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Date : 20170329


Dossier : T-911-15

Référence : 2017 CF 327

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

HEATHER RUTH MCDOWELL

demanderesse

et

LAVERANA GmbH & Co. KG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Heather Ruth McDowell interjette appel d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce, siégeant à titre de membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, par laquelle il rejetait son opposition à l’enregistrement de la marque de commerce « HONEY MOMENTS » pour emploi en liaison avec des produits de soins personnels et des produits pharmaceutiques et cosmétiques.

[2]  Mme McDowell soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que la marque HONEY MOMENTS créerait de la confusion avec ses propres marques de commerce « HONEY », et elle a fourni de nouveaux éléments de preuve substantiels pour étayer son allégation de confusion. Bien qu’un avocat ait comparu pour Laverana dans cet appel, il a choisi de ne pas participer à la procédure et il n’a pas comparu à l’audience.

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que l’appel devrait être accueilli.

I.  Contexte

[4]  Mme McDowell est la propriétaire inscrite du mot servant de marque « HONEY » et du dessin de marque décrit ci-dessous :

Trade-mark image

[5]  Les deux marques de commerce de Mme McDowell (les marques HONEY) sont octroyées sous licence à des sociétés qui exploitent des points de vente au détail HONEY, par l’intermédiaire desquels sont vendus des vêtements, des chaussures, des bijoux, des accessoires de mode, des montres, des accessoires pour les cheveux et des produits cosmétiques portant les marques HONEY.

[6]  Le 26 avril 2010, Laverana (un fabricant de cosmétiques allemand) a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « HONEY MOMENTS ». La demande a été déposée en fonction de l’emploi proposé au Canada en liaison avec une variété de produits et services, y compris des produits de parfumerie, des huiles essentielles, des cosmétiques, des produits solaires, des produits de soins des pieds, des crèmes et lotions pour les pieds, des exfoliants, des produits de soins du corps, des produits de soins capillaires, des produits de soins pour bébés et nourrissons, des produits de toilette pour hommes, des désodorisants et antisudorifiques, et des produits pour l’hygiène buccale (non conçus pour un usage médicinal). Laverana a également proposé d’employer la marque HONEY MOMENTS en liaison avec des services de magasin de détail.

[7]  Mme McDowell s’est opposée à l’enregistrement de la marque HONEY MOMENTS invoquant un certain nombre de motifs. Elle a soutenu que :

  • (a) la marque HONEY MOMENTS est susceptible de créer de la confusion avec ses marques de commerce HONEY et HONEY & Dessin (article 16 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13);

  • (b) la marque HONEY MOMENTS n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, parce qu’elle crée de la confusion avec les marques de commerce enregistrées de Mme McDowell;

  • (c) la marque HONEY MOMENTS n’est pas distinctive des produits de Mme McDowell ni ne peut les distinguer;

  • (d) Laverana ne pouvait pas être convaincue, au titre de l’alinéa 30i) de la Loi, de son droit à l’emploi de la marque HONEY MOMENTS, puisqu’une recherche effectuée dans le Registre ou une recherche reconnue en common law aurait permis de repérer les marques de commerce HONEY et HONEY & Dessin de Mme McDowell;

  • (e) Laverana n’a pas employé la marque HONEY MOMENTS en Allemagne comme il est allégué ou, si la marque a été ou est employée en Allemagne, cet emploi est celui d’un tiers et n’est pas conforme aux exigences de l’article 50 de la Loi.

II.  Décision de la Commission

[8]  La Commission a rejeté l’opposition de Mme McDowell. La Commission a rejeté son opposition fondée sur l’article 30 de la Loi, puisqu’il n’y avait ni allégation ni preuve de mauvaise foi de la part de Laverana, et que les produits visés par la demande au motif qu’ils ont été antérieurement employés en Allemagne avaient été supprimés de la demande canadienne. La Commission a également rejeté l’opposition de Mme McDowell en vertu des articles 16 et 2 de la Loi au motif qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial pour établir que ses marques HONEY avaient été employées ou révélées au Canada aux dates pertinentes applicables.

