Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20170301


Dossier : T-2039-15

Référence : 2017 CF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MORAY CHANNEL ENTERPRISES LTD.

demanderesse

et

MacDONALD B. GORDON,

LE NAVIRE « GORDON VESSEL »,

et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire et sa cargaison

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse présente une requête en procès sommaire en application de l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), et sollicite une ordonnance rendant jugement en sa faveur, contre le navire défendeur, et lui accordant des dommages-intérêts fixés au total à 17 025,10 $, ainsi que des dépens sur une base avocat-client s’élevant à 18 142,10 $, découlant du défaut de payer les frais dus au titre du contrat d’amarrage d’une maison flottante (le contrat d’amarrage) conclu avec MacDonald Gordon (le défendeur). En outre, la demanderesse demande réparation sous la forme d’un jugement sommaire rejetant la demande reconventionnelle du défendeur, en application de l’article 215 des Règles, ou, subsidiairement, une ordonnance ordonnant la radiation de la demande reconventionnelle du défendeur en application de l’article 221 des Règles.

[2]  Le défendeur individuel (le défendeur), qui n’est pas représenté, soutient que les demandes de la demanderesse reposent sur de fausses allégations, de fausses déclarations, de la fraude, une faute lourde et de la malveillance. Ces allégations, entre autres, constituent le fondement de sa demande reconventionnelle. Le défendeur semble aussi affirmer que la Cour n’a pas compétence, car cette affaire relève de la compétence provinciale et, plus précisément, devrait être traitée comme une affaire relevant de la loi régissant les rapports entre les propriétaires et les locataires de la Colombie-Britannique, à l’égard de laquelle il n’a pas réussi à obtenir réparation devant la Residential Tenancy Board (la RTB).

II.  Contexte

A.  Les parties

[3]  La demanderesse exploite la Marina Richmond (la marina) dont elle est propriétaire. Le 14 septembre 1998, la demanderesse a conclu un contrat d’amarrage avec le défendeur concernant sa maison flottante, qui est un navire immatriculé. Le contrat prévoit que la demanderesse fournira des services d’amarrage et des services connexes, principalement des services d’hydroélectricité, en contrepartie de frais mensuels. Le contrat prévoit également que le défendeur se conformera aux règles et règlements (les règles) de la marina, qui font l’objet de modifications de temps à autre.

[4]  Depuis 2009, le défendeur a, à maintes reprises, omis de payer les frais mensuels d’amarrage et autres frais en temps opportun. En conséquence, la demanderesse a imposé au défendeur des sanctions pécuniaires qualifiées de conformes aux règles. La demanderesse allègue également qu’en raison de sa conduite répréhensible après qu’il eut cessé de payer ses frais de service, le défendeur a contrevenu aux règles de la marina. La plus récente lettre de réclamation envoyée au défendeur est datée du 21 janvier 2015 (la lettre du 21 janvier 2015).

[5]  La demanderesse allègue qu’à aucun moment depuis la lettre du 21 janvier 2015 les arriérés n’ont été réglés intégralement et que, de plus, le défendeur n’a effectué aucun paiement depuis le 30 juin 2015. En réponse, le défendeur soutient que de fausses déclarations ont été faites concernant ces frais, en commençant par la lettre du 21 janvier 2015, qui était accompagnée d’une feuille de calcul décrivant de manière erronée l’historique des frais et des paiements.

[6]  En juillet 2015, la demanderesse a retenu les services d’un huissier afin de recouvrer les sommes dues par le défendeur. Ces efforts se sont soldés essentiellement par un échec. La demanderesse demande le remboursement des coûts engagés pour les honoraires du huissier, s’élevant à 3 998,01 $.

[7]  La demanderesse a déposé sa déclaration à la Cour fédérale le 3 décembre 2015. Le défendeur (ainsi que le navire « Gordon Vessel ») a déposé une défense et une demande reconventionnelle le 8 février 2016. Le 3 mars 2016, le juge Phelan a accordé à la demanderesse une injonction contre le défendeur, laquelle prévoyait la nomination d’un prévôt chargé de prendre possession du navire du défendeur. La Cour a également ordonné au défendeur d’enlever le navire, à défaut de quoi, elle accorderait au prévôt le pouvoir de vendre le navire et de verser le produit de la vente en Cour.

