Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170315


Dossier : IMM-5164-16

Référence : 2017 CF 281

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 15 mars 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JEFFREY BRIGHT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  M. Jeffrey Bright sollicite l’invention de la Cour afin d’empêcher son renvoi du Canada prévu le 17 mars 2017. Il doit retourner au Ghana.

[2]  Le fondement de la requête en ordonnance provisoire est loin d’être clair. L’affidavit de l’agente d’exécution confirme que, lorsqu’elle a rencontré le demandeur le 2 mars, [traduction] « le demandeur ne m’a pas demandé de reporter son renvoi pour attendre l’issue de sa demande de contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile ».

[3]  Comme l’a fait remarquer mon collègue, le juge Alan Diner, il y a plus ou moins un an, dans l’arrêt Anokwuru-Nkemka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 337, « la demande de contrôle judiciaire sous-jacente déposée le 16 mars 2016 qui conteste « l’ordonnance de renvoi » et « l’avis de renvoi » (il est fait référence aux deux dans ladite demande) mentionnés dans la demande comporte une lacune. La Cour a statué que ce type de décisions ne peut pas être soumis à un contrôle (voir l’arrêt Bergman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1129, aux paragraphes 16 et 18, qui présentent un résumé complet du critère juridique applicable à cette question de procédure) ». (au paragraphe 4)

[4]  En l’espèce, il semble que le sursis soit sollicité alors qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés, conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) rejetant la demande faite par M. Bright, a été déposée. Au mieux, nous avons au dossier un avis ordonnant au demandeur de se présenter le 3 mars avec un billet qu’il aura acheté pour son départ prévu le 17 mars 2017. Je ne peux faire mieux que de reproduire le paragraphe 18 de l’arrêt Bergman :

[18]  La Cour a confirmé qu’une convocation n’est rien de plus qu’une communication informationnelle dont le seul but est d’expliquer où et quand la mesure de renvoi prise contre la demanderesse sera exécutée. Le fait de remettre un avis de convocation ne constitue pas en soi une « décision » ou une ordonnance entrant dans le champ d’application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7 et elle ne peut pas faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Il a été établi par la Cour que lorsqu’une demande sous-jacente de contrôle judiciaire conteste un avis de convocation, le sursis peut être annulé sur ce motif préliminaire. Puisqu’une convocation aux fins de renvoi ne constitue pas une décision susceptible de contrôle judiciaire, il n’existe aucune demande sous-jacente valide à l’appui de la requête en sursis (Daniel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 392, 156 ACWS (3d) 1144, au paragraphe 12; (Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 394, 138 ACWS. (3d), 343, au paragraphe 2; Jarada c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 14, 150 ACWS (3D)d) 887).

J’estime qu’il est important d’établir le cadre juridique de nos procédures. En l’espèce, l’avocat du demandeur a candidement admis vouloir présenter la demande de sursis directement à notre Cour étant donné qu’un sursis administratif semble être moins probable. Comme nous le verrons, je suis moins que convaincu que la norme juridique à respecter devant notre Cour est moins rigide que celui régissant l’instance administrative en question.

[5]  Néanmoins, j’ai choisi d’examiner le contenu de la requête.

[6]  Il est constant que, pour réussir, un demandeur doit satisfaire au critère tripartite établi par les arrêts RJR-Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988) 86 NR 302 : Le demandeur doit convaincre le juge des requêtes :

  1. qu’il a soulevé une question sérieuse à trancher dans les instances principales;

  2. qu’il subirait un préjudice irréparable si la requête n’était pas accueillie;

  3. la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.

[7]  Après avoir soigneusement examiné le dossier et entendu les observations de l’avocat, je n’ai aucun doute que la demande de sursis ne satisfait pas au volet du critère concernant une « question sérieuse », quand il suffit que la question ne soit pas frivole ou vexatoire, ou qu’elle n’est pas futile (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 RCF 682).

[8]  L’avocate du demandeur a en l’espèce choisi de ne pas présenter à la Cour la décision de la Section de la protection des réfugiés qui fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’examen de cette décision est essentiel étant donné qu’elle est le point de départ de l’examen de la question sérieuse à trancher. La question sérieuse à trancher n’est pas de savoir si le demandeur devrait ou non être renvoyé dans son pays d’origine compte tenu des observations de l’avocate, mais plutôt de savoir si la décision sous-jacente qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire soulève une question telle que le renvoi devrait être suspendu en attendant que l’affaire soit examinée par la Cour. Non seulement l’avocate a-t-elle décidé de ne pas reproduire les observations à l’appui de la demande d’autorisation relative à la décision de la Section de la protection des réfugiés, mais elle a omis de reproduire la décision défavorable. Cela est étrange. Au lieu de reproduire la décision, le demandeur a choisi de présenter 109 pages de la preuve qui a été présentée à la Section de la protection des réfugiés, comme s’il y avait moyen de recommencer à zéro dans le cadre d’une demande de sursis. Or, tel n’est pas le cas.

