Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170327


Dossier : T-1915-15

Référence : 2017 CF 315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par la Direction des produits thérapeutiques (la DPT) de Santé Canada à l’automne 2015 (la décision). Cette décision faisait suite à une décision rendue le 17 novembre 2014, qui exigeait qu’Apotex Inc. (Apotex) présente certains renseignements à la DPT avant que celle-ci ne termine son examen de présentations d’avis de conformité (AC) aux fins d’approbation de nouveaux produits fabriqués ou mis à l’essai aux installations de fabrication d’Apotex en Inde, Apotex Pharachem India Pvt (APIPL) et Apotex Research Private Limited (ARPL). Pour l’instant. Apotex demande à la Cour de rendre une ordonnance :

  • a) annuler la décision rendue par la ministre de la Santé (la ministre) de refuser de mettre fin à son interdiction d’accorder un AC pour des produits fabriqués par ARPL ou d’obtenir des ingrédients pharmaceutiques actifs auprès d’APIPL;

  • b) sous la forme d’un bref de mandamus, que toutes les autres présentations visant des produits fabriqués chez ARPL ou qui possèdent des ingrédients pharmaceutiques actifs provenant d’APIPL soient examinées sans qu’Apotex n’ait à fournir d’autres éléments de preuve pour réfuter les mêmes soi-disant préoccupations liées à l’intégrité des données que la ministre a invoquées pour fonder sa décision d’imposer l’interdiction d’importation que le juge Manson a annulée dans sa décision du 14 août 2015;

  • c) adjuger les dépens liés à la présente demande en faveur d’Apotex.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

A. Le régime réglementaire

[2] La Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F-27 (la Loi AD), et le Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 (le Règlement), régissent la fabrication, l’importation et la vente de tous les produits pharmaceutiques au Canada. Diverses lignes directrices et politiques de Santé Canada aident également à interpréter la Loi AD et le Règlement. Conformément à la Loi AD et au Règlement, un fabricant doit obtenir un AC pour vendre ou mettre en marché un nouveau médicament au Canada. La ministre attribue un AC quand elle est convaincue que la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) du fabricant est conforme au Règlement, qui exige que le processus de fabrication respecte des normes obligatoires et que le nouveau médicament soit sécuritaire, efficace et étiqueté conformément aux dispositions du Règlement.

[3] Dans le cadre de son examen de la PADN, la DPT s’appuie sur des données générées par le fabricant de la drogue qui est le promoteur de la présentation. Si la PADN comporte des lacunes ou ne contient pas suffisamment de renseignements, la DPT peut choisir de délivrer une demande d’éclaircissement, un avis de non-conformité ou un avis d’insuffisance. Dans ces trois situations, on demande au promoteur de présenter des renseignements supplémentaires et on lui donne l’occasion de répondre aux préoccupations. En outre, quand un nouveau médicament générique est en attente de l’expiration d’un brevet ou d’une période de protection des données, il peut faire l’objet d’une mise en suspens pour des motifs relatifs à la propriété intellectuelle (mise en suspens PI).

B. Les parties

[4] La demanderesse, Apotex, est le plus important fabricant de produits pharmaceutiques au Canada et elle est affiliée aux entreprises indiennes APIPL et ARPL. APIPL produit des ingrédients pharmaceutiques actifs (IPA), tandis qu’ARPL produit des produits pharmaceutiques sous forme posologique définitive (FPD), qu’Apotex achète et importe ensuite au Canada.

[5] La ministre défenderesse est chargée d’appliquer la Loi AD et le Règlement. Santé Canada, le délégué responsable de réglementer les médicaments au Canada, se compose de diverses directions générales, y compris la ministre et son cabinet, la Direction générale des produits de santé et des aliments. Cette dernière comprend l’Inspectorat, qui est chargé des activités de conformité et d’application de la loi, et qui surveille les licences d’établissement pour les produits de santé (les licences d’établissement); le Bureau des régions et des programmes (le BRP), qui inspecte les établissements au pays et à l’étranger afin d’évaluer la conformité aux bonnes pratiques de fabrication (les BPF), et la DPT, qui délivre des AC.

C. Les faits

[6] En janvier 2014, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a relevé des problèmes liés à l’intégrité des données chez APIPL pendant une inspection. La FDA a constaté des problèmes semblables chez ARPL pendant une inspection menée plus tard, en juin 2014; toutefois, aucun problème de fiabilité des données n’avait été recensé dans le cadre d’une inspection menée conjointement par Santé Canada et la Medicines and Health Regulatory Agency du Royaume-Uni en février 2014. Parmi les problèmes recensés par la FDA, notons des pratiques de laboratoire problématiques, soit l’examen ou la présentation de résultats ne répondant pas aux spécifications, y compris la poursuite de nouveaux essais sur un produit défaillant jusqu’à l’obtention de la note de passage sans expliquer pourquoi les premiers résultats des essais avaient été un échec.

[7] Apotex a reconnu les problèmes de fiabilité des données et a présenté à l’Inspectorat le rapport de la FDA sur l’inspection menée à ARPL, que l’on nomme le « formulaire 483 ». Les observations figurant au formulaire 483 ont soulevé des préoccupations sur la fiabilité des résultats des essais. En réponse, Apotex a informé l’Inspectorat qu’elle mènerait un examen complet des données et une évaluation approfondie des pratiques de laboratoire d’ARPL, y compris des examens rétrospectifs et des audits internes impromptus.

[8] À la suite de discussions avec Apotex, Santé Canada a conclu que tous les produits finis d’APIPL contenant des IPA devraient faire l’objet de nouveaux essais au Canada afin de garantir la santé et la sécurité. Des inspections menées sur place en août 2014 n’ont pas mis au jour des lacunes cruciales qui exigeaient des mesures correctives immédiates. Pendant ce temps, la DPT a continué de délivrer des AC pour des produits contenant des IPA fabriqués à APIPL, y compris un AC délivré le 18 août 2014 pour l’apo-linézolide.

[9] Le 11 septembre 2014, APIPL et ARPL se sont attiré les critiques des médias canadiens, qui ont insinué que le défaut de Santé Canada à mettre en œuvre des mesures à l’encontre de ces entreprises mettaient en danger la santé des Canadiens. Comme la publicité négative prenait de l’ampleur, la ministre a demandé aux directions générales pertinentes de Santé Canada de prendre des mesures à l’encontre d’Apotex.

[10] La DPT affirme avoir été mise au courant des problèmes de fiabilité des données à APIPL et à ARPL le 23 ou le 24 septembre 2014, lorsque la directrice générale d’alors Barbara Sabourin, a reçu un appel téléphonique et une copie en format électronique du formulaire 483 d’un collègue de l’Inspectorat. Peu de temps après, le 30 septembre 2014, l’Inspectorat a modifié la licence d’établissement d’Apotex afin d’inclure une interdiction d’importation de produits pharmaceutiques finis à usage commercial d’APIPL et d’ARPL (interdiction d’importation). Les PADN d’Apotex n’ont cependant pas été touchées au départ puisque la DPT les examinait toujours, y compris celles qui contenaient des données provenant d’APIPL et d’ARPL.

[11] Par la suite, un AC provisoire pour l’apo-rasagiline d’Apotex a été remis à Mme Sabourin. Étant donné qu’on indiquait dans la PADN pour l’apo-rasagiline qu’APIPL et ARPL devraient fabriquer le médicament et mener des essais de libération sur la substance, Mme Sabourin a refusé de signer cet AC. Le 17 novembre 2014, elle a téléphoné au président et chef de la direction d’Apotex, M. Jeremy Desai, afin de lui faire part de ses inquiétudes quant à la possibilité d’une atteinte à la fiabilité des données présentées dans la PADN pour l’apo-rasagiline. Pendant cette conversation, Mme Sabourin a informé M. Desai qu’aucun AC ne serait délivré pour des présentations contenant des données d’APIPL et d’ARPL jusqu’à nouvel ordre (la décision de novembre 2014). D’autres discussions ont eu lieu et la DPT a poursuivi son examen des PADN contenant des données d’APIPL et d’ARPL, comme il est indiqué dans une lettre datée du 9 décembre 2014 envoyée par la DPT à Apotex pour demander des renseignements supplémentaires.

[12] Pendant ce temps, Apotex avait mis en œuvre des mesures correctives et préventives (MCP) pour répondre aux préoccupations relatives à la fiabilité des données d’APIPL et d’ARPL. En mai 2015, Apotex a indiqué qu’elle procéderait au rappel de huit lots de produits finis à usage commercial en raison d’écarts non déclarés et qu’elle retirerait ou modifierait neuf PADN présentées à la FDA en raison d’essais non déclarés. De plus, on reconnaissait dans ce rapport que cinq PADN présentées à Santé Canada étaient visées par des essais non déclarés. Apotex s’était aussi engagée à mener un examen rétrospectif sur la fiabilité des données au moyen de son système informatique Empower 3, qui contient des données générées depuis septembre 2013. L’examen du système informatique précédent, Empower 2, n’était pas encore terminé. Les données contenues dans Empower 2 étaient utilisées dans deux des PADN d’Apotex pour la varénicline et la sitagliptine, qui n’avaient pas reçu d’AC parce qu’elles contenaient des données de 2013.

[13] En juin 2015, la DPT a mené d’autres inspections aux établissements d’APIPL et d’ARPL afin de déterminer à quel point Apotex avait réussi à exécuter les MCP qu’elle avait proposées. Dans les rapports rédigés à la suite de ces inspections, on indiquait que, même si les contrôles du système et les procédures modifiées répondaient de manière satisfaisante aux préoccupations relatives à la fiabilité des données, il fallait assurer une supervision supplémentaire pour établir la viabilité et l’efficacité en période de production accrue. Dans ces rapports, on concluait aussi qu’il fallait assurer une surveillance parce qu’Apotex menait toujours son examen rétrospectif sur les données générées avant la fin des inspections de juin 2015. En général, dans sa recommandation, la DPT indiquait qu’aucun cas de violation de la fiabilité des données semblable à ceux constatés pendant l’inspection menée par la FDA en juin 2014 n’avait été relevé dans le cadre des inspections.

[14] Tout au long de l’année 2015, la DPT a continué d’envoyer des demandes individuelles de renseignements supplémentaires à Apotex pour les PADN qui contenaient des données d’APIPL et d’ARPL. Toutefois, en janvier 2015, la DPT avait élaboré une politique globale concernant son approche de la gestion des présentations contenant des données provenant de sites où l’intégrité des données avait été remise en question. Tous les fabricants de médicaments ont éventuellement été informés officiellement de cette politique le 22 mai 2015.

[15] À la suite des progrès suffisants réalisés par les MCP d’Apotex, l’Inspectorat a informé celle-ci, dans une lettre datée du 31 août 2015, qu’il avait modifié les conditions des licences d’établissement d’Apotex (la décision d’août 2015). Cette modification éliminait l’exigence de fournir des renseignements supplémentaires pour les PADN dans lesquelles on utilisait des données générées par les deux sites après l’inspection menée en juin 2015; on continuait tout de même à demander des renseignements supplémentaires pour toutes les données générées par les sites avant juin 2015 qui n’avaient pas été revues. Cette date a par la suite été ramenée à janvier 2015.

[16] Dans la foulée de ces événements, Apotex a demandé un contrôle judiciaire de deux décisions de l’Inspectorat : l’interdiction d’importation et la décision d’août 2015. Dans une décision datée du 14 octobre 2015, le juge Manson a conclu que l’interdiction d’importation était motivée par le but irrégulier de la ministre d’atténuer les critiques formulées par les médias et à la Chambre des communes, plutôt que par la volonté de protéger la santé et la sécurité des Canadiens, et que cette interdiction avait été imposée sans accorder le degré d’équité procédurale requis dans les circonstances. La Cour a donc annulé la décision de la ministre d’imposer l’interdiction d’importation. Voir Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2015 CF 1161, aux paragraphes 95 à 121 [Apotex 2015].

[17] De même, le juge Manson a annulé la décision d’août 2015 dans un jugement rendu le 15 juin 2016 : voir Apotex Inc c Canada (Santé), 2016 CF 673 [Apotex 2016]. Le juge Manson a conclu que la décision ne pouvait pas être considérée légale lorsque les liens étroits entre cette décision et l’interdiction d’importation étaient conjugués au peu d’éléments de preuve dont disposait la ministre pour appuyer tout motif raisonnable de croire en la nécessité d’autres restrictions applicables aux licences d’établissement d’Apotex en août 2015. Il a été conclu que la décision d’août 2015 était viciée par le but irrégulier ayant mené à l’annulation de l’interdiction d’importation.

[18] Toutefois, les demandes de renseignements supplémentaires présentées par la DPT pour les PADN comportant des données de 2013 d’APIPL et d’ARPL demeuraient les mêmes malgré les décisions liées au contrôle judiciaire susmentionné ou la décision de l’Inspectorat d’éliminer les restrictions relatives aux licences d’établissement d’Apotex, le 14 mars 2016. De l’avis de la DPT, étant donné que les décisions n’abordaient pas la fiabilité des données générées par APIPL ou ARPL avant la mise en œuvre des MCP d’Apotex, il n’y avait pas lieu de modifier la politique, ce que Mme Sabourin a indiqué à Apotex à un certain moment à l’automne de 2015 (la décision de l’automne de 2015). À la suite d’un nouvel examen mené par la nouvelle directrice générale de la DPT, Marion Law, on a plutôt conclu qu’il demeurait nécessaire de présenter des renseignements supplémentaires au cas par cas. Mme Law a exposé ces motifs dans une lettre adressée à M. Desai en date du 8 juillet 2016 (la décision de juillet 2016).

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[19] La décision faisant l’objet du contrôle est celle rendue par la ministre de la Santé à l’automne de 2015 et poursuivie par Mme Law en juillet 2016, de refuser de mettre fin à son interdiction d’accorder un AC pour certains produits fabriqués par ARPL ou d’obtenir des ingrédients pharmaceutiques actifs auprès d’APIPL. Selon Apotex, cette décision est la continuité d’une décision précédente rendue en novembre 2014 par la DPT, prise de manière irrégulière en raison de l’interdiction d’importation que le juge Manson avait radiée dans Apotex 2015, précité.

[20] Dans le cadre d’un appel téléphonique entre Mme Sabourin et M. Desai, le 17 novembre 2014, la DPT a informé Apotex qu’elle ne délivrerait pas d’AC pour les présentations contenant des produits d’APIPL ou d’ARPL jusqu’à nouvel ordre en raison des préoccupations relatives à l’intégrité perçues par des inspecteurs de la FDA. Mme Sabourin a informé M. Desai que la DPT passerait en revue les examens des PADN d’Apotex et qu’elle lui ferait part de toute question précise au moyen de la procédure habituelle.

[21] En effet, le présent contrôle judiciaire vise trois décisions connexes rendues par la DPT qui forment une ligne de conduite continue : la décision de novembre 2014, la décision de l’automne de 2015 et la décision de juillet 2016.

[22] La décision de novembre 2014 comprend des communications téléphoniques et une réunion en personne. Le 17 novembre 2014, au cours d’un appel téléphonique entre Mme Sabourin et M. Desai, la DPT a informé Apotex qu’elle ne délivrerait pas d’AC pour les présentations contenant des produits d’APIPL ou d’ARPL jusqu’à nouvel ordre en raison des préoccupations relatives à l’intégrité perçues par des inspecteurs de la FDA. Mme Sabourin a informé M. Desai que la DPT passerait en revue les examens des PADN d’Apotex et qu’elle lui ferait part de toute question précise au moyen de la procédure habituelle. Au cours d’une réunion en personne tenue le 27 novembre 2014, la DPT a informé Apotex qu’elle ne délivrerait pas d’AC pour les présentations contenant des produits d’APIPL ou d’ARPL, à moins que des renseignements supplémentaires ne soient fournis pour répondre aux préoccupations relatives à l’intégrité des données.

[23] La décision de l’automne de 2015 comprend deux communications faites par courriel et par lettre. Dans un courriel en date du 15 octobre 2015, Mme Sabourin a informé Apotex que la DPT devrait mener une analyse et comprendre les répercussions du jugement rendu dans Apotex 2015 avant de poursuivre. Quelques mois plus tard, dans une lettre estampillée le 17 décembre 2015, Mme Sabourin a informé Apotex que la DPT continuerait d’exiger des renseignements supplémentaires pour les produits provenant d’APIPL et d’ARPL fabriqués avant le 10 juin 2015.

[24] La décision de juillet 2016 renvoie à une lettre datée du 8 juillet 2016 dans laquelle la DPT a indiqué qu’après avoir mené un nouvel examen, il demeurait nécessaire de fournir des renseignements supplémentaires au cas par cas pour les présentations contenant des données générées à APIPL ou à ARPL avant la mise en œuvre de mesures correctives et préventives par Apotex, conformément à la politique générale qu’elle avait communiquée à tous les fabricants de médicaments en janvier 2015. Dans la lettre, Mme Law a expliqué qu’il demeurait nécessaire de fournir des renseignements supplémentaires parce qu’il fallait fournir des renseignements supplémentaires pour quelque 30 autres présentations d’Apotex contenant des données d’APIPL ou d’ARPL faites avant janvier 2015 pour répondre à des préoccupations relatives à l’intégrité des données. Par conséquent, il faudrait encore mener une analyse rétrospective des données pour les présentations contenant des données d’APIPL ou d’ARPL avant janvier 2015.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[25] Apotex fait valoir que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. La ministre a-t-elle agi illégalement à l’automne de 2015 en refusant de mettre fin à l’interdiction d’accorder des AC pour des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL à moins qu’Apotex ne présente d’autres éléments de preuve sur l’intégrité des données à ces deux établissements et d’ici à ce qu’elle le fasse?

  2. La ministre continue-t-elle d’agir illégalement en refusant d’accorder des AC pour des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL à moins qu’Apotex ne présente d’autres éléments de preuve sur l’intégrité des données à ces deux établissements et d’ici à ce qu’elle le fasse?

  3. Si l’exigence continue de la ministre d’obtenir d’autres éléments de preuve sur l’intégrité des données générées à APIPL et à ARPL avant janvier 2015 n’est pas suffisamment liée à la décision d’interdiction d’importation et à celle d’août 2015 qui ont été annulées, ou à la décision du 14 novembre, est-elle raisonnable?

[26] Pour sa part, la défenderesse soutient que les points en litige dans la présente demande s’énoncent comme suit :

  1. Quelle est la nature de la mesure administrative faisant l’objet du contrôle?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  3. La politique de la DPT d’exiger des renseignements supplémentaires pour confirmer la fiabilité des données d’APIPL et d’ARPL est-elle raisonnable?

  4. Apotex a-t-elle le droit d’exiger des ordonnances sous la forme d’un bref de mandamus pour contraindre la ministre de renvoyer certains médicaments à une mise en suspens PI?

V. NORME DE CONTRÔLE

[27] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, lorsque la jurisprudence est constante quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[28] Apotex fait valoir que les communications de novembre 2014 entre Mme Sabourin et M. Desai constituaient une décision qui n’est pas suffisamment indépendante de l’interdiction d’importation annulée le 14 octobre 2015. L’évaluation visant à déterminer si une décision est illégale au motif qu’elle est étroitement liée à une décision antérieure qui a été annulée est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : Apotex Inc c Canada (Santé), 2016 CF 673. Subsidiairement, si la décision de novembre 2014 est suffisamment indépendante, Apotex soutient que cette décision et son application continue sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. De même, si la politique actuelle de la DPT d’imposer des exigences supplémentaires pour les présentations qui contiennent des données générées par APIPL et ARPL avant janvier 2015 est suffisamment indépendante de la décision de novembre 2014, Apotex soutient qu’elle est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[29] Pour sa part, la défenderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable parce que le litige porte sur la politique de la DPT pour les présentations à l’égard desquelles l’intégrité des données est préoccupante, qui s’inscrit dans le régime réglementaire régissant la délivrance d’AC. Il s’agit d’un exercice du vaste pouvoir discrétionnaire de la ministre en application de l’article C.08.002.1(3) du Règlement, qui appelle à une grande retenue : Apotex Inc c Canada (Santé), 2009 CF 452, au paragraphe 23; Pharmascience Inc c Canada (Procureur général), 2008 CAF 258, au paragraphe 4.

[30] À mon avis, l’évaluation visant à déterminer si une décision faisant l’objet d’un contrôle devrait être illégale en raison de sa proximité avec une décision annulée est une question de droit, qui devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. C’est particulièrement le cas si les faits montrent que la décision faisant l’objet du contrôle modifie, reporte et maintient une décision annulée pour le motif qu’elle avait été appliquée de manière injuste et dans un but illégitime : voir Apotex 2016, au paragraphe 45.

[31] Si les décisions attaquées ne sont pas entachées par la décision annulée, les demandes continues de renseignements supplémentaires de la ministre devraient être assujetties à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[32] Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour doit intervenir uniquement si la décision contestée n’est pas raisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[33] Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes en l’espèce :

Drogues nouvelles

New Drugs

C.08.002.1 (1) Le fabricant d’une drogue nouvelle peut déposer à l’égard de celle-ci une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel si, par comparaison à un produit de référence canadien :

C.08.002.1 (1) A manufacturer of a new drug may file an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission for the new drug where, in comparison with a Canadian reference product,

a) la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien;

(a) the new drug is the pharmaceutical equivalent of the Canadian reference product;

b) elle est bioéquivalente au produit de référence canadien d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, si le ministre l’estime nécessaire, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité;

(b) the new drug is bioequivalent with the Canadian reference product, based on the pharmaceutical and, where the Minister considers it necessary, bioavailability characteristics;

c) la voie d’administration de la drogue nouvelle est identique à celle du produit de référence canadien;

(c) the route of administration of the new drug is the same as that of the Canadian reference product; and

d) les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle figurent parmi celles qui s’appliquent au produit de référence canadien.

(d) the conditions of use for the new drug fall within the conditions of use for the Canadian reference product.

(2) La présentation abrégée de drogue nouvelle ou la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

(2) An abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

a) les renseignements et le matériel visés :

(a) the information and material described in

(i) aux alinéas C.08.002(2)a) à f), j) à l) et o), dans le cas d’une présentation abrégée de drogue nouvelle,

(i) paragraphs C.08.002(2)(a) to (f), (j) to (l) and (o), in the case of an abbreviated new drug submission, and

(ii) aux alinéas C.08.002(2)a) à f), j) à l) et o) et aux sous-alinéas C.08.002.01(2)b)(ix) et (x), dans le cas d’une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel;

(ii) paragraphs C.08.002(2)(a) to (f), (j) to (l) and (o), and subparagraphs C.08.002.01(2)(b)(ix) and (x), in the case of an abbreviated extraordinary use new drug submission;

b) les renseignements permettant d’identifier le produit de référence canadien utilisé pour les études comparatives menées dans le cadre de la présentation;

(b) information identifying the Canadian reference product used in any comparative studies conducted in connection with the submission;

c) les éléments de preuve, provenant des études comparatives menées dans le cadre de la présentation, établissant que la drogue nouvelle :

(c) evidence from the comparative studies conducted in connection with the submission that the new drug is

(i) d’une part, est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien,

(i) the pharmaceutical equivalent of the Canadian reference product, and

(ii) d’autre part, si le ministre l’estime nécessaire d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité de celle-ci, est bioéquivalente au produit de référence canadien selon les résultats des études en matière de biodisponibilité, des études pharmacodynamiques ou des études cliniques;

(ii) where the Minister considers it necessary on the basis of the pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics of the new drug, bioequivalent with the Canadian reference product as demonstrated using bioavailability studies, pharmacodynamic studies or clinical studies;

d) les éléments de preuve établissant que les lots d’essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d’une manière représentative de la production destinée au commerce;

(d) evidence that all test batches of the new drug used in any studies conducted in connection with the submission were manufactured and controlled in a manner that is representative of market production; and

e) dans le cas d’une drogue destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, les renseignements permettant de confirmer que le délai d’attente est identique à celui du produit de référence canadien.

