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Date : 20170322


Dossier : T-1904-15

Référence : 2017 CF 299

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

KARRY CHI-WAI AU-YEUNG

demandeur

et

TASTE OF BC FINE FOODS LTD

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’une décision par laquelle un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) a refusé la demande d’enregistrement de la marque de commerce « TASTE OF B.C. ». Le demandeur cherche à présenter de nouveaux éléments de preuve à la Cour.

[2]  Il attaque la décision de refus (la décision) au motif que de nouveaux éléments de preuve pourraient avoir une incidence sur l’issue de la demande et que, de ce fait, la décision est incorrecte. Le demandeur ajoute par ailleurs que même en l’absence de nouveaux éléments de preuve, la décision était déraisonnable.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Karry Chi-Wai Au-Yeung, est propriétaire et exploitant de l’entreprise Delane Industry Co (Delane), qui fabrique et vend des produits en ligne et dans divers points de vente au détail en Colombie-Britannique. Depuis 35 ans, Delane a pignon sur rue à Vancouver.

[4]  La défenderesse, Taste of BC Fine Foods Ltd., a été constituée en société par Steven Atkinson et son épouse en 2004. En juin 2005, la défenderesse a ouvert un magasin de détail et un restaurant rapide sous la bannière TASTE OF BC au marché du quai Tsawwassen, au terminal de BC Ferries à Tsawwassen.

[5]  En 2008, le demandeur a manifesté son intérêt à se porter acquéreur du magasin de la défenderesse à Tsawwassen. Le 4 août 2008, Delane et la défenderesse ont signé un contrat d’achat et de vente (le premier contrat). Ce premier contrat visait uniquement une vente d’actifs et l’octroi d’une licence d’emploi de la marque de commerce TASTE OF BC ainsi que du nom du magasin pendant une période de six mois (aucune marque de commerce n’avait été déposée). M. Atkinson a expliqué que la licence a été octroyée pour donner le temps à BC Ferries de consentir au changement de nom du magasin, tel qu’il est stipulé sur le permis de BC Ferries (assimilable à un bail).

[6]  Le premier contrat ne contenait aucune précision sur la répartition du prix d’achat (72 500 $) entre les éléments d’actif. La date de signature avait été fixée au 16 août 2008.

[7]  L’avocat de M. Au-Yeung a préparé un document expliquant comment celui-ci avait interprété le premier contrat. Aucune explication claire n’a été donnée concernant la raison d’être d’un second contrat.

[8]  Dans son témoignage, M. Au-Yeung a tenté d’expliquer que ce document avait dû être établi à la suite d’une infestation de souris dans son bureau, lesquelles auraient [traduction] « mangé sa copie » du premier contrat. Cette explication semble aussi tirée par les cheveux que celle d’un élève qui prétend que « le chien a mangé son devoir », et mérite certainement autant de poids que celui qu’accorderait l’enseignant à l’excuse de son élève.

[9]  Cela dit, la question du poids à accorder à l’ensemble de la preuve de M. Au-Yeung devient pertinente seulement si la Cour doit apprécier de « nouveaux éléments de preuve ». L’avocat du demandeur, après avoir exprimé des doutes quant à la crédibilité de la preuve de M. Atkinson, a concédé que la Cour serait tout aussi justifiée de s’interroger sur la crédibilité de M. Au-Yeung, et notamment sur la vraisemblance de l’excuse des souris.

[10]  Conformément à un nouveau contrat (le second contrat) daté du jour de la signature du premier contrat, le prix de vente de 72 500 $ a été réparti comme suit : 60 000 $ pour le fonds commercial et 12 500 $ pour les éléments d’actif physiques et les améliorations locatives. Le terme « fonds commercial » n’est pas décrit, et aucune licence de marque n’est mentionnée.

