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Date : 20161003


Dossiers : T-1056-16

T-998-16

Référence : 2016 CF 1099

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2016

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

Dossier : T-1056-16

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

SHIRE LLC ET

SHIRE PHARMA CANADA ULC

défenderesses

Dossier : T-998-16

ET ENTRE :

SHIRE PHARMA CANADA ULC

demanderesse

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

SHIRE LLC

défenderesse brevetée

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Contexte et aperçu

[1]               Shire LLC est la titulaire du brevet canadien 2 547 646 (le brevet 646), intitulé « Composés d’amphétamine résistant aux abus », lesquels sont réputés recouvrir les capsules de dimésylate de lisdexamfétamine de Shire Pharma Canada ULC vendues sous la marque Vyvanse. (Les deux entités Shire sont ci-après désignées collectivement par le nom « Shire ».)

[2]               Apotex souhaite obtenir un avis de conformité pour commercialiser et vendre au Canada une version générique de Vyvanse. En mai 2016, Apotex a signifié à Shire un avis d’allégation, en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le « Règlement MB (AC) »), alléguant notamment l’invalidité du brevet 646 ainsi que l’absence de contrefaçon à quelque revendication du brevet, si celui-ci se révélait valide. En réponse à l’avis d’allégation d’Apotex, Shire a déposé une demande d’ordonnance d’interdiction conformément à l’article 6 du Règlement MB (AC), le 24 juin 2016 (dossier du tribunal T‑998‑16). Dix jours plus tard, Apotex a engagé une action contre Shire (dossier du tribunal T‑1056‑16), demandant que le brevet 646 soit déclaré invalide et qu’il soit établi que les comprimés de dimésylate de lisdexamfétamine qu’elle proposait ne constitueraient pas une contrefaçon de quelque revendication valide du brevet.

[3]               Invoquant la nécessité d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, Shire demande à la Cour de réunir en partie les instances afin qu’elles soient instruites au cours d’une audience conjointe sur la base de témoignages de vive voix communs, sous réserve de la possibilité pour les parties de contester l’admissibilité ou la pertinence des éléments de preuve dans l’une ou l’autre instance. Apotex s’oppose à la requête de Shire.

[4]               Apotex propose une autre solution. Apotex propose que Shire abandonne sa demande d’interdiction et que l’action se poursuive jusqu’à son terme, sur accord mutuel qu’Apotex ne mettrait pas son produit sur le marché avant qu’une décision ne soit rendue, advenant la possibilité que celui-ci soit approuvé, et que Shire s’engagerait à payer à Apotex des dommages‑intérêts, le cas échéant. Je ne discuterai pas plus en détail de la proposition d’Apotex, étant donné que celle-ci a été rejetée par Shire et qu’Apotex a reconnu que la Cour n’avait pas compétence pour l’imposer sans le consentement de Shire. Apotex propose, subsidiairement, que l’instruction des deux instances continue de se faire en parallèle, par l’entremise d’audiences distinctes.

II.                Analyse

[5]               Comme les motifs d’invalidité et d’absence de contrefaçon cités par Apotex dans son avis d’allégation et son action sont les mêmes, il existe, sous ce rapport, de nombreux points communs entre les faits en cause dans les deux instances. Parallèlement, il est acquis de part et d’autre que les deux instances diffèrent sur des aspects importants qui ont trait aux causes d’action, à leurs effets, au fardeau de la preuve ainsi qu’aux règles de procédure qui s’appliquent.

[6]               Normalement, la demande d’interdiction présentée par Shire serait instruite par procédure sommaire, à titre de demande assujettie à l’article 300 et aux articles suivants des Règles des Cours fédérales ainsi qu’au régime particulier du Règlement MB (AC).

