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Date : 20170316


Dossier : IMM-4012-16

Référence : 2017 CF 286

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

NATASHA GARRAWAY,

TASSIA GARRAWAY

demanderesses

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION , DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Résumé des faits

[3]  La demanderesse principale et sa fille de 10 ans, Tassia, sont citoyennes de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint-Vincent) (collectivement, les demanderesses). La demanderesse principale est entrée au Canada le 2 juin 2008, et sa fille l’a suivie le 29 juillet 2009; elle avait alors trois ans. La demanderesse principale a deux autres enfants : un fils de 14 ans, Taji, qui est citoyen de Saint-Vincent et y vit avec sa grand-mère maternelle; un autre fils de 4 ans, Kristian, qui est citoyen canadien. La demanderesse principale a tenté d’ajouter Taji à titre de personne à charge à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4]  Les demanderesses ont présenté une demande d’asile en août 2010. Cette demande a été rejetée en décembre 2010. Elles ont ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, qui a été rejetée en avril 2011. Le père de Kristian a présenté une demande de parrainage visant la demanderesse principale dans la catégorie des époux au Canada, mais il l’a retirée en octobre 2014 après la dissolution de la relation. Elle a ensuite soumis une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée en novembre 2014. La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR a été rejetée le 10 octobre 2015. Le 7 avril 2016, les demanderesses ont présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée le 31 août 2016. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  L’agent a relevé que les demanderesses ont résidé au Canada sans interruption pendant des périodes respectives de huit et sept ans environ. Avant 2012, la demanderesse principale était sans emploi et touchait des prestations d’aide sociale; elle a ensuite trouvé un emploi qu’elle occupait toujours à la date du dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a estimé qu’il s’agissait d’un facteur favorable. Il a par ailleurs relevé que la demanderesse principale était engagée au sein de son église locale et qu’elle avait présenté une lettre d’appui à ce sujet, ainsi qu’une autre lettre d’appui rédigée par une amie proche qui est aussi la marraine de son fils benjamin. L’appréciation de ces éléments a aussi joué en faveur de la demande. Cependant, comme ce sont les seuls éléments de preuve fournis par la demanderesse principale pour attester de son intégration réelle dans la société canadienne ou dans sa collectivité locale, l’agent a conclu que son degré d’établissement n’était pas supérieur à celui attendu normalement des personnes qui doivent s’adapter à un nouveau pays. Par conséquent, ces facteurs n’ont pas été considérés comme ayant une importance positive significative dans leur ensemble.

[6]  L’agent a également tenu compte de l’intérêt supérieur de chacun des trois enfants concernés. En ce qui concerne Taji, il a pris en compte l’argument de l’avocat comme quoi il était séparé de sa mère depuis des années et qu’il serait dans son intérêt de la retrouver au Canada. L’agent a néanmoins relevé que Taji a passé toute sa vie à Saint-Vincent, où il fréquente l’école, qu’il y a sans doute des amis et qu’il y réside avec sa grand-mère, qui l’a élevé depuis l’âge de six ans. Dans la preuve peu abondante dont il disposait, l’agent n’a rien vu qui lui permettait de conclure que Taji n’a pas eu accès à une éducation ou à des soins de santé à Saint‑Vincent. L’agent s’est dit d’accord avec l’avocat des demanderesses qu’il serait dans l’intérêt de Taji de retrouver sa mère, son frère et sa sœur, mais il a souligné que sa vie serait moins perturbée si cette réunion se faisait à Saint-Vincent, où se trouve son réseau de soutien familial et social.

[7]  Quant à Tassia, l’agent a observé qu’elle avait trois ans à son arrivée au Canada et qu’elle y a vécu sept ans. C’est donc la majeure partie de sa vie et, qui plus est, elle réussit bien à l’école et elle est bien intégrée sur le plan social. L’agent a aussi noté que si Tassia doit retourner à Saint-Vincent, elle aura sans doute besoin de temps pour se réadapter à la vie dans son pays d’origine. Cependant, elle a seulement 10 ans, et son jeune âge devrait jouer en sa faveur. Le retour à Saint-Vincent lui permettrait également d’être réunie avec sa grand-mère et son frère aîné.

[8]  Quant à Kristian, l’agent a relevé qu’il est né au Canada et qu’il a quatre ans et demi. Selon l’avocat, il souffre de divers problèmes de santé pour lesquels il reçoit des traitements qui ne lui seraient probablement pas accessibles à Saint-Vincent. À cet égard, l’agent a souligné que, selon la preuve documentaire, Kristian avait reçu un diagnostic d’hydrocèle du testicule gauche qui a été traitée en avril 2016. Malgré les affirmations de la demanderesse principale et de son avocat selon lesquelles Kristian aura probablement besoin de nouveaux traitements, aucune preuve au dossier n’indique que l’intervention chirurgicale a échoué ou qu’il aura besoin de traitements ultérieurs pour ce problème ou d’autres problèmes. En outre, la demanderesse principale n’a pas fourni de preuve de l’impossibilité pour Kristian d’avoir accès à un traitement similaire à Saint-Vincent si jamais c’est nécessaire. Comme il aura droit à la citoyenneté de Saint-Vincent par ses liens avec sa mère, il bénéficiera des mêmes avantages que les autres citoyens.

[9]  Au vu de la preuve documentaire, l’agent a observé que des soins médicaux primaires et secondaires étaient offerts à Saint-Vincent, surtout dans les régions urbaines. Or, la demanderesse est née à Kingstown, où résident sa mère et son fils aîné. Il n’y a guère de preuve non plus, voire aucune, que la demanderesse ou ses deux enfants aînés ont eu de la difficulté par le passé à obtenir des soins médicaux à Saint-Vincent, ou que le système de santé de ce pays ne répondrait pas adéquatement aux besoins futurs des enfants. L’agent a conclu par conséquent que les trois enfants de la demanderesse principale auraient accès à des services de santé à Saint‑Vincent s’ils en ont besoin.