(e) for a drug intended for administration to food producing animals, sufficient information to confirm that the withdrawal period is identical to that of the Canadian reference product.

(3) Le fabricant de la drogue nouvelle doit, à la demande du ministre, lui fournir, selon ce que celui-ci estime nécessaire pour évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation abrégée de drogue nouvelle ou de la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, les renseignements et le matériel suivants :

(3) The manufacturer of a new drug shall, at the request of the Minister, provide the Minister, where for the purposes of an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission the Minister considers it necessary to assess the safety and effectiveness of the new drug, with the following information and material:

a) les nom et adresse des fabricants de chaque ingrédient de la drogue nouvelle et les nom et adresse des fabricants de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(a) the names and addresses of the manufacturers of each of the ingredients of the new drug and the names and addresses of the manufacturers of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

b) des échantillons des ingrédients de la drogue nouvelle;

(b) samples of the ingredients of the new drug;

c) des échantillons de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(c) samples of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold; and

d) tout renseignement ou matériel supplémentaire se rapportant à l’innocuité et à l’efficacité de la drogue nouvelle.

(d) any additional information or material respecting the safety and effectiveness of the new drug.

VII. THÈSES DES PARTIES

A. Demanderesse

1) Lien entre la décision de novembre 2014 et l’interdiction d’importation

a) Premières observations de novembre 2016

[34] Apotex soutient que la décision de novembre 2014 (dont les effets ont été poursuivis par la DPT dans son refus de mettre fin à son interdiction d’accorder des AC pour des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL) n’était pas suffisamment indépendante de l’interdiction d’importation illégale. Mme Sabourin affirme que la décision de novembre 2014 était uniquement liée aux préoccupations importantes relatives à l’intégrité des données et qu’elle n’était pas attribuable à l’interdiction d’importation; cet élément de preuve n’est pas crédible pour plusieurs motifs et il doit être rejeté.

[35] Premièrement, toutes les communications entre Mme Sabourin et Apotex relativement à la décision de novembre 2014 renvoient d’abord à l’interdiction d’importation.

[36] Deuxièmement, la thèse de la DPT sur le plan réglementaire est demeurée conforme à celle de l’Inspectorat jusqu’au 14 mars 2016 : à cette date, l’Inspectorat a annulé toutes les modalités et conditions tandis que la DPT a continué d’appliquer l’exigence de fournir des renseignements supplémentaires.

[37] Troisièmement, même si Mme Sabourin affirme que la décision de novembre 2014 se fondait uniquement sur les préoccupations soulevées dans les formulaires 483 de la FDA, d’autres faits contredisent l’affirmation selon laquelle ces préoccupations étaient graves au point de justifier le refus de délivrer des AC : la DPT connaissait l’existence des formulaires 483 de la FDA, mais elle n’a pris aucune mesure réglementaire pendant au moins six mois; l’affidavit et le contre-interrogatoire de Mme Sabourin contredisent le moment où elle a appris l’existence des préoccupations relatives à l’intégrité des données; et la DPT a continué de délivrer des AC pour des produits fabriqués à APIPL même si elle était au courant des formulaires 483.

[38] Quatrièmement, le témoignage de Mme Sabourin comporte d’autres incohérences qui sèment un doute sur la thèse de la défenderesse, y compris la prétention de présenter des éléments de preuve quant aux motifs pour l’interdiction d’importation alors qu’elle n’a joué aucun rôle dans la décision de l’imposer.

[39] Cinquièmement, Mme Sabourin n’arrivait pas à se souvenir de détails et a semblé reconstituer les événements pendant son contre-interrogatoire.

[40] Sixièmement, malgré son souvenir limité des faits et des événements en litige, Mme Sabourin n’a pas tenté de se rafraîchir la mémoire en parlant à d’autres représentants de la DPT ou en examinant les notes et les autres documents liés aux faits et aux événements.

[41] Septièmement, l’absence complète d’éléments de preuve documentaire qui étayent les délibérations sur la décision de novembre 2014 indique que Mme Sabourin ne faisait que suivre la directive de la ministre de prendre des [traduction] « mesures plus rigoureuses » à l’égard d’APIPL et d’ARPL.

[42] Étant donné que la crédibilité du témoignage de Mme Sabourin est contestée pour les motifs qui précèdent, Apotex mentionne que son affirmation selon laquelle la décision de novembre 2014 n’est pas liée à l’interdiction d’importation n’est pas crédible. Les éléments de preuve donnent à croire que les deux décisions sont liées et, vu l’impossibilité de maintenir des décisions administratives fondées sur des décisions sous-jacentes annulées, il est tout aussi impossible de maintenir le refus de la ministre d’annuler la décision de novembre 2014 : Thambithurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 751, aux paragraphes 17 et 18.

b) Observations supplémentaires en février 2017

[43] D’autres éléments de preuve ont été présentés à la suite de l’audience tenue en novembre 2016 sur cette question et Apotex a formulé des observations supplémentaires sur le lien entre la décision de novembre 2014 et l’interdiction d’importation, ainsi que sur la crédibilité du témoignage de Mme Sabourin.

[44] Voici ces nouveaux éléments de preuve : Mme Sabourin s’est souvenue que deux appels téléphoniques avaient eu lieu tout juste avant la décision de novembre 2014. Le premier appel portait sur une conférence entre la DPT et des représentants du cabinet du sous-ministre adjoint (appel du 10 novembre), en particulier la Dre Supriya Sharma, qui était la principale responsable de l’interdiction d’importation. Le deuxième appel n’impliquait que Mme Sabourin et la Dre Sharma (appel du 14 novembre). Des courriels liés à cette période ont aussi été découverts.

[45] Apotex fait valoir que les éléments de preuve supplémentaires soutiennent l’existence d’un lien entre la décision de novembre 2014 et l’interdiction d’importation. En ce qui concerne le décideur, Apotex prétend que la Dre Sharma est responsable des deux décisions. Premièrement, la Dre Sharma a joué un rôle important dans les deux décisions, même s’il est inhabituel pour elle de prendre part aux délibérations de la DPT sur les AC. Deuxièmement, un courriel envoyé par l’un des conseillers principaux de Mme Sabourin confirmait que le jour où la décision de novembre 2014 a été rendue [traduction] « Barb a parlé à Supriya et a été informée qu’elle ne pouvait pas le signer ». Troisièmement, les motifs sous-jacents aux deux décisions reposent sur les mêmes préoccupations relatives à l’intégrité des données.

[46] Apotex soutient que la motivation sous-jacente aux décisions est la même. Premièrement, dans une analyse des enjeux avec lesquels la DPT était aux prises en ce qui concerne l’interdiction d’importation, on indiquait que les rapports médiatiques négatifs constituaient un risque potentiel; ce fait est important puisqu’il constitue le but illégitime ayant mené à l’annulation de l’interdiction d’importation. Deuxièmement, dans cette même analyse, le risque pour la santé et la sécurité du public n’était pas considéré comme une grave préoccupation. Ce fait est parallèle à l’interdiction d’importation puisque la Cour a conclu que les décideurs n’avaient pas tenu compte de la santé et de la sécurité pour exiger l’instauration de l’interdiction d’importation. Troisièmement, les communications entre des représentants de la DPT montrent que l’interdiction de produits provenant de sites qui conservaient leurs cotes de conformité aux BPF (l’une des principales préoccupations de l’interdiction d’importation) suscitait des inquiétudes.

[47] Pour revenir à la question de la crédibilité de Mme Sabourin, Apotex soutient que les éléments de preuve supplémentaires montrent que l’on ne peut se fier au témoignage qu’elle a livré. Dans son témoignage sur la décision de novembre 2014, Mme Sabourin ne se souvenait d’aucun des appels téléphoniques ni de la participation de la Dre Sharma. Apotex prétend qu’une omission aussi importante de la preuve liée à une question centrale de l’instance devrait soulever de graves doutes quant à la fiabilité du témoignage du témoin. En outre, Mme Sabourin ne se souvenait pas non plus d’autres conversations ou événements pertinents dont il était question dans les nouveaux courriels.

2) Caractère raisonnable de la décision de novembre 2014

[48] Subsidiairement, Apotex soutient que la décision de novembre 2014 n’était pas raisonnable.

[49] Cette décision a été prise en fonction d’un aspect extrêmement limité et elle ne devrait pas être considérée comme raisonnable. Malgré l’existence d’une grande quantité d’éléments de preuve pertinents comme des courriels, des notes de service et des lettres échangés entre Apotex et Santé Canada, Mme Sabourin a uniquement examiné le formulaire 483 de la FDA et l’avis de fin d’inspection provisoire de Santé Canada avant de rendre la décision de novembre 2014. Mme Sabourin n’a pas non plus consulté les représentants du BRP qui avaient réalisé les inspections à APIPL et à ARPL ni les représentants de l’Inspectorat qui ont imposé l’interdiction d’importation.

3) Caractère raisonnable de l’application continue de la décision de 2014

[50] La ministre n’a présenté aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi il demeurait nécessaire de fournir des ensembles sur l’intégrité des données pour les nouveaux produits fabriqués à ARPL ou pour se procurer des ingrédients pharmaceutiques actifs auprès d’APIPL. Mme Sabourin est incapable de donner de l’information sur cette question et la défenderesse a refusé les demandes visant à interroger d’autres personnes susceptibles d’en savoir plus sur ce sujet, comme la directrice générale actuelle de la DPT. L’absence totale d’éléments de preuve montre qu’il n’est pas fondé de continuer d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données et la décision doit donc être annulée au motif qu’elle est déraisonnable.

B. Défenderesse

1) Nature de la mesure administrative faisant l’objet du contrôle

[51] La défenderesse soutient que la soi-disant décision de novembre 2014 et son maintien ne constituent pas une décision ou une mesure administrative susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Au moment de l’appel téléphonique entre Mme Sabourin et M. Desai le 17 novembre 2014, la DPT travaillait toujours à l’élaboration d’une approche à l’égard des présentations qui contenaient des données provenant de sites où l’intégrité des données était préoccupante. L’élaboration de la politique s’est poursuivie après l’appel téléphonique et a pris fin en janvier 2015. Par conséquent, la contestation directe de l’appel téléphonique est invalidée par la doctrine de la prématurité, selon laquelle à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme : Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, au paragraphe 31.

[52] La question en litige est en réalité la politique globale de la DPT en matière d’intégrité des données qui exige de présenter des renseignements supplémentaires pour confirmer l’intégrité des données provenant d’APIPL et d’ARPL. Même si une politique existante peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire à tout moment, les politiques ministérielles internes n’appellent pas à une obligation d’équité procédurale ou à une obligation de motivation et elles attirent une retenue considérable.

2) Caractère raisonnable de la politique sur l’intégrité des données

a) Premières observations de novembre 2016

[53] La défenderesse soutient que la politique est raisonnable et qu’elle ne contient aucune erreur susceptible de révision.

[54] La ministre, et donc la DPT en tant que déléguée nommée, jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire afin de demander à obtenir tout renseignement supplémentaire considéré comme nécessaire pour déterminer l’efficacité et l’innocuité d’un nouveau médicament proposé. La politique existante de la DPT d’exiger des renseignements supplémentaires pour confirmer la fiabilité des données générées à APIPL et à ARPL avant le 1er janvier 2015 constitue une réponse raisonnable à un problème complexe et n’exige pas une intervention des tribunaux. Plusieurs motifs soutiennent la politique : la FDA a signalé des essais problématiques à ces deux sites, y compris des résultats négatifs à la suite d’un nouvel essai sans mentionner les échecs antérieurs; M. Desai a reconnu en contre-interrogatoire que seule une enquête précise et individuelle sur les essais problématiques pouvait confirmer la fiabilité des données, ce qui correspond effectivement à ce que la DPT exige dans les ensembles supplémentaires sur l’intégrité des données; dans son examen des données, Apotex a reconnu que cinq présentations canadiennes étaient touchées par les problèmes d’intégrité des données; Apotex a apporté des modifications à ses présentations où il fallait confirmer l’intégrité des données en raison des problèmes à cet égard; et la DPT ne peut pas confirmer de façon indépendante la fiabilité des données contenues dans les présentations susceptibles d’avoir été touchées par les essais problématiques.

[55] La politique n’est pas dispendieuse au point d’être déraisonnable pour Apotex. La DPT utilise ses propres ressources pour examiner les présentations au cas par cas et pour demander des renseignements supplémentaires plutôt que de rejeter les présentations dès le départ. Ces demandes de renseignements supplémentaires ne se limitent pas à Apotex et elles peuvent tout autant s’appliquer aux produits d’autres fabricants de médicaments.

[56] Les demandes de renseignements supplémentaires étaient et sont motivées par les mêmes préoccupations relatives à l’intégrité des données que celles ayant donné lieu à l’imposition de l’interdiction d’importation, mais pas par l’interdiction d’importation elle-même. Les notes que Mme Sabourin a prises pendant l’appel n’indiquent pas que la DPT a agi en se fondant uniquement sur l’interdiction d’importation; elles renvoient plutôt à [traduction] « des problèmes de signification [sic] d’intégrité des données comme ceux perçus par les inspecteurs de la FDA des États-Unis » et aux préoccupations de Mme Sabourin sur l’intégrité des données contenues dans les présentations d’Apotex. Les éléments de preuve ne soutiennent pas que Mme Sabourin faisait l’objet de pressions de la part de la ministre ou qu’elle agissait dans un but irrégulier. Mme Sabourin a plutôt examiné minutieusement la question : elle a demandé à ses subalternes de se pencher sur la question; elle a organisé une réunion de scientifiques afin qu’ils formulent des conseils sur la façon de gérer les préoccupations relatives à l’intégrité et à la fiabilité des données contenues dans les présentations; elle a fait part de ses préoccupations relatives à l’intégrité des données à Apotex après avoir examiné un AC provisoire, le 17 novembre 2014; et elle a rencontré Apotex afin d’en discuter. Des mois plus tard, ces considérations ont donné lieu à une politique qui présentait à Apotex un avis de ses préoccupations et une occasion de répondre.

b) Observations supplémentaires en février 2017

[57] À la suite de la deuxième audience, la défenderesse a présenté d’autres observations sur les éléments de preuve supplémentaires, la production documentaire et la preuve, en plus de clarifier des éléments de preuve présentés précédemment.

[58] En ce qui concerne l’incidence des éléments de preuve supplémentaires, la défenderesse soutient qu’ils sont limités, entièrement conformes aux éléments de preuve présentés au départ et sans importance. La défenderesse prétend que l’appel du 10 novembre est conforme au témoignage de Mme Sabourin, selon lequel l’analyse des problèmes de fiabilité des données a commencé en septembre 2014; son personnel élaborait une politique visant les présentations qui contenaient des données provenant des sites touchés et antérieures au 13 novembre 2014; des réunions sur la politique et les problèmes de fiabilité des données avaient lieu régulièrement; et les sites touchés ne se limitaient pas à ceux d’Apotex. Dans les notes sur l’appel du 10 novembre, il était question de préoccupations relatives à l’intégrité des données touchant un éventail d’entreprises pharmaceutiques. Il n’est pas non plus surprenant que Mme Sabourin ne se souvienne pas de l’appel du 10 novembre puisqu’elle a livré son témoignage 18 mois plus tard.

[59] De même, l’appel du 14 novembre n’établit aucune influence inappropriée sur le processus décisionnel de Mme Sabourin. Mme Sabourin a indiqué dans son témoignage qu’il n’était pas inhabituel de consulter la Dre Sharma sur un dossier complexe étant donné que cette dernière avait elle aussi été directrice générale de la DPT. De plus, de l’avis de Mme Sabourin, il a probablement été question, dans l’appel du 14 novembre, de ses préoccupations relatives à la délivrance d’un AC au beau milieu de problèmes liés à l’intégrité des données et la Dre Sharma lui a indiqué qu’elle ne pouvait pas signer l’AC dans ces circonstances. Ce témoignage correspond à celui qu’elle avait livré précédemment, où elle avait indiqué qu’elle avait entre autres fonctions de tenir au courant la sous-ministre adjointe des dossiers « chauds ».

[60] De même, les courriels au sujet de l’appel du 10 novembre ne sous-entendent pas que la DPT n’était pas préoccupée par les questions touchant la santé et la sécurité ou que la couverture médiatique négative constituait un facteur de motivation considérable. Mme Sabourin a expressément rejeté ce dernier élément pendant son témoignage et les courriels le contredisent en fait, parce que le risque lié aux médias était classé comme facteur de risque secondaire. Il n’est pas déraisonnable que le risque pour la réputation puisse constituer un facteur; toutefois, selon les éléments de preuve, il ne s’agissait pas d’un facteur de motivation important. De plus, en novembre 2014, l’attention des médias avait baissé et aucun élément de preuve n’a été présenté afin de montrer que la ministre faisait alors l’objet de pressions politiques.

[61] En ce qui concerne les préoccupations relatives à la production documentaire et à la preuve, la défenderesse prétend que la conduite de la DPT était conforme. Si Apotex désirait obtenir des documents supplémentaires, elle aurait dû en faire la demande lorsqu’elle en a eu l’occasion. Apotex a plutôt retiré sa requête en vue de demander la production d’un dossier en application de l’article 317 des Règles et a refusé l’offre de Mme Sabourin de vérifier les faits indiqués dans ses réponses en contre-interrogatoire. Néanmoins, peu importe le souvenir de Mme Sabourin sur des conversations précises dans le cadre de réunions, elle a toujours témoigné de manière claire et uniforme que la principale préoccupation résidait dans l’intégrité des données.

[62] La défenderesse veut aussi préciser un élément de preuve antérieur, soit le fait qu’APIPL possédait une cote de non-conformité. Apotex avait soutenu qu’APIPL et ARPL avaient eu des cotes de conformité en tout temps, mais APIPL avait une cote de non-conformité depuis le 29 avril 2014. Une cote de conformité provisoire avait été attribuée le 25 septembre 2014 sans toutefois être attribuée de façon définitive.

3) Demande de bref de mandamus

[63] La défenderesse soutient qu’aucun motif ne justifie d’accueillir la demande d’ordonnance sous la forme d’un bref de mandamus présentée par Apotex parce que celle-ci n’a pas établi qu’elle avait obtenu un droit acquis à l’égard d’un AC ou d’un statut de mise en suspens PI. La ministre peut à sa discrétion revoir les demandes relatives aux mises en suspens PI à la lumière de nouveaux renseignements qui sèment un doute sur les conclusions initiales sur l’efficacité et l’innocuité d’une drogue : Apotex Inc c Canada (Santé), 2012 CAF 322.

VIII. DISCUSSION

A. Motif irrégulier

1) Introduction

[64] Dans son mémoire des faits et du droit, Apotex demande à la Cour de rendre les ordonnances qui suivent :

  • a) annuler la décision rendue par la ministre de refuser de mettre fin à son interdiction d’accorder des AC pour des produits fabriqués par ARPL ou d’obtenir des IPA auprès d’APIPL;

  • b) sous la forme d’un bref de mandamus, que toutes les autres présentations visant des produits fabriqués chez ARPL ou qui possèdent des IPA provenant d’APIPL soient examinées sans qu’Apotex n’ait à fournir d’autres éléments de preuve pour réfuter les mêmes soi-disant préoccupations liées à l’intégrité des données que la ministre a invoquées pour fonder sa décision d’imposer l’interdiction d’importation.

[65] Comme l’a confirmé Mme Rosenthal, qui agissait au nom d’Apotex à la reprise de l’audience le 13 février 2017, la décision principale qui fait l’objet d’un contrôle dans le cadre de la présente demande est celle de la ministre de [traduction] « continuer d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données pour les produits provenant d’APIPL et d’ARPL fabriqués ou mis à l’essai avant » janvier 2015.

[66] Le 14 octobre 2015, le juge Manson, dans sa décision, a annulé l’interdiction d’importation parce qu’elle n’était pas motivée par des préoccupations relatives à l’intégrité des données, mais plutôt qu’elle « a été motivée par le souhait de la ministre d’atténuer les pressions déclenchées par les médias ainsi qu’à la Chambre des communes ». À la suite de cette décision, Apotex croyait que le fondement à l’exigence de la DPT de fournir des ensembles supplémentaires sur l’intégrité des données avait été éliminé. En conséquence, Apotex a écrit à Mme Sabourin de la DPT pour lui demander de revoir la décision qu’elle avait prise précédemment, soit d’exiger de fournir des ensembles sur l’intégrité des données (ce qui a été fait en novembre 2014 selon Apotex). Mme Sabourin a répondu qu’elle tiendrait compte des répercussions de la décision rendue par le juge Manson; après l’avoir fait, elle a informé Apotex que la décision du juge ne changeait rien au fait que la DPT devait obtenir des renseignements supplémentaires pour traiter des AC en suspens liés à des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL avant une certaine date – qui correspond maintenant à janvier 2015. Par conséquent, la DPT a maintenu cette exigence de fournir des ensembles sur l’intégrité des données pour les présentations d’AC qui étaient demeurées dans le système et qui se fondaient sur des données antérieures à janvier 2015.

[67] Indépendamment du fait que la décision principale faisant l’objet du contrôle a été prise à l’automne 2015, Apotex met un accent considérable, dans la présente demande, sur des événements antérieurs survenus en 2014. Elle insiste particulièrement sur ce qui correspond selon elle à une décision prise en novembre 2014 afin de suspendre les présentations d’AC d’Apotex pour des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL.

[68] Dans la situation actuelle entre les parties au présent litige, il semblerait que la DPT n’exige plus d’Apotex qu’elle présente des renseignements supplémentaires afin d’étayer l’intégrité des données générées à ARPL ou à APIPL après le 1er janvier 2015 contenues dans les présentations. En effet, la DPT a conclu que les données générées après la prise de mesures correctives et préventives par Apotex pouvaient désormais être considérées comme fiables. Nous n’examinons donc que les présentations qui contiennent des données générées avant janvier 2015.

[69] En outre, parmi les 30 médicaments énumérés dans l’avis de demande, Apotex a présenté à la DPT les renseignements requis pour 28 d’entre eux. De ces 28, 26 ont été approuvés et 2 ne l’ont pas été pour des motifs autres que l’intégrité des données. Il reste donc deux médicaments dont les présentations se fondaient sur des données générées avant janvier 2015 et pour lesquelles la DPT demande des ensembles sur l’intégrité des données. Ces présentations, qui sont pour la varénicline et la sitagliptine, contiennent des données issues d’études de stabilité menées à ARPL en 2013.

[70] La réparation demandée ne pourrait donc s’appliquer qu’à la varénicline et à la sitagliptine, ou à un médicament quelconque non désigné à ce jour, dont la présentation à la DPT se fondera sur des données antérieures à janvier 2015. C’est parce qu’il n’y a aucune interdiction générale d’[traduction] « accorder des AC pour des produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA ont été fournis par APIP ». En réalité, la DPT refuse d’accorder des AC pour la varénicline et la sitagliptine jusqu’à ce qu’Apotex fournisse les ensembles sur l’intégrité des données demandés pour répondre aux préoccupations à cet égard issues de renseignements générés en 2013. En ce qui concerne les présentations futures, la Cour ne dispose d’aucun dossier qui lui permettrait de déterminer les préoccupations qui pourraient surgir pour des données générées avant janvier 2015. Voilà pourquoi, selon moi, Apotex demande simplement que les présentations liées à des produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA proviennent d’APIPL [traduction] « soient examinées sans qu’Apotex n’ait à fournir d’autres éléments de preuve pour réfuter les mêmes soi-disant préoccupations liées à l’intégrité des données que la ministre a invoquées pour fonder sa décision d’imposer l’interdiction d’importation » (italique ajouté).