[7]               En vertu de ces articles, l’introduction d’une procédure d’interdiction équivaut à une injonction provisoire qui interdit la délivrance d’un avis de conformité (AC) à Apotex pendant une période pouvant atteindre 24 mois. Les éléments de preuve sont établis hors cour, par voie d’affidavits et de contre-interrogatoires. En général, mais pas toujours, les éléments de preuve de Shire seraient établis et signifiés en premier; il n’y a aucun interrogatoire préalable, si ce n’est que pour obtenir les présentations abrégées de drogue nouvelle pertinentes soumises par Apotex. Apotex ne peut modifier d’aucune façon les motifs d’invalidité ou d’absence de contrefaçon cités dans son avis d’allégation et, à moins que la Cour n’accorde une prorogation de délai, soit par consentement, soit en raison du comportement d’Apotex, la Cour dispose d’un délai de 24 mois pour instruire et trancher la demande. Le fardeau de la preuve incombe à Shire qui doit établir que les allégations formulées par Apotex dans son avis d’allégation ne sont pas fondées; le caractère suffisant de l’avis d’allégation peut être contesté, tout comme la validité de l’inscription par Shire du brevet 646 à l’égard de Vyvanse. La décision de la Cour ne tranche pas de façon définitive la validité du brevet, ni la question de la contrefaçon, chaque partie pouvant poursuivre un résultat différent lors d’une instance ultérieure. Enfin, le rejet ou l’abandon de la procédure d’interdiction, pour quelque motif, confère à Apotex, en vertu de l’article 8 du Règlement MB (AC), le droit de réclamer des dommages-intérêts pour toute perte imputable au retard dans la délivrance de son avis de conformité.

[8]               En revanche, dans l’action en invalidation de brevet ou la déclaration d’absence de contrefaçon introduite par Apotex, il appartient à Apotex de prouver l’invalidité du brevet 646 ou l’absence de contrefaçon; les deux parties bénéficient de vastes droits en ce qui a trait à l’interrogatoire préalable, et Apotex peut proposer de modifier sa déclaration afin d’adapter ses allégations en fonction de ce qu’elle pourrait avoir appris durant cet interrogatoire. Durant le procès, chaque partie peut présenter des témoignages de vive voix détaillés; en sa qualité de demandeur, Apotex présenterait normalement ses éléments de preuve en premier. La Cour n’est assujettie à aucun délai prescrit pour trancher l’action et, bien que la Cour s’efforce d’instruire ces actions dans un délai de 24 mois, il est rare qu’une décision soit rendue moins de trois ans environ après la date de dépôt. Et sauf appel, l’issue de l’action est définitive et exécutoire pour les deux parties. Une conclusion attestant de la validité et de la contrefaçon d’un brevet, découlant du rejet d’une demande d’interdiction, ne constitue pas une défense complète pour la réclamation de dommages-intérêts en vertu de l’article 8, mais elle peut réduire substantiellement ou complètement les sommes accordées.

[9]               Même si les procédures d’interdiction engagées en application du Règlement MB (AC) sont des procédures sommaires, elles sont néanmoins longues et coûteuses. Des éléments de preuve substantiels sont habituellement présentés par les inventeurs et les experts des deux parties, sous la forme de longs et volumineux affidavits faisant l’objet de contre-interrogatoires. Les dossiers des demandes, qui comptent souvent des milliers de pages, sont présentés à la Cour. À elles seules, les plaidoiries nécessitent régulièrement de trois à cinq jours d’audience, soit presque autant de temps que les conclusions finales durant un procès complet.

[10]           La conduite de telles procédures parallèlement à une action portant sur le même brevet et le même produit représente donc un défi de taille pour les deux parties. Lorsque les mêmes parties, faits et données scientifiques sont en cause, il paraît logique et économique de faire appel aux mêmes experts et avocats; cependant, la coordination des exigences des deux instances, quant au temps que doivent y consacrer les avocats et les experts, peut être un processus onéreux qui peut entraîner des retards. Certes, le recours à des avocats ou experts différents facilite la coordination, mais cela fait double emploi en ce qui concerne les coûts et les efforts. Que les parties choisissent ou non d’utiliser les mêmes avocats et experts, les éléments de preuve qui m’ont été présentés indiquent que neuf inventeurs figurent sur le brevet 646, mais aucun d’entre eux ne travaille actuellement chez Shire. Il faudra nécessairement coordonner la disponibilité de tous ces experts, afin qu’ils participent à deux instances distinctes menées en parallèle.