[10]  L’agent a mentionné une lettre datée du 18 mars 2016 dans laquelle une infirmière praticienne expliquait que Kristian avait des difficultés comportementales et affectives à la garderie qui étaient probablement attribuables à la séparation de son père et de la demanderesse principale, et pour lesquelles elle recommandait une aide psychosociale. L’agent a aussi noté que les problèmes de comportement de Kristian étaient également décrits dans un rapport préparé par les Services de garde du YMCA en février 2016. Il a remarqué toutefois qu’aucune preuve n’indiquait que Kristian avait reçu l’aide psychosociale recommandée ou qu’il continuait de présenter les difficultés affectives ou comportementales observées durant sa transition à un nouvel environnement. À ce sujet, l’agent a ajouté que Kristian avait commencé à fréquenter le YMCA le 11 janvier 2016 et que la lettre produite datait du 8 février 2016. De plus, la preuve insuffisante ne permettait pas de conclure que Kristian ne pourrait pas bénéficier d’une aide psychosociale ou de services de garde adéquats à Saint-Vincent.

[11]  L’agent a aussi tenu compte des arguments de l’avocat concernant le fait que les enfants n’auraient plus accès à une éducation au Canada. Il a reconnu que cette éducation est probablement de meilleure qualité que ce à quoi ils auraient accès à Saint-Vincent, mais il a souligné que la preuve était insuffisante pour conclure que les enfants ne pourraient pas y recevoir une éducation secondaire et postsecondaire. L’agent a rappelé que la demanderesse principale y avait elle-même fait des études secondaires et postsecondaires, et rien dans la preuve ne donnait à penser que c’était difficile pour son fils aîné de recevoir une telle éducation. De plus, selon l’information recueillie auprès de sources indépendantes, l’éducation secondaire est obligatoire à Saint-Vincent, et elle est offerte aux enfants des régions rurales et urbaines.

[12]  L’agent a conclu que même si la situation générale à Saint-Vincent n’est sans doute pas parfaite, le législateur n’a jamais eu pour intention que l’article 25 de la Loi comble l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui d’autres pays. Il a conclu aussi que la preuve limitée ne lui permettait pas d’établir que l’intérêt des enfants serait gravement compromis par un départ du Canada en vue de présenter une demande de résidence permanente.

[13]  Concernant l’allégation de la demanderesse principale comme quoi elle avait été victime de violence conjugale, l’agent a observé qu’elle n’avait pas fourni de preuve documentaire supplémentaire attestant des mauvais traitements subis aux mains de son ex-partenaire. De plus, son départ de Saint-Vincent remonte à huit ans et la demanderesse n’a pas présenté une preuve suffisante de l’existence d’un risque que son ex-partenaire tente de la retrouver et de la brutaliser. L’agent a donc accordé peu de poids à ce facteur. Qui plus est, la preuve documentaire indique qu’à Saint-Vincent, la demanderesse principale pourrait exercer des recours auprès des tribunaux, de la police ou d’un organisme public ou non gouvernemental si jamais son ex-partenaire recommence à la menacer. L’agent a conclu que la preuve, dans l’ensemble, révèle que les femmes peuvent être victimes de discrimination fondée sur le sexe, y compris la violence sexiste à Saint-Vincent. Cependant, comme elles y ont des recours, ces facteurs discriminatoires ne peuvent en eux-mêmes justifier une mesure spéciale.

[14]  L’agent a soupesé tous les facteurs et apprécié la situation des demanderesses de même que l’ensemble de la documentation produite, mais il n’a pas été convaincu que les motifs d’ordre humanitaire soumis à sa considération justifiaient une mesure spéciale en application du paragraphe 25(1) de la Loi.

Question en litige et norme de contrôle

[15]  Les demanderesses soulèvent une seule question : l’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants qui a pour effet de rendre la décision déraisonnable?

[16]  Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la décision de l’agent doit s’examiner selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 à 59 (Khosa); Basaki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 166, au paragraphe 18; Richard c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1420, au paragraphe 14 (Richard)). La même norme de contrôle s’applique à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 44 et 45 (Kanthasamy); Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 (Kisana); Richard, au paragraphe 14).

[17]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais aussi à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable; « [n]éanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Khosa, au paragraphe 59).

Thèses des parties

Thèse des demanderesses

[18]  Les demanderesses font valoir que l’agent saisi d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants concernés par sa décision, que cet intérêt constitue une « considération primordiale » et qu’il faut lui prêter beaucoup d’attention (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker)). De plus, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être approfondie et exhaustive, et non superficielle (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 32 (Hawthorne)). Un agent ne peut pas se contenter d’affirmer qu’il a accordé beaucoup de poids à l’intérêt des enfants : il doit en faire la démonstration.

[19]  Les demanderesses renvoient à l’analyse en trois étapes pour déterminer si un agent a fait une analyse raisonnable de l’intérêt supérieur des enfants qui est exposée dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 (Williams). Elles font valoir que cette démarche a été suivie dans plusieurs jugements récents de notre Cour. Par surcroît, même si l’analyse proposée dans la décision Williams n’est pas appliquée à la lettre, les motifs de l’agent doivent comprendre une évaluation du scénario le plus susceptible de protéger l’intérêt des enfants. C’est cet intérêt qui doit guider l’analyse de tous les autres scénarios, notamment le fait pour les enfants de rester au Canada avec ou sans leurs parents, ou de partir avec eux dans le pays de renvoi. Un agent ne doit pas faire abstraction ou omettre de tenir compte de l’un de ces scénarios (Kobita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479, au paragraphe 53; Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 993, aux paragraphes 18 à 20). Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada cite et approuve certaines conclusions tirées de la jurisprudence pour ce qui a trait à l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demanderesses renvoient à plusieurs passages de l’arrêt Kanthasamy qui, à leur avis, énoncent les principes qui devraient guider cette analyse (aux paragraphes 35, 36, 41 et 58). Elles reprochent à l’agent de ne pas avoir tenu compte de ces principes dans son analyse de l’intérêt supérieur de Tassia et de Kristian.