[71] Rien dans cette demande ne me porte à croire que la DPT ne peut pas, de manière générale, demander à obtenir des renseignements supplémentaires pour répondre à des préoccupations sur l’intégrité des données relevées dans n’importe quelle présentation, y compris n’importe quelle présentation faite par Apotex. Je ne crois pas non plus qu’Apotex s’oppose à la politique élaborée par la ministre pour répondre aux préoccupations relatives à l’intégrité des données et qui s’applique à tous les fabricants, comme l’indique l’avis du 22 mai 2015. Apotex ne fait que contester les décisions (à l’heure actuelle, la retenue des AC pour la varénicline et la sitagliptine), où elle allègue que la DPT invoque des préoccupations relatives à l’intégrité des données qui ont servi de justification à l’interdiction d’importation.

[72] Cette situation soulève des questions causales extrêmement complexes dans le présent litige. Tout d’abord, il me semble qu’Apotex doit montrer que la thèse actuelle de la DPT, soit d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données pour apaiser des préoccupations à cet égard dans les présentations pour la varénicline et la sitagliptine, est irrégulière parce qu’elle émane de l’interdiction d’importation qui, comme le juge Manson l’a conclu dans sa décision du 14 octobre 2015 dans le dossier no T-2223-14, était motivée par une fin irrégulière :

[107] Les faits susmentionnés laissent entendre que l’interdiction d’importation a été motivée par le souhait de la ministre d’atténuer les pressions déclenchées par les médias ainsi qu’à la Chambre des communes – un but qui ne relevait pas du pouvoir qui lui est délégué par la loi habilitante, et qui doit être exercé d’une manière conforme au principe de la primauté du droit. Les mesures de la ministre étaient donc ultra vires et elle a commis une erreur dans le cadre de l’exercice de sa compétence en mettant en œuvre une interdiction d’importation le 30 septembre 2014. Les déclarations publiques que la ministre et Santé Canada ont faites le 30 septembre 2014 étaient une manifestation de ce but irrégulier; pour la ministre, elles étaient un moyen de montrer publiquement qu’elle prenait des mesures énergiques et n’était pas plus faible que son homologue réglementaire américain.

[73] En ce qui concerne l’interdiction d’importation, la ministre retirait des droits dont Apotex jouissait déjà. En l’espèce, la DPT demande à obtenir des renseignements supplémentaires avant d’être prête à accorder à Apotex le droit qu’elle demande en vertu des présentations d’AC. Apotex peut convaincre la Cour que la décision initiale de la DPT d’exiger qu’Apotex lui fournisse des renseignements supplémentaires était motivée de façon irrégulière par l’interdiction d’importation en novembre 2014 (quand la DPT a informé Apotex, après que cette dernière lui a remis sa présentation sur l’apo-rasagiline, qu’elle devrait obtenir des renseignements supplémentaires). Cela ne signifie pas pour autant que l’exigence actuelle de la DPT d’obtenir des renseignements supplémentaires pour la varénicline et la sitagliptine est irrégulière ou déraisonnable, si de tels renseignements sont en fait requis pour convaincre la DPT que la santé et la sécurité des Canadiens ne sont pas en danger. Selon moi, Apotex doit donc montrer que la DPT demeure motivée par l’interdiction d’importation imposée à tort quand elle lui exige de présenter des renseignements supplémentaires pour ces demandes en particulier.

[74] La Cour est aux prises avec un autre problème : dans l’ensemble, Apotex a présenté à la DPT les renseignements supplémentaires demandés pour 28 des 30 médicaments indiqués dans l’avis de demande; seules les présentations pour la varénicline et la sitagliptine demeurent non réglées. En ce qui concerne la varénicline, la présentation a été faite le 22 mars 2013 et la DPT a demandé à obtenir des renseignements supplémentaires le 15 juillet 2015. Dans le cas de la sitagliptine, la présentation a été faite le 16 décembre 2013 et la demande de renseignements supplémentaires a été faite le 15 juillet 2015. Pour la présentation sur l’apo-rasagiline, qui a donné lieu aux premières préoccupations sur l’intégrité des données faisant l’objet du présent contrôle, la demande de renseignements supplémentaires a été présentée le 9 décembre 2014. Apotex a fourni ces renseignements et l’AC a été délivré le 11 janvier 2016. Apotex n’a pas demandé à la Cour de se pencher sur ces demandes de renseignements supplémentaires en tant que demandes distinctes, puisque le temps pour le faire est écoulé et qu’il n’est plus nécessaire de le faire dans le cas de l’apo-rasagiline. C’est pourtant dans la présentation sur l’apo-rasagiline présentée le 14 novembre 2014 que les préoccupations sur l’intégrité des données auxquelles le juge Manson a fait référence dans son examen de l’interdiction d’importation ont été soulevées pour la première fois.

[75] Ainsi, des 30 présentations qui contenaient des données sur des produits fabriqués à ARPL ou qui possédaient des IPA provenant d’APIPL, Apotex a répondu aux demandes de renseignements supplémentaires de la DPT plutôt que de demander un contrôle judiciaire. Selon toute vraisemblance, Apotex a agi de la sorte parce qu’elle croyait que si l’on concluait que l’interdiction d’importation était irrégulière, toute préoccupation relative à la sécurité disparaîtrait au moment de l’annulation de l’interdiction d’importation. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’Apotex accepte que ces demandes de renseignements supplémentaires sont légitimes. Toutefois, comme les éléments de preuve auxquels je viendrai plus tard l’indiquent, pour la varénicline et la sitagliptine, Apotex éprouve des difficultés à terminer le processus d’examen interne qu’elle s’était entendue avec la FDA de mener. Apotex a demandé à la Cour de tirer de nombreuses conclusions (abordées ci-dessous) sur la motivation de la DPT à demander des renseignements supplémentaires. Il est possible, bien entendu, de tirer des conclusions dans les deux sens, ce qui signifie que l’on ne peut pas écarter le fait qu’Apotex a répondu à 28 demandes de renseignements supplémentaires et son recours à un contrôle judiciaire pour deux médicaments à l’égard desquels elle n’a pas encore terminé son examen interne des préoccupations liées aux données qu’elle s’est engagée à mener.

B. Les échanges de novembre 2014

[76] L’élément central de l’argumentation d’Apotex selon laquelle le refus par la DPT d’accorder des AC pour des produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA proviennent d’APIPL est irrégulier réside dans l’échange qui a eu lieu entre M. Desai, président et chef de la direction d’Apotex, et Mme Sabourin, directrice générale de la DPT à ce moment, en novembre 2014, ainsi que les événements ayant donné lieu à cet échange.

[77] C’est à ce moment qu’un AC provisoire pour l’apo-rasagiline a été présenté à Mme Sabourin afin qu’elle le signe. On indiquait dans la présentation qu’APIPL et ARPL seraient chargés de fabriquer le médicament et de le soumettre à des essais de libération. Mme Sabourin a refusé de signer l’AC et a téléphoné à M. Desai le jour ouvrable suivant pour en discuter.

[78] Apotex affirme que le refus de Mme Sabourin de signer l’AC pour l’apo-rasagiline était motivé de façon irrégulière par l’interdiction d’importation. La DPT affirme que les gestes posés par Mme Sabourin étaient motivés par de véritables préoccupations relatives à l’intégrité des données qui touchaient l’innocuité, la qualité et l’efficacité de la drogue.

[79] À la suite de sa discussion téléphonique avec M. Desai, le 17 novembre 2014, Mme Sabourin en a présenté un résumé dans un courriel qu’elle a envoyé à ses collègues le même jour. Le courriel est rédigé comme suit :

[traduction]

Appel téléphonique avec Jeremy Desai aujourd’hui

Barbara J Sabourin à : karen.reynolds, Craig Simon

c. c. : john.patrick.stewart

2014-11-17, 17:13

Bonjour. J’ai parlé à Jeremy Desai aujourd’hui au sujet des présentations d’Apotex sur des produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA ont été fournis par APIPL, qui se trouvent toutes deux en Inde. Ces deux sites sont visés par une interdiction d’importation en raison de problèmes de signification [sic] d’intégrité des données, comme ceux perçus par les inspecteurs de la FDA des États-Unis. J’ai indiqué à Jeremy que nous n’émettrions pas d’AC pour des présentations liées à ces sites jusqu’à nouvel ordre. Nous leur transmettrons toute question précise que nous pourrions avoir des façons habituelles (clarifax, ANC, ADI) à mesure que nous menons les examens.

En guise de suivi, nous devons leur envoyer un document par écrit afin de leur indiquer ce que nous faisons. Pourriez-vous rédiger une première ébauche s’il vous plaît ou demander à quelqu’un d’autre de le faire?

Nous devons aussi rédiger une communication plus officielle à envoyer à l’ensemble de l’industrie sur la façon dont nous gérons ce type de situation. Voilà en partie pourquoi j’ai organisé la réunion interne de demain.

Voici les points clés de ma conversation avec Jeremy :

- nos inspecteurs et ceux de MHRA ont visité leurs laboratoires après avoir pris connaissance de la lettre 483 de la FDA des États-Unis et n’ont relevé aucun problème. L’Australie s’est conformée à l’avis de ses inspecteurs et n’a pas établi d’interdiction d’importation

- 22 octobre – une vérification interne de leurs laboratoires au Québec n’a relevé aucun problème

- 27 novembre – un tiers mènera des examens d’approbation des données

- On leur a demandé de recourir à des essais par des tiers pour tous les produits importés de ces sites; ils ne peuvent même pas utiliser leurs propres laboratoires au Canada

- les entreprises qui ne vendent pas aux États-Unis n’auront jamais de formulaire 483; par conséquent, le Canada traite de manière injuste celles qui vendent aux États-Unis

- Cela s’ajoutera à leur réclamation en dommages-intérêts à l’encontre de Santé Canada

Il a aussi indiqué qu’il aimerait savoir ce dont nous avons besoin pour nous assurer que l’intégrité des dossiers ne pose aucun problème. Il a indiqué que tout problème lié aux produits aurait été trouvé puisqu’ils mènent des essais dans leurs laboratoires canadiens pour tous les produits importés. Il indique aussi que le niveau d’examen est déjà très élevé pour toutes les entreprises, ce qui diffère grandement des années précédentes.

Jeremy a aussi précisé que leurs laboratoires au Québec ont déjà été acceptés pour mener des essais supplémentaires et des essais complets de libération (mes notes ne sont pas bonnes sur ce point).

Je me suis engagée à faire un suivi par téléphone avec lui lundi prochain, le 24 novembre 2014.

[…]

[80] Apotex soutient qu’en suspendant la délivrance d’AC pour des produits conçus à APIPL ou à ARPL, la ministre harmonisait l’approche de la DPT à l’égard des présentations réglementaires avec celle de l’Inspectorat pour des produits déjà sur le marché, ce que l’interdiction d’importation a mis en œuvre. Selon Apotex, les échanges du 17 novembre 2014 ne sont qu’un autre geste motivé par des raisons politiques que la ministre a posé à son endroit, de sorte que la suspension des AC « jusqu’à nouvel ordre » ne constituait qu’une partie de la réponse de la ministre à la pression médiatique et politique ayant motivé l’interdiction d’importation (que le juge Manson a par la suite déclarée irrégulière dans sa décision du 14 octobre 2015). Elle était aussi liée à la décision prise par la ministre le 31 août 2016 de modifier les conditions des licences d’établissement d’Apotex pour APIPL et ARPL, que le juge Manson a déclarée illégitime dans la décision qu’il a rendue le 15 juin 2016 dans le dossier no T-1653-15 :

[57] La question que la Cour doit trancher en l’espèce n’est pas de savoir si le ministre avait compétence pour modifier les conditions de LE d’un fabricant de produits médicamenteux, ou si le ministre a mal précisé la source de sa compétence. En fait, il est bien évident que le pouvoir de modifier ou d’imposer des conditions relève directement du mandat du ministre. La question est plutôt de savoir si la décision d’août 2015 était illégale étant donné que la modification venait appuyer une décision annulée par la Cour par le maintien partiel des conditions de 2014 dans les conditions de 2015.

[58] Essentiellement, la légalité de la décision d’août 2015 dépend i) de l’existence d’une décision suffisamment indépendante par rapport à l’interdiction d’importation de 2014, et ii) de la possibilité qu’elle puisse quand même être justifiée par la preuve, de telle sorte que le but illégitime du ministre dans l’imposition de l’interdiction d’importation n’a pas non plus vicié cette décision subséquente et connexe.

[59] Il est évident que la décision d’août 2015 n’a pas été appliquée à titre de nouvelle décision indépendante découlant de l’interdiction d’importation de 2014, et qu’elle n’était pas censée l’être. Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs lorsqu’ils disent que la caractérisation de la décision d’août 2015 comme constituant une modification est sans importance. Les deux décisions sont inextricablement interdépendantes, et les faits qui m’ont été présentés indiquent que la décision d’août 2015 n’était, ni dans la substance ni dans la forme, une décision autonome et sans influence, de telle sorte qu’elle n’était pas aussi touchée par le but illégitime qui a donné lieu à l’interdiction d’importation.

[…]

[65] Je conclus que la décision d’août 2015 ne peut pas être jugée légale lorsque les liens étroits entre cette décision et l’interdiction d’importation sont recoupés avec l’absence de preuve dont disposait le ministre pour appuyer toute croyance raisonnable en la nécessité d’une interdiction des importations en août 2015. Les défendeurs n’ont présenté aucune preuve, par affidavit ou circonstancielle, susceptible de me persuader que même si la décision d’août 2015 correspondait à une modification et qu’elle était étroitement liée à la décision de 2014, elle était quand même justifiée au regard des faits.

[…]

[69] Fondamentalement, ce n’est pas simplement la mention par le ministre de certaines dispositions du Règlement ou d’une décision subséquemment annulée qui, à mon avis, rend la décision d’août 2015 illégale. C’est plutôt la perpétuation d’une décision jugée avoir été motivée par un but ne relevant pas des pouvoirs délégués du ministre, et donc une décision qui n’a pas été prise conformément à la règle de droit et qui n’en respecte pas la suprématie (décision Apotex v Canada, précitée, au paragraphe 107).

[70] Selon les défendeurs, il est fondamentalement important que la décision dans le premier contrôle judiciaire n’ait pas miné les préoccupations légitimes concernant l’intégrité des données qu’avait Santé Canada face aux établissements concernés. Je tiens à souligner que ni le premier contrôle judiciaire ni les présents motifs n’indiquent que Santé Canada n’était pas préoccupé par l’intégrité des données ou que Santé Canada n’était pas en droit d’examiner des renseignements fournis par ses organismes réglementaires homologues internationaux. Je ne suis cependant pas d’accord sur le fait que les préoccupations concernant l’intégrité des données, dont la preuve démontre qu’elle n’a fait que s’améliorer depuis septembre 2014, justifiaient le maintien d’une interdiction d’importation dans la décision d’août 2015, sans plus.

[…]

[74] Le cas en l’espèce porte sur un ensemble très particulier de circonstances dans lesquelles une décision sous-jacente du ministre, jugée avoir été prise dans un but illégitime et exécutée de manière inéquitable, a été perpétuée de manière identique dans une décision subséquente sans fondement probatoire ou légal.

[Souligné dans l’original.]

[81] De même, il n’appartient pas à la Cour de déterminer, dans la présente demande, si la ministre (agissant par l’intermédiaire de la DPT dans ce cas) a compétence pour demander des renseignements supplémentaires avant d’accorder des AC ou de revenir à une mise en suspens PI. Il me semble, et je ne crois pas qu’Apotex le remet en doute, que ce pouvoir de demander des renseignements supplémentaires relève directement du mandat de la ministre en application du paragraphe C.08.002.1(3) du Règlement. La question est de savoir si la DPT, en demandant à Apotex de fournir des ensembles sur l’intégrité des données pour la varénicline et la sitagliptine, agit de manière illégale parce que cette demande est inextricablement liée à l’interdiction d’importation irrégulière à un point tel qu’elle est inévitablement entachée par la fin irrégulière qui a donné lieu à l’interdiction d’importation et pour laquelle le juge Manson a annulé l’interdiction d’importation.

[82] Comme c’était le cas dans l’affaire dont le juge Manson était saisi dans sa décision du 15 juin 2016, le caractère licite de la demande répétée pour des ensembles sur l’intégrité des données dépend de ce qui suit : a) l’existence d’une décision suffisamment indépendante par rapport à l’interdiction d’importation de 2014; et b) la possibilité qu’elle puisse quand même être justifiée eu égard à la preuve, de telle sorte que le but irrégulier de la ministre pour imposer l’interdiction d’importation n’a pas non plus vicié cette décision subséquente et connexe prise par la DPT de continuer de retenir la délivrance des AC pour la varénicline et la sitagliptine jusqu’à ce qu’Apotex ait fourni les renseignements supplémentaires.

[83] À première vue et lorsqu’on l’examine isolément, je crois que l’on ne peut affirmer que la décision communiquée oralement à M. Desai le 14 novembre 2014 et résumée dans le courriel que Mme Sabourin a envoyé à ses collègues le même jour n’est pas une décision suffisamment indépendante. Il faut garder à l’esprit que ce n’était pas l’interdiction d’importation proprement dite qui était irrégulière. Il s’agissait plutôt de la motivation concernant cette interdiction, c’est-à-dire que la ministre l’a imposée pour répondre aux pressions médiatiques et politiques et non pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens. Mme Sabourin, dans le courriel qu’elle a envoyé à ses collègues le 17 novembre 2014, renvoie à une [traduction] « interdiction d’importation en raison de problèmes importants d’intégrité des données, comme ceux perçus par les inspecteurs de la FDA des États-Unis ». Il est fait mention de l’interdiction d’importation, mais le courriel indique clairement que sont les [traduction] « préoccupations importantes relatives à l’intégrité des données » à l’origine de l’interdiction qui la préoccupent. Il me semble que la DPT a décidé de mettre en attente les présentations d’AC d’Apotex liées à APIPL et à ARPL jusqu’à ce qu’elle trouve une façon de déterminer qu’elle avait les renseignements dont elle avait besoin pour conclure que ces présentations ne suscitaient pas de préoccupations quant à la santé, à l’efficacité ou à l’innocuité. Dans son courriel, Mme Sabourin renvoie à l’interdiction d’importation, mais il est évident qu’elle croit que l’interdiction a été imposée [traduction] « en raison de problèmes importants d’intégrité des données, comme ceux perçus par les inspecteurs de la FDA des États-Unis ». À mon avis, cela correspond aux éléments de preuve présentés plus tard par Mme Sabourin. Rien dans le courriel ne porte à croire que la DPT agit sur ordre de la ministre elle-même ou en raison de pressions exercées par cette dernière, ou en réaction aux pressions des médias. Voilà pourquoi, jusqu’à la communication d’éléments de preuve supplémentaires par Mme Sabourin survenue récemment (à laquelle je reviendrai), Apotex invoquait avec beaucoup d’insistance des questions circonstancielles et contextuelles pour convaincre la Cour de la motivation véritable à la décision de la DPT de suspendre les demandes d’AC et de demander à obtenir des renseignements supplémentaires.

C. Mesures plus rigoureuses

[84] Apotex prétend en fait que la DPT, à l’instar de l’Inspectorat, avait reçu l’ordre de mettre en œuvre des « mesures plus rigoureuses » à l’égard des présentations d’AC d’Apotex en raison des pressions politiques exercées sur la ministre, ce qui l’avait amenée à imposer l’interdiction d’importation irrégulière.

[85] Selon le dossier, le 23 septembre 2014, M. Clarke Olsen, le directeur de la Gestion des problèmes de la ministre, a envoyé un courriel à l’Inspectorat dans lequel il indiquait clairement que la ministre n’était pas satisfaite de la façon dont l’Inspectorat traitait avec Apotex et qu’elle souhaitait imposer des « mesures plus rigoureuses » à l’égard de l’entreprise. L’Inspectorat avait demandé à Apotex de mettre volontairement en quarantaine les produits d’ARPL sans lui indiquer qu’ils suscitaient des préoccupations relatives à l’innocuité; M. Olsen voulait toutefois que des mesures soient prises plus rapidement à l’égard d’Apotex. Par conséquent, l’Inspectorat a ramené l’échéance du lendemain de 17 h à 10 h, soit une heure à peine après l’envoi de la lettre indiquant que l’échéance était écourtée. Ainsi, les éléments de preuve indiquaient clairement que la ministre avait communiqué directement avec l’Inspectorat et que ce dernier avait répondu en imposant des « mesures plus rigoureuses ».

[86] Avant que Mme Sabourin ne divulgue des éléments de preuve supplémentaires à la suite de l’audition de la présente demande, en novembre 2016 (comme il en est question ci-dessous), il n’y avait aucune preuve directe que M. Olsen ou qui que ce soit d’autre agissant au nom de la ministre avait communiqué directement avec la DPT pour exiger qu’elle prenne des « mesures plus rigoureuses ». Selon les éléments de preuve, c’est Sharon Mullin, une cadre supérieure de l’Inspectorat, qui avait communiqué avec Mme Sabourin par téléphone.

[87] Selon les éléments de preuve qu’elle a présentés, Mme Sabourin indique avoir eu une conversation téléphonique de deux minutes avec Mme Mullin, qui l’avait informée de [traduction] « la situation concernant les deux établissements d’Apotex en Inde » et qu’il [traduction] « y avait des conséquences possibles pour les présentations ».

[88] Au départ, Apotex a soutenu ce qui suit devant moi :

[traduction]

36. La conclusion évidente est la suivante : Mme Sabourin, à l’instar des représentants de l’Inspectorat, a reçu l’ordre d’imposer des « mesures plus rigoureuses ». Et, effectivement, Mme Sabourin n’a pas perdu de temps à transmettre ces ordres à ses subalternes. Dès qu’elle a eu terminé son appel avec Mme Mullin, Mme Sabourin a immédiatement communiqué avec les deux cadres supérieurs les plus importants chargés d’examiner les présentations et de formuler des recommandations : Karen Reynolds et Craig Simon. Encore une fois, aucune note d’information, aucune note de service et aucun courriel sur cette discussion n’ont été présentés.

[Renvois omis.]

[89] Il n’y avait en fait aucun élément de preuve à l’appui de cette conclusion. La seule preuve directe a été présentée par Mme Sabourin, qui a affirmé qu’on l’avait mise au fait d’une situation susceptible d’avoir d’éventuelles conséquences pour les présentations; elle a toutefois agi en raison de préoccupations relatives à l’intégrité des données qui avaient été relevées dans les formulaires 483 des États-Unis et reconnues par Apotex. Apotex demandait à la Cour de conclure que Mme Sabourin suivait en fait les « ordres » de Mme Mullin, ou de la ministre par l’intermédiaire de Mme Mullin. Ce n’est pas surprenant du tout qu’il n’existe aucune note sur cette courte conversation téléphonique et l’inférence qu’Apotex voulait que la Cour tire (soit que Mme Sabourin avait délibérément commencé à faire en sorte qu’il ne reste aucune trace écrite) n’est qu’une spéculation.