[11]           Les chevauchements et les problèmes de coordination découlant de la tenue de ces instances en parallèle ont également une incidence sur la Cour : en effet, il est dans les habitudes de la Cour de désigner le même juge pour l’instruction de toutes les instances portant sur le même brevet, car un juge qui a une bonne connaissance des fondements scientifiques aura besoin de beaucoup moins de temps pour se familiariser avec les principes scientifiques fondamentaux, mais souvent extrêmement complexes, en cause. Si l’instruction d’une demande d’interdiction pendant trois à cinq jours se déroule à peu près en même temps qu’un procès de deux semaines portant sur le même brevet et le même médicament, la Cour devra soit bloquer l’horaire d’un seul juge pendant plusieurs mois, soit affecter deux juges différents, ce qui entraînera une perte d’efficacité.

[12]           Apotex ne conteste pas le fait que la tenue de deux instances en parallèle est un processus coûteux, onéreux et répétitif, à la fois pour les parties et la cour. Elle n’est pas d’accord, toutefois, pour dire que la proposition de Shire assure un juste équilibre entre la protection des droits procéduraux et stratégiques de toutes les parties et l’élimination du chevauchement et du gaspillage.

[13]           La solution que propose Shire par cette requête est celle qui a été adoptée dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada inc c. Apotex inc., 2013 CF 142 (« Gleevec »). Dans cette affaire, deux actions et deux demandes d’interdiction portant sur deux versions génériques distinctes liées au même médicament ont été introduites dans un court intervalle de temps. Aux termes d’une ordonnance de gestion d’instance rendue avec le consentement des parties, les quatre instances ont été partiellement réunies de sorte que les demandes soient tranchées par le même juge, en fonction des éléments de preuve présentés durant un procès conjoint plutôt que sur la base des affidavits. L’utilisation de témoignages de vive voix pour trancher les demandes était toutefois assujettie aux arguments des parties quant à l’admissibilité et à la pertinence des éléments de preuve à l’appui de chaque demande telle qu’elle était définie dans les avis d’allégations respectifs. Les quatre instances ont été tranchées à l’issue d’une seule audience qui n’a nécessité que 14 jours pour la présentation de la preuve et cinq jours de plaidoirie.

[14]           Il ne fait aucun doute que la même façon de procéder en l’espèce réduirait considérablement les chevauchements entre les deux instances. Les éléments de preuve ne seraient présentés qu’une seule fois, de vive voix, devant la cour. Les parties n’auraient donc pas à préparer d’affidavits distincts, ni à mener des contre-interrogatoires pour l’examen de la demande. Cela éliminerait également une importante source de retard potentiel, dans la mesure où la participation des inventeurs ne serait requise qu’au plus deux fois, soit une fois pour l’interrogatoire préalable et une autre fois pour le procès, le cas échéant.

[15]           Cette façon de procéder ajoute toutefois une dose de complexité. Elle peut en effet donner lieu à de longs débats visant à décider si certains éléments de la preuve présentés durant le procès se situent en dehors de la portée de l’avis d’allégation et, par conséquent, qu’il faut en faire abstraction pour trancher la demande. Cependant, la suppression de certains éléments de preuve pourrait donner lieu à la création de dossiers de preuve différents, auxquels s’appliquerait un fardeau de la preuve différent, ce qui pourrait conduire à des arguments très complexes. Cette difficulté pour les parties et la cour, et le temps qui serait nécessaire pour satisfaire à cette complexité supplémentaire, paraissent toutefois dérisoires par rapport aux gains d’efficacité et des économies qui en résulteraient grâce à l’élimination de la présentation de deux dossiers écrits distincts.

[16]           De plus, le fait de trancher une demande en fonction des éléments de preuve présentés en audience publique permet de faire échec à une source constante de frustration pour la cour qui, lors de procédures dites « sommaires », doit examiner d’énormes quantités d’éléments de preuve techniques écrits, détaillés et complexes. Dans son jugement rendu au sujet des demandes concernant la décision Gleevec, la juge Snider a déclaré ce qui suit au sujet du processus :

