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Date : 20170224


Dossier : IMM-3730-16

Référence : 2017 CF 237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

WIKTOR ANTONI REINHOLZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Reinholz est un citoyen de la Pologne et il se trouve au Canada depuis le mois d’avril 2011 grâce à un permis de travail. Il a demandé le statut de résident permanent au Canada à titre de membre du Programme ontarien des candidats à l’immigration (POCI). Sa demande a été rejetée parce que l’agent d’immigration (l’agent) a jugé qu’il n’avait pas présenté tous les documents exigés au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Plus précisément, l’agent a conclu que M. Reinholz a omis de soumettre à une visite médicale sa fille à charge qui ne l’accompagne pas.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision de l’agent était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je refuse d’accueillir la demande de verdict imposé du demandeur.

I.  Résumé des faits

[3]  Les étrangers qui demandent le statut de résident permanent au Canada, de même que les membres de leur famille qui sont à leur charge (qu’ils les accompagnent ou non), sont tenus de se soumettre à une visite médicale conformément aux sous-alinéas 23b)(iii), 30(1)a)(i) et 72(1)e)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Les agents ont le pouvoir discrétionnaire de lever cette exigence dans des circonstances exceptionnelles.

[4]  Avant de venir au Canada, M. Reinholz était marié en Pologne et a eu un enfant avec son ex-conjointe. Sa fille est née le 3 novembre 2005 et vit actuellement en Pologne avec sa mère.

[5]  M. Reinholz et son ex-conjointe ont obtenu le divorce le 30 octobre 2006. Par des ordonnances des tribunaux de la Pologne, M. Reinholz et son ex-conjointe ont obtenu la garde conjointe de leur fille, qui devait par la suite résider exclusivement avec sa mère.

[6]  Même si M. Reinholz admet qu’il aimerait que sa fille vienne au Canada, il a déclaré solennellement, le 9 novembre 2011, qu’il reconnaissait ne pas pouvoir parrainer sa fille pour qu’elle devienne résidente permanente du Canada. Selon les explications de M. Reinholz, il ne peut pas forcer sa fille à se soumettre à la visite médicale exigée, puisque sa mère ne le permettra pas et interdit également à sa fille d’aller au Canada.

[7]  Le 27 juillet 2016, M. Reinholz a produit un affidavit décrivant les différends entourant les questions de garde et d’accès entre son ex-épouse et lui concernant leur fille. L’affidavit comportait plusieurs ordonnances de tribunaux polonais datées de 2006 à 2016.

II.  Décision de l’agent

[8]  L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de M. Reinholz, en raison de son défaut de produire un rapport de visite médicale pour sa fille à sa charge qui ne l’accompagne pas. L’agent n’était pas convaincu qu’il existait des circonstances atténuantes suffisantes justifiant une dispense des exigences législatives.

III.  Question en litige

[9]  La seule question à trancher est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

A.  Norme de contrôle

[10]  La décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Rarama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 60 [Rarama], au paragraphe 15; Lhamo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 692, au paragraphe 25.)

[11]  Le caractère raisonnable d’une décision tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et au fait que la décision elle-même appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

B.  Question préliminaire

[12]  Au début de l’audience, l’avocat du demandeur a confirmé qu’il n’invoquerait pas les questions constitutionnelles soulevées dans l’avis de demande, et qu’il ne débattrait pas de ces questions. Elles ne seront donc pas abordées dans les présents motifs.

IV.  Discussion

[13]  M. Reinholz soutient que l’agent a commis une erreur en affirmant qu’il avait choisi de ne pas soumettre sa fille à une visite médicale. Dans la lettre de refus, l’agent s’exprime ainsi :

[traduction] « On vous a avisé que vous étiez tenu de faire examiner tous les membres de votre famille et que vous n’êtes pas libre de décider simplement de ne pas les faire examiner. Vous avez également été informé que, si vous ne pouvez pas satisfaire à cette exigence, vous devez convaincre un agent que des circonstances atténuantes vous en empêchent. »

[14]  M. Reinholz soutient que l’agent n’a pas pris en compte les éléments de preuve documentaire montrant que sa fille était sous la garde juridique exclusive de son ex-conjointe en Pologne, et que cette dernière refusait de permettre à sa fille de se soumettre à une visite médicale. De plus, son ex-conjointe refuse de permettre à leur fille de visiter le Canada. En outre, M. Reinholz affirme qu’il n’a pas eu la garde conjointe officielle de sa fille depuis l’ordonnance rendue par un tribunal polonais le 17 septembre 2007, et qu’il n’a eu aucune garde juridique depuis l’ordonnance initiale du tribunal du 30 octobre 2006.

[15]  M. Reinholz soutient que l’agent n’a pas tenu compte de sa déclaration solennelle et de son affidavit, dans lesquels il reconnaît ne pas pouvoir parrainer sa fille parce qu’il ne peut pas faire en sorte qu’elle se soumette à une visite médicale, en raison du refus de sa mère.

[16]  Les éléments de preuve documentaire et les ordonnances des tribunaux polonais montraient que M. Reinholz a de fait des droits très restreints à l’égard de sa fille : aucun droit de garde et des droits de visite très limités qui ne peuvent être exercés qu’en présence de la mère de sa fille. Bien que l’agent ne le dise pas explicitement, il a toutefois présumé qu’en raison de l’emploi de l’expression [traduction] « garde conjointe » par les tribunaux polonais, M. Reinholz pouvait faire en sorte que sa fille se soumette à la visite médicale requise, et avait au moins le droit d’insister en ce sens.

[17]  Dans la lettre de refus, l’agent s’est fié uniquement à la mention par le tribunal polonais de l’expression [traduction] « garde conjointe » lorsqu’il a évalué la teneur des droits de M. Reinholz à l’égard de sa fille. L’agent, dans son interprétation de ce passage, a écarté des éléments de preuve pertinents, notamment la déclaration solennelle et l’affidavit de M. Reinholz.

[18]  Comme dans la décision Rarama, même si l’agent n’était pas tenu de mentionner chaque élément de preuve, le défaut de mentionner des éléments de preuve touchant au cœur de la question sur laquelle le refus est fondé peut constituer une conclusion de fait erronée (voir Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 177, au paragraphe 38). En l’espèce, bien que l’agent n’était pas tenu de retenir la déclaration solennelle et l’affidavit comme éléments de preuve de facto (voir Rarama, au paragraphe 26), il aurait dû, à tout le moins, préciser la raison pour laquelle ils les écartait. La décision est donc déraisonnable.

V.  Conclusion

[19]  Ainsi, pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le demandeur demande à notre Cour de rendre un verdict imposé indiquant qu’il y a lieu d’accorder une dispense concernant la visite médicale exigée. Je ne suis pas disposée à rendre une telle ordonnance; toutefois, j’ordonnerai qu’il soit permis au demandeur de déposer des éléments de preuve additionnels et que sa demande soit réexaminée par un autre agent d’immigration.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée.

  2. Le demandeur est autorisé à déposer des éléments de preuve additionnels et l’affaire est renvoyée à autre agent pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée en l’espèce.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3730-16

INTITULÉ :

WIKTOR ANTONI REINHOLZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 24 février 2017

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Crighton

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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