[11]  Après la signature du contrat, les parties ont été mêlées à de nombreux litiges, la plupart devant les tribunaux de la Colombie-Britannique :

  • a) En avril 2009, la défenderesse a poursuivi Delane devant la division des petites créances de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique afin de recouvrer des droits impayés pour l’emploi continu du nom « TASTE OF BC ». La défenderesse a eu gain de cause et s’est vue adjuger des dommages-intérêts parce que Delane avait continué d’employer le nom commercial au-delà du délai prévu au premier contrat (la décision Chen). La Cour a indiqué que la cause d’action aurait dû être la commercialisation trompeuse.

  • b) En avril 2009, M. Au-Yeung a déposé une demande d’enregistrement de la marque TASTE OF B.C. fondée sur l’emploi. La Commission a rejeté la demande en novembre 2013.

  • c) Le 6 juillet 2011, la défenderesse a saisi la Cour provinciale de la Colombie-Britannique d’une action en dommages-intérêts contre Delane et le demandeur par suite du dépôt par celui-ci d’une demande d’enregistrement de la marque TASTE OF B.C. Le 18 septembre 2014, la Cour provinciale a tranché en faveur du demandeur (la décision Yee), qui a fait valoir devant notre Cour que par suite de cette décision, la défenderesse ne pouvait pas revendiquer un droit de propriété à l’égard de la marque de commerce TASTE OF BC. La pertinence de cette décision a été mise en cause devant la Commission.

  • d) En janvier 2012, le demandeur a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce fondée sur un emploi projeté. Cette demande est en cause en l’espèce. L’emploi projeté est décrit comme suit :

PRODUITS :

Produits de confiserie fruits; grignotines (croustilles de maïs et de pomme de terre, mélanges de fruits); soupes; bœuf séché; poisson fumé; conserves et condiments (moutardes, chutney, confitures, gelées, marmelades et sirops); souvenirs (aimantins, cuillers, signets, épinglettes à collectionner, pièces de monnaie, badges, écus, étiquettes de clé, porte-clés, décalques, autocollants pour pare-choc, autocollants, fanions de tissu ou de papier, drapeaux de tissu ou de papier, briquets, gravures, figurines d’étain et de jade, tasses, verres à liqueur, chopes à bière, salières et poivrières, assiettes, sous-verres, cendriers, repose-cuiller, décorations de Noël, cadres, bougies, chandeliers, tasses de voyage); papeterie (étuis à crayons, gommes à effacer, crayons, blocs de papier, stylos, tampons de caoutchouc, presse-papiers, carnets d’adresses); articles en papier (cartes postales, livres-souvenirs, cartes à jouer, affiches, calendriers, carnets de notes, reproductions, impressions de photos, lithographies, images en couleurs, illustrations, sacs-cadeaux et cartes de vœux); articles en textile (gants de cuisinier, linges à vaisselle, cravates, tabliers, sacs à linge, foulards, napperons, appliqués à repasser, sacs fourre-tout); bijoux; articles-cadeaux en cristal à thèmes ou images autochtones de la côte Ouest ou autres (verres, presse-papiers, prismes, sculptures, statues, vases); œuvres d’art (capteurs de rêves, attrape-soleil, décorations autochtones, masques, plaques et tambours, sculptures, gravures sur bois et sur pierre, peintures).

SERVICES :

Services du magasin de détail liés à des produits alimentaires, des souvenirs, des articles en papier et en textile, des bijoux, des articles-cadeaux et des œuvres d’art.

  • e) Enfin, en mars 2016, un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a débouté Delane d’une action contre M. Atkinson, Taste of BC Fine Foods Ltd. et la Tsawwassen Quay Market Corporation, pour le motif que la décision Chen empêchait Delane d’intenter une action pour rupture de contrat et ingérence dans les relations économiques. La décision Chen a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en février 2017.

[12]  L’historique du contentieux a été présenté en grande partie à la Commission.

[13]  La défenderesse lui a soumis cinq motifs d’opposition fondés sur le paragraphe 38(2) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). La Commission a d’abord examiné la question de savoir si le demandeur pouvait raisonnablement être convaincu d’avoir le droit d’employer la marque au Canada en liaison avec les produits et services décrits dans la demande (alinéa 30i)), puis celle de l’absence de droit (alinéas 16(3)a) et c)). Les dispositions pertinentes énoncent ce qui suit :

16 (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des produits ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

16 (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the goods or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

c) soit avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.