[33]      La jonction des demandes d’interdiction et des actions en invalidation a eu pour conséquence que les demandes d’interdiction ont été traitées un peu différemment de ce qui aurait normalement été le cas. En général, une demande qui relève du Règlement MB (AC) suit son cours en tant que demande de contrôle judiciaire soumise à la Cour fédérale. La preuve d’expert et la preuve factuelle sont présentées par voie d’affidavits, la partie adverse étant à même de contre-interroger les auteurs des affidavits. Il a été présenté à la Cour d’innombrables preuves d’expert, et autres affidavits, des transcriptions de contre‑interrogatoires, des exposés des faits et du droit, et les avocats ont exposé leurs plaidoiries durant plusieurs jours. Les demandes d’interdiction sont considérées comme des procédures sommaires, mais le volume des pièces produites et la complexité des points litigieux entraînent une tâche considérable pour le juge appelé à statuer (à tout le moins pour la juge soussignée). En raison de la jonction des instances dans la présente affaire, la plupart des experts ont comparu personnellement pour s’exprimer sur leurs « rapports ». Les interrogatoires principaux et contre‑interrogatoires des témoins experts et des témoins ordinaires, sans compter l’aptitude du juge à éclaircir la preuve, ont été d’une aide inestimable. Je remercie toutes les parties et leurs avocats d’avoir su coopérer et d’avoir facilité ce processus.

[17]           Apotex, qui était l’une des parties en cause dans l’affaire Gleevec, a été moins satisfaite de l’issue. Apotex fait valoir que cette procédure lui a été préjudiciable, en tant que fabricant de médicaments génériques, et qu’elle le serait à nouveau si elle était adoptée en l’espèce, et ce, pour les motifs suivants :

         L’instruction simultanée de procédures d’interdiction et d’actions en invalidation a pour effet de supprimer les différences dans le fardeau de la preuve s’appliquant à chaque instance, privant ainsi Apotex de l’avantage dont elle bénéficie dans la procédure d’interdiction, du fait qu’il appartient à Shire de démontrer que les allégations d’Apotex ne sont pas fondées. Dans ses observations écrites, Apotex soutient que [traduction] « la Cour prêtera moins attention aux différents fardeaux qui s’appliquent dans les deux instances et privilégiera plutôt la norme qui régit les actions en invalidation et en contrefaçon ».

         L’instruction simultanée de la demande et de l’action prive Apotex des avantages procéduraux découlant de l’ordre dans lequel sont habituellement présentés les éléments de preuve durant l’examen d’une demande; selon cet ordre, Shire serait tenue de signifier ses éléments de preuve en premier et Apotex serait ensuite autorisée à y répondre. L’audience conjointe aurait pour effet d’inverser l’ordre de présentation des éléments de preuve (du moins en ce qui concerne les éléments concernant la demande), au préjudice d’Apotex.

         Le fait de trancher la demande d’interdiction en se fondant sur les témoignages de vive voix, plutôt que sur un document papier et le contre-interrogatoire hors cour, élimine les éléments stratégiques et tactiques inhérents à la procédure habituelle.

         Or, dans la mesure où la demande d’interdiction est tranchée sans tenir dûment compte des différences dans le fardeau de la preuve, Apotex perd l’avantage des dommages‑intérêts qu’elle pourrait réclamer en vertu de l’article 8 si sa demande avait gain de cause, et ce, même si la décision rendue dans une action subséquente était en faveur de l’innovateur.

[18]           J’examinerai chacune de ces présumées causes de préjudice à tour de rôle.

[19]           Je n’accepte pas l’argument d’Apotex selon lequel la Cour, lorsqu’il y a présentation d’un dossier de preuve commun, pourrait ne pas pouvoir ou vouloir appliquer le fardeau de la preuve comme il se doit ou, lorsque l’application du fardeau de la preuve l’exige, la Cour pourrait ne pas pouvoir ou vouloir parvenir à des conclusions différentes, mais adéquates dans chaque instance, au moment de décider des droits respectifs de chaque partie dans deux processus judiciaires distincts auxquels s’appliquent des fardeaux de la preuve différents. Apotex n’a cité aucun élément de preuve ni précédent à l’appui de son argumentation. Apotex a illustré sa crainte en renvoyant à la décision Biovail Corporation c. Canada (Santé), 2010 CF 46, où Apotex a eu gain de cause en ce qui a trait à la demande d’interdiction, expressément grâce à l’application du fardeau de la preuve, la Cour ayant formellement conclu que les éléments de preuve présentés s’équilibraient. Cet exemple n’aide pas Apotex. À mon avis, si la Cour devait conclure, à la lumière de la preuve commune présentée dans le contexte d’une action en invalidation et d’une demande d’interdiction, que les éléments de preuve s’équilibraient, il serait particulièrement évident et facile pour la Cour de parvenir à la bonne conclusion : le fabricant de médicaments génériques aurait gain de cause en ce qui concerne la demande, mais l’action serait rejetée.