[90] Aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer que Mme Mullin avait enjoint Mme Sabourin à faire quoi que ce soit ou qu’elle lui avait demandé de faire quoi que ce soit. Elle a été [traduction] « informée de la situation ». Dans un tel cas, Mme Sabourin avait l’obligation de consulter ses cadres supérieurs sur « la situation » afin de déterminer si quoi que ce soit devait être fait au sujet des présentations d’AC. Encore une fois, donc, il n’y avait rien d’anormal, selon moi, dans le contact direct entre Mme Sabourin et ses propres cadres supérieurs.

[91] Le fait de mettre au courant une personne d’une situation pour lui permettre de déterminer les conséquences en ce qui concerne ses propres obligations statutaires ne signifie pas de recevoir des « ordres » et ne constitue pas une interférence irrégulière. Le juge Manson a conclu que le contact entre la ministre et l’Inspectorat constituait effectivement une interférence irrégulière, qui compromettait les mesures prises par l’Inspectorat. Cela ne signifie toutefois pas automatiquement que l’on a dit à Mme Sabourin et à la DPT de faire plus que de simplement évaluer la situation, ce qu’ils se sont employés à faire sans tarder.

[92] La décision d’imposer l’interdiction d’importation a été communiquée à Apotex dans le cadre d’une conférence téléphonique le 30 septembre 2014. Apotex n’a toutefois pas été contactée à propos des problèmes liés aux présentations d’AC avant que Mme Sabourin communique avec M. Desai par téléphone le 17 novembre 2014. Étant donné l’insatisfaction dont M. Olsen avait fait part à l’Inspectorat et la réponse immédiate qu’il exigeait et qu’il avait reçue de celui-ci, il ne semble pas qu’on poussait la DPT à agir rapidement. En fait, la conclusion la plus évidente est que la DPT a pris quelques semaines pour examiner à l’interne la « situation » dans son ensemble et déterminer quelle serait sa réponse avant de communiquer avec M. Desai.

[93] Toutefois, après la première audience de la présente demande, en novembre 2016, et dans le cadre de discussions sur l’action connexe en dommages-intérêts amorcée par Apotex, Mme Sabourin s’est souvenue qu’il est possible qu’elle ait aussi parlé au Dr Patrick Stewart, en plus du Dr Craig Simon, le 14 novembre 2014, et qu’elle avait parlé à la Dre Sharma avant de décider de ne pas signer l’AC pour l’apo-rasagiline, le 14 novembre 2014.

[94] D’autres contre-interrogatoires de Mme Sabourin ont ensuite été menés; elle s’est souvenue à ce moment qu’elle et la Dre Sharma avaient participé à une conférence téléphonique sur les préoccupations relatives à l’intégrité des données avec d’autres employés de la DPT et du cabinet de la sous-ministre adjointe le 10 novembre 2014. Ni Mme Sabourin ni la Dre Sharma n’ont conservé des notes de l’appel du 10 novembre; quatre autres participants l’ont toutefois fait et ces notes ont été localisées et présentées à la Cour à la reprise de l’audience le 13 février 2017.

[95] Ces nouveaux éléments de preuve et la façon dont ils ont été caractérisés sont importants à divers égards. D’abord et avant tout, en les présentant à la Cour, Apotex semble concéder qu’aucun élément de preuve « direct » n’étayait son affaire avant la mise au jour de ces nouveaux éléments :

[traduction]

3. Ces renseignements de dernière heure, ainsi que quelques documents connexes, donnent lieu à un changement considérable dans les éléments de preuve dans la présente instance. Ils présentent pour la toute première fois un lien clair et direct entre l’architecte de l’interdiction d’importation – la Dre Sharma – et la décision de novembre 2014 en litige en l’espèce. Ils présentent aussi pour la première fois une preuve directe que les mêmes préoccupations qui ont motivé l’interdiction d’importation, soit les rapports négatifs dans les médias, motivaient toujours les représentants de Santé Canada en novembre 2014.

[96] Ce qui est plus important, cependant, réside dans ce que les nouveaux éléments de preuve nous disent sur ce qui s’est produit en novembre 2014 à propos de l’interdiction d’importation et la décision de Mme Sabourin de ne pas signer l’AC pour l’apo-rasagiline et de soulever des préoccupations sur l’intégrité des données contenues dans les présentations d’Apotex visant des produits fabriqués ou mis à l’essai à APIPL ou à ARPL. Du point de vue d’Apotex, les conclusions sont évidentes :

[traduction]

15. Malheureusement, au moment où les arguments susmentionnés ont été avancés, les parties ne disposaient pas de certains documents clés. Ces documents – qui ont été présentés à Apotex uniquement après la fin de l’audience – sont importants pour deux grandes raisons. Premièrement, ils prouvent clairement que la décision de novembre 2014 se fondait sur l’interdiction d’importation. Ils montrent que, en plus de retrouver les mêmes personnes derrière la décision de novembre 2014 que celles derrière l’interdiction d’importation, la décision de novembre 2014 était motivée par le même genre de préoccupations liées aux médias que celles ayant mené à l’imposition de l’interdiction d’importation. Deuxièmement, les documents mettent en évidence des motifs supplémentaires à la raison pour laquelle le témoignage de Mme Sabourin n’est pas crédible et devrait être rejeté.

[Souligné dans l’original.]

[97] Comme Apotex le fait remarquer, le même jour où Mme Sabourin a informé Apotex que ses présentations d’AC allaient être suspendues, M. Craig Simon, qui était le directeur associé du Bureau des sciences pharmaceutiques et conseiller principal de Mme Sabourin, a écrit, dans un courriel envoyé à Karen Reynolds, que [traduction] « Barb [Mme Sabourin] a parlé à Supriya (Dre Sharma) et a été informée qu’elle ne pouvait pas le signer [c’est-à-dire l’AC sur l’apo‑rasagiline] ».

[98] Apotex soutient que le rôle de la Dre Sharma à ce moment du processus est « très important » pour la présente demande :

[traduction]

19. La participation de la Dre Sharma à la décision de novembre 2014 – dont Apotex n’était pas au courant à ce jour – est très importante. La Dre Sharma était l’un des membres du personnel clés ayant pris part à la décision de mettre en œuvre l’interdiction d’importation. Elle n’était peut-être pas la véritable décideuse (et ce point demeure obscur), mais il ne fait aucun doute qu’elle dirigeait un cercle très restreint de cadres supérieurs de Santé Canada qui ont décidé ensemble d’imposer l’interdiction d’importation.

20. Il était très inhabituel que la Dre Sharma participe aux délibérations de la DPT sur les présentations de drogues nouvelles (comme la présentation sur l’apo-rasagiline, qui a soi-disant déclenché la décision de novembre 2014). C’est ce que Mme Sabourin a confirmé en contre-interrogatoire; c’est ce qui se dégage manifestement du fait qu’elle n’a pas laissé entendre dans son affidavit ou dans son contre-interrogatoire original que la Dre Sharma en particulier ou que des membres du cabinet de la sous-ministre adjointe en général avaient joué un rôle dans l’examen et l’approbation par la DPT de présentations de nouvelles drogues.

21. De plus, comme l’indiquent clairement les nouveaux documents, la Dre Sharma ne s’est pas simplement contentée de participer à la décision de novembre 2014; elle était la véritable décideuse puisqu’elle a dit à Mme Sabourin que l’AC pour l’apo‑rasagiline ne pouvait pas être signé.

22. De plus est, il est remarquable que dans le dossier de la Cour no T-2223-14, la Dre Sharma a livré un témoignage qui ressemblait de façon frappante à celui livré par Mme Sabourin dans la présente demande. À l’instar de Mme Sabourin en l’espèce, la Dre Sharma a indiqué, dans le témoignage qu’elle a livré dans le dossier de la Cour no T-2223-14, que sa décision (dans ce cas, l’imposition de l’interdiction d’importation) était motivée par une préoccupation quant au fait que les problèmes d’intégrité des données recensés par la FDA des États-Unis et le risque pour la santé et la sécurité des Canadiens en découlant étaient importants au point de justifier sa décision.

23. Le juge Manson a toutefois rejeté le témoignage de la Dre Sharma dans le dossier no T-2223-14 quant à ses motifs pour imposer l’interdiction d’importation. Il a conclu que l’interdiction d’importation n’était pas en fait motivée par un désir de protéger la santé et la sécurité, mais plutôt par un désir de faire taire les « vives critiques de la part des médias » et par le souhait « d’atténuer les pressions déclenchées par les médias ainsi qu’à la Chambre des communes ».

24. Rien ne porte à croire que les motivations sous-jacentes aux mesures prises par la Dre Sharma en septembre 2014 étaient différentes lorsqu’elle a donné ses directives à Mme Sabourin à peine six semaines plus tard, en novembre 2014. Au contraire, les nouveaux documents indiquent que la DPT et Mme Sabourin étaient motivées par ces mêmes facteurs au cours des jours qui ont mené à la décision de novembre 2014.

[Renvois omis.]

[99] Le fait que l’on ait dit à Mme Sabourin [traduction] « qu’elle ne pouvait pas le signer » ne va pas à l’encontre du témoignage qu’elle a livré, dans lequel elle a dit être préoccupée au sujet de l’AC pour l’apo-rasagiline en raison des préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL, des formulaires 483 de la FDA et des résultats d’essais manquants. Pendant la poursuite de son contre-interrogatoire, Mme Sabourin a indiqué que le fait qu’elle consulte la Dre Sharma à propos d’un dossier complexe n’avait rien d’extraordinaire. Elle a agi de la sorte parce que la Dre Sharma avait déjà occupé le même poste qu’elle (directrice générale) à la DPT et parce qu’elle est une médecin principale. Elle était une personne à consulter si Mme Sabourin éprouvait de la difficulté avec une présentation d’AC. Et si Mme Sabourin était préoccupée par l’intégrité des données, les formulaires 483 de la FDA et les résultats d’essais manquants, comme elle l’a indiqué dans son témoignage, le conseil formulé par la Dre Sharma, soit qu’elle ne pouvait pas signer l’AC, semble tout à fait raisonnable. C’est le genre de conseil qu’une personne d’expérience pourrait donner. Le courriel du Dr Simon n’indique pas que la Dre Sharma avait communiqué avec Mme Sabourin et lui avait dit de ne pas signer l’AC. Cet élément de preuve indique que [traduction] « Barb a parlé à Supriya et a été informée qu’elle ne pouvait pas le signer ». Il faut garder à l’esprit qu’à ce moment-là, Mme Sabourin ne pouvait pas savoir que la Cour conclurait que l’interdiction d’importation était irrégulière. Elle n’avait aucune raison de ne pas parler à la Dre Sharma pour obtenir ses conseils, comme elle l’avait fait à d’autres occasions.

[100] Je suis d’avis que cet élément de preuve n’établit pas, comme le prétend Apotex, que la décision de novembre a été [traduction] « prise par une fonctionnaire du cabinet de la sous-ministre adjointe – la même qui avait été l’architecte de l’interdiction d’importation – la Dre Supriya Sharma ». Selon les éléments de preuve, Mme Sabourin a consulté la Dre Sharma – comme elle l’avait fait à d’autres occasions – à propos de ses préoccupations sur l’intégrité des données contenues dans la présentation d’AC pour l’apo-rasagiline et on lui a dit qu’elle ne pouvait pas le signer.

[101] Il se peut que la Dre Sharma, quand elle a donné ce conseil à Mme Sabourin, ait été motivée par les influences irrégulières qui sous-tendaient l’interdiction d’importation et il est possible de tirer cette inférence. Il n’existe toutefois aucun élément de preuve selon lequel la Dre Sharma est la personne qui a pris la décision de novembre 2014 ou que Mme Sabourin n’avait pas de véritables préoccupations sur l’intégrité des données quand elle a pris la décision, ou que Mme Sabourin a refusé de signer l’AC parce qu’elle suivait les ordres de la Dre Sharma ou de qui que ce soit d’autre.

[102] Apotex n’a pas établi devant moi qu’il n’y avait aucune véritable préoccupation liée aux données à APIPL ou à ARPL, comme il était indiqué dans les formulaires 483 de la FDA, en novembre 2014. L’existence d’une interdiction d’importation qui allait plus tard être reconnue comme irrégulière par le juge Manson ne signifie pas pour autant que la DPT n’avait pas relevé de préoccupations véritables sur l’intégrité des données qu’elle devait régler. En outre, le fait que l’Inspectorat ait été influencé de manière irrégulière par l’interdiction d’importation, comme l’a conclu le juge Manson, ne signifie pas non plus que la DPT a été influencée de manière irrégulière. Et, même si l’interdiction d’importation avait poussé ou encouragé la DPT à agir pour répondre aux préoccupations relatives à l’intégrité des données (qui existaient depuis un certain temps), cela ne signifie pas qu’un tel acte n’était pas tout à fait approprié vu l’existence (comme Apotex l’a reconnu) de préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL ou à ARPL.

[103] Le fait que le juge Manson ait rejeté le témoignage de la Dre Sharma, dans lequel elle a indiqué être motivée, en ce qui concerne l’interdiction d’importation, par les problèmes d’intégrité des données recensés par la FDA des États-Unis et le risque pour la santé et la sécurité des Canadiens en découlant, ne signifie pas que la Cour doit rejeter le témoignage de Mme Sabourin. Comme en témoignent les interactions entre Apotex et la FDA et les mesures qu’elle a prises à APIPL et à ARPL, ces préoccupations relatives à l’intégrité des données étaient réelles; il ne s’agissait pas d’une simple excuse pour la DPT pour succomber aux pressions exercées par les médias et le milieu politique ou accepter de suivre les ordres de la ministre. Il m’apparaît incompatible qu’Apotex prenne elle-même une mesure aussi puissante pour apaiser les préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL, mais qu’elle soutienne maintenant que la DPT n’avait d’autre motif pour aborder ces préoccupations que l’influence irrégulière issue de l’interdiction d’importation et exercée par les représentants ayant participé à l’élaboration de l’interdiction d’importation. Selon cette thèse, on demande à la Cour d’écarter les interactions subséquentes entre la DPT et Apotex sur les présentations de drogues liées à APIPL et à ARPL, les préoccupations antérieures de la DPT relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL, l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique générale pour répondre aux préoccupations relatives à l’intégrité des données que la DPT a appliquée à l’ensemble des fabricants de médicaments, et pas seulement Apotex. La Cour devrait ensuite accepter qu’à l’automne 2015, lorsque la DPT souhaitait continuer de demander des ensembles sur l’intégrité des données pour la varénicline et la sitagliptine (soit la décision faisant l’objet du présent contrôle), elle demeurait motivée par l’interdiction d’importation et elle suivait les ordres de la ministre. Cela me semble un peu exagéré.

[104] Des considérations semblables s’appliquent à l’utilisation qu’Apotex entend faire des nouveaux éléments de preuve liés à un rapport de gestion des enjeux que l’on a demandé à Karen Reynolds de préparer :

[traduction]

25. Ainsi, le 7 novembre 2014, lorsque l’on a demandé à Karen Reynolds (la responsable du Bureau des sciences pharmaceutiques) de préparer une analyse – connue sous le nom de « rapport de gestion des enjeux » – sur le problème avec lequel la DPT était aux prises en ce qui concerne des « présentations en attente qui sont visées par l’interdiction d’importation », elle a recensé trois risques potentiels, dont l’un était celui de rapports défavorables dans les médias :

Des risques liés à la réputation et aux médias pourraient surgir à la suite de l’approbation de nouveaux produits provenant des sites en cause.

26. Ainsi, malgré le fait que la tempête médiatique de septembre s’était dissipée, il semblerait que des représentants de Santé Canada continuaient de considérer le risque d’histoires négatives possibles dans les médias comme une source de préoccupations véritables.

27. Il faut aussi mentionner que le second risque relevé par Mme Reynolds dans son « rapport de gestion des enjeux » était un risque pour la santé et la sécurité du public qui surviendrait si la DPT devait délivrer un AC pour un produit provenant d’APIPL ou d’ARPL. Toutefois, comme en témoignent clairement les nouveaux documents, il est révélateur de constater que Mme Reynolds n’a pas déterminé que le risque possible pour la santé et la sécurité ne suscitait pas de préoccupations graves. Selon elle, le risque était plutôt atténué de façon satisfaisante par l’interdiction d’importation elle-même. Mme Reynolds a écrit ce qui suit :

Les risques éventuels pour la santé et la sécurité des Canadiens seraient atténués par l’interdiction d’importation.

28. Aucun document n’a été présenté qui porterait à croire que quelqu’un à la DPT ou ailleurs à Santé Canada était en désaccord avec l’évaluation des risques pertinents menée par Mme Reynolds.

29. Les parallèles avec l’interdiction d’importation sont évidents. À l’instar de l’interdiction d’importation, la décision de novembre 2014 a été dirigée par la Dre Sharma. Et, comme pour l’interdiction d’importation, les préoccupations entourant une couverture médiatique potentiellement négative constituaient un important facteur de motivation. Et, comme c’était le cas avec l’interdiction d’importation, les représentants de Santé Canada ne croyaient pas qu’il fallait prendre la décision de novembre 2014 pour protéger la santé et la sécurité.

30. Il faut s’attendre à ce genre de parallèles, vu que l’interdiction d’importation constituait le fondement à la décision de novembre 2014. Les nouveaux documents, dans lesquels des cadres supérieurs de la DPT décrivent à répétition que le problème auquel ils sont confrontés découle de l’interdiction d’importation, en sont une autre preuve. Ainsi, le 7 novembre 2014, Rita Beregszaszy, qui était la gestionnaire des enjeux au bureau de Mme Sabourin, a écrit ce qui suit à Karen Reynolds :

Bonjour Karen,

J’ai parlé à Pat (c’est-à-dire, John Patrick Stewart, le deuxième responsable en importance sous Mme Sabourin) et il est prêt à consulter le BSMA (c’est-à-dire le bureau de la sous-ministre adjointe) le plus tôt possible pour parler du problème de la DPT avec les présentations en attente qui sont visées par l’interdiction d’importation. [Non souligné dans l’original.]

31. De même, dans son « rapport de gestion des enjeux », Karen Reynolds a résumé ainsi le problème avec lequel la DPT était aux prises :

La DPT a recensé un certain nombre de présentations de drogues qui contiennent des données provenant de sites où l’importation de produits déjà approuvés a été interdite.

32. De plus, dans son analyse, Mme Reynolds a mis en évidence – sciemment ou pas – l’aspect de l’interdiction d’importation qui a immédiatement soulevé des doutes quant à son authenticité, soit le fait qu’elle a interdit l’importation de produits de sites malgré le fait que ces sites conservaient leurs cotes de conformité aux BPF attribuées par l’Inspectorat. Cette caractéristique très douteuse de l’interdiction d’importation soulèverait les mêmes préoccupations en ce qui concerne la décision de novembre 2014. Mme Reynolds a écrit ce qui suit :

Étant donné que les sites visés possèdent toujours des cotes de conformité aux BPF, la Direction aurait pour pratique standard d’accepter la validité des données provenant de ces sites et d’approuver les présentations, s’il devait être déterminé qu’elles répondent aux normes scientifiques établies pour l’approbation […]. Le fait de rejeter une présentation dont les données sont liées à un site qui demeure conforme aux BPF créerait un précédent.

33. En fait, Mme Reynolds était tellement préoccupée par cette question qu’elle en a fait le troisième risque indiqué dans son « rapport de gestion des enjeux » :

Le rejet de présentations dont les données proviennent de sites qui demeurent conformes aux BPF créerait un précédent.

34. En fin de compte, la directive de la Dre Sharma de suivre la direction établie par l’interdiction d’importation l’a toutefois emporté sur les préoccupations de Mme Reynolds quant à l’établissement d’un « précédent » aussi douteux.

[Renvois omis.]

[105] Si Karen Reynolds n’a pas déterminé que les risques potentiels pour la santé et la sécurité ne constituaient pas une grave préoccupation parce qu’ils pouvaient être atténués par l’interdiction d’importation, selon la preuve directe qui m’est présentée, Mme Sabourin l’a déterminé et c’est elle qui a pris la décision. Apotex demande à la Cour de rejeter le témoignage de Mme Sabourin parce qu’elle éprouvait des difficultés à se souvenir de courriels importants et de ses appels téléphoniques avec la Dre Sharma. Apotex a indiqué clairement dans sa plaidoirie qu’elle ne croit pas que Mme Sabourin a été malhonnête; elle est tout simplement d’avis que la Cour ne peut faire confiance à sa mémoire pour trancher la question dont elle est saisie, c’est-à-dire pourquoi a-t-elle décidé, en novembre 2014, de suspendre les AC d’Apotex et de continuer de demander à obtenir des ensembles sur l’intégrité des données. Je ne vois cependant aucune raison de ne pas faire confiance au témoignage de Mme Sabourin, selon lequel elle a consulté la Dre Sharma et a demandé à obtenir une orientation sur des décisions qu’elle devait prendre. Si Mme Sabourin est honnête sur ce point, comme Apotex l’avoue, cela contribue grandement à expliquer pourquoi elle a consulté la Dre Sharma pour obtenir des conseils en novembre 2014.

[106] La question fondamentale dont la Cour est saisie est cependant de savoir pourquoi la DPT a décidé, à l’automne 2015, qu’elle continuerait d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données pour des produits provenant d’APIPL et d’ARPL fabriqués ou mis à l’essai avant le 10 juin 2015, une date qui a plus tard été ramenée à janvier 2015. On demande à la Cour d’accepter que cette décision n’était pas motivée par de véritables préoccupations relatives à l’intégrité des données en raison d’un risque pour la santé et la sécurité des Canadiens, mais plutôt par les mesures prises par la ministre en 2014 en réponse aux critiques négatives des médias et du milieu politique. Pour des motifs déjà exposés, je crois que cela est trop exagéré. La DPT a collaboré avec Apotex et d’autres afin de veiller à régler et à surmonter les préoccupations relatives à l’intégrité des données en ce qui concerne les présentations d’AC; dans le cas d’Apotex, seules deux drogues sont en litige et leurs présentations soulèvent toutes deux des préoccupations relatives à l’intégrité des données de 2013 qu’Apotex elle-même a tenté de résoudre, mais, selon le témoignage de M. Desai, n’y est pas encore parvenue.

[107] Quand Apotex affirme que la Cour doit fondamentalement déterminer pourquoi Mme Sabourin a décidé, en novembre 2014, de suspendre les AC d’Apotex liés à APIPL et à ARPL, elle concède en fait que, hormis les événements survenus en novembre 2014, rien ne permet de sous-entendre que la décision faisant l’objet du contrôle, prise à l’automne 2015, a été prise pour un motif autre que des préoccupations légitimes à l’égard de la santé et de la sécurité des Canadiens.

[108] Apotex soutient aussi que la divulgation tardive de ces documents par Mme Sabourin indique que l’on ne peut pas faire confiance à sa mémoire : [traduction] « [L]es nouveaux documents montrent clairement que le témoignage présenté par Mme Sabourin dans son affidavit et en contre-interrogatoire l’automne dernier n’est pas fiable » parce qu’elle [traduction] « a complètement oublié la conférence téléphonique du 10 novembre 2014 et l’appel crucial du 14 novembre 2014 avec la Dre Sharma. En fait, elle avait complètement oublié que la Dre Sharma avait joué un rôle. »

[109] Apotex a indiqué clairement qu’elle ne met pas en doute l’honnêteté de Mme Sabourin. Elle met en doute la fiabilité de sa mémoire. Apotex affirme essentiellement que la Cour ne devrait pas accepter le témoignage de Mme Sabourin selon lequel les mesures prises en novembre 2014 ont été déclenchées par des préoccupations relatives à l’intégrité des données issues des formulaires 483 et non par l’interdiction d’importation et ceux qui en sont responsables.

