, le demandeur portera plainte au CISP pour cet acte de représailles en date du 5 janvier 2013, et suite à la saga judiciaire entourant le premier refus du commissaire de porter cette plainte devant le Tribunal, le dossier est renvoyé au Commissaire qui ordonne la tenue d’une enquête. Aussi, en date du 13 août 2015, le commissaire Friday avise le demandeur que le CISP a complété l’analyse de l’information obtenue au cours de l’enquête et invite le demandeur à lui faire parvenir toute information additionnelle ou commentaires sur le rapport d’enquête préliminaire [REP]. Le 25 août 2015, la même invitation est adressée à l’employeur et aux individus visés par la plainte de représailles.

[31]           Au terme de son enquête, l’enquêteur conclut que l’Entente du 26 juin 2009 constitue une fin de non-recevoir aux allégations de représailles formulées dans la plainte du 5 janvier 2013. Puisque « tout lien raisonnablement possible, entre la divulgation alléguée et la mesure de représailles alléguée, a été dissous par l’existence de l’entente et de ses termes », l’enquêteur ne croit pas qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que des représailles ont été exercées à l’encontre du demandeur. En conséquence, l’enquêteur recommande le rejet de la plainte.

[32]           Le demandeur qui n’est pas d’accord avec la conclusion de l’enquêteur fait part de ses commentaires et soumet des renseignements supplémentaires, tandis que l’employeur et les individus visés par la plainte de représailles ne formulent aucune observation. Les conclusions du REP sont reprises dans le rapport final de l’enquêteur. Après avoir reçu le rapport d’enquête final, le 9 novembre 2015, le commissaire rejette la plainte de représailles.

IV.             Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[33]           Le commissaire a essentiellement entériné le raisonnement formulé par l’enquêteur dans son rapport final.

[34]           Dans la lettre de rejet du 9 novembre 2015, le commissaire dit avoir considéré les représentations faites par le demandeur au sujet du rapport de l’enquêteur et note à ce sujet :

Dans vos commentaires suite au REP, vous avez indiqué que votre engagement décrit dans l’entente se limitait à ne pas revenir au SPPC pour réclamer les fonctions que vous occupiez à la signature de la quittance. Toutefois, l’entente n’est pas formulée ainsi : elle indique clairement de ne pas retourner au « Service », donc le SPPC en général. Quel que soit le type d’actions prises par le SPPC en ce qui a trait à la gestion de votre demande de priorité pendant l’été 2012, la preuve obtenue lors de l’enquête suggère que le SPPC a agi en fonction de l’entente signée, entente que vous vous prépariez à ne pas respecter en faisant valoir un droit de priorité pour retourner au SPPC.

Je n’ai pas à statuer sur le bien-fondé ou le contenu de cette entente. Je dois cependant en tenir compte afin de pouvoir évaluer le contexte dans lequel le SPPC a pris sa décision de reclassifier des postes. Cette information est capitale quant à l’analyse du lien de causalité pouvant exister entre la mesure de représailles alléguée et la divulgation alléguée.

Conséquemment, et pour les raisons précédemment indiquées quant au lien, je n’ai aucun motif raisonnable de croire que votre non-nomination est en lien avec votre divulgation alléguée. Cette décision du SPPC est en lien avec la mise en œuvre de l’entente du 26 juin 2009.

Sur la base de l’information préalablement présentée, j’ai donc décidé de rejeter votre plainte de représailles en vertu du l’article 20.5 de la Loi.

[35]           Le 9 décembre 2015, le demandeur dépose la présente demande de contrôle judiciaire afin de faire réviser cette seconde décision négative du commissaire.

V.                Découverte d’éléments de preuve non communiqués au demandeur

[36]           Concurremment à l’institution des présentes procédures, le demandeur a fait une demande d’accès à l’information pour obtenir une copie complète du dossier d’enquête. Quelques jours plus tard, le demandeur reçoit copie du dossier certifié de l’office fédéral. Il apprend alors que l’enquêteur a rencontré Me Kathleen Roussel ainsi que Me Morin dans le cadre de son enquête. Le demandeur en tire aujourd’hui un certain nombre d’arguments.

