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Date : 20170223


Dossier : IMM-2881-16

Référence : 2017 CF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SONIA IRENOSEN ISESELE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Isesele, est une jeune femme du Nigéria qui a demandé l’asile au Canada. Sa demande d’asile a été refusée parce que ses documents d’identité contenaient une contradiction concernant son année de naissance. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire du refus de sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, puisque l’examen et les conclusions de l’agente de l’immigration concernant les motifs d’ordre humanitaire portant sur l’orientation sexuelle étaient déraisonnables.

I.  Résumé des faits

[3]  Mme Isesele affirme être née le 8 août 1998 dans l’État d’Edo, au Nigéria. Après le décès de sa mère en 2012, son père l’a vendue en mariage à un homme plus âgé qui avait deux autres femmes et plusieurs enfants. Pendant les deux années de son mariage, elle allègue avoir été victime d’agressions verbales et physiques et de viol.

[4]  En 2014, avec l’aide d’un passeur de clandestins, Mme Isesele a quitté le Nigéria à destination du Canada. Elle a remis son certificat de naissance et deux photos au passeur, qui les a utilisés pour obtenir un passeport et d’autres documents.

[5]  À son arrivée au Canada, Mme Isesele a demandé l’asile. Sa demande a été refusée parce qu’elle avait en main deux certificats de naissance portant des années de naissance différentes. La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’elle n’avait pas réussi à établir son identité. La Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[6]  Mme Isesele a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en invoquant son établissement au Canada et l’intérêt supérieur de l’enfant, et elle a également affirmé être à risque au Nigéria, puisqu’elle a commencé à s’identifier comme bisexuelle pendant son séjour au Canada.

II.  Décision sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[7]  Concernant son âge, l’agente note que même si Mme Isesele n’a pas été en mesure de présenter des éléments de preuve convaincants voulant qu’elle soit âgée de moins de dix-huit (18) ans, elle a décidé d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant, puisque la demanderesse est considérée comme une mineure dans la province de l’Ontario. Cependant, l’agente mentionne qu’étant donné l’incertitude quant à l’âge de Mme Isesele, elle n’a pas accordé beaucoup de poids à la question de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’évaluation globale de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Isesele.

[8]  Compte tenu principalement des lacunes dans les éléments de preuve liés à l’identité de Mme Isesele, l’agente a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que celle-ci subirait des conséquences négatives si elle quittait le Canada.

[9]   Concernant l’orientation sexuelle de Mme Isesele, l’agente a retenu qu’elle était une femme bisexuelle. Cependant, l’agente a conclu que Mme Isesele ne serait pas victime de discrimination équivalant à des contraintes au Nigéria, parce que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir qu’elle retournerait dans une région du Nigéria où la charia était imposée. L’agente note qu’au Nigéria la bisexualité est davantage permise que les relations sexuelles entre hommes et qu’il y a peu de signalements de viols correctifs, de mariages forcés et de violence psychologique à l’égard des femmes bisexuelles. Enfin, l’agente a mentionné que Mme Isesele pourrait être discrète concernant son orientation sexuelle.

III.  Question en litige

[10]  La question suivante est déterminante pour l’issue de l’espèce :

  1. L’agente a-t-elle commis une erreur dans son examen de la question de l’orientation sexuelle?

IV.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable à l’examen d’une décision rendue à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).

  I.  L’agente a-t-elle commis une erreur dans son examen de la question de l’orientation sexuelle?

[12]  L’agente retient que Mme Isesele est bisexuelle et elle note que la loi du Nigéria interdit les mariages et les activités sexuelles entre personnes du même sexe. L’agente a aussi retenu que la [traduction] « société condamne » l’homosexualité au Nigéria.

[13]  La décision de l’agente contient les commentaires suivants :

[traduction] « […] peu d’éléments de preuve démontrent que la demanderesse adopte un comportement en public qui amènerait les gens à la considérer comme une femme bisexuelle. Elle n’affirme pas vivre sa bisexualité ouvertement, elle en a seulement parlé à quelques personnes en qui elle a confiance [...] Par conséquent, je conclus que, à son retour au Nigéria, la demanderesse ne sera pas victime de discrimination entraînant des contraintes excessives, puisqu’elle choisit d’être extrêmement discrète concernant son orientation sexuelle ».

[14]  Ces observations indiquent clairement que l’agente laisse entendre que tant que Mme Isesele demeure discrète concernant sa bisexualité, elle peut éviter la discrimination. Cependant, notre Cour a déjà conclu que le fait d’obliger une femme à dissimuler sa relation avec une autre femme afin d’éviter des châtiments pourrait constituer un manquement grave aux droits fondamentaux de la personne et cela équivaudrait, par conséquent, à de la persécution (Sadeghi‑Pari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, au paragraphe 29).

[15]  De plus, il était déraisonnable pour l’agente de présumer que Mme Isesele ne subirait pas de discrimination ou de contraintes tant qu’elle ferait preuve de discrétion et qu’elle éviterait d’adopter en public un comportement ou une conduite qui pourraient indiquer qu’elle fait partie de la communauté LGBTQ. L’agente était tenue d’examiner ce qui arriverait à Mme Isesele au Nigéria si l’on s’apercevait de son orientation sexuelle, et non s’il était probable ou pas qu’elle soit découverte (voir la décision Sheikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 264, aux paragraphes 10 et 14).

[16]  En outre, dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’un demandeur est seulement tenu de démontrer qu’il est membre d’un groupe qui fait l’objet de discrimination et qu’il n’est pas tenu de présenter des éléments de preuve directs selon lesquels il serait personnellement victime de discrimination s’il faisant l’objet d’un renvoi (voir les paragraphes 53 et 56).

[17]  L’agente n’a pas appliqué correctement le critère servant à déterminer le caractère adéquat de la protection de l’État. Par conséquent, la conclusion de l’agente ne peut être considérée comme justifiée, transparente ou intelligible (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[18]   Pour les motifs qui précèdent, la conclusion de l’agente sur la question de l’orientation sexuelle est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent aux fins de réexamen, en conformité avec les règles de droit en vigueur.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent aux fins de réexamen.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2881-16

INTITULÉ :

SONIA IRENOSEN ISESELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2017

COMPARUTIONS :

Swathi Visalakshi Sekhar

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Swathi Visalakshi Sekhar

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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