[110] Selon moi, le meilleur test de la mémoire de Mme Sabourin sur cette question cruciale se trouve dans les faits que nous connaissons :

  • a) il y avait de véritables préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL;

  • b) les formulaires 483 constituent de la preuve de véritables préoccupations relatives aux données à APIPL et à ARPL;

  • c) la DPT était préoccupée par l’intégrité des données avant l’interdiction d’importation et elle cherchait une façon de les régler;

  • d) Apotex a avoué à la FDA qu’il existait de véritables préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL et elle a pris de mesures vigoureuses pour les régler;

  • e) l’interdiction d’importation – peu importe sa motivation – représentait une prise de conscience évidente pour la DPT, qui devait régler les préoccupations relatives à l’intégrité des données entourant les présentations d’AC d’Apotex qui se fondaient sur des produits fabriqués à ARPL ou des API fournis par APIPL;

  • f) la DPT a mis en œuvre un processus d’examen interne qui a donné lieu à une politique permettant de régler les préoccupations relatives à l’intégrité des données, politique qui s’appliquait à toutes les présentations d’AC et pas uniquement à celles appartenant à Apotex;

  • g) la DPT a poursuivi sa collaboration avec Apotex afin de surmonter les préoccupations relatives à l’intégrité des données d’APIPL et d’ARPL et a continué d’accepter et de régler les présentations d’AC d’Apotex;

  • h) la date de début des préoccupations relatives à l’intégrité des données a finalement été ramenée à janvier 2015;

  • i) la DPT demande maintenant des ensembles sur l’intégrité des données pour deux drogues seulement et les présentations liées à ces drogues comprenaient des données d’APIPL ou d’ARPL qui remontent à 2013;

  • j) M. Desai a indiqué, dans son témoignage, qu’Apotex elle-même n’avait pas réglé le problème lié à ces données de 2013.

[111] Apotex s’est concentrée sur l’un des arbres de la forêt (les échanges survenus en novembre 2014) afin de convaincre la Cour qu’elle ne peut pas avoir confiance en la mémoire de Mme Sabourin quand elle affirme qu’elle était sincèrement préoccupée par l’intégrité des données, comme en témoignent les formulaires 483 de la FDA, et qu’elle n’agissait pas en réaction à des ordres que la ministre lui avait transmis (par l’intermédiaire de la Dre Sharma). Lorsque nous regardons la forêt dans son ensemble, le récit de Mme Sabourin me semble très convaincant, même si je crois que l’interdiction d’importation a effectivement joué un rôle. Elle a eu comme effet de pousser la DPT à mettre de l’ordre dans ses affaires, en novembre 2014, et à trouver une façon de composer avec les préoccupations relatives à l’intégrité des données issues des présentations d’AC d’Apotex, ainsi qu’avec celles d’autres. Je suis d’avis qu’il ne s’agissait pas d’un but irrégulier, même s’il est possible qu’il ait été déclenché par une interdiction d’importation imposée dans un but irrégulier.

D. Harmonisation

[112] Apotex fait aussi valoir ce qui suit :

[traduction]

[45] En suspendant la délivrance d’AC pour des produits fabriqués à APIPL ou à ARPL, la ministre harmonisait l’approche de la DPT à l’égard des présentations prévues par la loi avec celle de l’Inspectorat pour des produits déjà sur le marché, ce que l’interdiction d’importation a mis en œuvre.

[113] Après avoir été avertie par Mme Mullin que les deux établissements d’Apotex en Inde posaient des problèmes susceptibles d’avoir des conséquences sur les présentations, Mme Sabourin avait le devoir de s’assurer que la DPT évalue elle-même la situation, ce qu’elle a fait. Il serait en fait étrange que ces deux bureaux de Santé Canada ne s’avertissent pas mutuellement de toute situation susceptible d’avoir des conséquences sur leur mandat respectif. Cela ne signifie toutefois pas que la ministre ou Mme Mullin se sont immiscées dans le processus de la DPT que cette dernière a mené pour déterminer ce qui était requis pour les présentations d’AC d’Apotex. Le fait que l’interdiction d’importation et les mesures prises par l’Inspectorat se sont finalement avérées irrégulières ne dégage pas la DPT de la responsabilité d’évaluer les conséquences pour les présentations d’AC. Il s’agissait du mandat de la DPT prévu par la loi. La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la DPT d’imposer un arrêt temporaire à la délivrance d’AC à Apotex constituait une réaction irrégulière aux pressions exercées par la ministre (directement ou indirectement) ou s’il s’agissait plutôt d’une évaluation indépendante de la signification des préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL pour les présentations d’AC. Il semble clair que l’appel de Mme Mullin et d’autres facteurs en jeu auraient pu déclencher l’évaluation interne menée par la DPT; cela ne signifie pas pour autant que l’évaluation et les conclusions n’étaient pas indépendantes ou qu’elles étaient injustifiées.

E. Absence de documents

[114] Apotex renvoie à l’absence de documents, outre ceux qui ont fait surface à la suite de l’audience de novembre 2016, et demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable :

[traduction]

47. Aucun document n’a été présenté pour attester les délibérations ou discussions internes à Santé Canada qui ont mené à cette décision et Mme Sabourin n’a pratiquement fourni aucun renseignement sur un processus de délibération quelconque. Aucune note d’information ou note de service n’a été présentée, même pour les rares réunions ou appels téléphoniques (un de chacun, pour être précis). En fait, Mme Sabourin a reconnu qu’elle ne savait pas si l’un des participants avait pris des notes – probablement parce qu’elle ne s’est pas renseignée à ce sujet.

48. Cette absence complète de documents attestant les délibérations de la DPT est frappante. On ne peut que conclure que soit ces documents existent, mais qu’ils n’étayent pas la cause de la ministre en l’espèce, soit qu’ils n’existent pas. Si aucun document de ce genre n’existe, on se demande pourquoi les délibérations ayant mené à la décision de novembre 2014 ont été rapides au point de ne créer aucun document ou, subsidiairement, si l’absence de dossier sur papier constituait un choix délibéré de protéger les délibérations de la DPT sur les « mesures plus rigoureuses » souhaitées par la ministre contre un examen minutieux.

[Non souligné dans l’original, notes en bas de page omises.]

[115] Il s’agit là d’une grave accusation. On demande à la Cour de conclure que des représentants de la DPT, dans le cadre de leurs délibérations sur la « situation », ont fait un « choix délibéré » de cacher le fait qu’ils réagissaient de manière irrégulière à la demande de « mesures plus rigoureuses » présentée par la ministre plutôt que d’évaluer la situation eux-mêmes. Cela signifierait que Mme Sabourin mentait sous serment lorsqu’elle a indiqué que tel n’était pas le cas et que la DPT évaluait les préoccupations relatives à l’intégrité des données qui avaient découlé des mesures prises par la FDA. Apotex demande à la Cour de se fonder sur une spéculation et une théorie de conspiration qui ne sont étayées par aucun élément de preuve. Ce n’est pas comme s’il n’y avait aucune préoccupation liée à l’intégrité des données à APIPL ou à ARPL, comme l’a clairement indiqué M. Desai dans son témoignage, et les mesures qu’Apotex a convenu de mettre en œuvre avec la FDA. Le fait que l’interdiction d’importation et les mesures prises par l’Inspectorat ont été influencées de manière irrégulière par les pressions exercées par les médias et le milieu politique ne signifie pas que la DPT n’avait aucune préoccupation liée à l’intégrité des données à évaluer du point de vue des présentations d’AC. En fait, il y avait – et il y a – des préoccupations que la DPT était obligée d’évaluer et de régler aux termes de la loi. La Cour ne peut pas privilégier une allégation de conspiration irrégulière aux faits établis.

[116] En outre, cette préoccupation a été considérablement apaisée par les éléments de preuve supplémentaires présentés par Mme Sabourin et d’autres à la suite de l’audience et auxquels j’ai fait référence ci-dessus. Mme Sabourin a aussi fourni une explication plausible à la raison pour laquelle elle n’avait pas réussi à trouver ces éléments de preuve au cours de ses recherches initiales. Apotex a aussi confirmé à la Cour à l’audition de la présente demande le 13 février 2017 qu’elle ne croit pas maintenant que Mme Sabourin a été malhonnête de quelque façon que ce soit, même si elle continue de mettre en doute la fiabilité de sa mémoire.

F. Autres liens avec l’interdiction d’importation

[117] Apotex renvoie à d’autres éléments de preuve qui, selon elle, établissent que la décision de la DPT d’exiger des « ensembles sur l’intégrité des données » supplémentaires était inextricablement liée à l’interdiction d’importation :

[traduction]

49. Quoi qu’il en soit, au cours des mois qui ont suivi la décision de novembre 2014, la DPT a envoyé une correspondance à Apotex qui portait sur 30 présentations différentes. Cette correspondance confirmait ce que Mme Sabourin avait conseillé de faire en novembre – c’est-à-dire qu’aucun AC ne serait délivré pour des produits fabriqués à APIPL ou à ARPL sans éléments de preuve supplémentaires (que l’on appelle communément des « ensembles sur l’intégrité des données ») afin d’établir la fiabilité des données contenues dans les présentations.

50. Dans les lettres envoyées par la DPT, qui étaient toutes formulées pratiquement de la même manière, on indiquait très clairement que la demande en vue d’obtenir des ensembles sur l’intégrité des données était liée à l’interdiction d’importation et dépendait de cette dernière. Ainsi, par exemple, dans une lettre envoyée à propos de l’apo-doxylamine/B6, on indiquait :

J’aimerais attirer votre attention sur l’avis de Santé Canada du 30 septembre 2014 […] Comme vous le savez déjà, cet avis porte sur des mesures prises par Santé Canada en vue de limiter l’importation de produits de santé de trois sites, dont ARPL, en Inde, en raison de préoccupations relatives à l’intégrité des données. Les préoccupations relatives à l’intégrité des données qui ont mené aux restrictions d’importation ont aussi suscité d’importantes préoccupations sur la façon dont les données sont recueillies et déclarées sur le présent site […].

[...] [S]i (vous) souhaitez régler dès maintenant ces préoccupations, veuillez fournir des éléments de preuve satisfaisants à la ministre afin d’établir que l’on peut se fier aux données contenues dans cette présentation pour soutenir l’efficacité, l’innocuité et la qualité de votre produit avant de délivrer un avis de conformité.

51. On trouve un libellé identique dans la correspondance envoyée sur l’apo-sitagliptine et l’apo-varénicline. On trouve aussi un libellé très semblable dans un avis d’insuffisance envoyé en lien avec la présentation d’Apotex pour l’apo-dabigatran :

On précise que les sites de fabrication proposés pour la substance pharmaceutique (APIPL) et le médicament (ARPL) et le site proposé pour les essais de stabilité sont visés par des mesures de surveillance des importations de produits de santé de ces sites. Nous vous informons que les problèmes d’intégrité des données qui ont donné lieu à ces mesures de surveillance pourraient avoir une incidence sur la détermination de la fiabilité des données présentées afin de soutenir l’efficacité, l’innocuité et la qualité de ce produit. Des renseignements supplémentaires pourraient être demandés pour justifier l’efficacité, l’innocuité et la qualité de ce produit […]

52. Ainsi, comme pour la première communication de la décision par Mme Sabourin, le 17 novembre, les lettres envoyées par la DPT établissaient toujours un lien entre l’exigence de présenter des ensembles sur l’intégrité des données et l’imposition de l’interdiction d’importation, ainsi qu’entre l’imposition de l’interdiction d’importation et les préoccupations relatives à l’intégrité des données. Une décision judiciaire allait toutefois rendre ce lien problématique.

[Renvois omis.]

[118] Jusqu’à ce que le juge Manson tranche que l’interdiction d’importation était irrégulière, la DPT n’avait aucune raison d’y faire référence, dans les articles de correspondance qu’elle envoyait à Apotex ou à quiconque d’autre et, comme les exemples présentés par Apotex en témoignent clairement, la DPT ne mettait pas l’accent sur l’interdiction d’importation; elle se concentrait plutôt sur « des préoccupations relatives à l’intégrité des données » qui « pourraient avoir une incidence sur la détermination de la fiabilité des données présentées afin de soutenir l’efficacité, l’innocuité et la qualité de ce produit ». Vu l’interdiction d’importation et les mesures prises par la FDA, la DPT avait l’obligation d’évaluer les préoccupations sous-jacentes liées à l’intégrité des données et leurs conséquences sur les présentations d’AC d’Apotex. Les références à l’interdiction d’importation (qui n’avait pas encore été déclarée irrégulière par le juge Manson) n’établissent pas que la DPT subissait des pressions ou recevait des ordres de manière irrégulière par une personne externe à la DPT pour évaluer elle-même les préoccupations relatives à l’intégrité des données. Les lettres invoquées par Apotex appuient fortement, à mon avis, la thèse de la défenderesse dans la présente demande selon laquelle les demandes de renseignements supplémentaires étaient motivées par les mêmes préoccupations relatives à l’intégrité des données qui avaient donné lieu à l’imposition de l’interdiction d’importation, mais non par l’interdiction d’importation elle-même.

G. La réaction à la décision rendue par le juge Manson le 14 octobre 2015

[119] Apotex invoque la réponse de la DPT à la décision rendue par le juge Manson le 14 octobre 2015 comme preuve supplémentaire selon laquelle la DPT était motivée de façon irrégulière par l’interdiction d’importation :

[traduction]

55. Ensuite, le 14 octobre 2015, la Cour fédérale a rendu son jugement dans lequel elle annulait l’interdiction d’importation de 2014. Le juge Manson avait conclu que l’interdiction d’importation n’était pas motivée par des « préoccupations relatives à l’intégrité des données », mais plutôt qu’elle « était motivée par le souhait de la ministre d’atténuer les pressions déclenchées par les médias ainsi qu’à la Chambre des communes ».

56. Maintenant que le fondement sous-jacent à la décision de novembre 2014 de la DPT et que les demandes subséquentes d’ensembles sur l’intégrité des données avaient été supprimés, Apotex a agi sans tarder pour demander à la DPT d’annuler sa décision. Le soir où la décision du juge Manson a été rendue publique, Apotex a écrit à Mme Sabourin et a demandé à la ministre de revenir sur la décision de novembre 2014 :

À la lumière du jugement, particulièrement des conclusions claires de la Cour selon lesquelles la ministre, quand elle a imposé l’interdiction d’importation, a agi de manière injuste et dans un but irrégulier, nous vous saurions gré de coopérer et de retirer toutes les demandes d’» ensembles sur l’intégrité des données », de délivrer les AC qui ont été retenus et de rétablir le statut de mise en suspens relativement au brevet ou de terminer le traitement de toutes les PADN touchées.

57. Mme Sabourin a répondu le lendemain, en indiquant qu’elle devait « mener une certaine analyse et comprendre les conséquences avant d’aller de l’avant ».

J’ai reçu la décision et vos courriels. Nous devrons mener une certaine analyse et comprendre les conséquences de la décision avant d’aller de l’avant.

58. Dans le cadre d’un appel téléphonique, la semaine suivante, Mme Sabourin a indiqué qu’elle continuait « d’examiner (sa) position ».

59. À un moment donné plus tard au cours de l’automne 2015, Mme Sabourin avait soi-disant terminé son nouvel examen et, en sa capacité de déléguée de la ministre, elle avait conclu qu’aucune suite ne serait donnée à l’annulation de l’interdiction d’importation par le juge Manson. En conséquence, elle a décidé de continuer d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données pour des produits provenant d’APIPL et d’ARPL fabriqués ou mis à l’essai avant le 10 juin 2015. Les motifs à cette décision n’ont pas été présentés à Apotex.

[Renvois omis.]

[120] Le courriel d’Apotex du 14 octobre 2015 se fonde sur l’hypothèse selon laquelle les demandes présentées par la DPT en vue d’obtenir des ensembles supplémentaires sur l’intégrité des données n’étaient rien de plus que la réaction de la DPT à l’interdiction d’importation. Selon la preuve qui m’est présentée, toutefois, tel n’est pas le cas. Après l’échange du 17 novembre 2014 avec M. Desai, la DPT a mené un examen interne des problèmes d’intégrité des données du point de vue des présentations d’AC d’Apotex. Au fil du temps, la DPT a conclu qu’il n’y avait d’autre solution que de demander à obtenir des renseignements supplémentaires pour établir l’efficacité, la qualité et l’innocuité dans les cas où l’on ne pouvait compter sur l’intégrité des données provenant d’APIPL et d’ARPL. L’approche est éventuellement devenue une politique de la DPT qui a été appliquée à d’autres fabricants ainsi qu’à Apotex, et qui a officiellement été communiquée à l’industrie dans un avis en date du 22 mai 2015.

[121] Dans la décision qu’il a rendue par le 14 octobre 2015, le juge Manson ne conclut pas qu’il n’existait aucune préoccupation relative à l’intégrité des données à ARPL ou à APIPL. Il a conclu que « [l]a ministre a mis en œuvre une interdiction d’importation qui était motivée par une fin irrégulière, et n’a pas accordé à Apotex les mesures de protection procédurale que la loi exige » (au paragraphe 158). Cela ne signifie pas qu’il n’y avait aucun problème d’intégrité des données à APIPL ou à ARPL; d’ailleurs, les interactions entre Apotex et la FDA, ainsi que les éléments de preuve de M. Desai qui m’ont été présentés en l’espèce constituent une reconnaissance totale de ce qu’étaient et continuent d’être ces préoccupations.

[122] Apotex peut réussir à soutenir qu’il n’était pas raisonnable pour la DPT de continuer de mettre en application sa politique, vu les conclusions du juge Manson (et j’y viendrai plus tard), mais une telle continuation ne constitue toutefois pas un élément de preuve selon lequel la DPT était motivée par une fin irrégulière d’exiger qu’Apotex fournisse des renseignements supplémentaires. Il s’agit en fait d’un élément de preuve selon lequel la DPT se considérait comme une entité fonctionnant indépendamment de l’interdiction d’importation et dans un but différent. Pour conclure autrement, je devrais accepter la théorie de conspiration échafaudée par Apotex selon laquelle la DPT avait agi de façon clandestine du début à la fin, en continuant de réagir aux motifs invoqués par la ministre pour imposer l’interdiction d’importation et qu’elle avait délibérément mis en œuvre des mesures en vue de cacher ce qu’elle faisait réellement. Il s’agit à mon avis d’une théorie qui n’est étayée par aucun élément de preuve.

H. Dépendance à l’égard de l’approche de l’Inspectorat

[123] Apotex fait valoir que les événements de 2016 confirment la dépendance de la DPT à l’égard de l’approche de l’Inspectorat en matière d’importation de produits :

[traduction]

61. Le 4 mars 2016, pendant que l’Inspectorat s’employait à finaliser sa décision, Marion Law, la nouvelle directrice générale de la DPT, a écrit à Apotex. Dans cette lettre, Mme Law a de nouveau confirmé que l’approche adoptée par la DPT à l’égard des présentations d’Apotex dépendait de l’approche de l’Inspectorat en matière d’importation de produits :

[P]uisque la nouvelle décision remplacera les conditions de 2015, Santé Canada examinera ses exigences relatives à ces présentations afin de confirmer s’il faut apporter des changements aux renseignements requis une fois la décision définitive. Nous vous informerons de toute modification aux renseignements demandés après la présentation de la décision réglementaire définitive.

62. Une semaine plus tard environ, le 14 mars 2016, l’Inspectorat a informé Apotex qu’il avait décidé d’éliminer toutes les modalités liées à APIPL et à ARPL des licences d’établissement d’Apotex. Étant donné que toutes les conditions avaient été éliminées, ce qui signifiait que l’Inspectorat n’était plus préoccupé par l’intégrité des données pour les produits fabriqués à APIPL et à ARPL, Apotex a écrit à Mme Law et lui a demandé de confirmer que la DPT n’exigerait plus d’obtenir des ensembles sur l’intégrité des données.

63. Mme Law a répondu le lendemain matin afin d’assurer à Apotex que « la DPT (allait) de l’avant pour régler ce problème dans le plus court délai ». Trois autres jours se sont écoulés sans qu’une réponse complète soit présentée. Apotex a donc envoyé un courriel de suivi. Toujours aucune réponse.

64. Enfin, le 21 mars 2016, Mme Law a donné sa réponse. Pour des motifs qui demeurent obscurs, l’opinion de Mme Law sur l’importance de la décision de l’Inspectorat avait changé radicalement depuis l’envoi de sa lettre du 4 mars 2016. Soudainement et pour la toute première fois, elle était d’avis que l’approche de la DPT à l’égard de l’examen des présentations était entièrement indépendante de l’approche de l’Inspectorat en matière d’importation de produits et qu’elle n’était aucunement influencée par elle :

Comme vous le savez, la décision réglementaire définitive visait à rendre une nouvelle décision sur la façon dont nous traitons les médicaments fabriqués à APIPL et à ARPL avant et après le 10 juin 2015. Elle n’était liée à aucune présentation actuelle ou future présentant des données provenant de ces sites.

65. Apotex a demandé qu’on lui explique pourquoi la DPT maintenait l’exigence liée aux ensembles sur l’intégrité des données étant donné que l’Inspectorat avait éliminé toutes les conditions liées à APIPL et à ARPL. Toutefois, aucune explication n’a été fournie, en dépit de demandes répétées à cet égard. Mme Law n’a plutôt rien fait pendant un certain temps, indiquant qu’elle « continuait d’examiner cette question » et qu’elle « espérait » donner une réponse à Apotex « bientôt ».

[Souligné dans l’original, notes de bas de page omises.]

[124] Rien dans ces échanges ne constitue selon moi une preuve de dépendance ou d’incohérence. Les mesures prises par la DPT en novembre 2014 ont été déclenchées par un appel téléphonique de Mme Mullin à Mme Sabourin et, comme nous le savons maintenant, après avoir demandé conseil à la Dre Sharma; la preuve indique toutefois que la DPT a mené son propre examen interne afin de déterminer si les préoccupations relatives aux données devraient avoir une incidence sur les présentations d’AC. Cet examen a donné lieu à la présentation d’une demande de renseignements supplémentaires à Apotex afin de répondre à ces préoccupations et, éventuellement, à une nouvelle politique qui s’appliquait à d’autres fabricants, en plus d’APIPL et d’ARPL.

[125] La lettre du 4 mars 2016 de Mme Law maintient cette approche. Elle indique que l’Inspectorat a changé sa position, que la DPT a mené son propre examen de ses [traduction] « exigences relatives à ces présentations afin de confirmer s’il faut apporter des changements aux renseignements requis une fois la décision définitive ». Apotex laisse entendre que la DPT a emboîté le pas aux décisions de l’Inspectorat du début à la fin et que l’Inspectorat était influencé de manière irrégulière par l’interdiction d’importation. Encore une fois, cependant, cela signifie que la Cour doit accepter que ce que Mme Law affirme à propos de l’examen des exigences liées aux présentations ne peut être pris au pied de la lettre. Rien dans la preuve ne porte toutefois à croire que la DPT n’a fait rien de plus que ce qu’elle a indiqué dans la lettre du 4 mars 2016 : elle a pris note de ce qui se passait à l’Inspectorat et a ensuite examiné la situation d’Apotex en fonction de ses propres exigences. Il faut garder à l’esprit que le 4 mars 2016, le juge Manson n’avait pas encore rendu sa deuxième décision du 15 juin 2016, qui traitait des mesures prises par l’Inspectorat. En mars 2016, la DPT n’avait aucun motif de supposer que les décisions de l’Inspectorat étaient viciées par l’interdiction d’importation irrégulière.