(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person.

30 i) une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services décrits dans la demande.

30 (i) a statement that the applicant is satisfied that he is entitled to use the trade-mark in Canada in association with the goods or services described in the application.

[14]  Les principaux aspects de la décision de la Commission sont les suivants :

  • l’emploi antérieur par la défenderesse de la marque TASTE OF BC en liaison avec la vente de produits (saumon fumé, par exemple) au terminal de traversier de Swartz Bay à partir de 2001 et jusqu’à l’expansion aux terminaux de Departure Bay et de Tsawwassen (2004);

  • la signature du premier contrat en 2008;

  • les antécédents de vente au détail de la défenderesse jusqu’en 2012;

  • les antécédents du litige entre les parties, notamment l’excuse donnée par le demandeur pour expliquer la destruction de sa copie du premier contrat;

  • la conclusion comme quoi la décision Yee était inadmissible pour cause de non-conformité au paragraphe 23(1) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, et comme quoi même si elle avait été admissible, elle n’aurait eu aucun poids puisqu’elle portait uniquement sur les faits établis dans l’instance visée, lesquels se rapportaient à des procédures et à des faits qui n’avaient rien à voir avec une procédure d’opposition à une marque de commerce;

  • la conclusion selon laquelle, à la date de dépôt, les parties contestaient la vente d’actifs conclue en août 2008;

  • la conclusion selon laquelle la présente espèce s’apparente aux affaires Lifestyles Improvement Centers, LLP c Chorney, 63 RCS (4th) 261, 2007 CarswellNat 2412 (COMC), et Biker Rights Organization (Ontario) Inc c Sarnia-Lambton Bikers Rights Organization Incorporated, 2012 COMC 189, 107 CPR (4th) 142.

[15]  La Commission a estimé que le demandeur ne pouvait en aucune circonstance être raisonnablement convaincu d’avoir le droit, sous le régime de l’alinéa 30i), d’employer la marque de commerce partout au Canada. Compte tenu de son interprétation du premier contrat (incluant la licence d’emploi de la marque et l’offre subséquente de la défenderesse de renouveler ladite licence) et de sa conclusion concernant les litiges irrésolus entre les parties concernant l’emploi de la marque de commerce au moment où le demandeur a déposé sa demande, la Commission a statué que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il pouvait raisonnablement être convaincu d’avoir le droit d’employer la marque de commerce.

[16]  Eu égard à l’absence de droit au titre des alinéas 16(3)a) et c), la Commission a conclu que la défenderesse a établi qu’elle avait employé la marque de commerce TASTE OF BC avant le 10 janvier 2012, date à laquelle le demandeur a déposé sa demande. La marque n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce, le 19 septembre 2012.

[17]  À propos de l’abandon de la marque, la Commission a souligné que le demandeur devait établir à la fois le défaut d’emploi par la défenderesse et son intention d’abandonner la marque. La défenderesse a expliqué que, à la date de l’annonce, les ventes avaient décliné parce que les stocks de saumon avaient diminué et que, pour remédier à la situation, un projet de pisciculture terrestre était en chantier. La Commission a déduit de cette affirmation que la défenderesse n’avait pas abandonné la marque de commerce.

[18]  Quant au risque de confusion, la Commission a souligné que les marques étaient quasi identiques (la marque non déposée TASTE OF BC de la défenderesse et la marque TASTE OF B.C. proposée par le demandeur dans sa demande d’enregistrement), qu’il y avait un lien entre les produits et la marque de la défenderesse, et que les voies de commercialisation étaient identiques (la vente à une clientèle touristique aux terminaux de BC Ferries). Elle a conclu par conséquent que le demandeur n’a pas établi qu’il était impossible que les marques soient confondues.