[8]  Le défendeur était responsable des frais aux termes du contrat d’amarrage, jusqu’à ce que le navire du défendeur ait été saisi et que le prévôt en ait pris possession le 9 mars 2016. Depuis le 9 mars 2016, le prévôt est devenu responsable des coûts d’amarrage. Ces coûts ne sont pas en litige en l’espèce.

[9]  Le défendeur ayant présenté des observations selon lesquelles il enlèverait le navire conformément à l’ordonnance de la Cour, la demanderesse a entrepris des travaux à cette fin au coût de 2 298 $. Le défendeur a omis d’enlever le navire, qui a été vendu par la suite sur place. La demanderesse demande également le remboursement de ces coûts.

[10]  Le prévôt a conclu une convention d’achat-vente, en date du 11 août 2016, pour un prix de 165 000 $, assortie d’une clause d’inspection. L’inspection a révélé des vices qui ont en fait annulé la vente prévue. Le prévôt a conclu une nouvelle convention d’achat-vente avec le même acheteur datée du 23 août 2016, pour un prix d’achat de 145 000 $. La vente a été conclue le 1er septembre 2016; une somme de 132 172,26 $ a été versée en cour après déduction des frais de clôture.

[11]  Il est prévu que les montants qui sont dus à la demanderesse lui seront payés à partir des sommes versées en cour conformément aux règles de priorité habituelles.

III.  Questions en litige

[12]  La demanderesse soumet trois questions à trancher :

  1. Devrait-on rendre un jugement en faveur de la demanderesse pour un total de 17 025,10 $, qui comprend une somme de 10 729,08 $ au titre des arriérés d’amarrage, une somme de 3 998,01 $ au titre des frais pour l’application de la loi, et une somme de 2 298,01 $ pour les frais de préparation et d’enlèvement du navire du défendeur, conformément à l’ordonnance du 3 mars 2016?

  2. La demande reconventionnelle du défendeur devrait-elle être rejetée sur jugement sommaire ou, subsidiairement, la déclaration de demande reconventionnelle du défendeur devrait-elle être radiée en totalité ou en partie?

  3. Si la demanderesse réussit à obtenir un jugement contre le défendeur, la demanderesse devrait-elle avoir droit à des dépens sur une base avocat-client ou, subsidiairement, à des dépens majorés?

[13]  Le défendeur soulève la question de la compétence de la Cour pour entendre la présente affaire.

IV.  Observations des parties

A.  Compétence

[14]  Dans ses observations écrites, le défendeur semble soulever, à titre de question en matière de compétence constitutionnelle, l’idée que la Cour n’a pas compétence en l’espèce, puisque son caractère véritable concerne les droits de propriété, notamment les droits des propriétaires et des locataires relevant de la compétence de la province de la Colombie-Britannique. Le défendeur a tenté en vain d’obtenir réparation auprès de la RTB, et demande le contrôle judiciaire de sa plus récente décision.

[15]  Cette question n’est pas exposée dans la défense et dans la demande reconventionnelle. Par conséquent, la demanderesse n’a pas abordé la question. Il ne semble pas que la constitutionnalité des présentes procédures ait été soulevée devant le juge Phelan. Son injonction n’a pas fait l’objet d’un appel, et aucune requête n’a été présentée afin de modifier la demande reconventionnelle et de plaider la question. Les présentes procédures visent en partie à faire exécuter l’ordonnance de la Cour, afin de permettre à la demanderesse de procéder à la vente du navire. La Cour estime que la compétence de la Cour n’est pas une question appropriée en l’espèce et rejette les arguments du défendeur, qui cherche en fait à obtenir une suspension de la présente instance en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire devant les tribunaux de la Colombie-Britannique.

B.  Jugement à l’égard de la dette et des frais connexes

[16]  La demanderesse fait valoir que le défendeur a contrevenu au contrat mensuel valide concernant les frais d’amarrage, lequel inclut les services d’hydroélectricité connexes. Malgré que le défendeur ait continué d’amarrer son navire à la marina et à utiliser les services connexes jusqu’au moment où l’huissier a pris possession du navire en juillet 2015, il a omis de s’acquitter de ces frais, qui s’élèvent à une somme totale de 10 729,08 $.

