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Date : 20170315


Dossier : IMM-2333-16

Référence : 2017 CF 279

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LIANA WAHJUDI

DAVY TRISURJANA LISTIANTO

BENJAMIN NICHOLAS KEEFE

VINCE DAVE CASEY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Mme Liana Wahjudi, son mari, M. Davy Trisurjana Listianto, et leurs deux enfants mineurs sont citoyens d’Indonésie. Ils sont arrivés au Canada en juillet 2015 et ont déposé une demande d’asile un mois plus tard.

[2]  Les demandeurs affirment être des chrétiens d’origine chinoise. Ils disent avoir vécu de nombreux problèmes en raison de leur origine ethnique et de leur religion, notamment de la discrimination institutionnelle, et ils affirment qu’on leur a reproché des accidents dont ils ne sont pas responsables. Ils soutiennent craindre la montée de l’extrémisme islamique exacerbée par le Front de défense de l’islam (FPI) s’ils devaient retourner en Indonésie. Finalement, Mme Wahjudi craint au surplus d’être agressée sexuellement en tant que femme d’origine chinoise.

[3]  Dans une décision datée du 16 décembre 2015, la Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande, concluant qu’ils n’avaient ni la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni celle de « personnes à protéger ». La Section de la protection des réfugiés a conclu que le retard excessif que les demandeurs avaient pris pour chercher à obtenir la protection internationale venait miner la crédibilité de leurs allégations de persécution antérieure. La Section de la protection des réfugiés a également conclu que, bien qu’il y eut des tensions entre les différentes religions en Indonésie, aucun élément de preuve n’appuyait la thèse selon laquelle les chrétiens étaient systématiquement ciblés ou que les demandeurs avaient subi des violences physiques. Pour ces motifs, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs avaient omis d’établir, vu leur situation personnelle, qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’ils soient victimes de persécution en raison de leur foi chrétienne. La Section de la protection des réfugiés a également conclu que Mme Wahjudi n’avait pas démontré qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’elle soit victime de persécution fondée sur le sexe.

[4]  Les demandeurs ont interjeté appel de la décision à la Section d’appel des réfugiés, soutenant que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur dans l’évaluation de leur crédibilité et dans la détermination de la possibilité de persécution antérieure et éventuelle. Le 12 mai 2016, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[5]  Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés. Ils soutiennent qu’il n’était pas raisonnable que la Section d’appel des réfugiés confirme la conclusion défavorable de la Section de la protection des réfugiés quant à leur crédibilité et qu’elle effectue une évaluation déraisonnable de la persécution antérieure et éventuelle des demandeurs.

II.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[6]  La norme de contrôle applicable lorsque la Cour examine une décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]). La Cour n’interviendra pas si la décision de la Section d’appel des réfugiés est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[7]  De plus, il ne revient pas à notre Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de substituer la solution qu’elle jugerait appropriée à celle qui a été retenue et de réévaluer les éléments de preuve présentés à la Section d’appel des réfugiés et à la Section de la protection des réfugiés (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61). « Il faut considérer [la décision de la Section d’appel des réfugiés] comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paragraphes 14 et 16; Gong c Canada (Citoyenneté et immigration), 2017 CF 165, au paragraphe 7).

B.  Crédibilité

[8]  Les demandeurs avancent qu’il n’était pas raisonnable que la Section d’appel des réfugiés conclue que la Section de la protection des réfugiés avait raison de douter de la crédibilité de Mme Wahjudi en raison de deux déclarations formulées durant son témoignage concernant sa crainte du Front de défense de l’islam. Ils soutiennent qu’il n’était pas raisonnable que la Section d’appel des réfugiés conclue que Mme Wahjudi ne connaissait pas beaucoup le Front de défense de l’islam et qu’elle permette que cette conclusion nuisît à la crédibilité des allégations des demandeurs. Finalement, ils estiment qu’il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés conclue que les antécédents de voyage des demandeurs démontraient une absence de crainte subjective.

[9]  Je reconnais que la Section d’appel des réfugiés a mentionné les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne le témoignage de Mme Wahjudi expliquant pourquoi les demandeurs craignaient le Front de défense de l’islam, mais sa décision de confirmer la conclusion de la Section de la protection des réfugiés n’est pas fondée uniquement sur les contradictions soulevées dans son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés.