[9]  Mme McDowell a également affirmé que la marque HONEY MOMENTS de Laverana ne pouvait être enregistrée au Canada parce qu’elle créait de la confusion avec ses marques HONEY enregistrées, contrairement à l’alinéa 12(1)d) de la Loi. En déterminant que Mme McDowell n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait un risque de confusion entre la marque HONEY MOMENTS de Laverana et ses marques HONEY, la Commission a tenu compte du critère de la confusion établi au paragraphe 6(2) de la Loi. Il s’agissait ainsi de savoir si l’emploi d’une marque de commerce créera de la confusion avec une autre marque de commerce « lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ».

[10]  Dans la mesure où le caractère distinctif inhérent des marques était en cause, la Commission a noté que les deux parties avaient fait valoir que leurs marques possédaient un caractère distinctif inhérent, comme il n’existait aucune preuve que le miel est un ingrédient présent dans les produits de l’une ou l’autre des parties. La Commission a néanmoins conclu que ni la marque HONEY ni la marque HONEY MOMENTS possède un caractère distinctif inhérent très marqué, comme le mot « honey » (miel; chéri) a une connotation élogieuse, étant un terme d’affection ou un terme signalant quelque chose de doux ou la douceur; les marques de commerce ayant une connotation élogieuse sont généralement considérées comme des marques de commerce faibles.

[11]  Dans son examen du degré de ressemblance entre les marques, la Commission a accepté que la première partie d’une marque de commerce est généralement considérée comme la plus importante au moment d’évaluer la probabilité de confusion, mais qu’il soit préférable de se demander d’abord si les marques présentent un aspect particulièrement frappant ou unique. La Commission a estimé que ni l’un ni l’autre des éléments HONEY ou MOMENTS n’était particulièrement frappant, comme ces éléments sont des mots anglais d’usage courant. L’aspect frappant et unique de la marque HONEY MOMENTS est plutôt le fait qu’elle se compose de deux éléments qui n’apparaissent généralement pas ensemble.

[12]  La Commission a également jugé que lorsque la marque HONEY MOMENTS est considérée dans son ensemble, le suffixe MOMENTS diminue le degré de ressemblance entre les marques de commerce respectives des parties dans la présentation et le son. De l’avis de la Commission, les marques de commerce se distinguaient dans les idées qu’elles suggéraient. La marque HONEY MOMENTS évoque un « moment doux ou merveilleux », une idée qui n’est pas suggérée par les marques HONEY de Mme McDowell. En l’absence de preuve quant à l’emploi des marques HONEY, la Commission n’a pas accepté l’observation de Mme McDowell que les consommateurs comprendraient que l’élément « MOMENTS » évoque le moment où les produits de marque HONEY sont employés ou la période suivant ce moment.

[13]  Quant à la mesure dans laquelle les marques ont été employées et sont devenues connues, la Commission a conclu que ces facteurs ne favorisaient ni l’une ni l’autre des parties, puisqu’aucune preuve n’a été fournie quant à l’emploi des marques de commerce de l’une ou l’autre partie si ce n’est la déclaration d’emploi produite par Mme McDowell en ce qui concerne son opposition. Selon la Commission, cela lui permettait de ne supposer qu’un emploi de minimis.

[14]  La Commission n’a pas jugé que le genre de produits associés aux marques en litige favorisait Mme McDowell, car bon nombre des produits décrits dans la demande de marque de commerce de Laverana semblent viser des consommateurs semblables à ceux visés par les produits de Mme McDowell. De plus, il était raisonnable de conclure que les voies de commercialisation seraient identiques ou très semblables.