[17]  Le défendeur soutient que la demanderesse a manifestement et intentionnellement fait une fausse déclaration concernant ces frais et, par sa conduite, a précipité l’intervention inutile de l’huissier en juillet 2015 et, ultimement, l’injonction et la vente de son navire.

[18]  À la défense de la conduite du défendeur, la Cour estime que le gérant de la marina de la demanderesse, Ian Vance (le gérant), qui était responsable de la tenue des livres comptables et de la gestion des comptes, a fait au défendeur de fausses déclarations concernant les frais et les paiements. Cependant, la Cour conclut, en fonction de l’analyse qui suit, que ces fausses déclarations ne justifient pas le refus du défendeur de payer les frais d’amarrage en cours et les frais connexes à partir de mai 2015, ce qui a ultimement précipité la nécessité de retenir les services de l’huissier et d’entreprendre le processus de vente.

[19]  L’analyse de la Cour est principalement fondée sur les documents de la demanderesse. Plus précisément, la Cour s’appuie sur une comparaison entre la feuille de calcul compilée par la demanderesse et indiquant l’ensemble des frais et des paiements, avec un solde courant, du 31 décembre 2011 au 7 mars 2016 (la feuille de calcul de 2016), et les autres feuilles de calcul remises au défendeur de temps à autre à compter de janvier 2015. Certains des montants relevés dans les feuilles de calcul antérieures présentent des différences importantes.

1)  La lettre de réclamation de la demanderesse datée du 21 janvier 2015

[20]  Au moyen de la lettre du 21 janvier 2015, le gérant a menacé de retenir les services d’un huissier et de résilier le contrat si une somme de 4 137,69 $ n’était pas versée au plus tard le 1er février 2015. La lettre était accompagnée d’une feuille de calcul contenant les frais et les paiements pour la période allant du 31 décembre 2011 au 1er février 2015.

[21]  Le défendeur soutient que c’était la première fois qu’il recevait l’information montrant une liste complète des frais et des paiements pour une période donnée. La Cour souligne que, dans son affidavit, le gérant de la demanderesse a déclaré qu’il [traduction] « préparait et fournissait généralement une facture au défendeur chaque mois ». Cependant, aucune facture n’a été déposée en preuve par la demanderesse, hormis deux factures ultérieures datées du 1er mai 2015 pour les frais d’amarrage et d’hydroélectricité. À la lumière de la lettre de réclamation excessive de janvier, la Cour estime que la demanderesse n’a pas établi qu’elle s’en remettait à une procédure de facturation mensuelle régulière pour les frais engagés au moyen de factures, puisque cette pratique semble n’avoir débuté qu’en mai 2015.

[22]  La feuille de calcul de janvier 2015 indiquait que le solde impayé du défendeur pour les frais d’amarrage et d’hydroélectricité en date du 1er janvier 2015 s’élevait à 3 372,69 $, avec un déficit prévu de 4 139,69 $ si les frais d’amarrage de février n’étaient pas acquittés. En comparaison, la feuille de calcul de 2016 de la demanderesse montrait un solde à payer de 1 737,90 $ en date du 1er janvier 2015 (le défendeur étant en retard en ce qui a trait au paiement de janvier), ce qui signifie que le gérant a réclamé en trop une somme de 1 634,79 $.

[23]  Il semble qu’une somme de 1 292 $ ait été déduite de ce trop-perçu apparaissant sur la feuille de calcul de janvier 2015 de la demanderesse pour des frais de 15 $ par jour pour plusieurs paiements en retard remontant à mai 2014. Les règles prévoyaient des frais pour un paiement en retard de 15 $ le premier jour et de 10 $ par jour par la suite. Les lettres de réclamation du 11 mars 2009 et du 10 novembre 2011 indiquent que des frais de 10 $ par jour ont été appliqués. Il n’est pas indiqué si les frais indiqués dans la lettre de 2009 ont été annulés, mais ils l’ont été (700 $) dans le relevé de 2011. Ces lettres montrent que le défendeur a de longs antécédents en matière de paiement en retard des frais. La lettre de 2009 relate également un incident où des plaintes ont été logées concernant l’accumulation d’excréments de chien sur le toit du bateau du défendeur, indiquant un défaut de respecter les règles de base de la collectivité. J’estime d’après cette lettre et d’autres éléments de preuve au dossier que le défendeur était loin d’être un locataire modèle et qu’il a été traité équitablement par la demanderesse compte tenu de ses manquements.