[20]  Il est établi par la preuve que Tassia a vécu presque toute sa vie au Canada, qu’elle y a des liens essentiels avec son école et son église, et que l’obliger à partir lui causerait un préjudice substantiel et des perturbations profondes, notamment parce qu’elle devrait s’adapter à un niveau de vie inférieur à Saint-Vincent. Elle n’aurait plus accès aux services de santé et d’éducation du Canada, et devrait s’adapter à la réalité d’un pays où le statut de la femme est précaire. L’accessibilité à la protection de l’État n’atténue pas les difficultés auxquelles Tassia serait confrontée dans une société qui accorde moins de valeur aux filles et aux femmes. Les demanderesses s’appuient en outre sur divers documents qui confirment qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Tassia de demeurer au Canada, dont les lettres d’appui du directeur de son école et de son enseignante de quatrième année, ainsi que ses bulletins provinciaux attestant de ses études au primaire.

[21]  Selon les demanderesses, l’agent ne s’est pas vraiment préoccupé des difficultés qui attendent Tassia, mais qu’il s’est borné à dire que son jeune âge lui faciliterait l’adaptation à la vie à Saint-Vincent. Alors qu’il est bien établi en droit que le processus de renvoi génère forcément des épreuves, il est aussi admis que si un enfant est en cause, il faut appliquer des critères différents pour déterminer si des circonstances qui ne justifieraient pas une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire dans le cas d’un adulte pourraient la justifier dans le cas d’un enfant (Kanthasamy, au paragraphe 41). Qui plus est, s’il est probable qu’un nourrisson ou un très jeune enfant encore inconscient de son entourage s’adapte facilement à un nouvel environnement, il serait difficile d’en dire autant d’une fille de 10 ans qui a seulement connu la vie au Canada. Dans ces circonstances, il incombait à l’agent de tenir compte du traumatisme que ferait subir à Tassia un événement aussi marquant. Il lui était demandé de déterminer quels scénarios serviraient au mieux l’intérêt de Tassia, mais rien n’indique qu’il a véritablement pris la peine de faire cet exercice.

[22]  Quant à Kristian, son statut de citoyen canadien le met à l’abri d’une mesure de renvoi, mais son intérêt supérieur serait mis en cause si jamais sa mère est renvoyée. Les avantages auxquels il aurait droit en n’étant pas citoyen de Saint-Vincent sont loin de se comparer à ceux dont il bénéficie au Canada, notamment en matière de santé, d’éducation, d’emploi et de bien‑être général. Son intérêt supérieur serait donc de demeurer au Canada avec sa famille.

[23]  Les demanderesses affirment qu’elles ont présenté des éléments de preuve confirmant les problèmes de santé pour lesquels Kristian reçoit des soins et l’intervention chirurgicale prévue en avril 2016, soit peu de temps après le dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Des lettres de professionnels de la santé et de travailleurs sociaux exposent en détail ses problèmes de santé et le traitement suggéré. Par conséquent, il serait dans l’intérêt supérieur de Kristian de demeurer au Canada avec sa famille afin de continuer à y recevoir les soins requis. L’agent a pris en compte les problèmes de santé allégués, mais il a observé qu’aucun élément de preuve ne confirme que Kristian a subi l’intervention chirurgicale en question, ni qu’il avait besoin ou recevait d’autres soins et traitements. L’agent a conclu en conséquence que l’intérêt de Kristian ne serait pas compromis par son renvoi à Saint-Vincent avec sa famille, où il pourrait recevoir les traitements nécessaires.

[24]  Les demanderesses conviennent qu’il leur incombait de fournir les éléments de preuve à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, elles font observer qu’elles ont déposé ladite demande au début d’avril 2016 et que l’agent a rendu la décision à peine 5 mois après, alors que le délai de traitement est approximativement de 36 mois en général. Comme la décision était hâtive et que l’agent n’avait pas en main l’information à jour sur l’état de santé de Kristian et les diverses formes de traitement subies, il aurait dû demander aux demanderesses de lui fournir des renseignements supplémentaires avant de trancher. L’omission de le faire est injuste et rend la décision déraisonnable.

Position du défendeur

[25]  Le défendeur rappelle qu’il n’existe pas de formule magique pour déterminer l’intérêt supérieur des enfants (Hawthorne, au paragraphe 7). Cette analyse doit impérativement tenir compte du contexte, et la Cour n’impose aucun critère précis aux agents (Kanthasamy, au paragraphe 35). Un critère plus précis « risquerait de sacrifier l’intérêt de l’enfant au profit de l’opportunisme et de la certitude » (Gordon c Goertz, [1996] 2 CSC 27, au paragraphe 20). Il était demandé à l’agent de se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Kanthasamy, aux paragraphes 38 et 143; Baker, au paragraphe 75). Ici, d’après les motifs de l’agent, il est clair que l’intérêt des enfants a occupé une place primordiale dans son analyse. La décision ne peut être considérée comme déraisonnable parce que les demanderesses auraient souhaité que l’agent accorde une pondération différente à l’intérêt des enfants. D’ailleurs, elles n’ont pas droit d’office à une décision positive par le seul fait que l’intérêt supérieur des enfants aurait pu favoriser cette issue (Hawthorne, au paragraphe 8; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, aux paragraphes 11 et 12 (Legault)). L’intérêt des enfants serait le plus souvent de demeurer au Canada avec leurs parents, mais il ne s’agit là que d’un facteur parmi tous ceux dont il faut tenir compte (Kisana, au paragraphe 24; Legault, aux paragraphes 11 et 12; Fathi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 805, aux paragraphes 47 et 48). L’agent a tenu compte de tous les autres facteurs pertinents outre l’intérêt des enfants et il a conclu, à raison, qu’une mesure spéciale n’était pas justifiée.