[15]  La Commission a accepté l’allégation de Mme McDowell que les marques nominales ont droit à une protection très étendue et qu’il n’y a pas de restriction inhérente quant à la manière dont la marque peut être employée une fois enregistrée. Cependant, la Commission a conclu que ce principe n’allait pas jusqu’à entraîner automatiquement une probabilité de confusion. La Commission a fait observer qu’il y avait dix marques de commerce au nom de sept propriétaires qui comprenaient l’élément HONEY comme élément dominant, dans le secteur des cosmétiques, des produits de soins personnels, des produits de soins capillaires et autres produits similaires. Tout en se disant d’accord avec Mme McDowell que la preuve de l’état du registre n’était pas suffisante pour lui permettre de conclure que les marques ayant comme préfixe l’élément HONEY étaient couramment adoptées, la Commission a néanmoins conclu que Mme McDowell n’avait pas le monopole de l’emploi du mot HONEY dans le secteur des produits de soins personnels et de soins capillaires. Par conséquent, ce facteur favorisait légèrement Laverana.

[16]  Ayant examiné l’ensemble des circonstances pertinentes, la Commission a conclu que Laverana s’était acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de probabilité de confusion entre la marque HONEY MOMENTS et les marques HONEY de Mme McDowell. Bien que les produits des parties se recoupent et que leurs voies de commercialisation puissent être les mêmes, la Commission a néanmoins estimé que la protection limitée accordée à la marque de commerce élogieuse de Mme McDowell, ainsi que la preuve de l’état du registre, l’absence de preuve d’emploi des marques Honey de Mme McDowell et les différences entre les marques de commerce dans la présentation, le son et l’idée suggérée étaient suffisantes pour lui permettre de conclure en faveur de Laverana. L’opposition de Mme McDowell a par conséquent été rejetée.

III.  Questions en litige

[17]  L’appel de Mme McDowell soulève deux questions. Je dois d’abord déterminer la norme de contrôle applicable à la décision faisant l’objet de l’appel à la lumière des nouveaux éléments de preuve présentés par Mme McDowell. Je dois ensuite déterminer si la preuve établit qu’il y a une probabilité raisonnable de confusion entre les marques HONEY de Mme McDowell et la marque HONEY MOMENTS de Laverana.

[18]  Mme McDowell ne conteste pas les dates pertinentes qui ont été désignées par la Commission comme étant applicables à ses motifs d’opposition.

IV.  Norme de contrôle

[19]  La norme de contrôle établie dans les décisions John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293, par. 36, 36 FTR 70 (C.F. 1re inst.), conf. par 42 C.P.R. 495 (CAF), [1992] A.C.F. 525 et Les Brasseries Molson, Société en nom collectif c. John Labatt Ltée (2000), (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, à la page 196, [2000] 3 C.F. 145 s’applique aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce à l’encontre des décisions du registraire des marques de commerce, siégeant à titre de Commission des oppositions des marques de commerce.

[20]  Ainsi, dans les cas où, en appel, on ne dépose aucune preuve nouvelle ou dans le cas où une preuve nouvelle n’aurait pu avoir une incidence sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le critère consiste à déterminer si la Commission a rendu une décision manifestement erronée. Toutefois, quand, en appel, on produit une preuve additionnelle qui aurait pu avoir une incidence sur les conclusions de fait ou de droit de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le critère est celui de la décision correcte. Bien que cette description ne soit pas tout à fait exacte, certaines décisions précisent qu’il s’agit d’une audience de novo. Dans de tels cas, la Cour peut substituer son opinion à celle de la Commission.

[21]  Ceci dit, alors qu’une preuve nouvelle pourrait « affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission », cela n’« empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent » : Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 37, [2006] A.C.S. no 23.

[22]  Les remarques énoncées dans l’affaire Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., (1990) 3 C.P.R. (4th) 224, [1999] A.C.F. no 1763 me guideront pour décider si la nouvelle preuve justifie un examen fondé sur la norme de la décision correcte. Dans cette affaire, le juge Evans a noté que pour évaluer les conséquences du dépôt d’une preuve additionnelle en matière de norme de contrôle, il s’agit de savoir dans quelle mesure cette preuve est plus probante que celle soumise à la Commission. Si la nouvelle preuve a peu de poids et ne fait que reprendre des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, il faudra déterminer si la décision de la Commission est manifestement erronée. Cependant, si la preuve nouvelle a pu avoir une incidence substantielle sur les conclusions de fait ou de droit de la Commission, il convient d’examiner la décision de la Commission à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve, tant nouvelles qu’anciennes, et la Cour doit arriver à sa propre conclusion (Laverana GmbH & Co. KG c. McDowell, 2016 CF 1276, au paragraphe 13, [2016] A.C.F. no 1287; Shell Canada Limitée c. P.T Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279, au paragraphe 22 [2008] A.C.F. no 1320.