[24]   D’autre part, les documents de la demanderesse incluent un avis aux clients, les informant d’une augmentation de 15 $ par jour à compter du 1er février 2015. La lettre de réclamation du 21 janvier 2015 incluait des frais de retard de 15 $ par jour, remontant à mai 2014. La demanderesse a maintenant réduit ces frais au montant entré en vigueur en mai 2015, date à laquelle des factures ont été fournies, indiquant que de tels frais seraient prélevés. La Cour conclut que les frais de retard apparaissant dans la feuille de calcul de janvier 2015 étaient trop élevés, mais de 5 $ par jour seulement.

[25]  Le défendeur a répondu à la lettre de réclamation en effectuant un paiement de 1 530 $, portant le solde de son compte à 207,90 $ le 27 janvier selon la feuille de calcul de 2016. Cependant, en raison des frais de paiement en retard et du paiement subséquent du 1er février 2016 qui n’a pas été effectué, le solde du défendeur sur la feuille de calcul de 2016 s’élevait à 1 182,58 $. Cela représente tout de même une différence importante par rapport aux 4 137,69 $ demandés par le gérant à compter de cette date.

2)  La lettre de réclamation de la demanderesse datée du 8 avril 2015

[26]  Le gérant a produit une autre lettre de réclamation le 8 avril 2015, à laquelle était annexée une nouvelle feuille de calcul qui indiquait que les arriérés du défendeur s’élevaient à 4 049,16 $ en date du 1er avril 2015. Cette somme comprenait les frais de paiements en retard antérieurs et supplémentaires de 15 $ par jour totalisant dans l’ensemble 2 071,75 $. La lettre de réclamation indiquait que si les arriérés n’étaient pas payés au plus tard le 13 avril 2015, le service d’hydroélectricité du défendeur serait débranché et il serait expulsé en date du 7 mai 2015. Une fois de plus, comparativement à la feuille de calcul d’avril 2015, celle de 2016 indiquait que les arriérés en date du 1er avril s’élevaient à 2 121,44 $. De cette somme, plus de 1 000 $ étaient imputables à des frais de retard, facturés une fois de plus à 15 $ par jour.

[27]  Le défendeur a rencontré le gérant le 9 avril 2015. Il a expliqué qu’il ne payait que les frais d’amarrage, car il n’avait aucune idée à combien s’élevaient les frais d’hydroélectricité. Il s’est plaint au gérant qu’il ne recevait pas de facture mensuelle, comme c’était le cas auparavant, et qu’il paierait les frais d’hydroélectricité dès qu’on lui fournirait un état de compte détaillé. Même s’il reconnaissait que les paiements d’hydroélectricité étaient en retard, il a insisté pour dire qu’il était injuste de lui facturer des frais de retard alors qu’on ne l’avait pas informé des sommes dues. Il a également soulevé le caractère inéquitable des frais de retard imposés avant février 2015, compte tenu de l’avis délivré que ces frais allaient être imposés à compter de cette date. Le gérant a reconnu qu’il était [traduction] « très agressif » et que le défendeur pouvait [traduction] « oublier les dollars et les cents », puisque l’objectif était d’obtenir une réponse du défendeur concernant la question des arriérés.

[28]  Le défendeur a affirmé que, plus tard le même jour, le gérant lui a remis une nouvelle feuille de calcul indiquant que le total des arriérés s’élevait à 1 470 $ en date du 8 avril 2015. La feuille de calcul ne contenait pas de frais de retard.