[26]  Il a pris en considération chacun des arguments avancés par les demanderesses au sujet des conséquences que son renvoi du Canada entraînerait pour Tassia. Il en a fait un examen approprié considérant les arguments soulevés et le contexte. Il convient ici de répéter que même si, dans la majorité des cas, l’intérêt supérieur d’un enfant serait de demeurer au Canada, ce fait incontestable n’appelle pas forcément une décision favorable. Comme il est observé dans l’arrêt Kanthasamy, « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) » (au paragraphe 23).

[27]  L’agent a également tenu compte des problèmes de santé de Kristian. On lui a diagnostiqué une hydrocèle (accumulation de liquide dans le testicule) pour laquelle il a subi une intervention chirurgicale en avril 2016. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demanderesses indiquait que Kristian aurait probablement besoin d’autres traitements. Cependant, c’était formulé comme une possibilité, et l’agent n’a rien vu dans la preuve qui permettait de penser que c’était une certitude. Rien n’indiquait non plus que le traitement de l’hydrocèle ne serait pas accessible à Saint-Vincent si jamais il devenait nécessaire. Si la demanderesse principale avait la preuve qu’un traitement ultérieur serait nécessaire et qu’il ne serait pas disponible à Saint-Vincent, elle aurait dû la fournir dès qu’elle l’a eue en main pour que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit à jour. La seule information dont disposait l’agent était l’hypothèse formulée par l’avocat comme quoi un traitement serait probablement nécessaire, ce que la preuve médicale ne corroborait pas. Il incombait aux demanderesses d’étayer toutes les allégations énoncées dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et c’est à leur détriment qu’elles n’ont pas rempli cette obligation. Pour cette raison, on ne peut reprocher à l’agent d’avoir commis une erreur en ne demandant pas de renseignements supplémentaires (Anaschenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1328 au paragraphe 8; Odafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1429, au paragraphe 7; Pannu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, au paragraphe 29; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8 (Owusu); D’Aguiar-Juman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 6, au paragraphe 23 (D’Aguiar-Juman); Kisana, aux paragraphes 43, 56 et 61).

[28]  Le défendeur, à l’instar de l’agent, soutient que l’objet de l’article 25 n’est pas de compenser l’écart entre les niveaux de vie de deux pays. Ainsi, même s’il est permis de penser que Kristian aurait accès à de meilleurs soins de santé et à une meilleure éducation au Canada, et que son bien-être général y serait peut-être meilleur, la perspective d’une vie plus agréable n’est pas un motif suffisant pour accueillir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1295, au paragraphe 18 (Sanchez); Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, aux paragraphes 41 à 44; Dreta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239).

[29]  Le défendeur estime que l’agent pouvait raisonnablement, pour les motifs qu’il a exposés dans sa décision, conclure que l’intérêt de Taji était de rester à Saint-Vincent et que sa famille l’y rejoigne. À cet égard, le défendeur trouve singulier que les demanderesses essaient de faire admettre que l’intérêt de Tassia serait de demeurer au Canada en raison de son âge et des difficultés qu’elle aurait à s’adapter à la vie dans un nouveau pays, alors qu’elles soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il vaudrait mieux pour Taji, qui est plus âgé que Tassia et qui a vécu toute sa vie à Saint-Vincent, de retrouver sa famille au Canada et de quitter la personne qui s’en occupe le plus et sa vie en général.

Discussion

[30]  Le paragraphe 25(1) de la Loi énonce que le ministre peut octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables de la Loi s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. La prise d’une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire est exceptionnelle et discrétionnaire (Legault, au paragraphe 15; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 15 (Semana)), et il incombe au demandeur d’établir qu’elle est justifiée (Kisana, au paragraphe 45; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 29; Semana, au paragraphe 16; D’Aguiar-Juman, au paragraphe 9).

[31]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada se prononce sur ce qui est demandé à l’agent chargé d’apprécier l’intérêt supérieur d’un enfant dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour cette raison, cette jurisprudence constitue le point de départ de toute discussion concernant le sens de cette expression. Dans son analyse générale de l’article 25, la Cour suprême reconnaît que l’obligation de quitter le Canada entraîne inévitablement son lot de difficultés, mais que cette réalité ne saurait justifier à elle seule une mesure spéciale au titre de considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au paragraphe 23). La prise d’une mesure spéciale dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy, au paragraphe 25). Quant à l’exigence du paragraphe 25(1) de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, la Cour suprême du Canada s’est prononcée comme suit :

[35]  L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [...] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, 1996 CanLII 191 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20). Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude.

[…]

[38]  Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :

... l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable...

... pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]

[39]  Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 (CanLII), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII).

[40]  Lorsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant « directement touché », cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse (A.C., par. 80-81). Les Lignes directrices ministérielles font état des facteurs pertinents pour les besoins de cette analyse :

En général, les facteurs liés au bien-être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération lorsqu’ils sont soulevés. [...]

[41]  Comment un enfant pourrait-il être plus « directement touché » que lorsqu’il est l’auteur de la demande? À mon avis, il s’ensuit non seulement que l’« intérêt supérieur » doit être considéré comme un élément important, mais aussi qu’il doit jouer dans l’appréciation des autres aspects de la situation de l’enfant. Et comme « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés », la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées » ne saurait généralement s’appliquer aux difficultés alléguées par un enfant à l’appui de sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Hawthorne, par. 9). Puisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant (voir Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149 (CanLII), [2011] 2 R.C.F. 448 (C.F.), par. 58; HCNUR, Principes directeurs sur la protection internationale no 8 : Les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1(A)2 et de l’article 1(F) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/09/08 (22 décembre 2009)).