III.  Norme de contrôle

[19]  Si de nouveaux éléments de preuve susceptibles d’influer de manière déterminante sur les conclusions de fait de la Commission ou l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sont présentés à la Cour, elle doit examiner l’affaire au fond en fonction du dossier de preuve dont la Commission disposait ainsi que des nouveaux éléments de preuve (Maison Cousin (1980) Inc. c Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, 60 CPR (4th) 369; Richtree Restaurant du Marché Inc. c Mövenpick Holding AG, 2016 CF 1046, 270 ACWS (3d) 838).

Si de nouveaux éléments de preuve substantiels lui sont présentés, la Cour doit mener un examen complet de la preuve et en tirer ses propres conclusions (Gemological Institute of America c Gemology Headquarters International, 2014 CF 1153, 127 CPR (4th) 163 [Gemological Institute]).

[20]  En l’absence de nouvel élément de preuve substantiel, la norme de contrôle qui s’applique aux questions de fait, de droit et de pouvoir discrétionnaire est celle de la décision raisonnable (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, 5 CPR (4th) 180, autorisation d’appel à la CSC refusée, [2000] 2 RCS xi). Pour être raisonnable, la décision doit être justifiée, transparente et intelligible, et elle doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ») (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

[21]  Le juge Boivin résume succinctement la relation entre les deux normes de contrôle dans l’arrêt Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, 132 CPR (4th) 258 :

[18]  En principe, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer lors de l’appel d’une décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés au juge en appel suivant l’article 56 de la Loi et que le juge conclut que des éléments auraient eu un effet sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il doit tirer ses propres conclusions sur la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, au paragraphe 51).

[22]  Le caractère substantiel d’un nouvel élément de preuve tient à son incidence déterminante sur la décision. Par conséquent, l’analyse repose sur un critère de qualité et non de quantité (Conseil canadien des ingénieurs professionnels c APA – Engineered Wood Assn., 2000, 184 FTR 55, 7 CPR (4th) 239 (1re inst.).

[23]  Il a été affirmé à maintes reprises, et il a été confirmé récemment dans les décisions Gemological Institute et Chypre (Commerce et Industries) c Les Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719, 393 FTR 1, conf. par 2011 CAF 201 [Producteurs Laitiers], que les éléments de preuve sont nouveaux s’ils ne reprennent ni ne complètent ceux que la Commission avait à sa disposition. L’attribut de nouveauté découle du caractère important de ces éléments de preuve et de la force probante qu’ils ajoutent à ceux qui ont été présentés antérieurement. Plus précisément, les nouveaux éléments de preuve doivent combler une lacune ou remédier à un vice de la décision initiale. Tel qu’il est énoncé dans la décision Producteurs Laitiers :

[28] [… ] Il n’en ira cependant ainsi que si la nouvelle preuve est substantielle et ajoute à ce qui a déjà été soumis; dans l’hypothèse où cette nouvelle preuve ne serait que répétitive et ne bonifierait pas la force probante de la preuve déjà soumise, la norme de la décision raisonnable continuera de s’appliquer. [...]

[24]  Se prononçant à son tour sur le thème important de la norme de contrôle, le juge Gascon observe au paragraphe 45 de la décision Eclectic Edge Inc c Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, 138 CPR (4th) 289, que les nouveaux éléments de preuve seront considérés suffisamment importants « lorsqu’ils apportent un éclairage nouveau sur le dossier ou qu’ils vont bien au-delà de la preuve dont disposait le registraire ».

IV.  Discussion

A.  Nouveaux éléments de preuve

[25]  Le demandeur, M. Au-Yeung, décrit les « nouveaux éléments de preuve » invoqués dans un affidavit souscrit le 23 décembre 2015 (affidavit Au-Yeung). En voici les éléments saillants :

  • Nouveau témoignage (paragraphes 4 à 7, 37, 38, 39, et 42) sur la nature des activités commerciales du demandeur. Celui-ci soutient que ce témoignage est pertinent à l’égard des questions liées aux alinéas 16a), c), et 30i).