[37]           Selon la lecture du demandeur, Me Morin a déclaré à l’enquêteur qu’il avait conseillé aux responsables du processus de nomination de bien vérifier dans quelle mesure le droit de priorité du demandeur s’appliquait. Me Morin indique également, et ce, à plusieurs reprises, que l’Entente intervenue en 2009 n’avait aucun rapport avec la situation entourant le Dossier A ou même la question de la divulgation. D’autre part, Me Roussel a déclaré que le droit de priorité découle d’une loi statutaire auquel nulle entente ne peut contrevenir. Pire encore, Me Roussel, bien que n’étant pas présente lors de la signature de l’Entente, avait été informée qu’à l’époque de l’Entente, différents avis avaient traité de la question juridique litigieuse, à la base du refus du commissaire de référer la plainte au Tribunal, à savoir si le droit de priorité du demandeur pouvait être limité par une clause de l’Entente, ce qui apparemment avait été répondu par la négative.

[38]           Aussi, après avoir écouté le contenu de ces entretiens, il est devenu clair pour le demandeur que la décision du CISP allait complètement à l’encontre de ce que ces deux personnes (qui pourraient être appelées comme témoins devant le Tribunal) ont rapporté à l’enquêteur. Le défendeur, pour sa part, interprète différemment les déclarations en question. Des enregistrements des entrevues et des transcriptions préparées par le demandeur ont été produites à la Cour.

VI.             Position respective des parties

[39]           Les deux parties conviennent que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’examen du mérite de la décision rendue par le commissaire, tandis que la norme de la décision correcte s’applique à toute question d’équité procédurale soulevée en l’espèce par le demandeur.

[40]           Jusqu’à aujourd’hui, le demandeur continue de prétendre que l’Entente n’affecte pas son droit de priorité en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LRC 1985, c P-33, tandis que celle-ci ne peut être invoquée par l’employeur ou interprétée par le commissaire comme l’empêchant légalement de faire une divulgation protégée. C’est une question de droit qui ne relève pas la compétence du commissaire. Celle-ci devrait être décidée par le Tribunal après avoir entendu tous les témoignages pertinents et évalué la crédibilité des témoins.

[41]           Le demandeur prétend que le commissaire Friday a également manqué à son devoir d’équité procédurale en refusant de se récuser le 5 mai 2015, après que l’ancien commissaire Mario Dion se soit lui-même récusé à l’époque au motif qu’il connaissait certaines personnes mentionnées dans la plainte du demandeur.

[42]           À la lumière de tout ce qui précède, le demandeur demande aujourd’hui à cette Cour d’invalider la décision contestée. Au surplus, le demandeur réclame de cette Cour un verdict dirigé, n’ayant plus aucune confiance dans l’impartialité du commissaire et du personnel du CISP.

[43]           De son côté, le défendeur, le Procureur général du Canada, qui défend les intérêts de l’employeur dans ce dossier, a fait valoir dans son mémoire que la décision contestée était raisonnable et qu’il n’y avait eu aucune violation des règles d’équité procédurale.

[44]           La Cour a entendu les représentations orales des procureurs lors d’une audience tenue à Montréal le 19 décembre 2016. Dans le cours de l’audience, la Cour a soulevé un certain nombre de questions relativement aux pouvoirs du commissaire et à la conduite de l’enquête par le personnel du CISP. Sans entrer dans les détails, il était devenu clair que certains aspects de la décision et de l’enquête étaient problématiques, ce qui posait la question du remède approprié dans le cas où la Cour concluait qu’il y avait lieu d’intervenir. À la fin de l’audience, les parties ont convenu de demander à la présente Cour de suspendre son délibéré dans l’espoir d’en arriver à un règlement qui conviendrait à chacune des parties. Cependant, il leur a été impossible de s’entendre totalement, de sorte que le demandeur a insisté pour qu’une décision motivée de la Cour soit rendu sur le mérite de la demande de contrôle judiciaire.

VII.          Nouveaux développements

[45]           Le 16 janvier 2017, le commissaire a informé la Cour et les parties qu’il était dans l’intérêt public de révoquer sa décision du 9 novembre 2015 et de demander au Tribunal d’instruire la plainte du demandeur. À ce chapitre, on peut lire dans la lettre adressée au demandeur :

L’alinéa 20.4(3)d) de la Loi prévoit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, je dois tenir compte de l’intérêt public lorsque je décide de demander au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (le Tribunal) d’instruire une plainte. Considérant les enjeux soulevés dans votre demande de contrôle judiciaire, les commentaires émis par le juge Martineau, le souhait formulé par le juge Martineau que le présent dossier soit réglé à la satisfaction des parties et la longévité de cette affaire (qui a pris naissance en 2013 et qui comprend deux interventions devant la Cour fédérale et une devant la Cour d’appel fédérale), je suis d’avis qu’il est devenu d’intérêt public de demander au Tribunal d’instruire votre plainte.