[Italique dans l’original.]

[32]  Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants parce qu’il n’a pas effectué l’analyse en trois étapes exposée dans la décision Williams ou, à tout le moins, déterminé et comparé tous les scénarios susceptibles de favoriser cet intérêt. Je suis d’accord pour dire que tel est l’état actuel du droit. Dans la décision Semana, le juge Gascon se prononce sur l’application du principe de l’intérêt supérieur après l’arrêt Kanthasamy, et conclut notamment qu’il n’exige pas d’appliquer l’approche développée dans la décision Williams :

[23]  La SAI n’avait tout simplement aucune obligation de suivre l’approche développée dans Williams, et la décision de la SAI ne peut pas être déraisonnable parce qu’elle ne l’a pas fait. La décision Williams a souvent été rejetée comme test formel d’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, et elle a été jugée incompatible avec la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale (Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1295, au paragraphe 16; Onowu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 64 [Onowu], au paragraphe 44). Au mieux, l’affaire Williams peut apporter une orientation utile qui peut être suivie par les décideurs, mais la SAI n’était certainement pas obligée d’appliquer la méthode analytique précise élaborée dans ce précédent (Webb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060 [Webb], au paragraphe 13).

[24]  Le critère relatif à l’intérêt supérieur des enfants adopté par la SAI a été élaboré et énoncé par la Cour suprême dans plusieurs cas, culminant dans sa récente décision Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy SCC]. Ce critère exige que la SAI soit « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants. Lorsque l’intérêt des enfants est minimisé, « d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker], au paragraphe 75). En vertu de ce critère, « [l]’intérêt de l’enfant doit plutôt être ‘bien identifié et défini’ et ‘examiné avec beaucoup d’attention’ au vu de l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 39; Legault, aux paragraphes 12 et 31; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 [Hawthorne], au paragraphe 32). En outre, l’analyse doit prendre en compte le « degré de développement de l’enfant », puisqu’il faut « tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy, CSC, au paragraphe 35).

[25]  Cependant, aucune formule particulière ou critère rigide n’est indiqué ou requis pour une analyse de l’intérêt supérieur des enfants, ou pour démontrer que la SAI ou un agent d’immigration a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, tel que requis par Baker et les décisions qui en ont découlé (Onowu, aux paragraphes 44 à 46; Webb, au paragraphe 13). Il n’y a pas de « formule magique à laquelle [doivent] recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire » (Hawthorne, au paragraphe 7). En d’autres termes, la forme ne doit pas prévaloir sur le fond (Taylor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 21, au paragraphe 12; Webb, au paragraphe 11).

[26]  Je m’arrête pour souligner que, dans Kanthasamy, la Cour suprême a fait référence à certains passages de Williams, mais s’est abstenue d’adopter l’approche en trois étapes énoncée dans cette décision (Kanthasamy, CSC, aux paragraphes 39 et 59). La Cour suprême n’a même pas cité le paragraphe de Williams (c.-à-d., le paragraphe 63) établissant l’approche en trois étapes énoncée dans cette décision.

[27]  En définitive, le bon critère juridique est de savoir si la SAI a été « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la réalisation d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Baker, au paragraphe 75; Hawthorne, au paragraphe 10; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, au paragraphe 8). Afin de démontrer que la SAI est réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, il est bien entendu nécessaire que son analyse aborde les « conséquences personnelles et uniques » que le renvoi du Canada aurait pour les enfants touchés par la décision (Tisson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 944, au paragraphe 19; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 469, au paragraphe 16).

(Voir aussi Ngyuen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 25.)

[33]  Cette jurisprudence demandait à l’agent de se montrer réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, de lui accorder toute l’importance voulue et d’en faire une analyse rigoureuse au vu de l’ensemble de la preuve et de leur situation particulière. À mon avis, l’agent n’a pas fait d’erreur dans son analyse de l’intérêt de l’un ou l’autre des trois enfants touchés en l’espèce.

[34]  Je ne partage pas le point de vue de la demanderesse quand elle allègue que l’agent, en affirmant que son jeune âge et sa résilience lui permettront de s’adapter à la vie dans ce pays, a fait fi des difficultés qui attendent Tassia à son retour à Saint-Vincent. L’agent a reconnu que Tassia est arrivée au Canada lorsqu’elle avait seulement trois ans, qu’elle y a passé la majorité de sa vie et qu’elle est bien intégrée sur les plans scolaire et social. Il a aussi convenu que Tassia devra sans doute passer par une période d’adaptation si elle doit retourner à Saint-Vincent, son pays d’origine, mais que celle-ci sera sans doute facilitée par le fait qu’elle a seulement 10 ans. L’agent ajoute qu’elle pourra retrouver ses grands-parents et son frère, qui vivent à Saint‑Vincent.

[35]  Le dossier comprend des lettres du directeur de l’école de Tassia et de son enseignante de quatrième année. Ils y confirment que Tassia s’en tire bien sur les plans social et scolaire et qu’au cours de la dernière année, elle s’est montrée moins timide, plus extravertie, et qu’elle s’est beaucoup améliorée pour ce qui concerne le maintien de relations avec ses camarades de classe. Le directeur ajoute qu’il serait regrettable que ces progrès soient compromis si Tassia est renvoyée du Canada avec sa mère. L’agent ne fait pas explicitement référence à ces lettres, mais il est présumé en avoir tenu compte (Pusuma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 658, au paragraphe 56), et il ressort clairement de la décision que c’est ce qu’il a fait.