[10]  La Section de la protection des réfugiés a estimé que Mme Wahjudi avait de la difficulté à expliquer pourquoi elle craignait d’être persécutée et qu’elle n’a pas pu indiquer clairement que le Front de défense de l’islam s’en prendrait aux demandeurs en raison de leur origine ethnique ou de leur religion. Elle a d’abord répondu que le Front de défense de l’islam ne se préoccupait pas de religion, pour ensuite dire, au cours de son témoignage, que le Front de défense de l’islam ciblait les chrétiens. La Section de la protection des réfugiés a estimé qu’il s’agissait manifestement d’une contradiction mettant en doute sa connaissance du Front de défense de l’islam.

[11]  En rejetant l’argument des demandeurs selon lequel il s’agit d’un cas de persécution croisée où ceux-ci sont visés en raison de leur origine ethnique et de leur religion, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les préoccupations en matière de crédibilité de la Section de la protection des réfugiés émanaient plutôt du manque de connaissance de Mme Wahjudi du Front de défense de l’islam, et non pas seulement de la contradiction dans son témoignage. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le manque de connaissance de Mme Wahjudi découlait du fait que les demandeurs n’avaient pas été ciblés en raison de leur origine ethnique ou de leur religion ou qu’ils n’avaient pas été personnellement témoins de violence contre autrui par le passé.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a également remarqué que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés quant aux antécédents de voyage des demandeurs avant leur arrivée au Canada démontrait une absence de crainte subjective. Dans sa décision, la Section de la protection des réfugiés a relaté le fait que, lorsqu’on a demandé à Mme Wahjudi à quel moment elle avait pensé pour la première fois à quitter l’Indonésie définitivement, elle a répondu avoir tenté d’émigrer en 1999 en raison des événements de 1998 à Jakarta, bien que rien ne se fut produit dans sa ville de résidence, Surabaya. Elle a expliqué qu’on lui avait refusé un visa canadien en 2004. Son mari et ses enfants n’étant pas parvenus à obtenir des visas aux États-Unis, elle n’a pas tenté d’obtenir un visa de ce pays, ou de quelque autre pays. Elle a plutôt démarré une entreprise en Indonésie. Elle a seulement demandé un visa pour voyager à l’étranger en 2014. Elle a ensuite indiqué dans son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés qu’elle était venue au Canada en novembre 2014 pour rendre visite à son fils adulte qui étudiait au Canada parce qu’il ne pouvait obtenir ce [traduction] « type d’éducation » qu’au Canada. Une fois son séjour terminé, elle est retournée en Indonésie en décembre. Les autres membres de la famille n’ont présenté des demandes de visas qu’en avril 2015 et ils ont ensuite tous attendu jusqu’au mois de juillet pour s’enfuir du pays. La Section de la protection des réfugiés a estimé que le retour de Mme Wahjudi en Indonésie, et le retard de la famille pour quitter l’Indonésie étaient incohérents avec leurs allégations de crainte subjective. Cette situation minait leur crédibilité puisque les demandeurs n’avaient pas agi comme s’ils craignaient véritablement d’être persécutés ou qu’ils avaient besoin d’être protégés.

[13]  Bien que la Section d’appel des réfugiés examine une décision de la Section de la protection des réfugiés selon la norme de la décision correcte, elle peut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la Section de la protection des réfugiés, car la Section de la protection des réfugiés bénéficie d’un avantage particulier par rapport à la Section d’appel des réfugiés, notamment lorsqu’elle voit et entend les témoins (Huruglica, au paragraphe 103). Étant donné cet avantage particulier dont jouit la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés a fait preuve de déférence à l’égard des conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité des allégations des demandeurs et à l’absence de crainte subjective. La Section d’appel des réfugiés a également remarqué que les allégations précises de discrimination qu’ont formulées les demandeurs, notamment lorsqu’un policier corrompu a accusé M. Listianto d’avoir causé un accident et lui a demandé un pot-de-vin, ou l’incident et le dérangement causés par des musulmans dans une église qu’a vécu le frère de M. Listianto, remontent à il y a plus d’une décennie. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le comportement des demandeurs, leurs antécédents de voyage et leurs démarches en matière de visas ne démontraient pas une crainte subjective telle que la Section de la protection des réfugiés puisse retenir leurs allégations selon lesquelles ils ont dû affronter une situation [traduction] « d’un degré, d’un risque ou d’une gravité, même cumulative, nécessitant la protection du Canada ».

