Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170320


Dossier : IMM-3017-16

Référence : 2017 CF 293

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ABDEL NABI CHEHADE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) défavorable à l’égard d’un citoyen du Liban maintenant âgé de 19 ans. Abdel Nabi Chehade est arrivé au Canada en provenance des États-Unis en tant que mineur non accompagné le 25 novembre 2013. Ses parents l’ont envoyé du Liban dans l’espoir qu’il puisse demander l’asile et trouver une vie meilleure.

[2]               Pour les motifs suivants, j’ai conclu que la décision est raisonnable et je rejette la demande.

II.                 Résumé des faits

[3]               M. Chehade est sous la garde des Services à l’enfance et à la famille depuis son arrivée au Canada. Il est le plus jeune de sept enfants et est le seul membre de sa famille qui ne réside pas au Liban. Les parents de M. Chehade ont décidé de l’envoyer, non accompagné alors qu’il avait 15 ans, au Canada en provenance des États-Unis après un présumé incident dans lequel le Hezbollah a tenté de le forcer à se joindre à l’organisation. Ses parents avaient prévu qu’il vive avec une tante à son arrivée au Canada. Les autorités canadiennes n’ont cependant pas accepté ces arrangements lorsqu’il est arrivé à la frontière. En conséquence, M. Chehade a résidé dans un foyer de groupe à Welland en Ontario.

[4]               Le 13 février 2014, la demande d’asile de M. Chehade a été rejetée, de même que son appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR). Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour fédérale. Le 13 août 2015, à l’âge de 17 ans, M. Chehade a soumis une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). La demande a été refusée, mais ensuite renvoyée pour réexamen par consentement des parties. Une condition de l’entente était que l’intérêt supérieur de l’enfant soit considéré parce qu’il n’était âgé que de 17 ans au moment de la demande. Dans une décision rendue le 23 juin 2016, la demande CH de M. Chehade faisant l’objet d’un nouvel examen a été rejetée, et cette décision constitue le motif du présent contrôle judiciaire.

III.               Questions en litige

[5]               M. Chehade soulève les questions suivantes dans la présente demande :

  1. L’agent a -t-il été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant?

IV.              Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle à appliquer dans les affaires de cette nature est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

V.                 Analyse

[7]               M. Chehade soutient que l’agent est venu à une conclusion sans fondement à la suite d’une lecture sélective du rapport d’une psychothérapeute présenté en son nom. Plus précisément, l’impression clinique de la psychothérapeute souligne que l’anxiété et la dépression de M. Chehade sont dues à la menace d’être renvoyé au Liban et que ce renvoi pourrait causer une détérioration de sa santé mentale. M. Chehade est d’avis que, puisque l’agent d’immigration n’est pas un professionnel de la santé, il ne lui était pas loisible de tirer des conclusions contredisant le rapport de la psychothérapeute.

[8]               M. Chehade soutient que l’agent n’a effectué aucune analyse de l’impact qu’aurait sur lui le fait de retourner au Liban. Et cela malgré la conclusion claire de la psychothérapeute selon laquelle le fait de le renvoyer au Liban aurait des implications négatives et permanentes, et lui infligerait de graves souffrances émotionnelles. M. Chehade conclut que, compte tenu du diagnostic, de sa vulnérabilité particulière d’enfant, et de la preuve documentaire sur la situation dans le pays, l’agent ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[9]               De plus, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817), bien que la seule présence d’enfants n’appelle pas nécessairement un résultat particulier (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9). Puisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 41 [Kanthasamy]).

[10]           En général, les facteurs liés au bien‑être émotionnel, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération lorsqu’ils sont soulevés. Voici quelques exemples de facteurs que les demandeurs peuvent soulever Kanthasamy, précité, au paragraphe 40) :

– l’âge de l’enfant;

– le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH;

– le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

– les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH;

– les conditions qui règnent dans ce pays et l’incidence possible sur l’enfant;

– les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

– les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

– les questions relatives au sexe de l’enfant.

[11]           Un agent doit établir un équilibre entre des priorités concurrentes, y compris, mais sans s’y limiter, l’intérêt supérieur de l’enfant, lors de la décision d’accorder une dispense pour de considérations d’ordre humanitaire. Lorsqu’un agent est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, il lui est loisible de rejeter une demande de dispense CH.

[12]           Un agent d’immigration principal a examiné la demande de M. Chehade et est arrivé à la conclusion qu’il était dans son intérêt de retrouver sa famille au Liban. L’agent a remarqué que M. Chehade avait résidé au Canada pendant un peu plus de deux ans et demi. Il a fait observer que, bien que ce soit peu de temps pour un adulte, c’est assez long pour un adolescent loin de ses parents et de ses frères et sœurs. L’agent a également noté que M. Chehade continue de souffrir d’anxiété et de dépression graves. Le rapport de la psychothérapeute soulignait que son état émotionnel s’est aggravé en raison de l’incertitude relative à son statut d’immigration. Cependant, le rapport de la psychothérapeute omet particulièrement de mentionner la famille de M. Chehade, la fréquence de leurs communications et quel impact la séparation avait sur lui.