[36]  Même s’il le fait brièvement, il aborde tous les facteurs soulevés dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demanderesses, c’est-à-dire l’âge de Tassia, le fait qu’elle a passé la majorité de sa vie au Canada et son degré d’établissement au pays, ainsi que les perturbations inévitables associées à un retour à Saint-Vincent. Quant à l’allégation des demanderesses comme quoi il n’a pas considéré le « traumatisme » que ferait subir à Tassia un événement aussi marquant que son renvoi à Saint-Vincent, je souligne que le dossier ne renfermait aucun élément de preuve à ce sujet avant que l’agent suggère lui-même la possibilité d’un tel traumatisme. Il n’était donc pas tenu d’en tenir compte et, comme il a été souligné précédemment, il évoque bel et bien dans ses motifs qu’un renvoi risque de perturber la vie de Tassia et d’exiger une période d’adaptation.

[37]  L’agent a aussi examiné l’argument des demanderesses selon lequel Tassia n’aurait désormais plus accès à une éducation canadienne. Il ne nie pas qu’une éducation canadienne serait probablement préférable à celle offerte à Saint-Vincent, mais il ajoute qu’il ne dispose pas d’une preuve suffisante pour affirmer que les enfants ne pourraient pas y obtenir une éducation secondaire et postsecondaire. La demanderesse principale y a elle-même eu accès, et rien dans la preuve ne permet de croire qu’il a été difficile pour Taji de recevoir une telle éducation. Cela dit, des sources indépendantes indiquent que l’éducation secondaire est obligatoire et offerte à Saint-Vincent. Cette information est corroborée par l’examen de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays versée au dossier.

[38]  De plus, au paragraphe 18 de la décision Sanchez, la Cour a conclu que la perspective que des enfants aient une vie plus souhaitable au Canada ne suffit pas pour accueillir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, citant le passage suivant de la décision Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 :

[31]  Enfin, les demandeurs font valoir que la situation en Argentine est pitoyable et néfaste pour les enfants. Ils citent des statistiques tirées de la preuve documentaire que l’agente d’immigration a elle-même examinée pour démontrer que le Canada est un endroit plus agréable pour vivre en général. Mais le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Vasquez c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 91; Dreta c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1239); s’il en était autrement, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. De toute évidence, telle n’était pas l’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. [Non souligné dans l’original.]

[39]  L’agent a admis que la situation à Saint-Vincent peut être imparfaite et qu’il existe un écart entre les niveaux de vie de différents pays. Il a aussi reconnu que beaucoup de pays n’offrent pas un régime de soutien social, et notamment sur les plans financier et médical, aussi généreux que celui du Canada. Cependant, le législateur n’a pas adopté l’article 25 pour compenser l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui d’autres pays.

[40]  Pour ce qui est de l’accès aux soins de santé, j’aborderai cette question ci-dessous dans la partie sur l’analyse qu’a faite l’agent de l’intérêt supérieur de Kristian.

[41]  Devant moi, l’argument principal des demanderesses était que l’agent n’avait pas tenu compte de la discrimination et de la violence sexistes à Saint-Vincent et, par conséquent, des difficultés auxquelles y serait confrontée Tassia en tant que fille. Dans les observations présentées à l’agent, comme en l’espèce, les demanderesses font valoir que les filles et les femmes sont exposées à beaucoup plus de difficultés et de dangers du fait de leur sexe à Saint-Vincent qu’au Canada, et que la protection offerte par l’État aux victimes des préjugés, de la discrimination et de la violence fondés sur le sexe ne suffira pas pour mettre Tassia à l’abri des préjudices dans une telle société.

[42]  Il est vrai que l’agent n’aborde pas les sujets de la discrimination et de la violence fondées sur le sexe dans la section de ses motifs concernant l’intérêt supérieur de Tassia. Néanmoins, il traite cette question ailleurs. Sous la rubrique [traduction] « Discrimination et violence fondées sur le sexe », l’agent mentionne l’allégation de la demanderesse principale concernant la violence conjugale et sexiste que lui aurait fait subir son ex-partenaire à Saint‑Vincent. Il a toutefois conclu qu’aucun élément de preuve ne corroborait cette allégation, et qu’il était peu probable que cet ex-partenaire tente, huit années plus tard, de retrouver et d’importuner la demanderesse. De plus, des recours lui sont offerts si jamais son ex-partenaire la harcèle.

[43]  L’agent a toutefois convenu qu’il ressort de la preuve documentaire que la violence conjugale et sexiste continue de poser un problème grave et généralisé à Saint-Vincent, mais que la loi procure une protection aux victimes. Plus particulièrement, la division de la promotion de l’égalité des sexes du gouvernement offre 19 programmes d’aide aux femmes et aux enfants. Au vu de la preuve mise à sa disposition, l’agent a conclu que les femmes peuvent être victimes de discrimination fondée sur le sexe à Saint-Vincent, mais que la demanderesse principale aurait accès à divers services offerts par le gouvernement et divers organismes non gouvernementaux si jamais elle subit de la violence sexiste à l’avenir. En raison de l’existence de recours, l’agent a jugé que les facteurs invoqués eu égard au sexe de la demanderesse principale ne justifiaient pas à eux seuls une mesure spéciale.

[44]  Soit, l’agent aurait dû aborder explicitement les allégations relatives à la discrimination et à la violence sexistes dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, mais l’issue aurait été la même. La demanderesse principale a évoqué des craintes directes et personnelles au sujet de la violence sexiste, mais l’agent a conclu qu’elle aurait des recours si jamais elle était victime de discrimination fondée sur le sexe, y compris la violence conjugale et sexiste. Les demanderesses font aussi valoir le risque pour Tassia d’être victime de discrimination fondée sur le sexe. Ce risque est réel. Toutefois, les demanderesses n’ont versé aucune preuve au dossier pour étayer leur allégation comme quoi la discrimination sexiste se manifeste différemment pour les filles et les femmes, et cette question est traitée de manière très générale dans les observations présentées à l’agent. Quoi qu’il en soit, comme l’agent a conclu que des recours leur seraient offerts, je ne vois pas en quoi son défaut de faire une analyse distincte de cette question pour Tassia pourrait constituer une erreur susceptible de révision qui rend la décision déraisonnable dans son ensemble.

