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Date : 20170303


Dossier : IMM-3023-16

Référence : 2017 CF 261

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LUCY WANJIKU NJOROGE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Lucy Wanjiku Njoroge, est une citoyenne du Kenya. Elle craignait d’être persécutée au motif de son orientation sexuelle au Kenya. À son arrivée au Canada, elle a sollicité et obtenu une protection. En mai 2016, Mme Njoroge a obtenu la résidence permanente. En demandant la résidence permanente, Mme Njoroge a indiqué Emily Karanja à titre de membre de la famille au motif que Mme Karanja est sa partenaire de même sexe.

[2]  Mme Karanja a été interrogée par un agent des visas (agent) au Haut­commissariat du Canada à Nairobi en juin 2016. L’agent a conclu que ses circonstances ne correspondaient pas à la définition de conjoint de fait au paragraphe 1(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 (RIPR), ni à la définition de partenaire conjugal.

[3]  Mme Njoroge demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Elle soutient que l’agent n’a pas appliqué la bonne définition de « conjoint de fait » en application du RIPR et que l’évaluation de sa relation de même sexe était déraisonnable.

[4]  Après avoir examiné les observations écrites et les plaidoiries des parties, je ne peux pas conclure qu’il y a des motifs sur lesquels intervenir dans la décision de l’agent. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.  Dispositions législatives applicables

[5]  Le paragraphe 176(1) du RIPR permet à un demandeur demandant la résidence permanente d’inclure les membres de la famille du demandeur. L’alinéa 1(3)a) du RIPR définit les membres de la famille comme incluant un époux ou un conjoint de fait.

[6]  Le paragraphe 1(1) du RIPR définit l’expression « conjoint de fait » comme suit :

1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

« conjoint de fait » Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. (common-law partner)

1 (1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations.

“common-law partner” means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. (conjoint de fait)

[7]  Le paragraphe 1(2) du RIPR prévoit une exception à l’exigence de cohabitation du conjoint de fait lorsqu’un couple a été en relation conjugale, mais qu’il n’a pas été en mesure de vivre ensemble en raison d’une persécution ou d’une forme quelconque de répression pénale :

(2) Pour l’application de la Loi et du présent règlement, est assimilée au conjoint de fait la personne qui entretient une relation conjugale depuis au moins un an avec une autre personne mais qui, en raison d’une persécution ou d’une forme quelconque de répression pénale, ne peut vivre avec elle.

(2) For the purposes of the Act and these Regulations, an individual who has been in a conjugal relationship with a person for at least one year but is unable to cohabit with the person, due to persecution or any form of penal control, shall be considered a common-law partner of the person.

[8]  L’article 2 du RIPR définit partenaire conjugal comme suit :

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. (conjugal partner)

conjugal partner means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

 

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  En concluant que Mme Karanja ne satisfaisait pas à la définition de conjoint de fait, l’agent a noté qu’elle n’avait jamais cohabité avec Mme Njoroge. L’agent a également indiqué que Mme Karanja a déclaré que la relation avait commencé en 2011 lorsqu’elle était mineure, âgée de 13 ans ou de 14 ans, et qu’elles n’avaient pas été en communication ou en contact pendant qu’elle était dans un pensionnat, à l’exception de quelques visites pendant les congés scolaires.

[10]  L’agent a noté plusieurs contradictions entre le récit de Mme Karanja pendant l’entrevue et sa demande. La décision indique que les incohérences lui ont été mentionnées pendant l’entrevue, mais que les réponses n’ont pas levé les doutes de l’agent.

[11]  En plus de conclure qu’il n’y a pas eu de période de cohabitation, l’agent a également conclu qu’il n’y avait pas de niveau suffisant d’interdépendance pour satisfaire à la définition de partenaire conjugal. Selon les éléments de preuve, l’agent avait qualifié la relation comme une relation de petite amie/petite amie.

