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Date : 20170314


Dossier : IMM-1098-17

Référence : 2017 CF 276

Montréal (Québec), le 14 mars 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ANNE FLAVIA CRASTA

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

parties défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Dans une décision rendue le 28 février dernier, une agente d’exécution de la loi a refusé à la demanderesse un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi prévue pour le 15 mars 2017. Cette décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire datée du 8 mars 2017. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente à la demande de sursis.

[2]  En ces matières, un demandeur doit satisfaire la Cour par preuve persuasive et claire que les trois éléments du test tripartite que l’on retrouve aux arrêts RJR -- Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988], 86 NR 302 (CAF). Si le demandeur ne satisfait pas l’un des trois éléments, sa demande échoue. Les éléments sont bien connus. Il s’agit de :

  1. Y a-t-il une question sérieuse à être déterminée?

  2. Le demandeur subira-t-il un préjudice irréparable si sa demande de sursis n’est pas accordée?

  3. La balance des inconvénients favorise-t-elle le demandeur?

[3]  La demanderesse est arrivée en provenance de la République de l’Inde le 23 septembre 2004. Elle avait voyagé à l’aide d’un faux passeport canadien, et n’avait ni bagages, ni billet si bien qu’on ne pouvait connaître le parcours pour arriver au Canada. Elle a depuis entamé de nombreux recours dans l’espoir de ne pas avoir à retourner dans son pays d’origine. Ses demandes afin d’être reconnue comme réfugiée ou personne à protéger, en examen des risques avant renvoi [ERAR], et 4 demandes invoquant sous une forme ou une autre des motifs d’ordre humanitaire ont toutes été rejetées. De fait, la demande d’obtention du statut de réfugié, la demande ERAR, et 2 des 4 demandes pour des motifs humanitaires ont fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire devant cette Cour, sans succès.

[4]  La demanderesse s’attaque maintenant à la décision de l’agente d’exécution de la loi qui a refusé d’accorder un sursis. De fait, la demande présentée à l’agent d’exécution de la loi ne cherche pas tant à obtenir un sursis administratif, si je comprends la position adoptée par la demanderesse, qu’à obtenir la possibilité de demeurer au pays à travers une agente d’exécution de la loi. Comme l’a d’ailleurs noté cette agente d’exécution de la loi, on ne saurait déterminer à quelle fin un tel sursis aurait été accordé. En effet, comme chacun le sait, l’agent d’exécution de la loi a une juridiction très restreinte puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 prévoit ceci :

Mesure de renvoi

Enforceable removal order

48(1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

48(1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Conséquence

Effect

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

L’avocat de la demanderesse reconnaît d’ailleurs les limites de la discrétion pouvant être exercée. Il cite au long les passages de l’arrêt Baron c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 [Baron]. Le pouvoir de différer le renvoi n’est que relatif au moment où le renvoi aura lieu. Il ne s’agit pas pour l’agente d’exécution d’annuler la mesure de renvoi. Je cite l’un des paragraphes tiré de Baron :

[51]  « Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle. »

[5]  Ici, les éléments invoqués se résument à bien peu de chose. On invoque que la question sérieuse est relative au refus de l’agente de tenir compte de l’ensemble de la preuve soumise et elle n’aurait pas été réceptive, sensible ou attentive à la situation de la demanderesse. De plus, la demanderesse prétend craindre d’être persécutée à cause de son appartenance à un groupe social (elle est de religion catholique et elle est une femme), cette persécution se traduisant par des agressions sexuelles et de la violence faite aux femmes en Inde.

[6]  Il s’agit là d’allégations générales qui ne sont en aucune manière personnalisées et qui, de toute façon, ont déjà fait l’objet de recours devant les tribunaux administratifs. L’agente d’exécution ne pouvait faire droit à une telle demande.

[7]  La demanderesse ne peut soulever une question qu’elle dirait être sérieuse parce qu’elle n’est ni futile ni vexatoire. Tel n’est pas le test. Dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 RCF 682 [Wang], la Cour a établi que qui veut obtenir un remède dans une demande interlocutoire qui correspond au remède à être obtenu au mérite sur le contrôle judiciaire doit faire cette démonstration non pas sur la base d’une question non futile ou vexatoire, mais plutôt d’en démontrer la vraisemblance d’avoir du succès. Le Juge Pelletier, au paragraphe 10 de Wang, écrivait :

[10]  … C’est le fait qu'on sollicite la même réparation dans la demande interlocutoire et dans la demande finale qui me porte à conclure que, comme on sollicite la même réparation, on devrait l'obtenir sur une même base. Par conséquent, je suis d'avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l'agent chargé du renvoi d'en différer l'exécution, le juge saisi de l'affaire doit aller plus loin que l'application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

[8]  En l’espèce, cette demande sous-jacente n’a aucune chance de succès. L’agente d’exécution de la loi ne peut surseoir indéfiniment au renvoi que la loi requiert comme devant avoir lieu dès que possible. Il en résulte qu’aucune question sérieuse n’a été soulevée et la demande de sursis doit être rejetée sur cette seule base.

[9]  À l’audience, l’avocat de la demanderesse a prétendu que l’agente d’exécution de la loi aurait dû lui accorder un sursis parce que le gouvernement aurait pris trop de temps pour effectuer le renvoi. À l’appui de sa prétention, l’avocat a déposé sans préavis un document semblant provenir de Citoyenneté et Immigration Canada demandant à madame Crasta d’obtenir des documents de voyage en vue de son départ.