[9]  L’avocate du défendeur s’est plainte avec véhémence de cette pratique et a proposé que la demande soit rejetée pour ce motif. En effet, la jurisprudence appuie cet argument. Cela est, à mon avis, une pratique inacceptable. Un demandeur qui souhaite avoir accès à la Cour doit fournir le matériel nécessaire pour trancher la question présentée à la Cour. Je ne vois pas comment un examen de la question sérieuse à trancher peut s’effectuer si la décision n’est pas mise à disposition et examinée. En l’espèce, le demandeur présente une requête d’injonction sans fournir l’élément le plus essentiel des observations. Toutefois, le rejet de la requête uniquement pour ce motif aurait pour effet de nier à un demandeur ce qui pourrait être sa dernière occasion d’obtenir un sursis avant d’être renvoyé dans son pays d’origine. Dans les circonstances de l’espèce, il est préférable de traiter la question sur le fond. En fait, la Couronne (le défendeur) a fourni une copie de la décision accompagnée d’une analyse exhaustive, ce dont je lui suis reconnaissant. J’aimerais ajouter que l’avocate qui a comparu devant la Cour, mais qui n’a pas présenté le dossier de la requête, s’est acquitté de sa tâche bravement malgré la difficulté de l’affaire.

[10]  Le demandeur devait aborder un grand nombre de contradictions et d’apparentes fausses déclarations dans la décision de la Section de la protection des réfugiés. C’est là la décision qui est contestée par le demandeur et au sujet de laquelle il doit faire valoir une erreur telle que la décision devrait être annulée. Par conséquent, la question sérieuse en l’espèce consiste à expliquer comment une décision qui s’appuie sur des faits est déraisonnable. La décision de la Section de la protection des réfugiés ne peut être écartée. Elle devait être abordée, et abordée de front. Cela n’a pas été fait dans le mémoire des faits et du droit ni à l’audience devant la Cour. En fait, la décision a été abordée comme si elle ne comptait pas vraiment.

[11]  Cela est surprenant parce que la Section de la protection des réfugiés a tiré de solides conclusions pour rendre la décision que la demande n’avait aucun fondement crédible (paragraphe 107(2)), ce qui empêche la possibilité d’en appeler à la Section d’appel des réfugiés (alinéa 110(2)c) de la LIPR). De plus, la Section de la protection des réfugiés a soigneusement analysé les diverses contradictions et omissions, tirant la conclusion que non seulement il n’est pas possible de savoir qui est le vrai M. Bright (paragraphe 90 de la décision de la Section de la protection des réfugiés), mais également que, « il n’a pas établi qu’il était homosexuel, qu’il avait eu un conjoint homosexuel, qu’il était pasteur ou qu’il a vécu au Ghana en 2015 lorsque les événements allégués qui l’ont poussé à fuir son pays ont eu lieu » (paragraphe 20 de la décision de la Section de la protection des réfugiés).

[12]  Au lieu d’aborder les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur s’est contenté de déclarer que les omissions et les contradictions étaient [traduction] « insignifiantes », et qu’elles ont été utilisées pour écarter les principaux éléments de preuve. Les principaux éléments de preuve auxquels il fait allusion demeurent largement inconnus. En toute déférence, les omissions et les contradictions sont tout sauf insignifiantes. Elles méritent d’être remises en question, au moins suffisamment pour établir la probabilité du succès d’un contrôle judiciaire, précisément pour démontrer qu’il y a une question sérieuse à trancher. Il n’y a même pas eu une tentative, seulement des généralités. Non seulement la décision a été exclue des documents qui auraient dû être inclus dans le dossier de requête, mais elle a été en grande partie ignorée dans les observations.

[13]  La décision de la Section de la protection des réfugiés est inattaquable dans le présent dossier. La difficulté rencontrée par le demandeur est que même l’identité du demandeur n’a pas été confirmée. Page après page, la Section de la protection des réfugiés a examiné plus de 126 paragraphes de la preuve que lui a présentée le demandeur, et a tiré la conclusion que l’identité du demandeur n’avait pas été établie. Les déclarations et l’information contradictoires n’étaient pas seulement en périphérie de l’affaire, mais étaient plutôt au cœur de l’affaire. Les observations présentées à l’appui de la présente n’apportent rien pour réfuter de façon valable le grand nombre de contradictions et les diverses versions des événements présentées par le demandeur.

[14]  L’avocate du défendeur a fait un travail remarquable en exposant les diverses contradictions dans son mémoire des faits et du droit. Les arguments présentés étaient convaincants. Cela n’a jamais été abordé par le demandeur qui ne s’est pas acquitté de son fardeau. À mon avis, il y avait amplement d’éléments de preuve indiquant que le demandeur a fait diverses déclarations inconciliables et qui ont rendu son identité impossible à établir. En effet, le demandeur n’a pas répondu au plus essentiel des éléments de la demande d’asile : qui êtes-vous? Il n’est alors pas surprenant que la Section de la protection des réfugiés ait tiré une conclusion conforme au paragraphe 107(2) de la LIPR qui se lit comme suit :

107(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

107 (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[15]  Je rejette donc la requête en sursis étant donné qu’il n’y a pas de question sérieuse à examiner. Il importe de répéter que le demandeur doit convaincre la Cour qu’il y a une question sérieuse à trancher découlant des procédures sous-jacentes. Il n’y a rien de la sorte dans le cas présent. Il n’est pas nécessaire d’examiner les deux autres volets du critère tripartite.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis de l’ordonnance de renvoi du demandeur prévu le 17 mars 2017 soit rejetée.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5164-16

INTITULÉ :

JEFFREY BRIGHT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 mars 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2017

COMPARUTIONS :

Anne Castagner

Pour le demandeur

Émilie Tremblay

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.