[12]  L’agent a rejeté la demande au motif que Mme Karanja ne satisfaisait pas aux exigences établies aux paragraphes 176(1) et (3) du RIPR pour obtenir un visa de résident permanent à titre de membre de la famille de Mme Njoroge.

IV.  Norme de contrôle

[13]  Mme Njoroge soutient, se fondant sur une décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Patel, 2011 CAF 187, que : [traduction] 1) l’interprétation du RIPR par l’agent, y compris la définition de conjoint de fait, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte; et que 2) l’évaluation par l’agent de la relation de même sexe peut être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur, qui s’appuie sur Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59, et sur Dunsmuir c Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir), fait valoir que les questions soulevées sont des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui appelle la norme de la décision raisonnable.

[14]  Je suis d’accord avec le défendeur. L’examen par l’agent de la définition d’« union de fait » implique une application des faits à la définition prescrite. En revanche, même si j’ai tort et que la question soulevée est seulement une question d’interprétation, il faut également faire preuve de retenue dans l’interprétation de la loi habilitante du décideur par une cour de décision, à l’exception de circonstances bien définies. Aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce (Dunsmuir, aux paragraphes 54 et 55). Une norme de contrôle de la décision raisonnable sera appliquée.

V.  Analyse

A.  L’agent a­t­il commis une erreur en appliquant la définition de « conjoint de fait »?

[15]  Mme Njoroge soutient que l’agent a commis une erreur en concluant que Mme Karanja n’était pas sa conjointe de fait au motif qu’elles n’avaient pas cohabité pendant la période d’admissibilité d’un an établie au paragraphe 1(1) du RIPR. Elle affirme que l’agent n’a pas évalué si la cohabitation, en tant que couple du même sexe, a pu exposer le couple à une persécution. Elle ajoute que des facteurs tels que sa fuite du Kenya après la découverte de sa relation et la conclusion de la Section de la protection des réfugiés qu’elle avait été dans une relation de même sexe au Kenya auraient dû être pris en compte par l’agent. Elle soutient que la relation de cinq ans du couple aurait dû être évaluée selon le paragraphe 1(2) du RIPR et en reconnaissance de cette finalité, pour permettre aux personnes qui sont dans des relations engagées et mutuellement dépendantes d’être admissibles à titre de membres de la famille lorsque la cohabitation n’est pas possible en raison de persécution. Je n’en suis pas convaincu.

[16]  Mme Karanja et Mme Njoroge ont reconnu qu’elles n’ont pas cohabité pendant une période d’un an. À cet égard, l’agent a conclu que la définition de conjoint de fait au paragraphe 1(1) n’avait pas été respectée. L’agent a examiné si Mme Karanja et Mme Njoroge étaient des partenaires conjugales. Ce faisant, l’agent a noté que Mme Karanja était mineure et à l’école, et que, pendant qu’elle était à l’école, il y avait eu un contact minime; il a de plus noté que leurs affaires n’avaient pas été combinées. L’agent a également déclaré que [traduction] « […] il n’y a toujours pas beaucoup d’éléments de preuve de contact même depuis que [Mme Njoroge] a communiqué avec [Mme Karanja] du Canada en 2014 ». L’agent a également noté des contradictions dans l’explication de Mme Karanja pour le contact minime. Au regard de ces facteurs, l’agent a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Je ne suis pas non plus convaincu que vous répondez aux critères de partenaires conjugales puisque vous n’avez pas démontré un niveau suffisant d’interdépendance pour satisfaire aux critères. »

[17]  Le paragraphe 1(2) du RIPR interprète la définition de conjoint de fait au paragraphe 1(1). Le paragraphe 1(2) prévoit qu’est assimilée au conjoint de fait la personne qui : 1) entretient une relation conjugale; et 2) en raison d’une persécution ou d’une forme quelconque de répression pénale, ne peut vivre avec elle. En l’espèce, l’agent, ayant conclu que la première des deux exigences établies au paragraphe 1(2) n’avait pas été satisfaite, n’a pas eu besoin d’aborder la question de la persécution.

