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Date : 20170315


Dossier : IMM-1011-17

Référence : 2017 CF 280

Montréal (Québec), le 15 mars 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

BOUBACAR DIALLO

demandeur

et

MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Monsieur Boubacar Diallo se présente devant cette Cour afin d’obtenir que son départ du Canada pour son pays d’origine, la Guinée, soit l’objet d’un sursis. Une demande de sursis est une mesure exceptionnelle qui doit être justifiée. Elle est d’ailleurs bien encadrée en droit. En l’espèce, la demande faite pour obtenir le statut de réfugié ou de personne à protéger a été rejetée en février 2015. La demande d’autorisation pour entamer un contrôle judiciaire a de même été rejetée. Aussi, M. Diallo a ensuite fait une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR], demande qui elle aussi a été rejetée, cette fois le 16 février dernier. Le départ du Canada est prévu pour le 16 mars et la demande faite en l’espèce vise à surseoir à ce départ qui, selon le dossier devant la Cour, se voulait originellement sur une base volontaire. Dit autrement, ce demandeur n’aurait pas demandé un sursis administratif duquel une demande d’autorisation de contrôle judiciaire aurait pu être demandée. Quoi qu’il en soit, j’ai examiné la demande pour conclure qu’elle ne peut réussir.

[2]               En matière de sursis, le test utilisé est toujours le même. Le demandeur doit satisfaire la Cour de chacun des trois éléments du test tripartite :

  1. Y a-t-il une question sérieuse à être déterminée dans le dossier sous-jacent?
  2. Le demandeur subira-t-il un préjudice irréparable s’il devait être retourné à son pays d’origine avant que son recours ne soit traité?
  3. La balance des inconvénients favorise-t-elle le demandeur?

(Voir RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF))

[3]               En notre espèce, le recours sous-jacent en fonction duquel il faut examiner la question sérieuse est la décision relative à l’examen des risques avant renvoi. Il s’agit d’une première contrainte. La question sérieuse s’enlie au dossier devant l’agent ERAR parce que le contrôle judiciaire est aussi limité au dossier devant le décideur. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi] prévoit à son article 113 les circonstances dans lesquelles une telle demande peut réussir. Il suffit de reproduire ici le paragraphe 113 a). Il se lit de la façon suivante :

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[4]               Ainsi, la demande ERAR n’est pas une occasion de réévaluer ce qui aura été décidé par la Section de la protection des réfugiés. Il s’agit d’une autre contrainte. Seule la preuve non disponible devant la Section de la protection des réfugiés peut être considérée par l’agent ERAR. Ici, cette demande faite aux termes des articles 96 et 97 de la Loi s’est soldée par un rejet parce que, fondamentalement, le demandeur n’a pas pu satisfaire qu’il avait la qualité de réfugié ou de personne à protéger. À la lecture de la courte décision, on constate que le demandeur n’a pas été cru. Essentiellement, le demandeur se plaignait d’une persécution par un capitaine de l’armée de son pays d’origine à cause d’une transaction immobilière qui aurait eu lieu entre le demandeur et le père du capitaine. Malgré cette transaction, le capitaine d’armée aurait expulsé des lieux maintenant occupés par le demandeur et sa famille pour s’approprier les lieux après le décès de son père. Cependant, le demandeur aurait changé sa version à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés pour faire une allégation générale selon laquelle ce capitaine d’armée aurait répandu l’accusation « aux gens du gouvernent que je faisais partie du coup d’état. » (décision de la SPR, au para 11). Il disait ne plus avoir de crainte au sujet du terrain exproprié manu militari.

[5]               Cette version mise de l’avant à l’audience du 4 février 2015 devant la Section de la protection des réfugiés n’a pas été crue et la preuve à cet égard était minimale et, de fait, contredisait la version du demandeur. En effet, le formulaire de demande d’asile au Canada qui a été rempli par le demandeur déclarait qu’il n’est pas recherché par les autorités de la Guinée. Dit autrement, le demandeur a soulevé la question d’accusation à une participation à un coup d’État, mais sans jamais la soutenir par une preuve quelconque et en contradiction avec sa propre déclaration pour l’obtention du statut de réfugié.

[6]               Alors même que sa demande ERAR était pendante, ce demandeur n’avait soumis aucune preuve supplémentaire et différente quant aux risques qu’il pourrait encourir en Guinée. C’est ainsi qu’une première décision a été rédigée le 14 janvier dernier, mais, de toute évidence, elle n’avait pas été communiquée au demandeur puisque de nouveaux éléments ont été soumis le 8 février, si bien que l’agent ERAR a choisi de faire un examen de cette « nouvelle » preuve.

[7]               Il convient de noter que la décision ERAR préparée alors que  le demandeur n’avait soumis aucune nouvelle preuve était vouée à l’échec. C’est la conclusion à laquelle l’agent ERAR est très rapidement arrivé. Malgré cela, la décision examine les conditions en Guinée. Sans prétendre à la perfection, il est conclu que le groupe ethnique auquel le demandeur appartient n’est pas systématiquement visé par le gouvernement en place qui serait au pouvoir suite à des élections libres et démocratiques, aux yeux d’observateurs internationaux. Sans banaliser des problèmes sérieux qui persistent, l’agent ERAR concluait que des changements aux conditions du pays n’avaient pas eu lieu depuis la décision de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y avait rien de nouveau depuis la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[8]               Cette « preuve » a donc été reçue par les autorités le, ou vers le 8 février, mais elle consistait en des écrits dactylographiés qui étaient datés de novembre et décembre 2016. Ces nouveaux éléments n’ont reçu que bien peu de poids. Pour réussir dans son entreprise, le demandeur devrait donc établir sur la base de la balance des probabilités que ces nouveaux éléments font en sorte qu’un risque a été établi sur la foi de ces nouveaux éléments.