  • Nouveau témoignage (paragraphe 16, alinéas 28d) à g), sous-alinéas 40b)(iii) à (iv), paragraphe 42, pièces A et G) sur la nature des activités commerciales de la défenderesse, pertinent pour les questions liées aux alinéas 16a) et c).

  • Nouveau témoignage (paragraphes 8 à 24) sur la vente de l’entreprise et du fonds commercial, pertinent pour les questions liées à l’alinéa 30i). Une bonne partie de ces éléments de preuve avaient déjà été produits, mais certains présentent des éléments contextuels et des témoignages nouveaux, y compris des courriels échangés entre le demandeur, la défenderesse et le représentant du propriétaire (pièce A), une explication des raisons pour lesquelles le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision Chen (paragraphe 17), un nouveau témoignage sur l’état d’esprit et les connaissances du demandeur (paragraphes 32 à 34 et 36 à 40), et la décision Yee (pièce J).

  • Nouveau témoignage sur la disponibilité des stocks de saumon (alinéa 28g) et pièce H).

[26]  La défenderesse a présenté un tableau pour réfuter de manière lapidaire les nouveaux éléments de preuve :

Pièce

Nouveau?

Description et conclusion

A

Oui

Fils de discussion

B

Non

Pièce 17 – Atkinson

C

Non

Pièce 22 – Atkinson

D

Oui

Élément non pertinent parce qu’il est postérieur à la date importante, le 10 janvier 2012 (dépôt de la demande) (document de la Cour suprême de la C.-B., 2014).

E

Oui

Élément non pertinent pour l’application des art. 30 ou 16 (ordonnance de saisie-arrêt, Cour des petites créances de la C.-B. en 2009).

F

Non

Contre-interrogatoire de M. Atkinson

G

Non

Contre-interrogatoire de M. Atkinson

H

Oui

Seule la crédibilité de M. Atkinson est en cause, mais la question n’a pas été abordée lors de son contre-interrogatoire.

I

Non

Pièce 16 – M. Atkinson

J

Oui

Élément non pertinent parce qu’il est postérieur à la date importante, le 10 janvier 2012 (dépôt de la demande) (décision de la Cour des petites créances de la C.-B., 2014).

[27]  La défenderesse demande aussi à la Cour de radier des parties de l’affidavit Au-Yeung qui contiennent des allégations gratuites et vexatoires et du ouï-dire. Dans ces allégations vexatoires, M. Atkinson est décrit comme une [traduction] « très mauvaise personne », il est reproché à l’ancien avocat du demandeur de ne pas avoir mené le procès comme celui-ci le souhaitait, et M. Atkinson, traité de menteur et de tricheur, est accusé d’avoir fait de [traduction] « fausses déclarations » ayant induit les juges en erreur.

[28]  La Cour pourrait radier ces allégations, mais elle peut aussi choisir de ne pas leur accorder de poids. L’avocat du demandeur a lui-même reconnu que ces allégations venaient d’un témoin qui a aussi déclaré que des souris ont dévoré sa copie de contrat.

[29]  J’estime que la décision sera plus intelligible si les allégations ne sont pas radiées, mais considérées comme de « nouveaux éléments de preuve » sans valeur probante et traités comme tels. Ces soi-disant nouveaux éléments de preuve ayant pour source le témoignage de M. Au-Yeung, je ne leur prêterai aucune foi sauf s’il est établi qu’ils sont objectifs et pertinents. De la même manière, je ne retiendrai pas les ouï-dire rapportés par le demandeur, notamment aux alinéas 28a), b), g), et au paragraphe 32 de l’affidavit Au-Yeung.

[30]  La défenderesse s’oppose aussi à l’admissibilité de la décision Yee (pièce J de l’affidavit Au-Yeung), au motif qu’elle serait contraire à l’article 23 de la Loi sur la preuve au Canada.

Un jugement qui n’est pas produit en preuve par un témoin doit être conforme à l’article 23. Toutefois, il s’agit ici d’une pièce jointe à un affidavit. Je me range à la conclusion de la Commission comme quoi il vaut mieux établir l’admissibilité d’un jugement en fonction de sa pertinence.