B.  L’évaluation de la relation de même sexe par l’agent était­elle déraisonnable?

[18]  Les parties conviennent que, lorsqu’un décideur évalue si les personnes sont dans une relation conjugale, il faut être guidé par la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans M. c H., [1999] 2 RCS 3 (M. c H.). Au paragraphe 59, la CSC déclarait ceci :

Molodowich c Penttinen (1980), 17 RFL. (2d) 376 (C. dist. Ont.), énonce les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale, soit le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du couple. Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l’union soit tenue pour conjugale. S’il est vrai que l’image sociétale des couples de même sexe ne fait pas nécessairement l’objet d’un consensus, l’on s’entend pour dire qu’ils ont en commun bon nombre des autres caractéristiques « conjugales ». Pour être visés par la définition, ni les couples de sexe différent ni les couples de même sexe n’ont besoin de se conformer parfaitement au modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur union est « conjugale ».

[19]  Mme Njoroge précise dans ses observations que les facteurs indiqués dans l’arrêt M. c H. ne doivent pas tous être présents. Elle ajoute que l’approche visant à établir l’existence d’une relation conjugale doit être flexible puisque les rapports de couples varient beaucoup (M. c H., au paragraphe 60). Elle soutient que cette approche signifie qu’il n’y a pas de seuil de preuve minimale à respecter pour établir une relation conjugale. Elle soutient qu’en l’espèce, l’agent n’a pas évalué la relation de même sexe d’une manière souple qui tenait compte de leur âge, des motifs de leur séparation et des préoccupations constantes de Mme Karanja concernant la découverte de son orientation sexuelle par sa famille. Je ne suis pas d’accord.

[20]  L’agent a tenu compte de l’âge de Mme Karanja au moment de la naissance de la relation, observant qu’à cette époque, Mme Karanja était au pensionnat et qu’aucune communication ou aucun contact n’ont été maintenus, mis à part pendant les congés scolaires. L’agent a également noté que les éléments de preuve de contact depuis 2014 étaient limités et qu’ils ne suffisaient pas pour démontrer une communication continue uniforme. L’agent a abordé le peu d’éléments de preuve à cet égard dans l’entrevue avec Mme Karanja et l’explication selon lesquelles les communications ont été supprimées par peur que les membres de la famille découvrent leur relation. L’agent a rejeté cette explication en signalant [traduction] « J’ai de la difficulté à croire ce que vous me dites puisque vous n’habitez plus chez vos parents […]. »

[21]  Le dossier révèle que l’agent a bien cherché des éléments de preuve et l’information lui permettant d’examiner les facteurs établis dans l’arrêt M. c H. L’agent n’a pas adopté une approche rigide concernant la question, il a plutôt soupesé les éléments de preuve et il en est arrivé à une conclusion. Ce faisant, l’agent a conclu que, bien qu’une relation existe, elle n’atteint toutefois pas le niveau de la relation conjugale. Il ne s’agissait pas d’une conclusion déraisonnable dans laquelle l’agent avait noté que Mme Karanja était une fille d’âge primaire et qu’elle était au pensionnat pendant que Mme Njoroge restait au Kenya.

[22]  Mme Njoroge soutient également que les conclusions de l’agent ne concordent pas avec celles de la Section de la protection des réfugiés, une autre indication que la décision est déraisonnable. Or, tel n’est pas le cas. Bien que la Section de la protection des réfugiés ait accepté le fait que Mme Njoroge entretenait une relation avec Mme Karanja, elle n’a pas conclu que la relation était conjugale ou même continue.

[23]   Mme Njoroge aurait pu soupeser les éléments preuve différemment, mais son désaccord avec les conclusions de l’agent ne rend pas la décision déraisonnable.

VI.  Conclusion

[24]  La décision était justifiée, transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[25]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­3748­16

 

INTITULÉ :

LUCY WANJIKU NJOROGE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jordan Battista LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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