3)  La feuille de calcul de la demanderesse datée du 17 avril 2015

[29]  Le défendeur a de nouveau rencontré le gérant le 17 avril 2015 pour lui demander pour quelle raison un paiement de 1 184,34 $ en août 2013 n’avait pas été comptabilisé dans les feuilles de calcul précédentes, ce qui s’est révélé être une erreur. La demanderesse affirme que le gérant a reconnu le paiement et son erreur pour avoir omis de créditer le compte. Le gérant a produit une nouvelle facture mise à jour, qui comprenait un solde d’arriérés de 924,44 $ qui tenait compte du paiement des frais d’amarrage du 1er avril. Je calcule que ce chiffre devrait être rajusté à la baisse dans la feuille de calcul finale de 2016 et ramené à 876,44 $ (j’annule les frais pour provision insuffisante non corroborés et les frais de retard que la demanderesse ne percevait pas : 2 121,44 $ moins 105 $ pour provision insuffisante, moins 155 $, moins 45 $, moins 80 $, moins 125 $, moins 75 $, moins 195 $, moins 465 $).

[30]  Le défendeur a aussi demandé au gérant pour quelle raison on ne lui avait crédité que 545,66 $ de la somme de 1 184,34 $ qui n’avait pas été créditée, alors qu’aucune explication n’a été fournie pour la partie restante du paiement s’élevant à 638,88 $. Il n’a jamais été convaincu par l’explication fournie, pour laquelle il n’y a aucune preuve, à l’exception du fait qu’elle a mené à un échange animé entre le défendeur et le gérant. D’après la feuille de calcul de 2016, j’estime que la demanderesse a correctement tenu compte du montant crédité.

[31]  Le défendeur a également soulevé une autre question : un des deux paiements de 710 $ en juin 2012 n’a pas été crédité à son compte, comme l’indique la feuille de calcul de janvier 2015. D’après les relevés bancaires du défendeur, la Cour conclut que les deux chèques ont été encaissés en juillet. Ils comprenaient le paiement de juin. Sur la feuille de calcul, on a indiqué un paiement de 1 420 $ pour ce mois. La Cour estime que le défendeur aurait dû reconnaître que ce montant comprenait le paiement de juin et, en toute honnêteté, éprouve peu de sympathie à son égard pour avoir soulevé cette question.

[32]  Qui plus est, en raison des gribouillis sur son premier chèque, on ne peut garantir que le premier chèque a été remis en juin comme le prétend le défendeur. La feuille de calcul de 2016 de la demanderesse indique qu’aucun paiement n’a été versé en juin 2012, ce qui, d’après la Cour, est exact. Cela expliquerait les frais pour provision insuffisante sur la feuille de calcul de janvier 2015, qui, selon la Cour, constituent une erreur, car rien n’indique qu’un chèque du défendeur n’a pas été honoré à l’époque. Dans le relevé de 2016, on a remplacé les frais pour provision insuffisante par des frais de retard de 100 $, mais on indiquait que le paiement en retard avait été fait en novembre 2011, sans autre explication. Les frais de retard de novembre 2011 ne sont pas corroborés, car la feuille de calcul de 2016 remonte uniquement jusqu’en 2012.

[33]  En résumé, en ce qui concerne les montants en litige pour juin 2012 et août 2013, la Cour est convaincue que le défendeur a bien été crédité de ces deux montants. Cependant, la Cour est d’accord avec le défendeur que les frais pour provision insuffisante pour le mois de juin indiqués dans la feuille de calcul de janvier 2015 ne sont pas corroborés. La Cour n’accepte pas la suggestion que les frais de 100 $ indiqués sur la feuille de calcul de 2016 étaient des frais de retard pour novembre 2011, appliqués rétrospectivement et, par coïncidence, en juillet 2012. Compte tenu du litige entre les parties concernant ce montant en 2015, la Cour se serait attendue à ce que ces frais de retard soient corroborés. De plus, il n’y avait aucune explication sur le nombre de jours de retard comptabilisés et le montant quotidien appliqué, explication pourtant présente pour tous les autres frais de retard.

4)  Les factures de la demanderesse datées du 1er mai 2015

[34]  Le 1er mai 2015, la demanderesse a produit deux factures officielles, à acquitter le 5 mai 2015. La première concernait des frais d’amarrage de 1 055 $, composés des frais mensuels de 765 $ plus le solde reporté de 290 $, qui comprenait des frais pour provision insuffisante et des frais de retard à un taux réduit. Ces montants ne sont pas en litige. La deuxième facture concernait des frais d’hydroélectricité et s’élevait à 1 247,67 $. Cette somme comprenait les frais mensuels de 67,57 $ et le solde reporté de 1 180,10 $. Les deux factures combinées totalisaient 2 302,67 $.