[14]  Après examen de la décision de la Section d’appel des réfugiés, j’estime que son analyse et sa conclusion confirmant les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité des demandeurs démontrent clairement le fondement de son raisonnement. Par conséquent, la conclusion de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable et il n’y a aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

C.  Persécution antérieure et éventuelle

[15]  Les demandeurs font valoir que la Section d’appel des réfugiés a entrepris une évaluation déraisonnable de la persécution subie par les demandeurs et du risque qu’ils soient persécutés de nouveau, et plus précisément que son évaluation de la situation dans le pays était déraisonnable. À deux reprises dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés indique que les demandeurs ont omis de fournir des documents précis concernant les activités du Front de défense de l’islam à Surabaya, dans le Java oriental, où vivaient les demandeurs. Les demandeurs soutiennent que ces conclusions sont erronées, car ils ont présenté un document à la Section de la protection des réfugiés portant précisément sur une attaque du Front de défense de l’islam à Surabaya intitulé [traduction] « Les extrémistes attaquent une conférence pacifique islamo-chrétienne à Surabaya ». Ils s’appuient également sur un article issu de l’International Religious Freedom Report for 2013 Indonesia, cité dans le cartable national de documentation sur l’Indonésie, lequel affirme que les deux provinces les plus touchées par les violences religieuses étaient celles du Java occidental et du Java oriental. Surabaya est la capitale du Java oriental.

[16]  La conclusion de la Section d’appel des réfugiés relative à l’absence de document précis sur les problèmes que doivent affronter les citoyens d’origine chinoise et les chrétiens, ou sur les activités du Front de défense de l’islam à Surabaya, est effectivement contraire à la preuve au dossier. Bien que cette conclusion ne puisse être défendue au regard du dossier si elle est prise isolément, j’estime néanmoins que cette erreur n’est pas déterminante. Alors que la Section d’appel des réfugiés a mentionné à deux reprises qu’il n’y avait aucun document particulier, elle a également indiqué qu’il [traduction] « y avait peu, voire aucun » élément de preuve documentaire précis à ce chapitre.

[17]  Au surplus, la Section d’appel des réfugiés a relevé que la ville de Surabaya comptait plus de six millions d’habitants dans sa région métropolitaine et qu’elle se situait sur l’île de Java, laquelle comprend une population de près de cent cinquante millions d’habitants. La Section d’appel des réfugiés a également retenu l’allégation des demandeurs selon laquelle le Front de défense de l’islam est [traduction] « de plus en plus fort et effectue des démonstrations plus intenses » et le fait que les demandeurs ont indiqué de nombreux exemples de discrimination et de violence cités dans les rapports qu’ils ont déposés. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a remarqué que la plupart des problèmes survenaient plutôt dans la province du Java occidental, comme le mentionne la documentation citée par les demandeurs. La Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que le faible nombre de documents traitant précisément des problèmes touchant les citoyens d’origine chinoise et les chrétiens à Surabaya soulevait des doutes quant à la crédibilité et que les demandeurs avaient été peu touchés objectivement par les activités du Front de défense de l’islam.

[18]  La Section d’appel des réfugiés a également conclu que la Section de la protection des réfugiés avait effectué un examen équilibré et plein d’à-propos du risque général découlant des activités du Front de défense de l’islam auquel sont exposés les demandeurs en leur qualité de chrétiens d’origine chinoise, et que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur dans ses conclusions sur les répercussions de la situation dans le pays sur la situation personnelle des demandeurs. La Section de la protection des réfugiés a reconnu qu’il y avait des tensions entre les différentes religions en Indonésie; néanmoins, elle a conclu que rien n’indiquait que les chrétiens y étaient systématiquement ciblés ou que les demandeurs avaient subi des violences physiques par le passé, malgré le fait que ces tensions ont parfois dégénéré en attaques violentes contre des églises. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que, dans leur situation personnelle, ils étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur foi chrétienne.

[19]  En dépit de la conclusion de la Section d’appel des réfugiés sur l’absence de preuve étayant les activités du Front de défense de l’islam à Surabaya, contrairement à la preuve au dossier, j’estime que ses autres conclusions sont conformes au dossier. En gardant à l’esprit que la décision de la Section d’appel des réfugiés doit être examinée « comme un tout », je conclus que la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2333-16

INTITULÉ :

LIANA WAHJUDI, DAVY TRISURJANA LISTIANTO, BENJAMIN NICHOLAS KEEFE, VINCE DAVE CASEY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 15 mars 2017

COMPARUTIONS :

Jessica Lipes

POUR LES DEMANDEURS

Lynne Lazaroff

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jessica Lipes

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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