[23]  Mme McDowell a déposé une quantité substantielle de nouveaux éléments de preuve qui abordent principalement la question de la mesure dans laquelle elle a employé ses marques HONEY au Canada. En gardant à l’esprit que la Commission a noté dans plusieurs cas que l’absence d’éléments de preuve concernant l’emploi des marques HONEY de Mme McDowell a joué un rôle de premier plan dans ses conclusions, et après avoir examiné avec soin la preuve nouvelle relative à la question de l’emploi, je suis convaincue que cette preuve nouvelle aurait pu avoir une incidence substantielle sur les conclusions de fait de la Commission. Par conséquent, je suis disposée à examiner la question de novo, tout en tenant encore compte de la décision de la Commission comme facteur pertinent.

V.  Nouveaux éléments de preuve

[24]  Mme McDowell a fourni un affidavit de 243 pages à l’appui de son appel dans lequel elle demande à la Cour de corriger les lacunes dans la preuve qui ont été relevées par la Commission. Dans cet affidavit, elle fournit des éléments de preuve substantiels au sujet de l’emploi de la marque HONEY qui portent sur la notoriété et la survaleur des marques HONEY au Canada.

[25]  Mme McDowell affirme que ses marques HONEY sont utilisées continuellement depuis 2003, quand elle a ouvert son premier point de vente dans le nord de Toronto. Elle exploite actuellement cinq points de vente au détail où sont vendus des vêtements, des chaussures, des bijoux, des accessoires de mode, des montres, des accessoires pour les cheveux et des produits cosmétiques portant les marques HONEY.

[26]  Mme McDowell affirme qu’elle est la principale acheteuse pour ses magasins. Elle décrit le soin qu’elle apporte à l’achat des produits destinés à être vendus dans ses magasins, en expliquant qu’elle examine attentivement les échantillons des produits qu’elle envisage de vendre sous sa marque HONEY afin de s’assurer qu’ils répondent à ses normes de qualité. Mme McDowell décrit également les mesures qu’elle prend pour s’assurer que les services de détail fournis dans ses magasins sont de haute qualité.

[27]  Selon l’affidavit Mme McDowell, en plus d’être apposées sur les produits dans ses points de vente, les marques HONEY sont bien en évidence sur les affiches en magasin et à l’extérieur des magasins et elles sont aussi utilisées dans la publicité et la promotion, ainsi que sur les autocollants, les cartes d’affaires, les cartes postales, les chèques-cadeaux et les cartes-cadeaux, les sacs à provisions, les housses à vêtements et les boîtes qui servent à emballer les produits achetés. Des photographies sont incluses comme pièces de son affidavit, y compris des photos de vitrines sur lesquelles le dessin de marque figure bien en vue; des photos de vêtements et d’accessoires dotés d’étiquettes portant le dessin de marque; des reçus sur lesquels figure le dessin de marque; et des photos de logos et de matériel promotionnel sur lesquels figure le dessin de marque, y compris des publicités, des cartes de fidélité et des sacs, des boîtes et des housses à vêtements.

[28]  Tout en affirmant que ses chiffres de vente sont hautement confidentiels, Mme McDowell déclare que ses ventes moyennes des produits qui portent la marque HONEY ont dépassé 100 000 $ lors de chacune des dix dernières années. De plus, elle témoigne que ses frais de publicité et de promotion dépassent largement 75 000 $ pour chaque année depuis 2003.