[45]  En ce qui concerne Kristian, je relève tout d’abord que, dans les observations présentées à l’agent, la demanderesse principale indique qu’il l’accompagnerait si elle est renvoyée à Saint‑Vincent. L’agent en a tenu compte dans sa décision. Les demanderesses ont aussi fait valoir que Kristian n’est pas citoyen de Saint-Vincent et que les avantages pour lui seraient loin d’égaler ceux que lui procure sa citoyenneté canadienne en matière de santé, d’éducation et de bien-être général. L’agent a conclu que Kristian pourrait obtenir la citoyenneté de Saint-Vincent par ses liens avec sa mère et qu’il aurait droit aux mêmes avantages que les autres citoyens du pays. Comme il a été exposé précédemment, même si les demanderesses estiment que l’agent a commis une erreur puisque sa décision priverait Kristian d’un niveau de vie supérieur et de ses droits à titre de citoyen canadien, cette erreur n’appellerait pas en elle-même la prise d’une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire.

[46]  Par ailleurs, l’agent n’a pas dit explicitement que l’intérêt supérieur de Kristian serait de demeurer au Canada avec sa mère. Cependant, il n’avait pas à exposer cette prémisse dans ses motifs puisque, selon l’arrêt Hawthorne de la Cour d’appel fédérale, il est implicite que l’intérêt supérieur d’un enfant est de demeurer au Canada avec l’un ou l’autre de ses parents :

[5]  L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse – qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs – qu’elle constatera en fin de compte, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises.

[6]  Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

[47]  Voici ce qu’a observé à ce propos la juge Kane dans la décision Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258 :

[64]  Qui plus est, l’agent est présumé savoir que le fait de vivre au Canada offrirait à l’enfant des possibilités qu’il n’aurait par ailleurs pas (Hawthorne, précité, au paragraphe 5) et que le fait de comparer une vie meilleure au Canada avec sa vie dans son pays d’origine ne permet pas de se prononcer de façon déterminante sur l’intérêt supérieur de l’enfant étant donné que cette façon de procéder favorise presque invariablement le Canada (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292, [2006] ACF no 1613, au paragraphe 28).

[48]  Il en découle que l’agent n’a commis aucune erreur à cet égard dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants.

[49]  La principale objection des demanderesses a trait à l’appréciation que l’agent a faite de la preuve médicale concernant Kristian. Dans leur argumentation écrite, elles soutiennent que l’agent [traduction] « a affirmé qu’aucun élément de preuve ne confirme que Kristian a subi l’intervention chirurgicale en question, ni qu’il avait besoin ou recevait d’autres soins et traitements. Par conséquent, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur de Kristian ne serait pas compromis s’il accompagnait sa famille à Saint-Vincent, où il est présumé qu’il recevrait les traitements nécessaires. »

[50]  À mon avis, cette interprétation dénature les motifs de l’agent. Il n’y dit pas qu’il n’existait aucune preuve que Kristian a subi l’intervention chirurgicale en question puisqu’il reconnaît dans ses motifs qu’il a été opéré pour une hydrocèle du testicule gauche en avril 2016. Plus exactement, l’agent mentionne dans ses motifs que [traduction] « la preuve documentaire, si on l’examine attentivement, révèle qu’une hydrocèle du testicule gauche a été diagnostiquée chez Kristian et qu’il a subi une opération chirurgicale en avril 2016 ».

[51]  Ses réserves tiennent à l’absence dans le dossier d’une preuve indiquant que l’intervention a échoué, que Kristian aurait besoin de nouveaux traitements pour cette affection ou une autre et que, le cas échéant, il n’aurait pas accès à un traitement similaire à Saint-Vincent. La preuve limitée que les demanderesses ont présentée relativement aux besoins actuels et constants de Kristian en matière de santé comprend des documents sur une intervention chirurgicale prévue en avril 2016 pour une hydrocèle du testicule gauche; les observations que formulent l’avocat et la demanderesse principale dans l’affidavit présenté à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire concernant les éventuels traitements dont Kristian aura besoin, ainsi que divers problèmes de santé non précisés pour lesquels il reçoit actuellement des traitements; une lettre du 18 mars 2016 dans laquelle une infirmière praticienne de première ligne parle des graves difficultés de Kristian à la garderie et de son comportement agressif envers les autres enfants, et des démarches de la demanderesse principale pour obtenir un rendez-vous avec un conseiller d’un organisme de santé mentale pour les enfants; un rapport du 8 février 2016 dans lequel la garderie du YMCA évoque l’attention à accorder aux problèmes d’agressivité de Kristian envers ses camarades, y compris pour l’amener à faire preuve d’empathie, à exprimer verbalement ses émotions et à renforcer ses aptitudes sociales. L’agent a examiné chacun de ces documents, mais il a estimé qu’ils ne permettaient pas d’établir que Kristian avait des problèmes de santé courants ou imminents, que les troubles de comportement décrits perduraient ou qu’il voyait à ce moment un spécialiste pour les régler.

[52]  De plus, aucune preuve objective n’indiquait que Kristian n’aurait pas accès à des services médicaux pour des problèmes de santé ou comportementaux courants à Saint-Vincent. Dans sa lettre, l’infirmière praticienne déclare que les services spécialisés dont Kristian a besoin ne seront pas offerts à Saint-Vincent, mais elle ne dit pas sur quoi elle se fonde pour faire cette affirmation. La demanderesse principale et son avocat font valoir en outre qu’il n’existe aucune garantie que Kristian aura accès au même niveau de soins à Saint-Vincent, mais ils ne fournissent aucune preuve objective à l’appui.