[31]  Quant aux éléments de preuve portant sur la [traduction] « nature des activités commerciales du demandeur », ils ajoutent quelques détails à ce qui avait déjà été présenté à la Commission, mais ce complément d’information ne comble aucune lacune et il n’est pas vraiment significatif. Il ne peut donc pas être considéré comme substantiel.

[32]  Concernant les voies de commercialisation, la Commission a examiné les éléments de preuve attestant que les deux parties visaient une clientèle de touristes. Les nouveaux éléments de preuve n’ajoutent rien de significatif pour le règlement du litige.

[33]  Les éléments de preuve sur la [traduction] « nature des activités commerciales de la défenderesse » avaient déjà été présentés à la Commission. Là encore, ces « nouveaux » éléments de preuve ne révèlent rien de significatif.

[34]  En ce qui a trait à l’achat [traduction] « de l’entreprise et du fonds commercial », M. Au-Yeung a déclaré à la Commission qu’il pensait avoir acheté les deux, et que la marque de commerce faisait partie du fonds commercial. Les nouveaux éléments de preuve ne font que réitérer cet argument du demandeur, que la Commission n’a pas retenu.

[35]  La Commission avait déjà en main le second contrat et d’autres ententes.

[36]  Le seul élément de preuve qui pourrait être considéré comme [traduction] « nouveau » est un rapport sur les stocks de saumon (pièce H). Il est toutefois impossible d’en mesurer l’importance puisque M. Atkinson n’a jamais été interrogé sur sa crédibilité. M. Au-Yeung ne s’est pas prononcé sur le contenu du rapport et, apparemment, il n’était pas en mesure de le faire. Si son caractère substantiel n’est pas démontré, ce rapport n’ajoute rien à la décision de la Commission. Il n’existe aucune corrélation entre la décision de M. Atkinson de jeter son dévolu sur le saumon élevé en pisciculture et les stocks provinciaux de saumon d’élevage et sauvage.

[37]  Pour ce qui est de la décision Yee, elle ne constitue pas un nouvel élément de preuve : elle a été expressément déclarée inadmissible pour cause de non-conformité à l’article 23 de la Loi sur la preuve au Canada et d’absence de pertinence.

[38]  À mon avis, une partie ne peut pas utiliser le vocable « nouveau » pour produire un élément de preuve qui a été déclaré inadmissible. La décision Yee pourrait être déterminante de l’analyse du caractère raisonnable de la décision de la Commission, mais elle ne peut être admise à titre de nouvel élément de preuve substantiel.

[39]  Pour ce qui concerne sa valeur probante, la décision Yee nous apprend tout au plus qu’un tribunal a tiré des conclusions de fait à partir de certains éléments de preuve mis à sa disposition. Elle ne permet pas de statuer sur la véridicité de ces conclusions et elle n’établit pas un précédent. Étant donné la différence d’optique entre l’instance provinciale et la procédure de la Commission, il est même permis de douter de l’effet persuasif de la décision.

[40]  Pour tous ces motifs, je conclus qu’aucun nouvel élément de preuve substantiel ne justifierait que la Cour tranche de novo la question de l’enregistrement de la marque de commerce.

B.  Caractère raisonnable de la décision

[41]  En substance, le demandeur souhaite que la Cour réexamine les éléments de preuve que la Commission avait à sa disposition. Ce n’est pas l’objet d’une analyse du caractère raisonnable d’une décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, [2009] 1 RCS 339).

[42]  Le demandeur conteste la conclusion de la Commission comme quoi la vente du [traduction] « fonds commercial » n’englobait pas la marque de commerce. Aucune mesure législative ou convention ne prévoit qu’une marque de commerce fait automatiquement partie du « fonds commercial ». Seuls les faits permettent de tirer une telle conclusion. En l’espèce, la Commission a tiré une conclusion raisonnable sur cette question.