[35]  Malheureusement, il n’y avait aucune feuille de calcul accompagnant ces factures, qui aurait expliqué comment on en était arrivé à ces montants. Les factures indiquaient qu’aucuns frais de retard n’étaient imputés, mais qu’ils le seraient sur les factures à compter du 5 mai 2015 si le montant n’était pas acquitté. On indiquait que les frais d’amarrage étaient en général à jour, à l’exception du solde reporté de 290 $ mentionné ci-dessus.

[36]  Le principal problème à ce moment était donc centré autour des frais d’hydroélectricité en souffrance qui s’élevaient censément à 1 180,10 $. Il est difficile d’effectuer un rapprochement entre ces frais d’hydroélectricité et la feuille de calcul de 2016, qui indique que, en date du 25 janvier 2015, le total du solde impayé pour les frais d’amarrage et les frais d’hydroélectricité s’élevait à 339 $, avec des frais d’hydroélectricité accumulés d’environ 300 $ entre cette date et le 1er mai 2015.

[37]  Selon le solde de 876,44 $ indiqué sur la feuille de calcul du 17 avril 2015, en plus des frais d’amarrage et d’hydroélectricité de 842 $ pour le mois de mai, ces montants semblent être environ 530 $ plus élevés que ce que le défendeur avait anticipé. De plus, d’après la feuille de calcul de 2016, et en omettant tous les frais de retard, les factures du 1er mai 2015 ne semblent dépasser que de 594,66 $ le total auquel aurait dû s’attendre le défendeur, soit 1 708,01 $.

5)  Événements postérieurs à mai 2015

[38]  Le défendeur n’a pas payé les factures de mai, de juin et de juillet 2015. Dans son affidavit, il n’a fourni aucune explication quant à la raison de son refus de payer. Pendant l’audience, il a indiqué que cela était imputable à sa frustration de ne pas être en mesure d’obtenir une explication concernant les frais d’hydroélectricité.

[39]  Comme il avait omis de payer les factures de mai 2015, la demanderesse a rétabli les frais de retard dans une facture distincte pour juin, pour la somme totale de 2 504,25 $. Ces frais avant le 15 février 2015, date d’entrée en vigueur de l’avis d’augmentation, avaient été réduits à 5 $.

[40]  Le 24 juin 2015, le défendeur a déposé une demande de règlement de différends devant la RTB, qui a finalement été rejetée.

[41]  D’autres lettres de réclamation ont été envoyées et, le 29 juin 2015, le gérant a fait couper le service d’hydroélectricité. Le jour suivant, le défendeur a payé sous toute réserve la somme de 931,40 $ au titre des frais d’hydroélectricité en souffrance, plus des frais de connexion supplémentaires de 150 $ pour rétablir le service d’électricité.

[42]  Des discussions de règlement ont par la suite suivi, sans succès, les totaux continuant à s’accumuler et le défendeur continuant de refuser d’effectuer quelque paiement que ce soit.

6)  Discussion

[43]  La Cour est convaincue que, en dehors des frais pour provision insuffisante de 100 $ imposés en novembre 2011, la feuille de calcul de 2016 de la demanderesse illustre avec exactitude les frais d’amarrage, d’hydroélectricité et les taxes connexes pour 2012 et les années suivantes. Cependant, j’estime que la demanderesse a été négligente dans ses procédures de facturation, ce qui a entraîné une grande confusion chez le défendeur. Les frais de retard ont été appliqués de manière erratique, et pouvaient même être appliqués à un taux dépassant cinq dollars par jour. De plus, les frais quotidiens de 15 $, lorsqu’ils ont été imposés pour la première fois, semblaient comporter un certain élément de contrainte dans leur application, avant l’annonce de leur application en février 2015. Cependant, ils avaient pour but d’amener le défendeur à négocier, en raison de ses nombreux chèques sans provision et paiements en retard, lesquels sont détaillés dans le relevé de 2016; il ne fait aucun doute que le défendeur était régulièrement délinquant concernant le versement de ses paiements et que, conformément aux règles, il aurait pu être traité plus sévèrement.