[29]  Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la preuve nouvelle présentée par Mme McDowell est clairement importante aux fins de l’appel et répond aux lacunes dans la preuve qui ont été relevées par la Commission.

VI.  Y a-t-il une probabilité raisonnable de confusion entre les marques?

[30]  Cela m’amène maintenant à la question de savoir s’il existe une probabilité raisonnable de confusion entre les marques HONEY de Mme McDowell et les marques HONEY MOMENTS de Laverana.

[31]  En examinant la question de savoir si une marque prête à confusion avec une autre marque, il s’agit de déterminer, lors de la première impression dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé, qui n’a qu’un vague souvenir des marques HONEY de Mme McDowell, si, en voyant la marque HONEY MOMENTS de Laverana, ce consommateur croirait que les produits ont été autorisés, octroyés en licence, fabriqués ou vendus par la même personne : Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20, [2006] S.C.J. no 22, Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 83, [2011] S.C.J. no 27.

[32]  Au moment d’appliquer le critère de confusion, il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment les critères énumérés expressément au paragraphe 6(5) de la Loi. Je vais aborder chacun de ces facteurs ci-dessous.

A.  Le genre de produits et services et la nature du commerce : alinéas 6(5)c) et d) de la Loi

[33]  Comme nous l’avons noté ci-dessus, la Commission a conclu que bon nombre des produits décrits dans la demande de marque de commerce de Laverana semblent viser des consommateurs semblables à ceux visés par les produits de Mme McDowell, et que les voies de commercialisation pour ces deux ensembles de produits seraient identiques ou très semblables. Lorsque les marques en cause sont identiques ou très semblables, le degré de chevauchement entre les produits et services devient un facteur important pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion : Masterpiece, précité, au paragraphe 49. Toutefois, étant donné qu’aucune preuve n’avait été fournie à l’égard de l’emploi des marques de commerce de l’une ou l’autre des parties (autre que la déclaration d’emploi produite par Mme McDowell en ce qui concerne son opposition), la Commission a supposé qu’il y avait eu un emploi de minimis des marques HONEY de Mme McDowell.

[34]  L’affidavit de Mme McDowell répond clairement à la question de l’emploi, démontrant un emploi continu de ses marques HONEY au Canada depuis 2003. Ces deux facteurs ont pesé fortement en faveur de Mme McDowell.

B.  Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues : alinéa 6(5)a) de la Loi

[35]  Quant au caractère distinctif inhérent des marques de commerce, le caractère distinctif doit être évalué dans le contexte des produits et services en question. En l’espèce, les deux parties ont fait valoir que leurs marques de commerce présentaient un caractère distinctif inhérent, puisque le miel (en anglais « honey ») n’est pas un ingrédient que l’on trouve dans les produits de l’une ou l’autre partie. De même, aucun élément de preuve selon lequel le « miel » avait des connotations intrinsèques descriptives ou suggestives dans le contexte des produits ou services en cause dans la présente affaire n’a été présenté. La Commission a néanmoins conclu que les marques ne présentaient pas un caractère distinctif inhérent en raison de l’acception élogieuse du mot « honey », laquelle affaiblit la force des marques.

[36]  Bien que la Commission ait le droit de prendre connaissance d’office dans un dictionnaire des définitions des mots que l’on trouve dans les marques de commerce, elle n’est pas habilitée à prendre connaissance d’une seule signification sans preuve : Chamberlain Group, Inc. c. Lynx Industries Inc., 2010 CF 1287, aux paragraphes 11, 12 et 42, [2010] A.C.F. n° 1595. En l’absence de preuve que le mot « honey » décrit les produits et services en cause ou que le miel était un ingrédient que l’on retrouve dans les produits de l’une ou l’autre des parties, ou en l’absence de preuve permettant de conclure que le mot « honey » a une connotation élogieuse intrinsèque, je suis convaincue que les marques HONEY de Mme McDowell présentent jusqu’à un certain point un caractère distinctif.