[126] Encore une fois, je crois qu’il est loisible à Apotex de soutenir qu’il n’était pas raisonnable pour la DPT de maintenir l’exigence relative aux ensembles sur l’intégrité des données vu les décisions prises par l’Inspectorat; je ne crois cependant pas qu’il s’agisse d’une preuve de but irrégulier.

I. La décision du juge Manson du 15 juin 2016

[127] Apotex soutient que la réaction de la DPT à la décision du 15 juin 2016 constitue une preuve supplémentaire de son but irrégulier :

[traduction]

66. Ensuite, le 16 juin 2016, le juge Manson a rendu sa décision sur la deuxième demande de contrôle judiciaire amorcée par Apotex, portant le numéro de dossier de la Cour T-1653-15, par laquelle elle contestait la décision prise par la ministre le 31 août 2015. Dans sa décision, le juge Manson a annulé la décision de 2015, tout comme il l’avait fait pour l’interdiction d’importation.

67. Le lendemain, Mme Law a une fois de plus changé d’avis. Le 17 juin 2016, elle a écrit à Apotex et l’a informée qu’elle menait « un nouvel examen en vue de déterminer si les renseignements indiqués dans les présentations [d’Apotex] suffisent à répondre aux exigences réglementaires ou s’il faut présenter des renseignements supplémentaires ». Il s’agissait de la première fois où Mme Law parlait d’un « nouvel examen ». Plus important encore, Mme Law a continué de refuser d’expliquer pourquoi il faudrait présenter des ensembles sur l’intégrité des données entretemps. On avait déjà demandé à obtenir cette explication, vu l’annulation de l’interdiction d’importation de 2014 et sa version assouplie de 2015 dans un jugement rendu par la Cour et étant donné que l’Inspectorat avait déterminé qu’il n’était pas préoccupé par l’intégrité des données – actuelles ou historiques – provenant d’APIPL ou d’ARPL.

68. Aucune explication n’a été fournie à ce jour et aucun témoin en mesure d’en fournir une n’a été appelé. De plus, la demande d’éléments de preuve qu’Apotex a présentée à Mme Law elle-même – qui serait vraisemblablement bien placée pour justifier la décision, si une telle justification existait – a été rejetée par la ministre.

[128] Dans sa décision du 15 juin 2016, le juge Manson s’est penché sur la contestation présentée par Apotex à l’égard de la décision rendue par l’Inspectorat le 31 août 2015, qui modifiait les conditions de ses licences d’établissement pour APIPL et ARPL. Le juge Manson a accueilli les arguments invoqués par Apotex pour défendre sa thèse du but irrégulier et a déclaré que la décision d’août 2015 était illégitime :

[74] Le cas en l’espèce porte sur un ensemble très particulier de circonstances dans lesquelles une décision sous-jacente du ministre, jugée avoir été prise dans un but illégitime et exécutée de manière inéquitable, a été perpétuée de manière identique dans une décision subséquente sans fondement probatoire ou légal.

[Non souligné dans l’original.]

[129] Dans le cadre du processus qui l’a mené à cette conclusion, le juge Manson a présenté certains renseignements généraux qui sont pertinents à la demande dont je suis saisi :

[5] Les critiques médiatiques ont fait suite à une « alerte à l’importation » émise par la Food and Drug Administration [FDA] des États-Unis visant les produits de ces établissements en raison de problèmes de fiabilité des données constatés durant des inspections menées par la FDA au début de 2014. Il faut souligner que les inspections effectuées par le Canada conjointement avec ses homologues européens et australiens n’ont pas permis de déceler de lacunes de niveau critique nécessitant une intervention immédiate au sein d’ARPL ou d’APIPL.

[6] En juin 2015, Santé Canada a effectué de nouvelles inspections dans les installations d’ARPL et d’APIPL dans le seul but d’évaluer dans quelle mesure Apotex avait appliqué avec succès son Plan de mesures correctives et préventives [PMCP], mis en place pour corriger les lacunes recensées par la FDA [les inspections effectuées en vertu du PMCP au mois de juin].

[7] Un compte rendu de décision a été préparé pour chacun des établissements, comprenant le rapport des inspecteurs et l’analyse de Santé Canada [les rapports d’inspection du PMCP]. Les rapports d’inspection du PMCP font état du fait que bien que les contrôles des systèmes et les modifications apportées aux procédures aient permis de corriger de façon satisfaisante les lacunes concernant l’intégrité des données, une supervision supplémentaire serait nécessaire pour démontrer la durabilité et l’efficacité du PMCP en périodes de production accrue. La supervision était également nécessaire parce que l’examen rétrospectif d’Apotex des données générées avant la conclusion des inspections effectuées en vertu du PMCP au mois de juin était toujours en cours. Il est important de souligner cependant que de façon générale, la recommandation de l’équipe d’inspection était que [traduction] « les inspecteurs de Santé Canada n’ont recensé aucun cas de violation de l’intégrité des données [ID] observées durant les inspections menées par la FDA en juin 2014 ».

[8] Dans une lettre datée du 31 août 2015, Santé Canada a informé Apotex qu’il avait modifié les conditions des LE d’Apotex [les conditions de 2015] en vertu de l’article C.01A.012 du Règlement, qui régit les modifications aux conditions existantes [la décision d’août 2015].

[9] Les conditions de 2015 établissent une distinction entre les médicaments fabriqués avant le 10 juin 2015 [produits antérieurs au 10 juin 2015] et ceux fabriqués après cette date [produits postérieurs au 10 juin 2015]. Les conditions imposées aux produits antérieurs au 10 juin 2015 sont exactement les mêmes que les conditions de 2014. Les produits postérieurs au 10 juin 2015, s’ils ne sont pas complètement interdits, sont assujettis à différentes exigences de tests et de rapports supplémentaires.

[10] Tout juste avant l’audition de la première demande de contrôle judiciaire, les défendeurs ont déposé une requête relative au caractère théorique faisant valoir que la décision d’août 2015 était une « nouvelle » décision, sans lien avec l’interdiction d’importation, et que les conditions de 2015 avaient prétendument remplacé celles mises en place en 2014 [première requête relative au caractère théorique]. La Cour a rejeté la requête pour le motif que les conditions de 2014 avaient été reprises dans les conditions de 2015, de sorte que les produits antérieurs au 10 juin 2015 en provenance d’APIPL et d’ARPL sont restés assujettis à l’interdiction d’importation (décision Apotex Inc v Canada (Health), 2015 FC 1157, aux paragraphes 11 à 13 [première requête relative au caractère théorique]).

[11] Le 14 octobre 2015, après l’audition de la première demande de contrôle judiciaire, la Cour a annulé la décision du ministre d’imposer une interdiction d’importation, y compris les conditions de 2014. La Cour a conclu que l’interdiction d’importation était motivée par le but irrégulier du ministre d’atténuer les critiques formulées par les médias et à la Chambre des communes, plutôt que par la volonté de protéger la santé et la sécurité des Canadiens, et que cette interdiction avait été imposée sans accorder le degré d’équité procédurale requis dans les circonstances (décision Apotex Inc c. Canada (Santé), 2015 CF 1161, aux paragraphes 95 à 121 [Apotex c Canada]).

[12] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses sollicitent notamment, une ordonnance déclarant illégale la décision d’août 2015 du ministre, et une ordonnance interdisant au ministre de continuer d’appliquer l’interdiction d’importation de 2015, plus précisément en tentant de modifier, de suspendre ou encore de modifier les LE d’Apotex à l’égard d’APIPL et d’ARPL dans le but d’interdire l’importation de produits médicamenteux provenant de ces établissements.

[…]

[17] L’affidavit de M. Desai explique qu’à la suite de l’entrée en vigueur de l’interdiction d’importation de septembre 2014, la DPT a refusé d’examiner les présentations relatives à tous les produits fabriqués par APIPL ou ARPL, y compris les produits que la DPT avait déjà jugés satisfaisants. Apotex a été avisée que les présentations touchées ne seraient pas approuvées avant qu’Apotex ait fourni des renseignements supplémentaires concernant l’intégrité des données.

[18] Après que la Cour a annulé l’interdiction d’importation, Apotex a demandé à la DPT de retirer sa demande de renseignements supplémentaires concernant l’intégrité des données et de rétablir le statut de suspension relative au brevet ou de compléter le traitement des présentations réglementaires retardées en raison de l’interdiction d’importation.

[19] La DPT ne procédera pas à l’examen des PADN lorsque celles-ci contiennent des données générées à ARPL ou APIPL avant le 10 juin 2015, à moins qu’Apotex ne fournisse des données de confirmation supplémentaires. Apotex prétend que cette distinction découle de la décision d’août 2015 faisant l’objet du contrôle en l’espèce. Par conséquent, le 12 novembre 2015, Apotex a déposé une nouvelle demande de contrôle judiciaire sous le numéro de dossier T-1915-15, par laquelle elle demande à la Cour d’ordonner au ministre de délivrer des AC à l’égard de toutes les présentations affectées par l’interdiction d’importation et pour lesquelles il n’existe pas d’obstacles d’ordre légal; de rétablir le statut de suspension relative au brevet de toutes les présentations retirées en raison de préoccupations relatives à l’intégrité des données; et d’examiner les présentations concernées sans exiger d’Apotex des renseignements supplémentaires sur l’intégrité des données.

[20] Apotex a fourni les renseignements demandés sur l’intégrité des données et le ministre a émis les AC ou placé en suspension relative au brevet certaines des présentations concernées. Cependant, la DPT continue d’exiger des renseignements supplémentaires sur l’intégrité des données pour quatre présentations réglementaires, sans égard à la décision de mars 2016 retirant des LE d’Apotex toutes les conditions relatives à ARPL et à APIPL.

[130] J’ai déjà fait référence à des parties de la discussion du juge Manson pour trancher la question dont je suis saisi; je mettrai toutefois de nouveau en évidence certaines parties de cette discussion par souci de commodité :

[57] La question que la Cour doit trancher en l’espèce n’est pas de savoir si le ministre avait compétence pour modifier les conditions de LE d’un fabricant de produits médicamenteux, ou si le ministre a mal précisé la source de sa compétence. En fait, il est bien évident que le pouvoir de modifier ou d’imposer des conditions relève directement du mandat du ministre. La question est plutôt de savoir si la décision d’août 2015 était illégale étant donné que la modification venait appuyer une décision annulée par la Cour par le maintien partiel des conditions de 2014 dans les conditions de 2015.

[58] Essentiellement, la légalité de la décision d’août 2015 dépend i) de l’existence d’une décision suffisamment indépendante par rapport à l’interdiction d’importation de 2014, et ii) de la possibilité qu’elle puisse quand même être justifiée par la preuve, de telle sorte que le but illégitime du ministre dans l’imposition de l’interdiction d’importation n’a pas non plus vicié cette décision subséquente et connexe.

[59] Il est évident que la décision d’août 2015 n’a pas été appliquée à titre de nouvelle décision indépendante découlant de l’interdiction d’importation de 2014, et qu’elle n’était pas censée l’être. Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs lorsqu’ils disent que la caractérisation de la décision d’août 2015 comme constituant une modification est sans importance. Les deux décisions sont inextricablement interdépendantes, et les faits qui m’ont été présentés indiquent que la décision d’août 2015 n’était, ni dans la substance ni dans la forme, une décision autonome et sans influence, de telle sorte qu’elle n’était pas aussi touchée par le but illégitime qui a donné lieu à l’interdiction d’importation.

[60] Le fondement législatif de la décision d’août 2015 découle de l’article C.01A.012 du Règlement, qui autorise le ministre à :

modifier les conditions d’une licence d’établissement s’il a des motifs raisonnables de croire que la modification est nécessaire pour prévenir des risques pour la santé des consommateurs.

[Non souligné dans l’original.]

[61] Selon une interprétation fondée sur le sens ordinaire, il appert que cette disposition prévoit et visait les modifications apportées aux conditions préexistantes d’une LE, qui n’existaient qu’en vertu des conditions de 2014, lesquelles ont été annulées par le premier contrôle judiciaire. Ceci est particulièrement vrai compte tenu de l’existence du paragraphe C.01A.008(4), relatif la délivrance d’une LE, correspondant à la disposition utilisée par le ministre pour imposer les conditions de 2014.

[62] De plus, comme le soulignent les demanderesses, la lettre du 31 août 2015 mentionne que le ministre est arrivé à la décision d’août 2015 après avoir uniquement examiné si les conditions de 2014 devaient être [traduction] « réexaminées » et « modifiées ». Très clairement, les inspections de juin 2015 visaient à déterminer si les conditions de 2014 devaient être modifiées et n’ont pas été entreprises dans le but de répondre à la question fondamentale de savoir si les conclusions qui en résulteraient justifieraient l’imposition ou le maintien d’une interdiction d’importation.

[63] Il est également admis par les deux parties qu’en ce qui concerne les produits antérieurs au 10 juin 2015, l’interdiction d’importation a continué de s’appliquer. Ceci apparaît clairement à la lecture des conditions de 2015 et du compte rendu de décision suivant les inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015, qui indiquent que les produits fabriqués par ARPL et APIPL avant le 10 juin 2015 [traduction] « ne seront pas assujettis à ces nouvelles conditions recommandées », « mais sont plutôt assujettis aux conditions actuelles ».

[64] La simple reconduction de l’interdiction d’importation par les conditions de 2015 a également été confirmée par le déclarant du ministre, M. Ouimette, qui a reconnu en contre-interrogatoire que les inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015 visaient à déterminer si les conditions de 2014 pouvaient être assouplies.

[65] Je conclus que la décision d’août 2015 ne peut pas être jugée légale lorsque les liens étroits entre cette décision et l’interdiction d’importation sont recoupés avec l’absence de preuve dont disposait le ministre pour appuyer toute croyance raisonnable en la nécessité d’une interdiction des importations en août 2015. Les défendeurs n’ont présenté aucune preuve, par affidavit ou circonstancielle, susceptible de me persuader que même si la décision d’août 2015 correspondait à une modification et qu’elle était étroitement liée à la décision de 2014, elle était quand même justifiée au regard des faits.

[66] Il est évident que le ministre a examiné de nouveaux éléments de preuve avant d’en arriver à la décision d’août 2015. En particulier, les rapports d’enquête des inspections effectuées en vertu du PMCP du mois de juin 2015 au sein d’ARPL et d’APIPL ont présenté les constats suivants :

a. aucun cas de violation de l’intégrité des données du type observé durant les inspections menées par la FDA en juin 2014 n’a été constaté;

b. aucune [traduction] « observation d’incidence élevée », mais plusieurs observations d’incidences moyennes et faibles;

c. des déficiences à l’égard de la documentation et des enquêtes sur les écarts, indiquant que certains éléments du PMCP doivent encore être mis en place;

d. malgré la vérification des contrôles de systèmes et la modification des procédures, [traduction] « qui ont répondu de manière satisfaisante aux préoccupations concernant l’intégrité des données », une supervision supplémentaire serait nécessaire pour démontrer la durabilité et l’efficacité du PMCP en cas d’augmentation de la production;

e. tant que l’examen rétrospectif des données par Apotex n’a pas été effectué, il subsistait une incertitude concernant les données générées, et donc une incertitude à savoir si les exigences réglementaires pour que ces produits puissent être mis sur le marché au Canada avaient été satisfaites.

[67] Ces renseignements n’appuient pas l’affirmation des défendeurs selon laquelle une interdiction d’importation était justifiée en août 2015. En fait, les rapports d’inspection du PMCP ont confirmé qu’il n’y avait eu [traduction] « aucun cas de violations de l’intégrité des données » du type observé durant les inspections menées par la FDA en juin 2014. De même, même s’il subsistait une [traduction] « incertitude » concernant certaines données, puisqu’Apotex n’avait pas terminé l’examen rétrospectif des données au moment de l’inspection, le manque ou l’insuffisance de preuve peut difficilement établir la justification requise d’une interdiction d’importation. Ceci est particulièrement vrai lorsque Santé Canada, après ses propres inspections, avait auparavant accordé une cote [traduction] « conforme aux conditions » à APIPL, et avait publiquement assuré en imposant l’interdiction d’importation que les produits interdits ne donnaient lieu à aucune préoccupation en matière de santé ou de sécurité. Le fait que l’examen rétroactif des données n’ait pas été terminé ne permet pas non plus d’établir que le ministre avait « des motifs raisonnables de croire que la modification est nécessaire pour prévenir des risques pour la santé des consommateurs », comme l’exige l’article C.01A.012 du Règlement, à la lumière des autres renseignements concrets révélés par les rapports d’enquête du PMCP, qui indiquent le contraire.

[68] Dans le premier contrôle judiciaire, la Cour a conclu que l’interdiction d’importation était motivée par la volonté du ministre de faire taire les critiques dans les médias et à la Chambre des communes, et donc qu’il a, à tout le moins, été instauré dans ces circonstances dans un but illégitime. Aux paragraphes 102 et 103 de ce jugement, j’ai conclu que :

[traduction]

[102] [...] En septembre 2014, en l’absence de critique des médias envers le ministre ou envers Santé Canada, la preuve de la relation réglementaire continue entre Apotex et Santé Canada démontre qu’il aurait été peu probable et contraire à la pratique passée et habituelle pour Santé Canada :

a) de retirer, de façon soudaine et sans explication, l’avis de conformité avec conditions délivré par ses propres inspecteurs à APIPL, retrait découlant d’une inspection visant expressément à examiner les préoccupations exprimées par la FDA concernant les installations d’ARPL et d’APIPL;

b) de mettre fin, immédiatement et sans préavis, au modèle habituel de dialogue continu pour collaborer avec les parties assujetties à la réglementation et de prise de mesures correctives en cas de non-conformité des BPF, tel que cela est énoncé dans ses propres politiques;

c) d’interdire les produits des deux établissements ciblés par les articles du Toronto Star, malgré le fait qu’APIPL venait tout juste de recevoir une cote de conformité avec conditions de la part des inspecteurs de Santé Canada et que seul ARPL ait fait l’objet de la plus récente alerte à l’importation de la FDA;

d) de mettre en place une interdiction d’importation sans d’abord tenter de consulter Apotex au sujet des préoccupations de la FDA dont Santé Canada venait d’être informée, ou de demander une prolongation de la quarantaine volontaire d’Apotex.

[103] Rien dans les éléments de preuve n’indique que les événements de septembre étaient différents de ceux des six mois précédents à tel point que cela justifiait l’imposition immédiate d’une interdiction d’importation, sans préavis ou possibilité d’être entendu, et cela pour ARPL et pour APIPL – les deux établissements mentionnés dans les articles critiques.

[69] Fondamentalement, ce n’est pas simplement la mention par le ministre de certaines dispositions du Règlement ou d’une décision subséquemment annulée qui, à mon avis, rend la décision d’août 2015 illégale. C’est plutôt la perpétuation d’une décision jugée avoir été motivée par un but ne relevant pas des pouvoirs délégués du ministre, et donc une décision qui n’a pas été prise conformément à la règle de droit et qui n’en respecte pas la suprématie (décision Apotex v Canada, précitée, au paragraphe 107).

[70] Selon les défendeurs, il est fondamentalement important que la décision dans le premier contrôle judiciaire n’ait pas miné les préoccupations légitimes concernant l’intégrité des données qu’avait Santé Canada face aux établissements concernés. Je tiens à souligner que ni le premier contrôle judiciaire ni les présents motifs n’indiquent que Santé Canada n’était pas préoccupé par l’intégrité des données ou que Santé Canada n’était pas en droit d’examiner des renseignements fournis par ses organismes réglementaires homologues internationaux. Je ne suis cependant pas d’accord sur le fait que les préoccupations concernant l’intégrité des données, dont la preuve démontre qu’elle n’a fait que s’améliorer depuis septembre 2014, justifiaient le maintien d’une interdiction d’importation dans la décision d’août 2015, sans plus.

[Non souligné dans l’original]

[131] Le juge Manson confirme donc qu’au moment où il a rendu sa décision, « ni le premier contrôle judiciaire ni les présents motifs n’indiquent que Santé Canada n’était pas préoccupé par l’intégrité des données ou que Santé Canada n’était pas en droit d’examiner des renseignements fournis par ses organismes réglementaires homologues internationaux ». Il n’était tout simplement pas d’accord avec le fait que les préoccupations actuelles liées à l’intégrité des données « justifiaient le maintien d’une interdiction d’importation dans la décision d’août 2015, sans plus ».

[132] Le juge Manson a conclu que la décision de l’Inspectorat du 15 août 2015 qui faisait l’objet du contrôle, au vu de la preuve qui lui était présentée, n’était rien de plus que la poursuite de l’interdiction d’importation par d’autres moyens que l’existence de préoccupations relatives à l’intégrité des données à ARPL et à APIPL ne pouvait justifier.

[133] Selon la preuve qui m’est présentée, je ne crois pas que la DPT ne fait que continuer l’interdiction d’importation par d’autres moyens. Les éléments de preuve n’établissent pas que la présente affaire s’inscrit dans les conclusions tirées par le juge Manson au paragraphe 74 de sa décision :

[74] Le cas en l’espèce porte sur un ensemble très particulier de circonstances dans lesquelles une décision sous-jacente du ministre, jugée avoir été prise dans un but illégitime et exécutée de manière inéquitable, a été perpétuée de manière identique dans une décision subséquente sans fondement probatoire ou légal.

[134] La preuve qui m’est présentée m’indique que des préoccupations relatives à l’intégrité des données existaient à APIPL et à ARPL et qu’elles existent toujours, comme le juge Manson l’a confirmé. La preuve qui m’est présentée m’indique aussi que la DPT, même si l’Inspectorat l’a poussée à se pencher sur la situation à APIPL et à ARPL du point de vue des présentations d’AC, a mené son propre examen interne, qui a finalement mené à l’élaboration d’une politique générale pour régler les préoccupations relatives à l’intégrité des données, politique qui s’appliquait aussi à d’autres fabricants. La preuve indique aussi que la DPT, dans ses interactions avec Apotex, a mis l’accent sur les préoccupations relatives à l’intégrité des données et lui a offert une occasion complète de comprendre ses préoccupations et d’y réagir avant que des décisions ne soient prises.

[135] Le juge Manson a indiqué très clairement que sa décision du 15 juin 2016 était fonction du dossier de preuve qui lui était présenté :

[72] Bien que la décision dans le premier contrôle judiciaire ait certainement jeté un doute sur le caractère approprié de la décision d’août 2015, le fait que cette décision d’août 2015 se soit appuyée sur une décision qui a par la suite été annulée ne la rend pas automatiquement nulle. Dans la première requête relative au caractère théorique, j’ai conclu que l’ajout des conditions de 2015 était fondé sur une plateforme différente de celle qui a constitué le fondement de la décision de 2014, et que le dossier à l’époque n’établissait pas un fondement factuel suffisant pour permettre de trancher sur la viabilité des conditions de 2015 (première requête relative au caractère théorique, précitée, aux paragraphes 7 et 12). À présent, avec le bénéfice d’un dossier factuel complet, je conclus qu’il n’y a tout simplement aucune preuve étayant tout fondement évoqué visant à mettre en œuvre ou maintenir l’interdiction d’importation et soutenir une conclusion selon laquelle la décision d’août 2015 était justifiée ou suffisamment distincte de l’interdiction d’importation de 2014.