La jurisprudence au Canada établit qu’un organisme comme le Commissariat peut rouvrir une instance dans certaines circonstances. Après avoir soupesé soigneusement les questions d’équité procédurale et de justice naturelle, j’ai conclu que le besoin de souplesse et de réponse à l’évolution du présent dossier l’emporte sur la finalité de la décision du 9 novembre 2015. Je souligne que ma conclusion est compatible avec les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Chander c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, traitant des exceptions à l’application du caractère final d’une décision administrative.

Conformément à l’alinéa 20.4(1)a) de la Loi, je demanderai au Tribunal de déterminer si des mesures de représailles ont été prises contre vous en ce qui concerne votre non-nomination à un poste de LA-2B, au motif que vous alléguez avoir procédé à une divulgation protégée et, le cas échéant, que le Tribunal ordonne la prise des mesures de réparation à votre égard.

Les parties devant le Tribunal seront vous-même, le commissaire et le Service des poursuites pénales du Canada, à titre d’ancien employeur au moment où les représailles auraient eu lieu. Le Tribunal peut également ajouter d’autres parties.

J’estime que l’annulation de ma décision du 9 novembre 2015 et ma demande d’instruction au Tribunal correspondent aux ordonnances demandées dans votre demande de contrôle judiciaire. À cet égard, je suis également disposé à vous verser un paiement correspondant aux dépens que la Cour vous accorderait.

[46]           On peut se demander si, en rejetant la plainte de représailles, le commissaire était devenu functus officio, et s’il pouvait de sa propre initiative annuler la décision du 9 novembre 2015, d’autant plus que le processus de révision judiciaire était enclenché et que les parties avaient été entendues par la présente Cour. Toutefois, les concessions du défendeur ont rendu académique cet aspect litigieux du dossier. En effet, le défendeur a maintenant décidé de consentir à la présente demande de contrôle judiciaire et ne s’oppose pas que la décision contestée soit annulée et que le dossier soit retourné au commissaire avec des directives appropriées, le cas échéant.

VIII.       Conclusions de la Cour

[47]           Considérant les développements dans le dossier et étant également satisfaite selon le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qu’il y a un bris à l’équité procédurale et que la conclusion du commissaire est déraisonnable en l’espèce, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et annule la décision rendue par le commissaire le 9 novembre 2015.

[48]           Reste la question de savoir si, comme le réclame aujourd’hui le demandeur, la Cour devrait également émettre une directive en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales forçant le commissaire à demander au Tribunal de décider non seulement si des représailles ont été exercées, mais également, le cas échéant, en vertu de l’alinéa 20.4(1)b) de la Loi, d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant et la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de la personne ou des personnes identifiées dans la demande comme étant celles qui ont exercé les représailles.

[49]           Tout d’abord, il importe de faire certaines clarifications au niveau des parties à la procédure et des pouvoirs du Tribunal, selon qu’il s’agit d’une demande du commissaire visant la prise de l’ordonnance prévue au paragraphe 20.4(1) de la Loi, ou d’une demande du commissaire visant spécifiquement la prise des ordonnances prévues à l’alinéa 20.4(1)b) de la Loi.

[50]           Dans les deux cas, le commissaire, le fonctionnaire et l’employeur sont parties à l’instance devant le Tribunal (alinéas 21.4(2)a), b) et c) et alinéas 21.5(2)a), b) et c)). S’agissant toutefois d’une demande visant la prise des ordonnances prévues à l’alinéa 20.4(1)b), la personne ou les personnes identifiées dans la demande comme étant une personne qui aurait exercé des représailles sont obligatoirement des parties à l’instance (alinéa 21.5(2)d)).

[51]           D’autre part, même si le Tribunal peut ajouter, à titre de partie dans l’instance visant la prise de l’ordonnance prévue à l’alinéa 20.4(1)a) de la Loi, une personne identifiée comme étant une personne qui aurait exercé des représailles (paragraphe 21.4(3)), le Tribunal considère qu’en l’absence d’une demande du commissaire en vertu de l’alinéa 20.4(1)b) de la Loi, il n’a pas le pouvoir d’ordonner la prise de mesures disciplinaires à toute personne qui, selon lui, a exercé des représailles (El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011 CanLII 93946 (CA TPFD), 2011-TP-02 au para 48).

