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Date : 20170322


Dossier: IMM-3604-16

Référence : 2017 CF 300

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

BENSON KUZEEKO HENGOMBE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Benson Kuzeeko Hengombe, un citoyen de Namibie âgé de 45 ans, est entré au Canada le 13 décembre 2010; deux jours plus tard, il a présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile a toutefois été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) dans une décision rendue le 15 janvier 2013. Après la décision de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR), mais un agent d’immigration principal a rejeté la demande d’ERAR dans une décision rendue le 24 mai 2016. Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

I.  Les observations du demandeur concernant l’ERAR

[2]  La demande d’ERAR présentée par le demandeur comportait 13 documents qui n’ont pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés : quatre articles en ligne antérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés; un document de la CISR antérieur à la décision de la Section de la protection des réfugiés; cinq articles en ligne postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés; deux documents de rapport sur le pays postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés; et un courriel de la sœur du demandeur daté du 22 février 2016. Dans ses observations du 6 mars 2016 à l’intention de l’agent chargé de l’ERAR, le demandeur a affirmé être une personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR, reprenant l’allégation qu’il avait soulevée devant la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il avait joué un rôle de premier plan dans l’arrestation et la condamnation de deux trafiquants de drogue, un événement qui a finalement donné lieu à des menaces à son égard et à la mort de deux collègues policiers. Le demandeur s’est fondé sur le courriel de sa sœur pour faire valoir qu’il s’exposait à de nouveaux risques s’il retournait en Namibie. Selon sa sœur, des inconnus et des policiers se sont rendus chez elle à la recherche du demandeur et ces inconnus ont menacé d’assassiner le demandeur à son retour en Namibie. La sœur du demandeur l’a averti de ne pas retourner en Namibie.

[3]  Le demandeur a renvoyé l’agent d’ERAR à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4th) 675 [Raza], et aussi à des décisions rendues par notre Cour concernant la proposition de prendre en considération de nouveaux éléments de preuve liés à des risques anciens (c.-à-d. Kirindage De Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 841, 159 ACWS (3d) 562; et James c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 318, [2010] ACF no 368). Compte tenu de la jurisprudence, le demandeur a fait valoir que les nouveaux éléments de preuve devraient être acceptés puisqu’ils établissent la nature du risque continu auquel s’expose le demandeur s’il devait retourner en Namibie. Le demandeur a aussi soutenu que le courriel de sa sœur constituait un fondement objectif du risque qu’il court et qu’il ne recevrait aucune protection de l’État s’il retournait en Namibie en raison de la corruption au sein de la police namibienne, comme en témoignent les divers articles qui n’ont pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

II.  Décision de l’agent chargé de l’ERAR

[4]  L’agent a examiné la demande d’ERAR du demandeur, les éléments de preuve documentaire présentés, ainsi que certains rapports sur les droits de la personne du Département d’État des États-Unis au sujet de la Namibie. Voici la conclusion qu’il a tirée : [traduction]

[...] Je conclus que le demandeur s’exposerait tout au plus à une simple possibilité de risque pour l’un des motifs de la Convention, comme il est indiqué à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Qui plus est, je conclus que le demandeur ne s’exposerait pas, selon la prépondérance des probabilités, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités comme il est énoncé aux alinéas 97(1)a) ou b) de la LIPR s’il devait retourner en Namibie. Je confirme que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[5]  L’agent a observé que les risques mentionnés par le demandeur dans sa demande et ses observations relativement à l’ERAR étaient essentiellement les mêmes que ceux que la Section de la protection des réfugiés avait entendus et évalués. L’agent a conclu que le demandeur [traduction] « s’était tout simplement contenté de répéter son histoire » sans aborder ou réfuter la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il n’était pas crédible. L’agent a renvoyé à Escalona Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1379, 153 ACWS (3d) 421, où la Cour précise :

[5]  [...] Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. […]

[6]  L’agent a ensuite examiné les documents présentés par le demandeur. Il a indiqué que cinq de ces documents étaient antérieurs à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. L’agent n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve parce qu’ils auraient pu être présentés au tribunal de la Section de la protection des réfugiés et que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi ces documents n’avaient pas été présentés.