[9]               L’agent ERAR a examiné les différents écrits présentés in extremis. Il y est fait alors un examen pour chacun. Il a été convenu à l’audience que le résumé de chaque écrit à la décision ERAR est bien conforme. Là où il y a désaccord, c’est au sujet de la conclusion tirée par l’agent ERAR. Les écrits n’ont reçu que peu de poids, alors que le demandeur aurait évidemment préféré qu’ils en reçoivent davantage. Pour qu’il y ait une question sérieuse à débattre en contrôle judiciaire de la décision ERAR, le demandeur devait établir une vraisemblance que le contrôle judiciaire soit accueillie (« likelihood of success »).

[10]           Comme il a été établi dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148; [2001] 3 RCF 682 [Wang], lorsqu’un demandeur recherche le même remède que celui qui est demandé dans la demande de contrôle judiciaire, il ne suffit pas de satisfaire la Cour que la question soulevée n’est ni frivole ni vexatoire, mais il faut plutôt établir la vraisemblance de succès. C’est ce qui a fait dire au juge Pelletier, alors de notre Cour, que :

[10] …C’est le fait qu'on sollicite la même réparation dans la demande interlocutoire et dans la demande finale qui me porte à conclure que, comme on sollicite la même réparation, on devrait l'obtenir sur une même base. Par conséquent, je suis d'avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l'agent chargé du renvoi d'en différer l'exécution, le juge saisi de l'affaire doit aller plus loin que l'application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

À mon avis, cette démonstration n’a pas été faite et les chances de succès à son égard sont minces. Elles pourraient même être nulles. Dans un premier temps, il est difficile de comprendre dans notre cas pourquoi la preuve supplémentaire relative à une allégation qui avait été faite n’a pas été présentée devant la Section de la protection des réfugiés. Le contenu des écrits apporte bien peu de nouveau. Dans un deuxième temps, les écrits sont vagues et imprécis. De plus, lorsque ce sont des personnes éloignées du demandeur, on ne sait même pas d’où peuvent provenir les éléments avancés. Ces nouveaux éléments qui proviennent de l’ex-épouse du demandeur, de son fils aîné, d’un oncle, d’une personne vouée aux droits de la personne, et de l’avocat du demandeur en Guinée pêchent toute par leur généralité qui fait en sorte qu’on ne peut leur accorder un poids considérable.

[11]           Le demandeur est donc convié à établir la vraisemblance qu’il pourrait convaincre que la décision n’est pas raisonnable, c’est-à-dire qu’elle n’est pas l’une des issues possibles raisonnables et qu’elle ne rencontre pas les critères de justification, intelligibilité et transparence. Cette démonstration est malheureusement pour le demandeur loin d’avoir été faite. À mon avis, la décision de l’agent ERAR n’a pas été attaquée avec succès. De fait, on voit mal comment une autre décision aurait pu être rendue. Il ne suffit pas d’être en désaccord avec la conclusion. Il faut démontrer qu’elle n’est pas raisonnable.

[12]           Il en ressort que la « nouvelle » preuve ne rencontre pas, dans une large mesure, à sa face même, les conditions d’admission du paragraphe 113 a) de la Loi et, même si elles étaient acceptées, comme l’agent ERAR était disposé à le faire, elles n’ont pas le poids requis pour conclure à une question sérieuse pouvant faire l’objet d’un sursis.

[13]           On ne dépasse jamais l’assertion d’une simple possibilité ou la présentation de généralités qui n’avancent pas la cause.

[14]           J’ajoute qu’il ne faut pas oublier que l’agent ERAR a procédé malgré tout à un examen de la preuve documentaire objective sur les conditions en Guinée. Cette preuve tend à démontrer encore davantage que les craintes de risque ne sont pas avérées, ce qui rend encore plus faibles les nouvelles assertions générales faites au profit du demandeur. À mon avis, le préjudice irréparable n’a pas non plus été établi.

[15]           J’ajoute un commentaire. Le demandeur m’a semblé opérer sur la base d’une fausse prémisse. Une question ne devient pas sérieuse parce que les conséquences seraient considérées comme non souhaitées par un justiciable. La question sérieuse doit en être une relative au contrôle judiciaire sous-jacent. La Loi requiert que les trois branches du test tripartite soient satisfaites. De plus, la demande de sursis n’est pas l’occasion de chercher à argumenter que la Section de la protection des réfugiés a erré ou que l’agent ERAR a erré parce qu’il n’a pas révisé la décision de la Section de la protection des réfugiés. En matière d’ERAR, le pouvoir conféré est limité (pas autant cependant que celui de l’agent d’exécution de la loi) et il exclut la révision de la décision de la SPR. C’est pourquoi le point de départ est la décision ERAR sous-jacente et que le juge qui doit décider sur le sursis, une mesure exceptionnelle, ne doit pas s’investir du pouvoir de considérer autre chose que ce qui est valablement devant la Cour. On ne recommence pas l’examen complet du risque allégué; on ne peut qu’examiner la décision ERAR pour voir, en notre espèce, s’il y a vraisemblance de succès que la raisonnabilité de la décision, en fonction de la preuve admissible présentée, fait défaut. Cette démonstration n’a pas été faite.

[16]           Il en résulte que la demande de sursis est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de sursis est rejetée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1011-17

INTITULÉ :

BOUBACAR DIALLO c MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 mars 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 15 mars 2017

COMPARUTIONS :

Myriam Roy-L’Écuyer

Pour le demandeur

Jocelyne Murphy

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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