[43]  Elle a cité des affaires mettant en cause des licenciés désireux d’enregistrer une marque de commerce d’un concédant pour les seules fins d’établir une analogie. Elle n’a pas incorrectement tranché que la situation du demandeur était identique. La Commission a énoncé toute une liste de motifs qui l’ont amenée à conclure que le demandeur n’avait pas réussi à établir pourquoi il pouvait raisonnablement être convaincu d’avoir le droit d’employer la marque de commerce. La jurisprudence citée visait simplement à étayer la conclusion de la Commission par voie d’analogie.

[44]  Elle disposait d’une preuve suffisante pour conclure que le demandeur savait ou aurait dû se douter que la défenderesse continuait d’employer la marque de commerce. Il était raisonnable que la Commission arrive à la conclusion que la défenderesse, malgré le ralentissement des ventes, n’avait pas abandonné la marque de commerce. Les efforts de la défenderesse pour trouver une nouvelle source d’approvisionnement en saumon et continuer d’exploiter son commerce démentent les éléments de preuve visant à démontrer une intention d’abandonner la marque de commerce.

[45]  On a accordé beaucoup d’importance à la décision Yee, beaucoup plus en fait que ce qui était requis de la part du distingué juge. La Cour provinciale n’est pas concernée par les commentaires au sujet du défaut d’octroyer une réparation par voie d’injonction puisque ce n’est pas de son ressort. Si tant est que la décision soit pertinente, la Cour a observé qu’il avait déjà été statué (dans la décision Chen) que Delane avait illicitement employé le nom commercial TASTE OF BC après la période de six mois stipulée dans le premier contrat.

[46]  Le litige en cours devant la Cour provinciale a peu d’importance ici. La seule conclusion un tant soit peu pertinente a trait au non-abandon de la marque de commerce par la défenderesse.

[47]  Plus important encore, la décision de la Commission de ne pas admettre la décision Yee en preuve était raisonnable, peu importe qu’elle repose sur les exigences techniques de la Loi sur la preuve au Canada ou sur les motifs plus convaincants de pertinence.

[48]  Les conclusions de la Commission sur le non-abandon de la marque de commerce et les voies de commercialisation étaient raisonnables. Il n’est pas requis que les voies de commercialisation soient en tous points identiques – l’important est qu’elles se recoupent. La description par le demandeur des activités commerciales de la défenderesse a soulevé les doutes de la Commission quant à sa crédibilité, et la Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers cette conclusion. Par surcroît, la preuve objective était amplement suffisante pour conduire la Commission à cette conclusion.

[49]  La décision, considérée dans son ensemble et du point de vue de chacun de ses principaux éléments constitutifs, est raisonnable. Le demandeur n’a pas démontré que des conclusions ou des constatations importantes et déraisonnables justifieraient l’intervention de la Cour.

V.  Conclusion

[50]  Pour les motifs exposés précédemment, la décision sera confirmée et l’appel sera rejeté avec dépens.

[51]  Sur la question des dépens, les frais liés à la présente instance et à toutes les instances connexes ont depuis longtemps excédé le prix d’achat des actifs. Le demandeur a cherché par tous les moyens à tirer profit de l’omission de la défenderesse de protéger la marque de commerce pour se l’approprier. Apparemment, la défenderesse n’a pas pris la pleine mesure de la protection offerte par l’enregistrement d’une marque de commerce.

[52]  Bien qu’elle ait demandé les dépens sur la base avocat-client, il est clair qu’une partie de la responsabilité lui revient puisqu’elle n’a pas fait le nécessaire pour protéger sa marque de commerce. Par conséquent, la défenderesse aura droit aux dépens conformément à la colonne V du tarif de la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR CONFIRME la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce et rejette l’appel avec dépens. La défenderesse a droit au remboursement de ses dépens conformément à la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1904-15

 

INTITULÉ :

KARRY CHI-WAI AU-YEUNG c TASTE OF BC FINE FOODS LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

James J.D. Wagner

Michael S. Menkes

 

Pour le demandeur

 

Paul Smith

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silvergate Law

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Michael S. Menkes

Avocat

New Westminster (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

SMITHS IP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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