[37]  De plus, en considérant la question du caractère distinctif inhérent, la Commission était également tenue de tenir compte de la mesure dans laquelle les marques en cause étaient devenues connues. On se rappellera que la demande de marque de commerce de Laverana a été déposée en fonction de l’emploi proposé au Canada et il n’y avait par conséquent aucune preuve que la marque HONEY MOMENTS était devenue connue au Canada. En revanche, l’affidavit de Mme McDowell démontre que sa marque HONEY était connue dans une certaine mesure, du moins dans la région de Toronto. Par conséquent, ce facteur plaide également en faveur de Mme McDowell.

C.  La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage : alinéa 6(5)b) de la Loi

[38]  Quant à la mesure dans laquelle les marques ont été employées et sont devenues connues, la Commission a conclu que ces facteurs ne favorisaient ni l’une ni l’autre des parties, puisqu’aucune preuve n’a été fournie quant à l’emploi des marques de commerce de l’une ou l’autre partie si ce n’est la déclaration d’emploi produite par Mme McDowell en ce qui concerne son opposition. Là encore, l’affidavit de Mme McDowell établit la preuve de l’emploi continu de ses marques HONEY au Canada depuis 2003, de sorte que ce facteur confirme également l’existence d’une confusion.

D.  Le degré de ressemblance entre les marques : alinéa 6(5)e) de la Loi

[39]  En ce qui concerne le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent, la Commission a accepté que la première partie d’une marque de commerce soit normalement considérée comme ayant le plus d’importance dans l’analyse de la probabilité de confusion. Cela dit, la Commission a également noté qu’il est préférable de se demander si une marque présente un aspect particulièrement frappant ou unique. La Commission a estimé de plus que ni l’un ni l’autre des éléments « HONEY » ou « MOMENTS » n’était particulièrement frappant, et l’aspect frappant et unique de la marque HONEY MOMENTS est plutôt le fait qu’elle se compose de deux éléments qui n’apparaissent généralement pas ensemble.

[40]  On se rappellera, toutefois, que la Commission a rejeté la prétention de Mme McDowell que les consommateurs comprendraient que l’élément « MOMENTS » évoque le moment où les produits de marque HONEY sont employés ou la période suivant ce moment. La Commission a rejeté cet argument au motif de l’absence de preuve quant à l’emploi des marques HONEY de Mme McDowell. Là encore, la preuve nouvelle produite par Mme McDowell répond à cette préoccupation.

E.  L’état du registre

[41]  La Commission a également examiné l’état du registre, le considérant comme l’une des circonstances de l’espèce pouvant orienter son analyse de la confusion. Elle a conclu que l’existence de dix enregistrements de marques de commerce contenant le mot « honey » appartenant à sept tierces parties confirmait l’inférence que Mme McDowell n’exerce pas un monopole sur l’utilisation du mot « honey » dans le secteur des produits pour soins personnels. Mme McDowell soutient que la Commission n’était pas en droit de tirer cette conclusion défavorable sans preuve à l’appui concernant l’utilisation du mot « honey » sur le marché canadien et sans preuve qu’un nombre important d’enregistrements pertinents par de tierces parties figurent au registre et sont utilisés.

[42]  Les éléments de preuve extraits de l’état du registre sont pertinents dans la mesure où ils permettent de tirer des inférences concernant l’état du marché. Par contre, de telles inférences ne peuvent être tirées que s’il existe un grand nombre d’enregistrements pertinents. Selon la théorie, la présence d’un élément commun dans des marques incite les acheteurs à porter davantage attention à d’autres caractéristiques des marques et à les différencier à partir de ces autres caractéristiques : Kellogg Salada Canada Inc. v. Canada (Registrar of Trade Marks), [1992] 3 F.C. 442, [1992] A.C.F. no 562.

[43]  L’affaire Kellogg portait sur au moins 47 enregistrements de marque de commerce et 43 noms commerciaux, ainsi que 18 autres enregistrements de marque de commerce effectués après la date du dépôt, dont le mot « Nutri » faisait partie de la marque. Dans ces circonstances, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’on pouvait inférer que les consommateurs des produits en question « sont habitués à établir de fines distinctions entre les diverses marques de commerce « Nutri » dans le marché, en portant une plus grande attention aux moindres petites différences entre les marques » : au paragraphe 15.

