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Date : 20170329


Dossier : IMM-2003-16

Référence : 2017 CF 329

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 mars 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

MUGE KOCACINAR

MEHMET KOCACINAR

OLCAY KOCACINAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Mehmet Kocacinar (le demandeur principal), son épouse, Mme Olcay Kocacinar (la demanderesse), et la sœur du demandeur principal, Mme Muge Kocacinar (la demanderesse mineure), (appelés collectivement les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire d’une décision du 13 avril 2016 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile à titre de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Les demandeurs sont citoyens de la Turquie et sont alévis arabes. Le demandeur principal et la demanderesse ont demandé l’asile au motif qu’ils courent des risques du fait de leurs activités politiques. La demanderesse mineure prétend qu’elle a été harcelée par un homme qui cherche à la forcer à l’épouser, et que les policiers ont refusé de l’aider. Le demandeur principal a également demandé l’asile afin d’échapper au service militaire obligatoire.

[3]  La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles établissant qu’il était un activiste politique et était la cible des autorités turques. Elle a fondé sa conclusion défavorable sur l’incapacité du demandeur principal à se rappeler les résultats des élections tenues immédiatement avant son départ. En ce qui concerne le service militaire, la Commission a conclu que le demandeur principal avait l’intention de verser une somme pour éviter le service et qu’il ne courait donc aucun risque.

[4]  La Commission a rejeté la demande de la demanderesse au motif qu’elle n’était pas une activiste politique et n’était donc pas à la merci des autorités turques. La demanderesse ne se souvenait pas s’il y avait eu des élections en 2011, au moment où le demandeur principal prétendait avoir été délégué du parti. De plus, elle a fourni des renseignements contradictoires quant à la période durant laquelle elle a exercé des activités politiques. C’est sur ces lacunes que la Commission a fondé ses conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[5]  La Commission a conclu que les éléments de preuve de la demanderesse mineure ne concordaient pas avec les documents sur la situation dans son pays et étaient incohérents. Plus précisément, elle a conclu que rien n’indiquait, dans les documents sur le pays, que les policiers n’aideraient pas une alévie arabe à échapper à un enlèvement et au mariage forcé d’une mineure, comme le prétend la demanderesse mineure.

[6]  La Commission a conclu que la prétention de la demanderesse mineure, selon laquelle elle craignait de quitter son domicile, ne concordait pas avec le témoignage selon lequel elle a continué à fréquenter l’école pendant la période où elle se cachait de son prétendu assaillant. Elle a fait remarquer que la demanderesse mineure avait également donné des versions différentes de ses interactions avec les policiers, qui comportaient des incohérences quant au nombre de fois où elle avait communiqué avec la police.

[7]  Les demandeurs soutiennent maintenant que la Commission a manqué à l’équité procédurale dans sa façon de considérer les éléments de preuve corroborant les activités politiques du demandeur principal et de la demanderesse. Le demandeur principal soutient que la Commission a également commis une erreur en ne se fondant pas sur le service militaire pour prendre une décision quant à sa demande.

[8]  Le demandeur principal soutient également que la Commission a commis une erreur dans le traitement des éléments de preuve portant sur sa santé psychologique. La Commission a accordé peu de poids au rapport psychologique selon lequel le demandeur principal et la demanderesse souffraient d’un trouble de stress post-traumatique, car elle n’a pas jugé crédibles les prétendus événements traumatisants sur lesquels reposait le diagnostic.

[9]  Le demandeur principal soutient qu’il a éprouvé des difficultés à fournir des éléments de preuve à l’audience en raison du trouble de stress post-traumatique dont il est atteint. Il prétend que la Commission s’est appuyée sur ces difficultés pour conclure qu’il n’était pas crédible. Il soutient que la Commission a commis une erreur en rejetant le rapport sur la base des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[10]  Le demandeur principal affirme que le rapport psychologique a été fourni pour aider la Commission à comprendre les difficultés qu’il était susceptible d’éprouver à l’audience. Il soutient qu’il était déraisonnable de rejeter le rapport pour le motif que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il avait les difficultés décrites dans le rapport.

[11]  Le demandeur principal soutient également qu’il était déraisonnable pour la Commission d’accorder plus de poids à la première séance qu’à la deuxième, puisqu’il a éprouvé des difficultés dues à son trouble de stress post-traumatique lors de la première séance. Il prétend que la Commission aurait dû prendre en compte son [traduction] « état mental relatif » aux deux séances et soupeser les éléments de preuve en conséquence.

[12]  La demanderesse mineure prétend que la Commission a commis une erreur en tirant, quant à sa crédibilité, une conclusion défavorable qui est inintelligible et n’est pas étayée par les éléments de preuve. Elle affirme que les éléments de preuve documentaire appuient son témoignage selon lequel les policiers ne protègent pas les alévis, et vont directement à l’encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle rien ne prouvait que les autorités refusent de protéger les alévis.

[13]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) prétend que la Commission a pris en compte les éléments de preuve documentaire, mais qu’elle n’a pas été convaincue que les éléments de preuve des demandeurs étaient crédibles.

[14]  Le défendeur affirme que la Commission avait le droit de mener son propre examen de la crédibilité des éléments de preuve du demandeur principal et qu’elle n’était pas tenue de se fier à l’opinion que le psychologue avait exprimée dans son rapport.

[15]  De plus, le défendeur prétend qu’il était loisible à la Commission d’apprécier les éléments de preuve corroborants à la lumière de ses conclusions générales quant à la crédibilité des éléments de preuve des demandeurs. Il affirme que la Commission pouvait tirer des conclusions quant à la vraisemblance en se fondant sur le bon sens et la raison, et que ces conclusions négatives ne nécessitaient pas la présentation d’éléments de preuve contradictoires.

[16]  La première question à aborder concerne la norme de contrôle applicable. Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Établissement de Mission c Khela, [2014] RCS 502, au paragraphe 79.

[17]  Le bien-fondé de la décision dans son ensemble et les conclusions quant à la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : voir les décisions Aguebor v Minister of Employment & Immigration, (1993), 160 NR 315 (FCA), au paragraphe 4, et Kayumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 138, aux paragraphes 12 et 13.

[18]  Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable nécessite que la décision soit intelligible, transparente et justifiable et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[19]  Je ne suis pas convaincue que la Commission a procédé à un examen raisonnable de la crédibilité du demandeur principal et de la demanderesse. Les prétentions de ces parties quant à la façon dont la Commission a traité le rapport psychologique sont, à mon avis, fondées.

[20]  À mon avis, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur principal et de la demanderesse ne satisfont pas à la norme de la décision raisonnable exposée ci-dessus.

[21]  J’estime également fondées les observations de la demanderesse mineure quant à la façon dont la Commission a considéré les éléments de preuve documentaire sur l’accès de la minorité alévie à une protection policière. Les conclusions défavorables que la Commission a tirées quant à la crédibilité de la demanderesse mineure, en se fondant sur son examen des éléments de preuve documentaire, ne sont pas raisonnables.

[22]  Les demandes des trois demandeurs ont été jointes conformément à l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles). Selon la décision Ramnauth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2004), 247 FTR 239 (CF), les demandes jointes doivent tout de même être évaluées individuellement.

[23]  J’ai examiné sur le fond la demande d’asile de chacun des demandeurs. Je conclus que la décision de la Commission concernant chacun des demandeurs ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; la décision rendue le 13 avril 2016 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour un nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2003-16

INTITULÉ :

MUGE KOCACINAR ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2017

COMPARUTIONS :

Joshua Blum

Pour les demandeurs

Prathima Prashad

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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