[10]  L’avocat cherchait à établir par-là que sa cliente avait fait preuve d’une certaine diligence à la suite du rejet de sa demande de réfugiée. En effet ledit document porte mention d’un « Assistant Consulat Officer » de la « High Commission of India » au Canada. Le document canadien, daté du 27 juillet 2006, aurait été vu par le fonctionnaire indien à la High Commission seulement le 22 août 2006. Ce qui est frappant, c’est que les notes manuscrites dudit fonctionnaire indien indiquent avoir vu la demanderesse le 22 aout 2006. Il dit que « (S)he is not eligible to issue a passport as she is a refugee ». Ce ne peut être exact puisque la demanderesse avait déjà échoué dans sa tentative d’être déclarée réfugiée. Si un passeport a été refusé à ce titre, le refus était basé sur une fausse information. La preuve ne révèle pas le contenu de l’échange entre le fonctionnaire indien et la demanderesse, mais la mention au document est loin de favoriser la demanderesse.

[11]  Ladite mention ne correspond pas non plus au paragraphe 13 de l’affidavit souscrit par la demanderesse le 6 mars dernier où cette fois la raison donnée par le fonctionnaire pour refuser aurait été que « je n’étais pas éligible afin d’obtenir un document de voyage soit le passeport au motif que j’avais revendiqué le statut de réfugié au Canada ». Cela ne correspond pas à la mention présentée à l’audience et la revendication du statut de réfugié s’était déjà soldée en août 2006 par un échec.

[12]  En fait, le seul véritable argument quant à l’existence d’une question sérieuse est que le gouvernement aurait dû renvoyer la demanderesse plus tôt, malgré ses demandes répétées devant les tribunaux administratifs et cette Cour de pouvoir invoquer des motifs d’ordre humanitaire. En avançant le document d’août 2006, la demanderesse cherchait à suggérer qu’elle était disposée à quitter en 2006. Mais elle n’avait aucun statut au Canada (elle n’était certes pas une réfugiée) et elle n’avait même pas une demande pendante. Pourtant le résultat de la démarche a été que le fonctionnaire indien semble avoir cru qu’un passeport indien ne pouvait être émis pour une personne réfugiée au Canada. On ne sait pas d’où proviendrait cette information erronée. À tout évènement, la cause de la demanderesse n’était aucunement avancée par cet écrit.

[13]  L’argument de la demanderesse quant au délai n’est supporté par aucune autorité. De fait, l’argument a même des allures surréalistes. Une demanderesse qui additionne les recours pour éviter de devoir quitter le Canada et à qui on permet de poursuivre ses recours sans être renvoyée se plaindrait maintenant d’une générosité abusive à son égard.

[14]  Une véritable diligence aurait voulu que la demanderesse ne fasse plus d’objection à son départ et prenne les moyens pour obtenir les documents requis. Or, cette demanderesse a caché son origine dès son arrivée au Canada, a fait une tentative qu’elle prétend infructueuse en 2006 où l’échec est fondé sur la compréhension du fonctionnaire indien que la demanderesse est une réfugiée. La preuve suggère que ses recours répétés, qu’elle était en droit d’invoquer, n’étaient pas pour démontrer son empressement à quitter. L’indulgence de lui permettre de faire tous ces recours sans rechercher activement son expulsion ne saurait être retournée contre le gouvernement. On peut penser qu’un argument serait possible si un abus gouvernemental de quelque nature avait été allégué et prouvé. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[15]  Sans autorité ou une articulation convaincante de l’argument, on ne peut voir où la question sérieuse ayant une vraisemblance de succès auprès d’une agente d’exécution de la loi à la discrétion très limitée pourrait se trouver.

[16]  Mais il y a plus. Il n’a pas été établi dans cette affaire que la demanderesse subirait un préjudice irréparable. La preuve à cet égard est générique, alors qu’on prétend que les femmes seraient maltraitées en Inde et que les minorités religieuses ne seraient pas bienvenues. Une preuve claire et convaincante du préjudice subi doit plutôt être présentée. Ce qui est requis est un degré de particularité qui démontre une probabilité réelle de préjudice (Gateway City Church c Canada (Revenu national)), 2013 CAF 126.Comme la Cour d’appel l’exprimait dans Première nation de Stoney c Shotclose , 2011CAF 232 :

[48]  … Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle-ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.

[17]  Enfin, la balance des inconvénients favorise grandement le gouvernement. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il est d’intérêt public que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soit respectée et l’article 48, déjà cité, fait une obligation au ministre de faire en sorte qu’une personne quitte le Canada lorsqu’elle n’a plus aucun statut. Dans Chiarelli c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 711, la Cour suprême du Canada rappelait l’un des piliers du droit en matière d’immigration en ces termes :

« The most fundamental principle of immigration law is that noncitizens do not have an unqualified right to enter or remain in the country. » [TRADUCTION] « Le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. »

[18]  La demanderesse n’a jamais eu de statut au Canada. Dès son premier contact avec le système d’immigration, la Section de la protection des réfugiés avait conclu ne pas être satisfaite de l’identité de la demanderesse, cette dernière s’étant présentée sans passeport, sans bagages et sans billet de nature à pouvoir retracer son itinéraire pour arriver au pays. L’intérêt public commande que la demanderesse retourne dans son pays d’origine. Alors que le gouvernement cherche depuis 2012 à obtenir les documents de voyage requis, son succès à cet égard est tout récent. La demanderesse a épuisé ses recours au Canada.

[19]  La demande de sursis est donc rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis de la mesure de renvoi devant être exécutée le 15 mars 2017 soit rejetée.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1098-17

 

INTITULÉ :

ANNE FLAVIA CRASTA c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 mars 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Salif Sangaré

Pour la partie demanderesse

 

Sylviane Roy

 

Pour lA partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Salif Sangaré

Avocat

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lA partie défenderesse

 

 

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