[44]  Toutefois, la preuve de l’enregistrement de plusieurs marques de commerce de tierces parties est importante uniquement lorsque les marques inscrites au registre sont employées de façon courante dans le commerce en question : Compagnie Gervais Danone c. Astro Dairy Products Ltd., 160 F.T.R. 27, au paragraphe 17, [1999] A.C.F. no 408 (C.F. 1re inst.). Pour que l’on puisse conclure qu’un mot ou un élément est commun au commerce, il faut que les marques inscrites au registre soient employées de façon courante dans le commerce en question : Compagnie Gervais, aux paragraphes 17 et 18; Kellogg, précité, au paragraphe 14.

[45]  La preuve présentée à la Commission faisait état de sept tierces parties ayant enregistré des marques de commerce contenant le mot « honey » en liaison avec des produits de soins personnels. La Commission a noté avec raison que le nombre d’enregistrements pertinents n’était pas très élevé, mais elle a conclu que l’existence de ces enregistrements permettait d’inférer que Mme McDowell n’exerçait pas un monopole sur l’utilisation du mot « honey » dans le secteur des produits de soins personnels.

[46]  Cependant, comme l’a mentionné le juge de Montigny dans Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 40, [2012] A.C.F. no 1622, le fait qu’une marque figure au registre ne constitue pas une preuve qu’elle est présentement employée, qu’elle était en usage aux dates pertinentes, qu’elle est employée en rapport avec les marchandises ou des services semblables à ceux des parties, ou encore de connaître l’ampleur de cet usage. En l’absence d’une telle preuve, la Commission a donc commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’état du registre.

F.  Les marques nominales ont droit à une protection très étendue

[47]  Enfin, les tribunaux ont statué que les marques nominales ont droit à une protection très étendue : Masterpiece, précité, aux paragraphes 55 à 59. Mme McDowell souligne que l’octroi d’un enregistrement à Laverana pour la marque nominale HONEY MOMENTS fournirait à cette compagnie une protection tout aussi très étendue. Cela permettrait à Laverana d’employer sa marque de manière à créer de la confusion, en insistant fortement sur le mot « honey ».

[48]  Étant donné que la Commission a jugé que ce facteur plaidait en faveur de Mme McDowell, quoique seulement légèrement, je n’ai pas besoin de me prononcer davantage sur la question.

VII.  Conclusion

[49]  Ayant pris en considération les facteurs pertinents, et compte tenu des circonstances en l’espèce, je suis convaincue que Mme McDowell a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une réelle probabilité de confusion entre les marques HONEY et la marque HONEY MOMENTS de Laverana. Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision de la Commission de refuser l’opposition de Mme McDowell à la marque de commerce canadienne no 1 478 507 concernant HONEY MOMENTS est annulée. L’opposition de Mme McDowell est accordée, et j’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande de marque de commerce HONEY MOMENTS de Laverana.

VIII.  Dépens

[50]  Comme elle a eu gain de cause en l’espèce, Mme McDowell a droit à ses dépens. Ceci dit, puisque l’appel n’était pas contesté, les dépens sont fixés à 2 500 $.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’appel est accueilli et la décision de la Commission de refuser l’opposition de Mme McDowell à la demande de marque de commerce canadienne no 1 478 507 concernant HONEY MOMENTS est annulée;

  2. L’opposition de Mme McDowell est accordée, et j’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande de marque de commerce HONEY MOMENTS de Laverana.

  3. Les dépens engagés par Mme McDowell aux fins du présent appel sont fixés à 2 500 $.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-911-15

 

INTITULÉ :

HEATHER RUTH MCDOWELL c. LAVERANA GmbH & Co. KG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE :

Le 29 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

 

Pour la demanderesse

 

Personne n’a comparu

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim Lowman Ashton & Mckay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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