[13]           M. Chehade soutient que l’agent a fait fi des conclusions contenues dans le rapport de la psychothérapeute et n’a fait qu’en citer le résumé. Je ne suis pas de cet avis.

[14]           Le rapport a été rédigé par une psychothérapeute, qui après une consultation, a conclu que [traduction] « ce serait dans l’intérêt supérieur de M. Chehade de lui permettre de demeurer au Canada, où il peut prendre appui sur la vie qu’il a maintenant, ce qui l’aiderait à apprendre et à se développer. » Elle poursuit en disant que s’il restait, alors un plan pourrait être préparé pour l’aider à gérer [traduction] « la dépression, l’anxiété et les traumatismes qu’il ressent actuellement ».

[15]           Une psychothérapeute ne peut usurper le rôle de l’agent. Dans le cas présent, contrairement à l’argumentation de M. Chehade, l’agent a bien examiné les conclusions du rapport qui sont presque une répétition du résumé. Il y a une crainte que quelqu’un qui n’est : 1) ni psychiatre ni psychologue; 2) n’a qu’une rencontre avec une personne; 3) écrit à propos de ses « impressions cliniques » plutôt que de donner un diagnostic; 4) n’a pas de plan de traitement ou de suivi pour le patient; 5) fonde un rapport élaboré avant tout pour CIC sur la réponse définitive que lui dicte la personne à la question de savoir si quelqu’un doit rester au Canada. L’agent doit bien sûr examiner le rapport, mais il n’est pas tolérable que le fait d’être en désaccord avec les impressions cliniques ou de soupeser les commentaires formulés dans le rapport avec d’autres facteurs rende la décision révisable.

[16]           L’agent a évalué les perspectives d’études de M. Chehade tant au Canada qu’au Liban. L’attention a été accordée aux réalisations universitaires de M. Chehade depuis qu’il est au Canada. L’agent conclut que M. Chehade serait en mesure de poursuivre ses études au Liban compte tenu de la qualité des universités là-bas et de la possibilité d’obtenir du financement sous forme de prêts aux étudiants.

[17]           L’agent n’a pas estimé que la famille de M. Chehade avait été considérablement touchée par la violence sectaire, mais accorde néanmoins un certain poids à ce facteur. En fait, ses parents et ses six frères et sœurs vivent toujours au Liban. En outre, la recherche examinée indique que, contrairement à l’allégation de M. Chehade, le Hezbollah utilise l’incitation et des récompenses plutôt que la force dans ses efforts de recrutement. L’agent a conclu que M. Chehade ne serait pas recruté de force par le Hezbollah s’il était renvoyé au Liban.

[18]           À l’audience, l’avocat de M. Chehade a soutenu qu’il n’était pas possible que l’agent sache si la famille de M. Chehade est aimante puisqu’il ne disposait d’aucun élément de preuve à cet effet. M. Chehade a fourni peu d’indications au sujet de sa famille au Liban et il n’est pas fait mention de sa famille dans son formulaire Fondement de la demande d’asile ni dans le rapport de la psychothérapeute. Les omissions concernant sa grande famille demeurée au Liban semblent avoir été l’objet d’une décision consciente.

[19]           Je ne saurais reprocher à l’agent la façon dont il a évalué la relation familiale. La preuve dont disposait l’agent était que M. Chehade travaille pour envoyer de l’argent à la maison, que selon la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), il parle à sa famille régulièrement, que ses parents l’ont envoyé au Canada parce qu’ils voulaient ce qu’il y a de mieux pour lui, et que selon les renseignements recueillis à son foyer de groupe, il avait des parents aimants. L’évaluation de l’agent est raisonnable, réfléchie et équilibrée, comme on peut le voir dans ce qui suit :

[traduction]

Il doit avoir été très inquiétant pour le demandeur de voyager seul à l’étranger et d’être placé dans un foyer de groupe dans un pays étranger. Je ne doute pas que les parents de son foyer de groupe soient gentils et attentionnés et que le demandeur soit proche d’eux; ils ne peuvent cependant pas remplacer ses parents qui l’aiment de toute évidence beaucoup et veulent qu’il ait un brillant avenir.

[20]           L’agent a soupesé la situation de M. Chehade et a jugé qu’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée. L’agent a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant en accordant une considération raisonnable, comme il le devait, à l’âge de M. Chehade, aux rapports médicaux, aux évaluations psychologiques, aux réalisations et objectifs universitaires, à la situation actuelle au Liban, à l’établissement au Canada et au Liban, et aux liens avec le Canada et le Liban. L’agent a raisonnablement jugé que les considérations d’ordre humanitaire ne jouaient pas en faveur du fait que M. Chehade reste au Canada.

[21]           Pour les motifs précités, j’estime que la décision témoigne de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

[22]           Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3017-16

INTITULÉ :

ABDEL NABI CHEHADE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

[BLANK/ EN BLANC]

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT

LE 20 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

Pour le demandeur

Suzanne M. Bruce

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liza Winter Card

Welland (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.