[52]           Au demeurant, la façon particulière dont le commissaire devrait exercer sa discrétion au niveau du contenu de la demande d’ordonnances au Tribunal (alinéa 20.4(1)a) ou alinéa 20.4(1)b) de la Loi) n’a jamais été véritablement abordée par les parties à l’instance, alors que les personnes indiquées dans la plainte de représailles comme étant celles qui auraient exercé des représailles n’ont pas été entendues par la Cour et n’ont pas eu l’opportunité de faire valoir leur point de vue devant le commissaire au sujet du contenu de la demande d’ordonnances au Tribunal formulée par le demandeur.

[53]           S’agissant de l’exercice de la discrétion dévolue au commissaire en vertu des alinéas 20.4(1)a) ou 20.4(1)b) de la Loi, la Cour renvoie donc le dossier au commissaire aux seules fins de statuer sur la question de savoir – dans le cas où le Tribunal décidait que des représailles ont été exercées à l’égard du demandeur – s’il demande au Tribunal, le cas échéant, non seulement d’ordonner la prise de mesures de réparation à l’égard du demandeur (article 21.7 de la Loi), mais également la prise sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes identifiées par le demandeur dans sa plainte comme étant celles qui ont exercé les représailles (article 21.8 de la Loi), et ce, après avoir permis aux parties et aux personnes visées dans la plainte de faire des représentations écrites à ce sujet.

[54]           Enfin, la Cour possède un large pouvoir discrétionnaire dans l’adjudication des dépens conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et ce, plus particulièrement dans les dossiers mettant en jeu des personnes qui se représentent seules (Yu c Canada (Procureur général), 2011 FCA 42, [2011] ACF no 162 au para 37; Thibodeau c Air Canada, 2007 FCA 115, [2007] ACF no 404 au para 24; Sherman c Canada (Ministre du Revenu national - MRN), 2003 FCA 202, [2003] ACF no 710 aux paras 46-52; Chédor c Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1205).

[55]           Bien que le demandeur se représente seul, il exerce en tant qu’avocat. Il réclame un montant forfaitaire de 12 000 $ à titre de dépens liquidés, tandis que le défendeur propose plutôt l’octroi d’une somme de 3 000 $. Il est indéniable que le demandeur a mis beaucoup de temps et d’énergie dans ce dossier. Cela étant dit, il n’y a aucune preuve de mauvaise foi ou de conduite répréhensible du côté du défendeur pouvant justifier l’octroi d’un montant punitif à titre de dépens. D’autre part, l’importance et la complexité des questions en litige, ainsi que les questions d’intérêt public soulevées par cette instance, m’apparaissent assez importants pour justifier une allocation raisonnable au demandeur.

[56]           Vu le résultat de l’instance, et considérant tous les facteurs pertinents, ainsi que les circonstances particulières du présent dossier, la Cour est satisfaite qu’une somme de 4 000 $, comprenant tous les débours et frais taxables, correspond plus ou moins à ce que le demandeur aurait autrement obtenu à titre de dépens s’il avait été représenté par un procureur indépendant dans ce dossier.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

LA COUR ORDONNE au commissaire de demander en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 [Loi], au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada [Tribunal] d’instruire la plainte de représailles du demandeur et de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du demandeur [la demande au Tribunal];

LA Cour renvoie le dossier au commissaire aux seules fins de statuer, dans l’exercice de la discrétion dévolue en vertu des alinéas 20.4(1)a) ou 20.4(1)b) de la Loi, si la demande au Tribunal comprend une demande d’ordonnance au Tribunal – si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant, le cas échéant :

a)                  pour la prise des mesures de réparation à l’égard du demandeur (alinéa 20.4(1)a) de la Loi);

b)                  pour la prise des mesures de réparation à l’égard du demandeur et la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes identifiées dans la demande comme étant celles qui ont exercé les représailles (alinéa 20.4(1)b) de la Loi);

et ce, après avoir permis aux parties et aux personnes visées dans la plainte de représailles du demandeur de faire des représentations écrites à ce sujet;

La Cour condamne le défendeur à payer la somme de 4 000 $ au demandeur à titre de dépens, comprenant tous les débours et frais taxables.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2064-15

 

INTITULÉ :

YACINE AGNAOU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Yacine Agnaou

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Kétia Calix

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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