[44]  En bout de ligne, j’estime que le défendeur doit accepter sa responsabilité concernant le fait qu’il a continué à ne pas payer les frais d’amarrage et d’hydroélectricité mensuels qui s’accumulaient après le 1er mai 2015, alors que son compte affichait des arriérés d’environ 1 700 $. Il a continué de résider dans la maison flottante et semble avoir cessé d’effectuer ses paiements en s’appuyant sur l’hypothèse erronée qu’on ne lui avait pas crédité le montant intégral du paiement manquant, ou le paiement de 710 $ au titre des frais d’amarrage, alors que ce n’était pas le cas. La demanderesse avait fait un effort raisonnable afin de régler l’essentiel des questions en litige en mai 2015, y compris en renonçant aux frais de retard importants auxquels elle avait droit à l’époque, incluant les montants plus élevés après le 1er février 2015. Ces frais semblent avoir constitué les principaux obstacles à l’époque.

[45]  En outre, d’après les conversations enregistrées par le défendeur pendant la réunion du 17 avril 2015, il était manifeste que tout au long de la réunion, le gérant a tenté d’amener le défendeur à s’engager à payer une certaine somme, une fois la lumière faite concernant les frais d’hydroélectricité, engagement que le défendeur a soigneusement évité. Il a admis avoir éprouvé des difficultés financières qui ont contribué à son incapacité, parfois, à payer pour les services.

[46]  Même si j’éprouve une certaine sympathie à l’égard de sa position concernant la confusion relative aux frais d’hydroélectricité, ces frais n’ont jamais été mal indiqués sur l’une ou l’autre des feuilles de calcul. En fait, sauf pour le paiement non crédité de 1 184 $ en 2013 et les frais pour provision insuffisante appliqués rétroactivement en 2011, ces relevés étaient exacts en ce qui a trait aux frais de base. Le défendeur a également admis à l’audience que des sommes étaient en souffrance dans son compte d’hydroélectricité, mais a affirmé qu’il ne recevait aucune facture pour ces frais et c’est pourquoi il ne les payait pas. Pendant la presque totalité de la période indiquée dans les relevés, il était toujours en retard dans ses paiements. Les plaintes du défendeur ne constituaient pas des motifs suffisants pour refuser de payer les frais d’amarrage de base et les frais d’hydroélectricité de manière continue après le 1er mai 2015, pendant qu’on s’efforçait de régler les problèmes. Il était manifeste que les frais de retard constituaient un outil de négociation visant à régulariser ses paiements pour l’utilisation des services de la marina.

[47]  Les frais de retard sont toutefois rejetés. La Cour est d’avis que leur fonction principale pendant toute cette période était d’encourager le défendeur à payer ses frais mensuels. Malgré l’indulgence dont a fait preuve la demanderesse en n’imposant pas de frais de retard et malgré le mauvais dossier de versements du défendeur, le fait d’avoir omis de fournir des factures claires et concises ainsi que des relevés à l’appui a contribué à l’aggravation de la situation, privant la demanderesse de son droit de réclamer ces frais. L’élimination des frais de retard antérieurs totalisant 1 935 $, en plus des frais rejetés de 100 $ pour provision insuffisante pour le mois de novembre 2011, ramène la créance de la demanderesse à un total de 8 694,08 $.

[48]  Comme j’estime que la créance est fondée pour l’essentiel, je juge qu’il n’y a aucun motif pour rejeter les honoraires de l’huissier de 3 998,01 $. De même, comme la demanderesse a dû engager des frais inutiles pour préparer les quais en prévision du retrait de la maison flottante du défendeur, qui avait affirmé qu’il enlèverait le bateau lui-même, la demanderesse a droit à des dépens à cette fin de 2 298 $, étant donné que le navire a été vendu sur place.

[49]  Par conséquent, la demanderesse a droit à des dommages-intérêts s’élevant à 14 990,09 $, plus les intérêts aux taux applicables en matière d’amirauté en vigueur à la date du dépôt de la déclaration.