[20]           La deuxième forme de préjudice citée par Apotex concerne l’ordonnance demandée par Shire qui, selon Apotex, aurait pour effet d’inverser de facto l’ordre de présentation des éléments de preuve. La Cour, dans le contexte des requêtes visant à inverser l’ordre de présentation des éléments de preuve dans des instances présentées en vertu du Règlement MB (AC), a expressément cherché à établir si cet ordre sera une cause de préjudice ou d’injustice envers le fabricant de médicaments génériques. Bien que la Cour ait reconnu que la partie qui dépose ses éléments de preuve en premier bénéficie d’un avantage tactique légitime, elle a également conclu que cet avantage n’est ni substantiel ni procédural. En conséquence, la Cour a conclu que la perte de cet avantage tactique ne constitue ni un préjudice ni une iniquité et qu’elle ne constitue pas non plus un motif suffisant pour annuler l’inversion de l’ordre de présentation si la Cour est par ailleurs convaincue que l’inversion permettra fort probablement d’apporter une solution au litige qui soit la plus expéditive et économique possible (voir la décision Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1196, au paragraphe 19, la décision Eli Lilly Canada Inc. v Novopharm Ltd., 2002 FC 875, au paragraphe 13, Lundbeck Canada inc. c. Ratiopharm Inc., 2008 CF 579, au paragraphe 20). Je note par ailleurs que l’avantage tactique découlant de la présentation des éléments de preuve en premier serait beaucoup moins important dans la situation proposée par Shire, car les éléments de preuve seraient présentés de vive voix et que la Cour aurait la possibilité de demander des précisions sur tout point sur lequel elle aurait des doutes.

[21]           Je reconnais que les stratégies et les tactiques diffèrent, selon que les éléments de preuve sont présentés par écrit ou de vive voix. Cependant, je ne vois pas comment la « perte » de ces éléments représente un préjudice pour Apotex, mais non pour Shire, et Apotex n’a fourni aucune explication à ce sujet. Apotex a expliqué comment elle a trouvé difficile, dans la décision Gleevec, de garder à l’esprit les différentes stratégies et tactiques qui pourraient s’appliquer aux différents emplois et fardeaux auxquels les éléments de preuve pourraient être appliqués, selon l’instance en cause. Ces difficultés s’appliquent toutefois également aux deux parties et il n’a pas été démontré, par des éléments de preuve ou des arguments convaincants, qu’Apotex serait désavantagée de quelque manière.

[22]           Enfin, comme je ne suis pas persuadée qu’une audience conjointe amènerait la Cour à écarter le fardeau de la preuve qui s’applique, je ne peux conclure que la proposition de Shire priverait Apotex de tout droit potentiel en vertu de l’article 8.

[23]           L’argument d’Apotex, selon lequel la proposition de Shire lui causerait un préjudice procédural ou tactique, est sans fondement.

[24]           Apotex n’invoque aucun autre argument pour prétendre que la procédure proposée par Shire porterait préjudice à l’un de ses droits fondamentaux, et je suis convaincue que tous les droits d’Apotex seraient protégés. Shire admet notamment que, si pour quelque motif, les procédures communes ne pouvaient être instruites et tranchées dans un délai de 24 mois, Shire n’aurait alors pas automatiquement droit à une prorogation du délai de 24 mois prévue par le Règlement MB (AC). La Cour ne pourrait accorder une prorogation de délai que si les conditions du Règlement MB (AC) étaient respectées.