[136] La preuve qui m’est présentée, que j’aborderai de façon plus approfondie plus tard, dans le cadre de mon examen du caractère raisonnable, soutient effectivement le fondement de la DPT à mettre en œuvre et à maintenir les demandes de données supplémentaires afin d’apaiser les préoccupations relatives aux données pour la varénicline et la sitagliptine.

[137] Je suis d’avis que la situation en l’espèce diffère grandement de celle que le juge Manson devait examiner à plusieurs égards importants.

[138] Premièrement, depuis le 17 novembre 2014, la date à laquelle la DPT a informé Apotex de ses préoccupations et de leur incidence sur les présentations d’AC, elle a continué d’approuver les présentations d’Apotex une fois que cette dernière présentait les renseignements supplémentaires. Elle a en fait approuvé 26 des 30 présentations; seuls deux médicaments (la varénicline et la sitagliptine) sont en suspens en attendant la présentation des renseignements demandés par Apotex. Un bureau de Santé Canada qui tente de maintenir et d’appliquer une interdiction d’importation irrégulière n’agirait pas de la sorte. Ce sont les gestes que pose un bureau qui met l’accent sur l’intégrité des données et qui est plus que disposé à collaborer avec Apotex afin d’apaiser ses préoccupations. La collaboration entre les parties a été telle que seules deux drogues demeurent en litige; pour ces dernières, la preuve indique qu’Apotex n’a pas réussi à mener le processus d’examen interne qu’elle s’était engagée à mener auprès de la FDA. Apotex a entièrement reconnu l’existence de problèmes d’intégrité des données dans le cas des données utilisées dans les présentations faites à la DPT pour ces deux médicaments. Peut-être est-il déraisonnable pour la DPT de continuer d’entretenir des préoccupations à l’égard de la varénicline et de la sitagliptine, étant donné que l’Inspectorat a éliminé les conditions liées aux licences d’établissement. Il faudra toutefois examiner les éléments de preuve qui accompagnent ces deux médicaments et déterminer si les autorisations des licences d’établissement éliminent effectivement les motifs aux préoccupations que la DPT a toujours. J’y viendrai plus tard.

[139] Apotex soutient que les préoccupations continues de la DPT signifient qu’elle agit maintenant d’une façon entièrement décalée de l’Inspectorat. Cela ne soulève toutefois pas un cas de conduite fautive, même par déduction. On peut tout autant l’expliquer par le fait que la DPT a toujours reconnu qu’elle est un bureau distinct, dont le devoir et le mandat diffèrent de ceux de l’Inspectorat, même si elle agit habituellement en accord avec l’Inspectorat.

[140] Deuxièmement, les dispositions réglementaires qui sous-tendent la décision rendue par le juge Manson le 15 juin 2016 diffèrent de celles qui régissent les mesures que prend la DPT de façon révélatrice.

[141] Les modifications apportées aux conditions des licences d’établissement sont régies par l’alinéa C.01A.008(1)(4)b) :

Délivrance

C.01A.008 (1) Sous réserve de l’article C.01A.010, le ministre délivre ou modifie une licence d’établissement sur réception des renseignements et des matériaux visés aux articles C.01A.005 à C.01A.007.

Issuance

C.01A.008 (1) Subject to section C.01A.010, the Minister shall, on receipt of the information and material required by sections C.01A.005 to C.01A.007, issue or amend an establishment licence.

(4) Le ministre peut, outre les exigences visées au paragraphe (2), assortir la licence d’établissement de conditions portant sur :

(4) The Minister may, in addition to the requirements of subsection (2), set out in an establishment licence terms and conditions respecting

b) tout autre élément nécessaire pour prévenir le risque pour la santé des consommateurs, notamment la façon dont la drogue est manufacturée, emballée-étiquetée ou analysée.

(b) any other matters necessary to prevent injury to the health of consumers, including conditions under which drugs are fabricated, packaged/labelled or tested.

[142] Il est possible d’apporter des modifications lorsqu’elles sont « nécessaires pour prévenir le risque pour la santé des consommateurs ».

[143] Les PADN sont régies par l’alinéa C.08.002(1)a) et le paragraphe C.08.002.1(3) :

C.08.002 (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

C.08.002 (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle, une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel que celui-ci juge acceptable;

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission, an extraordinary use new drug submission, an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

C.08.002.1 (3) Le fabricant de la drogue nouvelle doit, à la demande du ministre, lui fournir, selon ce que celui-ci estime nécessaire pour évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation abrégée de drogue nouvelle ou de la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, les renseignements et le matériel suivants :

C.08.002.1 (3) The manufacturer of a new drug shall, at the request of the Minister, provide the Minister, where for the purposes of an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission the Minister considers it necessary to assess the safety and effectiveness of the new drug, with the following information and material:

a) les nom et adresse des fabricants de chaque ingrédient de la drogue nouvelle et les nom et adresse des fabricants de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(a) the names and addresses of the manufacturers of each of the ingredients of the new drug and the names and addresses of the manufacturers of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

b) des échantillons des ingrédients de la drogue nouvelle;

(b) samples of the ingredients of the new drug;

c) des échantillons de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

(c) samples of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold; and

d) tout renseignement ou matériel supplémentaire se rapportant à l’innocuité et à l’efficacité de la drogue nouvelle.

(d) any additional information or material respecting the safety and effectiveness of the new drug.

[144] Cela donne à la ministre un pouvoir discrétionnaire beaucoup plus vaste pour demander tout « renseignement supplémentaire » qu’elle « estime nécessaire pour évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation abrégée de drogue nouvelle ou de la présentation abrégée de drogue nouvelle ».

[145] Dans son affidavit, Mme Sabourin affirme qu’elle ne croyait pas que la décision rendue par le juge Manson le 5 juin 2016 exigeait de changer la façon dont la DPT traitait les présentations d’Apotex et ses demandes de renseignements supplémentaires.

[traduction]

69. Contrairement à l’affirmation de M. Desai (au paragraphe 59 de son affidavit), selon laquelle la ministre et moi avons décidé de ne pas tenir compte de la décision rendue par le juge Manson dans le dossier no T-2223-14, j’ai examiné ladite décision dans les jours qui ont suivi sa présentation. Toutefois, étant donné que le juge Manson n’a tiré aucune conclusion dans sa décision selon laquelle les données contenues dans les PADN d’Apotex, qui provenaient d’APIPL ou d’ARPL, étaient fiables pour déterminer la qualité, l’innocuité et l’efficacité des nouvelles drogues, je n’ai pas estimé qu’il fallait changer la façon dont la DPT évaluait ces PADN.

[146] Apotex a confirmé qu’elle n’affirme pas que Mme Sabourin est malhonnête. En ce qui concerne la demande d’éléments de preuve faite à Mme Law, le dossier indique, dans le cadre d’une requête devant le protonotaire Milczynski, Apotex a demandé à ce que Mme Law soit interrogée sous serment. Apotex a toutefois retiré cette demande. Je crois donc qu’il m’est impossible de tirer une conclusion négative quelconque du fait que Mme Law n’a pas témoigné.

[147] Encore une fois, il me semble possible de soutenir que la DPT a agi de manière déraisonnable dans ces circonstances; je ne vois toutefois aucun élément de preuve ici d’un motif irrégulier. La décision de Mme Law de maintenir l’exigence de présenter des ensembles sur l’intégrité des données semble être motivée par le point de vue que la DPT adopte depuis novembre 2014 : il est évident que les mesures prises par l’Inspectorat ont trait aux présentations d’AC, mais la DPT doit examiner et évaluer de façon indépendante chaque situation selon ses propres obligations prévues par la loi et conformément aux critères applicables aux termes de la Loi. Il est possible que cette position ait été déraisonnable dans ce cas particulier; je ne crois toutefois pas qu’il s’agit d’une preuve d’un motif irrégulier issu de l’interdiction d’importation.

J. Questions liées au choix du moment

[148] Apotex soulève aussi des questions liées au choix du moment en ce qui concerne le fait que Mme Sabourin se soit fondée sur les formulaires 483 de la FDA :

[traduction]

73. Troisièmement, l’affirmation de Mme Sabourin selon laquelle sa décision se fondait sur les préoccupations exposées dans les formulaires 483 de la FDA est démentie par le fait que la DPT (et particulièrement les conseillers les plus importants de Mme Sabourin) était au courant du formulaire 483 pour APIPL et, pourtant, ils n’ont pris absolument aucune mesure réglementaire pendant six mois. Non seulement deux membres du bureau de Mme Sabourin – Susan Robertson et Deborah Dinakaran – étaient parfaitement au courant du formulaire 483 pour APIPL, mais ces connaissances avaient été transmises à la directrice du BSP, Karen Reynolds, et à deux membres de son personnel.

74. En fait, Mme Sabourin elle-même détenait probablement une copie du formulaire 483 de la FDA pour APIPL –ou, à défaut d’en avoir une copie, elle en connaissait le contenu – plusieurs mois avant de prendre sa décision de novembre 2014. Même si l’affidavit de Mme Sabourin indique très clairement que l’appel téléphonique qu’elle a reçu de Sharon Mullin le 24 septembre 2014 était « la première fois où [elle] est devenue au fait des préoccupations relatives à l’intégrité des données générées à APIPL ou à ARPL », elle est revenue sur cet élément de preuve en contre-interrogatoire. Elle a indiqué au départ qu’elle ne pouvait « pas être certaine » qu’elle était au courant des préoccupations relatives à l’intégrité des données avant l’appel du 24 septembre. Toutefois, quand on a insisté, elle a avoué qu’elle était en fait au courant de « préoccupations sur des produits mis en marché par [APIPL] » avant le 24 septembre 2014. Cet aveu contredit directement les éléments de preuve mentionnés dans son affidavit et jette un doute supplémentaire sur la crédibilité de Mme Sabourin.

75. En outre, quand on l’a interrogée directement sur le moment où elle avait reçu le formulaire 483 concernant APIPL, Mme Sabourin n’a pas été en mesure de répondre à la question. Elle a affirmé n’avoir « aucune idée » du moment où elle a reçu le document et a reconnu qu’elle aurait pu l’avoir reçu avant l’imposition de l’interdiction d’importation et vraisemblablement avant l’appel du 24 septembre.

76. Même si elles étaient au courant des problèmes de fiabilité des données à APIPL depuis des mois, ni Mme Sabourin, ni Mme Reynolds, ni aucun autre cadre supérieur de la DPT ne croyait que ces préoccupations justifiaient la prise de mesures réglementaires. Ce point de vue a changé brusquement avec l’imposition de l’interdiction d’importation.

77. De plus, la DPT a continué de délivrer des AC pour des produits fabriqués à APIPL pendant nettement plus de six mois après avoir été mise au fait du contenu du formulaire 483 pour APIPL. Les recommandations favorables à la délivrance de chacun de ces AC auraient été approuvées par Mme Reynolds et les AC étaient signés par Mme Sabourin.

78. Si, comme Mme Sabourin l’affirme maintenant, les renseignements indiqués dans les formulaires 483 étaient graves au point de justifier le refus d’AC, il s’ensuit ceci :

a) on se serait attendu à ce que Mme Reynolds, Mme Robertson ou Mme Dinakran, seules ou ensemble, discutent de la question avec Mme Sabourin sans tarder;

b) on se serait attendu à ce que Mme Reynolds fasse une recommandation défavorable à l’égard de la délivrance d’AC pour l’acide apo-mycophénolique en mai 2004 et pour l’apo-linézolide en juin 2014 (lorsque les produits ont été mis en suspens relativement au brevet) ou en août 2014 (lorsque l’AC a été délivré) – ce qui ne s’est pas produit;

c) on se serait attendu à ce que Mme Sabourin ne signe pas les AC pour l’acide apo-mycophénolique ou pour l’apo-linézolide.

79. Étant donné que Mme Sabourin a signé les AC et que ses cadres supérieurs ont continué de recommander la délivrance d’AC pour des produits provenant d’APIPL, et vu que ni Mme Sabourin ni ses cadres supérieurs ont discuté de la question de savoir si les préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL justifiaient la prise de mesures réglementaires par la DPT, on ne peut que conclure que les renseignements indiqués dans les formulaires 483 n’étaient pas, en fait, graves au point de justifier un refus de délivrer des AC.

[Renvois omis.]

[149] Il serait effectivement étrange que l’Inspectorat et la DPT n’échangent pas sur des questions d’intérêt commun ou qu’ils n’aient pas évalué ou réévalué leur position vu les développements dans chacun des bureaux. Il ne m’incombe pas de trancher si la DPT a répondu aux positions adoptées par l’Inspectorat, mais plutôt de déterminer si ses réponses sont inextricablement liées au même motif et au même but irréguliers qui ont amené le juge Manson à annuler l’interdiction d’importation et à déclarer que la décision rendue par l’Inspectorat le 31 août 2015, qui modifiait les conditions des licences d’établissement d’Apotex pour les installations à APIPL et à ARPL, était illégitime.

[150] Le fait que la DPT n’ait pris aucune mesure réglementaire avant novembre 2014 même si elle était au courant des préoccupations de la FDA ne signifie pas que la mesure, quand elle a été prise, a été influencée de manière irrégulière par l’interdiction d’importation et l’approche adoptée par l’Inspectorat et qu’elle y était inextricablement liée. Selon les éléments de preuve, les préoccupations relatives à l’intégrité des données constituaient un nouveau problème pour la DPT et il a fallu du temps au bureau pour agir et élaborer une réponse. Il était tout à fait approprié pour la DPT de décider, en novembre 2014, vu l’interdiction d’importation et les mesures prises par l’Inspectorat, qu’elle devait en fin de compte aborder les préoccupations relatives à l’intégrité des données de son point de vue et conformément à ses fonctions réglementaires, à condition de le faire de façon raisonnable et objective, que sa décision se fonde sur les faits et sur le régime réglementaire pertinent et qu’elle ne soit pas viciée par les motifs irréguliers qui ont donné lieu à l’interdiction d’importation ou à la décision de l’Inspectorat du 31 août 2015. Une décision irrégulière rendue quelque part dans le système de Santé Canada peut déclencher un auto-examen légitime et une réaction ailleurs dans le système, particulièrement quand la DPT ne pouvait pas savoir, au moment important, que la Cour conclurait plus tard que l’interdiction d’importation et la décision de l’Inspectorat étaient irrégulières.

[151] Le témoignage de Mme Sabourin sur le fait que la DPT avait des préoccupations relativement aux données issues d’inspections d’autres usines indiennes de fabrication de médicaments outre Apotex, en 2014, n’est pas contesté. Elle affirme que la DPT s’est rendu compte qu’elle devait élaborer une approche uniforme au problème et elle était en train de le faire lorsque l’AC provisoire pour l’apo-rasagiline d’Apotex lui a été présenté pour signature. Voir l’affidavit Sabourin, aux paragraphes 40 à 54.

[152] Après la discussion téléphonique entre Mme Sabourin et M. Desai, le 17 novembre 2014, Mme Sabourin a ensuite consulté son personnel en vue d’élaborer un plan officiel pour régler les problèmes d’intégrité des données. Elle a ensuite communiqué avec M. Desai à ce sujet dans le cadre d’un autre appel téléphonique, le 24 novembre 2014, et d’une réunion en personne, le 27 novembre 2014. Elle a dit à M. Desai que la DPT élaborait une approche uniforme afin de régler les préoccupations relatives à l’intégrité des données pour les sites où des problèmes avaient été recensés et que cette approche pourrait inclure des demandes de renseignements supplémentaires. Voir l’affidavit Sabourin, aux paragraphes 48, 50 et 51.

[153] La DPT a ensuite élaboré une politique générale pour régler les préoccupations relatives à l’intégrité des données, en vertu de laquelle elle devait examiner chaque présentation et déterminer s’il fallait obtenir des renseignements supplémentaires. Les interactions de la DPT avec Apotex étaient conformes à cette approche et Apotex a collaboré, même si elle a effectivement remis en question la nécessité d’obtenir de tels renseignements et qu’elle l’a contestée. Dans l’état actuel des choses, seules les présentations concernant la varénicline et la sitagliptine demeurent non réglées parce qu’Apotex n’a pas encore réussi à apaiser les préoccupations de la DPT relatives à l’intégrité des données à cet égard.

[154] Rien de cela ne laisse entendre selon moi que la conduite passée ou actuelle de la DPT à l’égard d’Apotex est attribuable à un motif irrégulier issu de l’interdiction d’importation ou de la décision de la ministre du 31 août 2015 concernant les licences d’établissement pour APIPL et ARPL.

[155] Je crois qu’Apotex souligne à juste titre que peu importe les préoccupations relatives à l’intégrité des données que la DPT pouvait avoir avant novembre 2014, elles n’ont pas déclenché la prise de mesures à l’égard d’Apotex avant l’imposition de l’interdiction d’importation et l’appel téléphonique de Mme Mullin à Mme Sabourin. Selon ma lecture de la preuve, toutefois, l’appel téléphonique de Mme Mullin a précipité la prise de mesures par la DPT, mais ces mesures constituaient une réaction légitime et mesurée à des préoccupations existantes et pour lesquelles la DPT n’avait pas encore trouvé d’approche uniforme. Il est possible que l’appel téléphonique de Mme Mullin ait poussé la DPT à prendre une décision et à prendre des mesures à l’égard d’Apotex, et d’autres finalement; ces mesures ne visaient toutefois pas à apaiser ou à dissiper les pressions médiatiques et politiques. Elles visaient à garantir l’exécution de son propre mandat d’assurer l’efficacité et l’innocuité des drogues indiquées dans les PADN. Vu les circonstances entourant la décision de novembre 2014 et la décision subséquente rendue par le juge Manson sur l’interdiction d’importation et la décision du 31 août 2015 de la ministre, il faut faire la juste part des choses. Je crois toutefois qu’il y a une différence considérable entre le fait d’être poussé à agir pour des motifs légitimes et d’agir dans un but irrégulier. Et, vu les événements survenus entretemps, je crois qu’il est devenu de plus en plus clair que la DPT avait et a toujours des préoccupations légitimes relatives à l’intégrité des données, qui ne sont pas motivées par une fin irrégulière. Tout lien établi entre l’état actuel des présentations pour la varénicline et la sitagliptine et l’interdiction d’importation est extrêmement mince et, selon moi, non fondé.

K. Autres préoccupations

[156] Je retiens aussi certaines des préoccupations qui sous-tendent les points soulevés par Apotex, selon lesquels Mme Sabourin avait éprouvé des problèmes de mémoire en contre-interrogatoire et qu’elle ne semblait pas avoir tenté de se rafraîchir la mémoire, et le fait qu’il ne semblait pas exister de documents sur les délibérations ayant mené à la décision de novembre 2014; je ne crois cependant pas qu’elles suffisent à établir que Mme Sabourin ne faisait que [traduction] « suivre la directive de la ministre de prendre des “mesures plus rigoureuses” à l’égard d’APIPL et d’ARPL », comme Apotex le soutient. Lorsque l’on se penche sur ces questions dans le contexte général des événements survenus dans le cadre du présent litige, je ne crois pas que l’on puisse affirmer, pour reprendre l’expression du juge Manson, que la décision de la DPT et la mesure qu’elle a prise à l’égard d’Apotex ne sont pas « suffisamment indépendantes » de l’interdiction d’importation au point de devenir illégitimes en raison de l’illégitimité de l’interdiction d’importation. Et cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la varénicline et la sitagliptine, les deux seules drogues pour lesquelles la DPT demande toujours à obtenir des renseignements supplémentaires, conformément à la politique née de la situation survenue en novembre 2014. Il me semble que le critère véritable pour déterminer si les interactions de la DPT avec Apotex demeurent viciées par un but irrégulier consiste à établir si des préoccupations légitimes relatives à l’intégrité des données liées à la varénicline et à la sitagliptine justifient que la DPT continue d’exiger des renseignements supplémentaires. Au vu de la preuve qui m’est présentée, des préoccupations légitimes existent.

L. Conclusion sur le motif irrégulier

[157] Apotex ne m’a pas convaincu que le refus de la ministre de mettre fin à son interdiction d’accorder des AC pour des produits fabriqués par ARPL ou d’obtenir des IPA auprès d’APIPL est inextricablement lié à l’interdiction d’importation et se fonde sur celle-ci. Selon la preuve, il semblerait que l’appel de Mme Mullin le 24 septembre 2014 ainsi que des discussions avec d’autres ont informé Mme Sabourin de l’interdiction d’importation et de la position de l’Inspectorat; Mme Sabourin a toutefois indiqué clairement qu’elle avait retenu de l’appel [traduction] « qu’il y avait de possibles conséquences pour les présentations », et que la DPT a alors évalué ces conséquences, ce qui l’a amenée à conclure que pour régler ce problème, il fallait demander des renseignements supplémentaires à l’appui des PADN d’Apotex et, en fin de compte, élaborer et mettre en œuvre une politique pour gérer des situations semblables qui pourraient survenir à l’avenir. La preuve est convaincante : indépendamment de l’interdiction d’importation irrégulière, il y avait et il y a toujours des préoccupations légitimes relatives à l’intégrité des données contenues dans les PADN sur certaines drogues provenant d’APIPL et d’ARPL. Il n’y a aucun élément de preuve direct selon lequel la DPT, en agissant comme elle l’a fait en novembre 2014, ne faisait qu’emboîter le pas et suivre « les ordres » de la ministre. Et toute conclusion à cet effet n’est pas établie selon la prépondérance des probabilités selon moi. Des préoccupations relatives à l’intégrité des données existaient et la DPT était tenue en vertu de la loi à les évaluer et elle avait l’obligation de le faire, conformément à son mandat. Au vu de la preuve, je suis porté à croire que c’est ce qui s’est réellement produit.

[158] L’examen mené par la DPT tend à ajouter foi au témoignage de Mme Sabourin que la DPT n’était pas réellement préoccupée par l’interdiction d’importation elle-même, mais plutôt par les préoccupations sous-jacentes relatives à l’intégrité des données [traduction] « comme celles perçues par les inspecteurs de la FDA des États-Unis ». Autrement dit, hormis l’interdiction d’importation, il y avait des motifs réels de s’inquiéter des données provenant d’APIPL et d’ARPL et la DPT devait évaluer ces préoccupations. Le juge Manson n’a pas affirmé dans ni l’une ni l’autre de ses décisions qu’il n’y avait aucune préoccupation véritable relative à l’intégrité des données; selon la preuve qui m’est présentée, que j’aborderai sous peu, et il est clair qu’il y avait et qu’il y a toujours des préoccupations relatives à l’intégrité des données que la DPT était tenue d’évaluer.

[159] Le fait que l’échange de correspondance entre la DPT et Apotex puisse faire référence à l’interdiction d’importation ne prouve pas que c’est cette interdiction qui a motivé l’évaluation des préoccupations relatives à l’intégrité des données par la DPT et sa décision de régler les problèmes en demandant à Apotex de fournir des renseignements supplémentaires. Il ressort clairement de cette même correspondance, selon moi, que la DPT se concentrait sur les préoccupations sous-jacentes relatives à l’intégrité des données, et non sur l’interdiction d’importation à proprement parler, et qu’elle continue de le faire.