C.  Rejet de la demande reconventionnelle

[50]  La demande reconventionnelle telle que plaidée ne montre aucune véritable question litigieuse à instruire et devrait être radiée. La demande reconventionnelle contient de nombreuses causes d’action qui, manifestement, outrepassent la compétence de notre Cour définie par l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, y compris : la remise de faux comptes; l’affichage d’avis de saisi en l’absence d’une action en justice engagée à juste titre ou d’une ordonnance de la cour; la diffamation et les fausses déclarations; la diffusion de demandes fausses et malveillantes; le fait d’avoir entravé la vente éventuelle du navire du défendeur; le vol et le vandalisme; une violation de la loi relativement aux frais d’hydroélectricité; et le harcèlement. Le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve probant à l’appui de la plupart de ces allégations, en dehors des questions liées aux erreurs dans les feuilles de calcul. J’estime que ces questions ne s’approchent pas du seuil pour soulever une cause d’action de la nature alléguée. En ce qui concerne l’inconduite alléguée de la demanderesse qui est sans fondement, la preuve concernant la propre inconduite du défendeur, qui s’est branché aux sources d’énergie des autres propriétaires de bateaux et a eu des différends avec le gérant et d’autres membres du personnel de la marina, différends expliqués en détail dans les affidavits, justifie l’injonction et le jugement de notre Cour en faveur de la preuve de la demanderesse.

[51]  Les principaux éléments de preuve du défendeur se limitaient essentiellement à des questions de déclarations inexactes dans la facturation des frais, lesquelles ont été examinées plus tôt et rejetées à titre de facteur justifiant le non-paiement des frais d’amarrage et des frais connexes. La Cour s’est toutefois appuyée sur les éléments de preuve pour rejeter la demande de dépens de la demanderesse.

D.  Dépens

[52]  La demanderesse fait valoir que des dépens majorés en application du paragraphe 400(3) des Règles et des dépens sur la base avocat-client en application de l’alinéa 400(6)c) des Règles sont justifiés. La demanderesse n’a présenté aucun mémoire de frais pour appuyer sa réclamation de frais juridiques s’élevant à 18 142,10 $. L’essentiel de ses allégations appuyant une ordonnance de dépens majorés ne sont pas pertinentes à l’importante question de l’évaluation de la créance, y compris les dépens liés à la contestation des demandes devant la RTB.

[53]  Comme je l’ai indiqué, j’estime que la demanderesse a fait preuve de négligence dans ses pratiques de comptabilisation et de facturation. Je rejette l’idée que les allégations d’inconduite justifient l’adjudication de dépens majorés. Même si le défendeur n’a peut-être pas agi de façon appropriée, sa conduite n’est pas grave, et représente au mieux des délits mineurs. Les mauvaises pratiques de facturation et de comptabilisation des paiements de la défenderesse justifient en quelque sorte le fait que le défendeur n’ait pas réglé ses comptes. Compte tenu des montants engagés en l’espèce, ainsi que l’historique du dossier, j’adjuge à la demanderesse des dépens de 3 000 $, incluant les débours et les taxes à l’égard de la demande et de la demande reconventionnelle.

V.  Conclusion

[54]  La demanderesse a droit à des dommages-intérêts s’élevant au total à 14 990,09 $, plus les intérêts aux taux applicables en matière d’amirauté en vigueur à la date du dépôt de la déclaration. La demande reconventionnelle du défendeur est rejetée. La demanderesse a droit à des dépens de 3 000 $.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demanderesse a droit à des dommages-intérêts s’élevant à 14 990,09 $ plus les intérêts aux taux de l’amirauté applicables en vigueur à la date du dépôt de la déclaration.

  2. La demande reconventionnelle du défendeur est rejetée.

  3. Des dépens de 3 000 $ sont adjugés à la demanderesse.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2039-15

 

INTITULÉ :

MORAY CHANNEL ENTERPRISES LTD. c MACDONALD B. GORDON, LE NAVIRE « GORDON VESSEL », ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS LE NAVIRE ET SA CARGAISON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Matthew Melnyk

Darren Williams

POUR LA DEMANDERESSE

 

MacDonald B. Gordon

Pour le défendeur (pour son propre compte)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

League and Williams Law Corporation

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

 

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