[7]  En ce qui concerne le courriel de la sœur du demandeur, l’agent a indiqué ce qui suit :

[traduction]

J’ai lu et tenu compte de ce courriel; je ne lui ai toutefois accordé que peu de poids. Je précise que le contenu du courriel, y compris les incidents mentionnés, ne présente pas de détails sur la chronologie et ne fournit donc aucun contexte historique. La sœur du demandeur n’indique pas les dates et le nombre de fois où elle a été bombardée de visites d’inconnus. Elle n’indique pas la date à laquelle ils se sont rendus dans la maison du demandeur et où ils ont attendu en face de la maison ni le nombre de fois qu’ils l’ont fait. Elle n’indique pas la date à laquelle elle a été menacée avec un pistolet et où elle s’est rendue au poste de police. Elle n’indique pas comment elle sait que les visiteurs sont des trafiquants de drogue ou comment elle sait que la police est à la recherche du demandeur. Je conclus aussi que cet élément de preuve ne l’emporte pas sur les questions que le commissaire de la Section de la protection des réfugiés avait quant à la crédibilité.

[8]  L’agent a aussi examiné les articles postérieurs à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, ainsi que les rapports sur la situation en Namibie. L’agent a conclu que ces éléments de preuve ne l’emportaient pas sur les questions que la Section de la protection des réfugiés avait quant à la crédibilité, ce qui l’a amené à conclure : [traduction]

Après examen de l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je conclus que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour constituer une réponse satisfaisante aux principales conclusions de la Section de la protection des réfugiés.

Le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve importants qui permettaient d’écarter les conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés, il n’a pas non plus invoqué un nouveau risque ni présenté des éléments de preuve à l’appui de changements dans la situation en Namibie depuis la décision du tribunal qui feraient en sorte qu’il correspond aux définitions des articles 96 ou 97.

[9]  L’agent a étudié la demande du demandeur de tenir une audience orale et a mentionné les facteurs prescrits pour tenir une audience, qui sont énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, dans sa version modifiée. L’agent a toutefois conclu que, compte tenu du fait que ces facteurs n’étaient pas respectés, il n’était pas justifié de tenir une audience orale.

III.  Questions en litige

[10]  Le demandeur soulève une question : l’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis une erreur en décidant que les éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas nouveaux, en application de l’alinéa 113a) de la LIPR? Je suis toutefois d’avis qu’il est possible de répondre à cette question en évaluant si la décision rendue par l’agent chargé de l’ERAR était raisonnable.

IV.  Observations des parties

[11]  Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve documentaire présentés avec la demande d’ERAR n’étaient pas « nouveaux », en application de l’alinéa 113a) de la LIPR. Selon le demandeur, les éléments de preuve présentés à l’agent satisfont aux exigences édictées à l’alinéa 113a) puisqu’ils sont nouveaux, crédibles, importants et pertinents. Le demandeur indique que ces documents établissent qu’il est toujours exposé à une menace à sa vie s’il retourne en Namibie. Le demandeur fait valoir que le courriel de sa sœur confirme qu’il est la cible de trafiquants de drogue et il insiste sur le fait que ce courriel a été envoyé après l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et la décision rendue par cette dernière. Les éléments de preuve documentaire sur la corruption au sein de la force policière en Namibie sont postérieurs à l’audience de la Section de la protection des réfugiés et, selon le demandeur, ils réfutent la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur la protection adéquate de l’État et la crédibilité.

[12]  Le défendeur indique qu’un agent chargé d’une ERAR ne peut s’écarter des conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés, à moins que de nouveaux éléments de preuve réfutent les conclusions de la Section de la protection des réfugiés ou établissent un changement important dans la situation au pays. Selon le défendeur, l’importance est pertinente en l’espèce, parce que les éléments de preuve présentés avec la demande d’ERAR n’auraient pas changé l’issue de la décision de la Section de la protection des réfugiés. Le défendeur renvoie à Raza, où la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’un agent chargé de l’ERAR peut validement rejeter les éléments de preuve que l’on cherche à présenter à l’appui d’une demande d’ERAR [traduction] « s’ils n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR » (au paragraphe 17). Le défendeur fait valoir qu’il était justifié pour l’agent de conclure que les éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas nouveaux, conformément à l’arrêt Raza et à l’alinéa 113a) de la LIPR, parce qu’ils étaient liés à des déterminations de risque faites précédemment par la Section de la protection des réfugiés.