[160] Quoi qu’il en soit, la véritable question que la Cour doit trancher à cette étape-ci est de savoir si la DPT agit selon une intention irrégulière qui se poursuit en ce qui concerne les présentations d’Apotex sur la varénicline et la sitagliptine. Il s’agit en effet des deux seules drogues pour lesquelles la DPT refuse (en ce qui concerne la réparation demandée par Apotex dans la présente demande) de mettre fin à l’interdiction d’accorder des AC pour les produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA ont été fournis par APIPL jusqu’à ce que des renseignements supplémentaires soient fournis pour apaiser les préoccupations relatives à l’intégrité des données. Je comprends pourquoi Apotex voudrait faire valoir que cette demande est déraisonnable, vu la décision de l’Inspectorat. Il est toutefois improbable que la position actuelle de la DPT sur la varénicline et la sitagliptine soit motivée par une interdiction d’importation irrégulière, imposée en 2014 en raison de pressions politiques exercées sur la ministre, particulièrement lorsque l’on garde à l’esprit que la DPT a collaboré avec Apotex entretemps pour répondre aux préoccupations relatives à l’intégrité des données et qu’elle a réglé 26 présentations. Peu importe l’influence initiale de l’interdiction d’importation, les événements survenus par la suite ont montré qu’en ce qui concerne la DPT, Apotex a tout de même réussi à faire traiter ses PADN liées à APIPL et à ARPL par la DPT. On voit difficilement comment les ordres donnés par la ministre en 2014 pourraient encore avoir une incidence sur les présentations sur la varénicline et la sitagliptine en 2017, vu ce qui s’est produit entretemps.

[161] Somme toute, la preuve me porte à croire que l’interdiction d’importation a agi comme catalyseur sur la DPT. Elle a poussé et encouragé la DPT à mettre de l’ordre dans ses affaires en ce qui concerne les préoccupations relatives à l’intégrité des données provenant d’APIPL et d’ARPL, ainsi que d’autres sites et d’autres fabricants de médicaments. Ces préoccupations relatives à la fiabilité des données sont toutefois authentiques et elles le demeurent, sans compter qu’elles devaient être abordées en vertu du mandat de la DPT prévu par la loi. La DPT s’est acquittée de cette tâche de manière rationnelle et collaborative; elle a collaboré avec Apotex et d’autres afin de garantir le traitement de ses présentations d’AC, tout en garantissant en même temps que la santé et la sécurité des Canadiens n’étaient pas en péril. La DPT n’a pas exigé et n’exige toujours pas d’obtenir des ensembles sur la fiabilité des données afin de poursuivre les motifs sous-jacents à l’interdiction d’importation et à la décision de l’Inspectorat. Les préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL constituaient un problème réel et, en ce qui concerne la varénicline et la sitagliptine, elles demeurent un problème réel, pour des motifs que j’exposerai ci-dessous. Les mesures rigoureuses prises par Apotex à l’interne en réaction aux formulaires 483 de la FDA indiquent clairement qu’Apotex croyait elle aussi que ces préoccupations constituaient un problème réel, qui devait faire l’objet d’une évaluation sérieuse et de mesures correctives. La collaboration d’Apotex pour fournir des ensembles sur l’intégrité des données pour la plupart des drogues en litige confirme qu’elle reconnaissait qu’il y avait un problème. Les raisons pour lesquelles elle ne peut pas le faire pour la varénicline et la sitagliptine demeurent obscures, selon les éléments de preuve dont je dispose.

M. Caractère raisonnable

[162] Le fait que j’aie conclu que la preuve ne soutient pas un but irrégulier dans le refus de la ministre de mettre fin à son interdiction d’accorder des AC pour des produits fabriqués par ARPL ou d’obtenir des IPA auprès d’APIPL ne signifie pas que la position actuelle de la DPT est raisonnable.

[163] Même si Apotex demande à la Cour d’évaluer le caractère raisonnable pour des « produits », je ne crois pas que la Cour puisse le faire pour tous les « produits ». Chacun de ces produits donnera lieu à des faits et des questions différents, en fonction de la nature des préoccupations au moment où la présentation a été faite. Il me semble que la Cour peut uniquement déterminer le caractère raisonnable du point de vue de la varénicline et de la sitagliptine, soit les deux drogues parmi la liste de 30 drogues présentée par Apotex, pour lesquelles il faut encore obtenir des renseignements supplémentaires pour apaiser les préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL.

[164] Apotex formule les allégations qui suivent :

[traduction]

12. Enfin, même s’il était raisonnable pour la ministre de refuser d’annuler la décision de novembre 2014 à la suite de l’annulation de l’interdiction d’importation, rien ne justifie son maintien de cette décision à ce jour, étant donné qu’en mars cette année, elle a accepté de retirer toutes les restrictions relatives à l’importation de produits d’APIPL et d’ARPL. En fait, la ministre n’a même pas présenté d’élément de preuve sur cette question. Le témoin présenté – Mme Sabourin – n’a connaissance d’aucun événement ayant fait surface après la fin du mois de février 2016 et la ministre a rejeté une demande de présenter un témoin qui posséderait une telle connaissance (c’est-à-dire la directrice générale actuelle, Mme Marion Law).

13. Ainsi, la Cour ne dispose tout simplement d’aucun élément de preuve pour justifier la décision de novembre 2014 et son application continue.

[Souligné dans l’original.]

[165] Comme je l’ai déjà indiqué, Apotex fait souvent référence au fait que la DPT se fonde sur les décisions de l’Inspectorat pour prendre ses propres décisions sur les PADN. Par souci de commodité, je reproduis certaines des préoccupations et certains des arguments d’Apotex ci‑dessous :

[traduction]

59. À un moment donné plus tard au cours de l’automne 2015, Mme Sabourin avait soi-disant terminé son nouvel examen et, en sa capacité de déléguée de la ministre, elle avait conclu qu’aucune suite ne serait donnée à l’annulation de l’interdiction d’importation par le juge Manson. En conséquence, elle a décidé de continuer d’exiger des ensembles sur l’intégrité des données pour des produits provenant d’APIPL et d’ARPL fabriqués ou mis à l’essai avant le 10 juin 2015. Les motifs à cette décision n’ont pas été présentés à Apotex.

60. Ensuite, à la fin du mois de janvier 2016, l’Inspectorat a communiqué une décision nouvelle – quoique « préliminaire » – à Apotex liée à l’interdiction d’importation. Dans cette décision préliminaire, on proposait d’assouplir les conditions liées à APIPL et à ARPL de sorte que seules deux (peut-être trois) conditions demeureraient en vigueur.

61. Le 4 mars 2016, pendant que l’Inspectorat s’employait à finaliser sa décision, Marion Law, la nouvelle directrice générale de la DPT, a écrit à Apotex. Dans cette lettre, Mme Law a de nouveau confirmé que l’approche adoptée par la DPT à l’égard des présentations d’Apotex dépendait de l’approche de l’Inspectorat en matière d’importation de produits :

[P]uisque la nouvelle décision remplacera les conditions de 2015, Santé Canada examinera ses exigences relatives à ces présentations afin de confirmer s’il faut apporter des changements aux renseignements requis une fois la décision définitive. Nous vous informerons de toute modification aux renseignements demandés après la présentation de la décision réglementaire définitive.

62. Une semaine plus tard environ, le 14 mars 2016, l’Inspectorat a informé Apotex qu’il avait décidé d’éliminer toutes les modalités liées à APIPL et à ARPL des licences d’établissement d’Apotex. Étant donné que toutes les conditions avaient été éliminées, ce qui signifiait que l’Inspectorat n’était plus préoccupé par l’intégrité des données pour les produits fabriqués à APIPL et à ARPL, Apotex a écrit à Mme Law et lui a demandé de confirmer que la DPT n’exigerait plus d’obtenir des ensembles sur l’intégrité des données.

63. Mme Law a répondu le lendemain matin afin d’assurer à Apotex que « la DPT (allait) de l’avant pour régler ce problème dans le plus court délai ». Trois autres jours se sont écoulés sans qu’une réponse complète soit présentée. Apotex a donc envoyé un courriel de suivi. Toujours aucune réponse.

64. Enfin, le 21 mars 2016, Mme Law a donné sa réponse. Pour des motifs qui demeurent obscurs, l’opinion de Mme Law sur l’importance de la décision de l’Inspectorat avait changé radicalement depuis l’envoi de sa lettre du 4 mars 2016. Soudainement et pour la toute première fois, elle était d’avis que l’approche de la DPT à l’égard de l’examen des présentations était entièrement indépendante de l’approche de l’Inspectorat en matière d’importation de produits et qu’elle n’était aucunement influencée par elle :

Comme vous le savez, la décision réglementaire définitive visait à rendre une nouvelle décision sur la façon dont nous traitons les médicaments fabriqués à APIPL et à ARPL avant et après le 10 juin 2015. Elle n’était liée à aucune présentation actuelle ou future présentant des données provenant de ces sites.

65. Apotex a demandé qu’on lui explique pourquoi la DPT maintenait l’exigence liée aux ensembles sur l’intégrité des données étant donné que l’Inspectorat avait éliminé toutes les conditions liées à APIPL et à ARPL. Toutefois, aucune explication n’a été fournie, en dépit de demandes répétées à cet égard. Mme Law n’a plutôt rien fait pendant un certain temps, indiquant qu’elle « continuait d’examiner cette question » et qu’elle « espérait » donner une réponse à Apotex « bientôt ».

66. Ensuite, le 16 juin 2016, le juge Manson a rendu sa décision sur la deuxième demande de contrôle judiciaire amorcée par Apotex, portant le numéro de dossier de la Cour T-1653-15, par laquelle elle contestait la décision prise par la ministre le 31 août 2015. Dans sa décision, le juge Manson a annulé la décision de 2015, tout comme il l’avait fait pour l’interdiction d’importation.

67. Le lendemain, Mme Law a une fois de plus changé d’avis. Le 17 juin 2016, elle a écrit à Apotex et l’a informée qu’elle menait « un nouvel examen en vue de déterminer si les renseignements indiqués dans les présentations [d’Apotex] suffisent à répondre aux exigences réglementaires ou s’il faut présenter des renseignements supplémentaires ». Il s’agissait de la première fois où Mme Law parlait d’un « nouvel examen ». Plus important encore, Mme Law a continué de refuser d’expliquer pourquoi il faudrait présenter des ensembles sur l’intégrité des données entretemps. On avait déjà demandé à obtenir cette explication, vu l’annulation de l’interdiction d’importation de 2014 et sa version assouplie de 2015 dans un jugement rendu par la Cour et étant donné que l’Inspectorat avait déterminé qu’il n’était pas préoccupé par l’intégrité des données – actuelles ou historiques – provenant d’APIPL ou d’ARPL.

68. Aucune explication n’a été fournie à ce jour et aucun témoin en mesure d’en fournir une n’a été appelé. De plus, la demande d’éléments de preuve qu’Apotex a présentée à Mme Law elle-même – qui serait vraisemblablement bien placée pour justifier la décision, si une telle justification existait – a été rejetée par la ministre.

[166] Ce compte rendu d’Apotex donne l’impression qu’il n’y a jamais eu de véritables préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL et que, même s’il y en avait, l’Inspectorat les avait réglées et avait donné le feu vert. Ce n’est toutefois pas ce que la preuve indique.

[167] D’abord, Apotex elle-même a entièrement reconnu qu’il y avait des préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL qui devaient être réglées. Ces préoccupations ont été soulevées pour la première fois à la suite de l’inspection d’APIPL menée par la FDA en janvier 2014, où elle a découvert que le personnel d’APIPL avait mené des essais sur des échantillons de drogues sans les déclarer. Autrement dit, le personnel examinait ou déclarait des résultats qui ne répondaient pas aux spécifications. La FDA a découvert que le personnel d’APIPL avait, dans certains cas à tout le moins, mené de nouveaux essais sur des produits défaillants jusqu’à l’obtention de la note de passage, et ce, sans expliquer pourquoi les premiers résultats des essais avaient été un échec.

[168] Apotex a compris que cette situation soulevait de graves préoccupations sur l’intégrité des données et elle a informé l’Inspectorat de Santé Canada des constatations faites par la FDA à APIPL en avril 2014 et d’observations semblables dans le cadre d’une inspection menée en juin 2014 par la FDA.

[169] M. Desai lui-même a reconnu que les observations de la FDA sur ce que les employés faisaient à APIPL et à ARPL faisaient en sorte qu’il était difficile d’évaluer la fiabilité des données. En contre-interrogatoire, M. Desai a expliqué les problèmes comme suit :

52 Q À votre avis, le fait de mener de nouveaux essais sur des échantillons et de ne pas déclarer les résultats des essais ou de les regrouper d’une certaine façon afin de présenter les essais douteux et réussis ensemble sans indiquer que certains avaient été douteux vous porterait-il à croire, tout comme moi, que cette pratique pourrait susciter des préoccupations quant à la fiabilité des résultats des essais?

R C’est ainsi que c’est caractérisé. Je veux dire qu’avec ce genre d’observations, à moins de pouvoir aller dans –, littéralement, tout se joue dans les détails. À moins de pouvoir définir l’observation selon cet élément précis et de mener une enquête précise, il est très difficile d’affirmer de manière générale que cette situation est préoccupante ou pas.

53 Q D’accord. Et, de même, serait-il difficile d’affirmer de manière générale que cette situation n’était aucunement préoccupante et qu’elle était entièrement fiable?

R Il faudrait mener une enquête subséquente afin de comprendre parfaitement pourquoi cette approche a été adoptée ou pas pour ce résultat d’essai donné. Parfois, il n’y a pas [sic] de nombreuses raisons pourquoi des données sont écartées, et cela est approprié, à condition de le déclarer. Donc, à moins de connaître les détails de ce résultat, il est très difficile de se prononcer généralement sur sa gravité.

[…]

57 Q Et, ce même genre d’observations sur les dossiers où il manque des données, sur l’abandon d’essais sans explication des résultats qui ne répondent pas aux spécifications, ou toute mesure prise pour corriger le problème pourraient toutes avoir une incidence sur la fiabilité des données, est-ce exact?

R Encore une fois, il s’agit de la même réponse que j’ai fournie dans l’exemple précédent que vous avez présenté : à moins de mener une enquête individualisée et de trouver la cause, il est difficile de prendre une décision.

[170] En fait, Apotex a pris ces préoccupations relatives à l’intégrité des données au sérieux, au point d’informer l’Inspectorat qu’elle mènerait un examen complet des données et ferait une évaluation des pratiques de laboratoire à ARPL, et qu’elle mettrait à l’essai tous les produits finis à usage commercial d’ARPL qui se trouvent dans ses établissements de Toronto avant que ces produits n’entrent sur le marché canadien. Apotex a aussi pris des mesures correctives considérables à APIPL et à ARPL, y compris la tenue d’examens rétrospectifs de données entreposées dans son système Empower. Apotex a mis en œuvre un plan d’action pour la qualité globale, qu’elle s’est employée à suivre, et elle élabore des plans correctifs et préventifs à APIPL et à ARPL, sans compter qu’elle présente des rapports d’étape à la FDA et à Santé Canada. En fait, en 2015, Apotex s’est engagée auprès de la FDA à [traduction] « mener un examen complet de l’intégrité des données pour l’ensemble des PADN en attente et approuvées avant de lancer un produit sur le marché américain ». Voir le contre-interrogatoire de M. Desai, dans le dossier de la Cour no T-2223-14, pièce 13. Dans un rapport présenté en mai 2015, Apotex a assuré la FDA qu’elle ferait ce qui suit :

[traduction]

[…] poursuivre la collaboration avec la Direction des produits thérapeutiques (DPT) afin de corriger les lacunes liées aux produits en attente d’une approbation (PADN en suspens) au cas par cas. À ce jour, nous avons corrigé cinq de ces lacunes et nous sommes en voie d’en corriger six autres.

Voir l’affidavit Sabourin, pièce V (sommaire des mesures d’Apotex), dossier de la demanderesse, vol. 3, pages 796 à 799.

[171] Le système informatique Empower 3 d’Apotex contient des données directes saisies pour les appareils de chromatographie d’Apotex qui remontent à septembre 2013. Les données générées avant cette date sont conservées dans un système plus ancien, connu sous le nom d’Empower 2. Le fait que les présentations sur la varénicline et la sitagliptine – les deux présentations qui ne sont toujours pas réglées – contiennent des données sur des études de stabilité menées à ARPL en 2013 n’est pas pure coïncidence. En mai 2015, Apotex a indiqué qu’elle n’avait pas encore commencé l’examen de son système Empower 2 et, à la date de la présente audience, elle n’avait pas présenté les résultats de son examen rétrospectif des données contenues dans son système Empower 2 qui sont pertinentes à ses présentations canadiennes. En contre-interrogatoire, M. Desai a indiqué qu’il ne pouvait pas se prononcer sur les progrès réalisés dans le cadre de l’examen du système Empower 2.

[172] Cela signifie donc qu’il existe des préoccupations relatives à l’intégrité des données à APIPL et à ARPL depuis 2014 et qu’elles ont été prises au sérieux par la FDA et par Santé Canada, ainsi que par Apotex elle-même. Dans l’état actuel des choses, les deux présentations non résolues restantes pour la varénicline et la sitagliptine continuent de soulever des préoccupations relatives à l’intégrité des données qui découlent des études sur la fiabilité des données menées à ARPL en 2013. Apotex n’a pas encore terminé l’examen interne qu’elle s’était engagée à mener; elle affirme toutefois que cela n’a plus aucune importance puisque l’Inspectorat a donné le feu vert. Toutefois, à moins qu’Apotex ait terminé son examen des données du système Empower 2 et d’ici à ce qu’elle l’ait fait, je ne vois pas comment la DPT peut confirmer la fiabilité des données dans les présentations qui ont été touchées par des essais problématiques de chromatographie.

[173] Il est vrai qu’étant donné qu’Apotex a poursuivi sa collaboration avec la FDA et Santé Canada, la DPT s’est montrée disposée à rajuster ses exigences en matière de données pour les présentations en réaction aux mesures prises par l’Inspectorat et qu’elle a pu le faire. En juin 2015, la DPT a déterminé qu’elle n’avait plus besoin d’obtenir des renseignements supplémentaires à l’appui des données générées à APIPL et à ARPL à la suite des inspections menées par l’Inspectorat en juin 2015. Cela s’explique par le fait que la DPT est parvenue à conclure que les mesures correctives et préventives mises en œuvre par Apotex rendaient les données générées après juin 2015 fiables. Cette date a par la suite été ramenée à janvier 2015. Mme Law a expliqué la situation à M. Desai dans sa lettre du 8 juillet 2016 :

[traduction]

Même si l’inspection aux fins de vérification du PMCP menée sur place par Santé Canada en juin 2015 a fait état de progrès considérables dans la mise en œuvre de PMCP à ces sites, cette inspection se limitait à des produits pharmaceutiques déjà autorisés. Par conséquent, dans le cadre de mon examen, j’ai insisté davantage sur les présentations liées au PMCP d’Apotex et les rapports d’étape présentés à la FDA des États-Unis pour APIPL et ARPL, ainsi que sur les réponses de la FDA à ces rapports, puisque les données sur les présentations faisaient partie de la portée de ces rapports. Étant donné que ces rapports indiquent que la majorité des PMCP et le plan mondial d’assurance de la qualité d’Apotex conçu pour répondre aux observations et aux préoccupations connexes avaient été mis en œuvre aux deux sites en 2014, j’ai conclu qu’il est raisonnable à l’heure actuelle pour la DPT de conclure que les données générées à APIPL et à ARPL après le 1er janvier 2015 sont fiables. Selon ce fondement, il n’est plus nécessaire à l’heure actuelle d’obtenir les renseignements supplémentaires exigés à l’appui de présentations de drogues qui se fondaient sur des données générées à APIPL ou à ARPL après le 1er janvier 2015.

[Souligné dans l’original.]

Je suis cependant d’avis que rien ne provenant de l’Inspectorat n’avait apaisé les préoccupations relatives aux données générées à APIPL et à ARPL avant janvier 2015.

[174] Dans la situation actuelle, la DPT exige encore d’obtenir des renseignements supplémentaires afin de confirmer la fiabilité des données générées à APIPL et à ARPL avant le 1er janvier 2015, particulièrement les données générées en 2013 pour la varénicline et la sitagliptine. Apotex n’a pas montré en quoi la décision prise par l’Inspectorat le 14 mars 2016 apaise les préoccupations relatives à l’intégrité des données pour la varénicline et la sitagliptine. Apotex affirme que [traduction] « l’Inspectorat n’était plus préoccupé par l’intégrité des données pour les produits fabriqués à APIPL et à ARPL », ce qui signifie qu’il n’est pas raisonnable pour la DPT d’insister pour obtenir des ensembles supplémentaires sur l’intégrité des données. Mon examen de la décision prise par l’Inspectorat le 14 mars 2016 me porte à croire qu’elle élimine certaines conditions liées aux licences d’établissement parce qu’il a été conclu qu’elles n’étaient plus nécessaires; je ne vois toutefois pas en quoi cela résout les problèmes liés à la fiabilité des données générées à APIPL et à ARPL avant qu’Apotex mette en œuvre son plan de mesures correctives et préventives. Et ce sont ces données qui sous-tendent la position actuelle de la DPT en ce qui concerne la varénicline et la sitagliptine, que la DPT gère conformément à sa politique actuelle.

[175] Il me semble donc que cette décision prise par l’Inspectorat n’apaise pas les préoccupations relatives à l’intégrité des données générées à APIPL et à ARPL avant janvier 2015 et les préoccupations relatives à l’intégrité des données de 2013 pour la varénicline et la sitagliptine en particulier. Il n’était donc pas déraisonnable pour la DPT de mener un nouvel examen et de demander à obtenir des renseignements supplémentaires pour répondre à ces préoccupations. Apotex s’est engagée à mener un examen quinquennal afin de convaincre la FDA, et M. Desai a indiqué qu’il ne savait pas où en était cet examen. Cela signifie que la DPT ne peut pas prendre de décision avant qu’on lui ait fourni les renseignements pertinents.

[176] Cette thèse est raisonnable parce que, comme l’indique la défenderesse :

  • a) la FDA a formulé des observations en 2014 sur la poursuite d’essais chromatographiques non déclarés à APIPL et à ARPL, ainsi que sur des défauts d’examiner des résultats qui ne répondaient pas aux spécifications et la tenue de nouveaux essais à la suite de résultats négatifs sans déclarer ou expliquer ces échecs;

  • b) M. Desai a reconnu lui-même que ces situations pourraient avoir une incidence sur la fiabilité des données contenues dans les présentations de drogues;

  • c) l’examen mené par Apotex elle-même sur ses données du système Empower 3, en mai 2015, l’a amenée à reconnaître que cinq de ses présentations avaient été touchées par des problèmes d’intégrité des données;

  • d) selon le dossier qui m’est présenté, Apotex n’a pas terminé l’examen des données contenues dans son système Empower 2, ce qui signifie que la DPT ne peut confirmer d’aucune façon la fiabilité des données indiquées dans ces présentations, qui pourraient avoir été touchées par les essais problématiques de chromatographie.

IX. Conclusions

[177] Je conclus que le refus continu de Santé Canada de délivrer des AC pour des produits fabriqués à ARPL ou dont les IPA proviennent d’APIPL, étant donné qu’il y a encore des préoccupations relatives à l’intégrité des données générées avant janvier 2015, n’est ni irrégulier ni déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée avec dépens attribués à la défenderesse.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de septembre 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1915-15

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 28 et 29 novembre 2016 et le 13 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Harry Radomski

Nando De Luca

Julie Rosenthal

Daniel G. Cohen

 

Pour la demanderesse

 

Glynis Evans

Laura Tausky

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.