[53]  À l’inverse, au vu de la preuve limitée mise à sa disposition, l’agent s’est dit incapable de conclure que Taji n’avait pas eu accès à des services d’éducation ou de santé à Saint-Vincent. De plus, la preuve documentaire indique que des soins médicaux primaires et secondaires sont offerts à Saint-Vincent, surtout dans les régions urbaines. Or, la demanderesse est née à Kingstown, où résident sa mère et son fils aîné. Il n’y a guère de preuve non plus, voire aucune, que la demanderesse ou ses deux enfants aînés ont eu de la difficulté par le passé à obtenir des soins médicaux à Saint-Vincent, ou que le système de santé de ce pays ne répondrait pas adéquatement aux besoins futurs des enfants. L’agent a conclu par conséquent que les trois enfants de la demanderesse principale auraient accès à des services de santé à Saint-Vincent s’ils en ont besoin.

[54]  Compte tenu des circonstances, j’estime que l’agent n’a pas conclu à tort que rien dans la preuve ne donne à croire que Kristian ne pourra pas recevoir les soins de santé dont il aura éventuellement besoin ou que les trois enfants n’auront pas accès aux services de santé nécessaires. Les demanderesses devaient démontrer qu’une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée, et c’est à leur détriment qu’elles n’ont pas fourni suffisamment de renseignements pertinents pour étayer leur demande (Ordonez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 135, au paragraphe 9; Owusu, aux paragraphes 5 à 8; voir également Villanueva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 311, au paragraphe 19, et Rocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070, au paragraphe 17).

[55]  Les demanderesses soutiennent de plus que c’était la responsabilité de l’agent de leur demander des renseignements médicaux supplémentaires ou à jour, et que son omission était inéquitable et déraisonnable sur le plan procédural. Cet argument ne peut être retenu. La décision a été rendue près de cinq mois après l’audience, ce qui donnait amplement de temps aux demanderesses pour présenter des renseignements à jour ou supplémentaires sur les soins requis par Kristian pour ses problèmes de santé ou de comportement. Par surcroît, comme je l’ai déjà mentionné, il revenait aux demanderesses de fournir tous les renseignements pertinents au soutien de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les agents ne sont pas obligés d’effectuer d’autres enquêtes ou de demander des renseignements supplémentaires (Nzeza Nsongi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1291, aux paragraphes 9 et 10; Melchor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1327, au paragraphe 13; Guxholli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1267, au paragraphe 25; Kisana, au paragraphe 61).

[56]  Somme toute, j’estime que l’agent s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés. Il s’est beaucoup attardé à cette question dans sa décision et il a considéré l’intérêt de chacun des trois enfants, en tenant compte des allégations des demanderesses et des circonstances propres à chaque enfant. En outre, il a tenu compte de presque tous, sinon de tous les des éléments de preuve documentaire, et il a consulté la documentation sur les conditions dans le pays s’il n’avait aucun autre élément de preuve à sa disposition. Il ressort de ses motifs que l’intérêt supérieur des enfants a joué un rôle déterminant dans sa décision.

[57]  La principale objection des demanderesses concerne l’appréciation qu’a faite l’agent de l’intérêt supérieur de Tassia et de Kristian, mais ce facteur n’est pas le seul qui est entré en ligne de compte dans la décision de ne pas accorder une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire. Il a aussi considéré le degré d’établissement des demanderesses et les conditions défavorables dans leur pays, particulièrement la discrimination et la violence sexistes. Comme il est observé dans l’arrêt Legault :

[11]  La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

[12]  Bref, l’agent d’immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, précité, au paragraphe 75), mais une fois qu’il l’a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce. La présence d’enfants, contrairement à ce qu’a conclu le juge Nadon, n’appelle pas un certain résultat. Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d’appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

(Voir aussi Semana, au paragraphe 28, et Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, au paragraphe 58.)

[58]  Dans l’arrêt Kisana, la Cour d’appel fédérale se prononce comme suit au sujet des paragraphes 11 et 12 de l’arrêt Legault (précité) :

[24]  Ainsi, un demandeur ne peut s’attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire simplement parce que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur de ce résultat. La plupart du temps, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de résider avec ses parents au Canada, mais ce facteur n’est qu’un de ceux dont il y a lieu de tenir compte. Il n’appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l’agent chargé de se prononcer sur les raisons d’ordre humanitaire. En revanche, l’intérêt supérieur des enfants est un facteur que l’agent doit examiner « avec beaucoup d’attention » et qu’il doit soupeser avec les autres facteurs applicables. Le simple fait de dire qu’on a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas suffisant (Legault, précité, aux paragraphes 11 et 13).

[59]  Comme je l’ai constaté auparavant, l’agent n’a pas fait une analyse déraisonnable de l’intérêt supérieur des enfants en cause ici. Le rôle de la Cour ne consiste pas à réexaminer les facteurs pertinents d’ordre humanitaire. Dans l’ensemble, l’agent pouvait parvenir à la conclusion, après avoir évalué la situation des demanderesses et examiné tous les documents soumis, que les facteurs d’ordre humanitaire invoqués ne justifiaient pas la prise d’une mesure spéciale sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette conclusion était raisonnable compte tenu plus particulièrement de ses constats quant au degré d’établissement des demanderesses au Canada, à la protection de l’État offerte à Saint-Vincent et à l’intérêt supérieur des enfants.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4012-16

 

INTITULÉ :

NATASHA GARRAWAY, TASSIA GARRAWAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Fedder

 

Pour les demanderesses

 

Eleanor Elstub

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jonathan Fedder

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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