[25]           Je conclus, après avoir pris en compte toutes les circonstances, que la proposition de Shire permettrait aux deux parties de gagner beaucoup de temps et d’argent, qu’elle représente l’usage le plus efficace et le plus judicieux des ressources de la cour, qu’elle élimine les doubles emplois et le gaspillage et que, dans l’ensemble, elle apporte une solution juste et la plus expéditive et économique qui soit d’après le bien-fondé des deux instances.

[26]           Trois autres observations s’imposent.

[27]           Il n’appartient pas à Apotex de contrôler l’ensemble du calendrier des deux instances. Apotex a choisi le moment pour signifier son avis d’allégation et déposer son action. Elle pourrait encore décider de retirer son avis d’allégation pour signifier le même avis, ou un avis différent, à une date ultérieure. Elle pourrait également décider d’abandonner son action et de déposer à nouveau la même déclaration à une date ultérieure, mais pourrait ainsi s’exposer à un possible argument fondé sur l’abus de procédure. C’est Apotex qui a décidé d’engager les deux instances en même temps, ce qui rend les litiges particulièrement ardus; cependant, c’est également cette décision qui rend la réunion des causes d’action possible et nécessaire pour alléger le fardeau. Apotex ne peut imposer son propre calendrier à Shire ou à la Cour, tout en s’opposant à des moyens justes et raisonnables d’assurer l’usage le plus efficace possible des rares ressources judiciaires, tout cela pour conserver son propre présumé avantage tactique.

[28]           J’ai mentionné précédemment que la Cour demandera vraisemblablement de l’aide pour trancher la demande à partir des éléments de preuve qui seront présentés de vive voix par les experts. Cela n’est qu’un autre avantage intéressant de la réunion des causes d’action, auquel je n’ai toutefois accordé aucun poids pour parvenir à ma décision.

[29]           Enfin, tout comme je n’ai pas été convaincue par l’argument d’Apotex concernant le préjudice procédural ou tactique, j’estime non fondé l’argument de Shire selon laquelle la tenue des deux instances en parallèle serait injuste, parce que cela permettrait à Apotex d’utiliser des renseignements divulgués durant l’interrogatoire préalable à l’appui de la demande, parce qu’Apotex aurait de nombreuses occasions de contre-interroger les mêmes témoins, ou parce que la demande serait tranchée d’abord et qu’un innovateur qui n’aurait pas gain de cause dans une instance d’interdiction aurait à livrer un « combat difficile » lors d’une instance subséquente.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  La demande dans l’affaire T-998-16 sera instruite simultanément et par le même juge que l’action déposée dans l’affaire T-1056-16;

2.                  La question à savoir si les allégations formulées par Apotex, dans son avis d’allégation du 12 mai 2016, sont justifiées sera tranchée à la lumière des éléments de preuve qui seront présentés durant l’instruction de l’action, sous réserve de leur pertinence aux fins de la demande;

3.                  Les éléments de preuve concernant les prétentions formulées par Shire dans la demande, quant à la non-validité de l’avis d’allégation, seront présentés durant l’instruction de l’action;

4.                  L’administrateur judiciaire avisera les parties des dates disponibles pour un procès de quatre semaines relatif à cette affaire, en anglais et en français, durant la période comprise entre le 1er février et le 30 avril 2018;

5.                  Les parties présenteront, au plus tard dix (10) jours après la date de cette ordonnance, un échéancier pour les prochaines mesures à prendre dans le cadre de cette instance;

6.                  Des dépens pour la présente requête, de 3 000 $ plus les débours raisonnables, sont accordés à Shire en l’espèce.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1056-16

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c. SHIRE LLC ET SHIRE PHARMA CANADA ULC

 

ET DOSSIER :

T-998-16

 

INTITULÉ :

SHIRE PHARMA CANADA ULC c. APOTEX INC., LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET SHIRE LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 14 septembre 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 octobre 2016

 

COMPARUTIONS : (Dossier T-1056-16)

M. Sandon Shogilev

M. Andrew Brodkin

 

Pour la demanderesse

 

M. Jay Zakaïb

M. Alex Gloor

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

COMPARUTIONS : (Dossier T-998-16)

M. Jay Zakaïb

M. Alex Gloor

 

Pour la DEMANDERESSE

 

M. Sandon Shogilev

M. Andrew Brodkin

 

Pour la DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

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