[13]  Le défendeur est d’avis qu’il était raisonnable pour l’agent de rejeter les documents antérieurs à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés parce qu’ils auraient été accessibles au moment de l’audience. Il était aussi raisonnable pour l’agent de n’accorder que peu de poids au courriel de la sœur du demandeur parce qu’il était vague et qu’il ne différait pas beaucoup des faits présentés à la Section de la protection des réfugiés et qu’il ne réfutait pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité. Le défendeur affirme que l’agent a agi raisonnablement en rejetant les autres articles et rapports sur la situation au pays puisqu’ils n’établissaient pas un nouveau risque ou un risque différent et qu’ils ne réfutaient pas les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité de l’allégation du demandeur.

V.  Discussion

[14]  Il est bien reconnu qu’en l’absence de question liée à l’équité procédurale, la décision rendue par un agent chargé d’une ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Jainul Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16, [2012] ACF no 1429; voir aussi : Fadiga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1157, au paragraphe 8, [2016] ACF no 1128; Shilongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 86, au paragraphe 21, 474 FTR 121; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 565, au paragraphe 11, 480 FTR 62; Aboud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1019, au paragraphe 17, [2014] ACF no 1059).

[15]  Vu que l’appréciation par un agent chargé d’une ERAR de tout nouvel élément de preuve en application de l’alinéa 113a) de la LIPR est essentiellement une question mixte de faits et de droit, la retenue s’impose à l’égard de la décision de l’agent (voir : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Par conséquent, la Cour interviendra uniquement si la décision de l’agent chargé de l’ERAR n’est pas justifiée, transparente et intelligible, et si elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[16]  La position du demandeur repose sur l’hypothèse selon laquelle l’agent chargé de l’ERAR n’a accepté aucun des éléments de preuve parce qu’ils ne répondaient pas aux exigences édictées à l’alinéa 113a) de la LIPR. Cette hypothèse est toutefois erronée puisqu’il est clair, après examen de la décision de l’agent, que seulement cinq des 13 documents présentés ont été rejetés au motif qu’ils étaient antérieurs à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi ces cinq documents n’avaient pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés. L’agent a accepté les huit autres documents, y compris le courriel de la sœur du demandeur, en tant qu’éléments de preuve et les a examinés en conséquence. L’agent a examiné les documents restants, qui étaient postérieurs à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, et a raisonnablement conclu, selon moi, qu’aucun d’eux ne réfutait les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité.

[17]  La Section de la protection des réfugiés avait rejeté la demande présentée par le demandeur parce qu’elle ne croyait pas qu’il avait participé à une descente de police relative à la drogue à l’égard de deux trafiquants de drogue. La Section de la protection des réfugiés a fondé sa décision sur plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité, sur l’absence d’éléments de preuve au sujet de l’arrestation et de la condamnation des deux trafiquants de drogue et sur l’invraisemblance que la police n’ait offert aucune aide au demandeur alors qu’il faisait l’objet de menaces. Le demandeur n’a tout simplement pas présenté d’éléments de preuve qui répondaient aux préoccupations soulevées par la Section de la protection des réfugiés. Les éléments de preuve présentés par le demandeur avec sa demande d’ERAR n’auraient pas changé l’issue de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés puisque le risque était le même et que la situation au pays n’avait pas considérablement changé depuis la tenue de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. Le seul élément de preuve qui aurait pu corroborer l’exposé des faits du demandeur était le courriel envoyé par sa sœur. L’agent a cependant accordé peu de poids à ce courriel parce qu’il ne contenait aucun détail précis et il a conclu qu’il ne réfutait pas les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité. Je suis d’avis que cette décision était transparente et n’était pas déraisonnable.

VI.  Conclusion

[18]  L’agent chargé de l’ERAR a rendu une décision raisonnable dans ce dossier, qui se justifie au regard des faits et du droit et qui appartient aux issues possibles acceptables. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[19]  Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3604-16

 

INTITULÉ :

BENSON KUZEEKO HENGOMBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

Pour le demandeur

 

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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