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Date : 20170302


Dossier : IMM-2047-16

Référence : 2017 CF 256

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 2 mars 2017

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

TSEGAY SOBOLLI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Tsegay Sobolli (M. Sobolli) demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle elle a conclu que sa demande d’asile était dénuée de fondement. La Section de la protection des réfugiés a donc conclu que M. Sobolli n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs exposés dans les présentes, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.  Aperçu

[3]  M. Sobolli prétend être citoyen de l’Érythrée. Dans son témoignage, il a indiqué avoir quitté l’Érythrée en 2004 et s’être rendu au Royaume-Uni en passant par la Libye, l’Italie et la France. À son arrivée au Royaume-Uni, en avril 2006, il a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée. Son appel a également été rejeté en 2007.

[4]  Dans son témoignage, M. Sobolli a indiqué être demeuré illégalement au Royaume-Uni jusqu’à son arrivée au Canada, le 31 août 2015. Son témoignage à cet égard (comme nous le verrons dans l’analyse ci-après) contredit ce qu’il a indiqué dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile. Il a affirmé, dans ce formulaire, être arrivé au Canada directement en provenance de l’Érythrée, le 31 août 2015. M. Sobolli affirme craindre d’être persécuté et d’être forcé à faire son service militaire obligatoire en Érythrée.

[5]  Entre autres constatations ayant mené à la conclusion selon laquelle la demande de M. Sobolli était dénuée d’un minimum de fondement, la Section de la protection des réfugiés a jugé que M. Sobolli n’avait pas établi son identité ni sa citoyenneté érythréenne. La Section de la protection des réfugiés ayant conclu à l’« absence de minimum de fondement » de la demande d’asile, M. Sobolli n’a pu avoir accès au processus d’appel devant la Section d’appel des réfugiés (voir l’alinéa 110(2)c) de la LIPR).

III.  Question en litige et norme de contrôle

[6]  Si je devais juger que la conclusion d’« absence de minimum de fondement » était raisonnable dans les circonstances, cela règlerait entièrement le contrôle judiciaire demandé en l’espèce. C’est pourquoi j’entends n’aborder que cette question. Il est bien reconnu que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions sur la crédibilité : Gil Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 843, au paragraphe 34, [2013] ACF no 887. La Cour doit décider si la décision de la Section de la protection des réfugiés à cet égard est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

IV.  Discussion

[7]  Dans une analyse exhaustive, la Section de la protection des réfugiés a abordé chacun des éléments de preuve présentés par M. Sobolli à l’appui de sa demande d’asile en qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. La Section de la protection des réfugiés a évalué minutieusement le témoignage oral et les éléments de preuve documentaire, en grande partie contradictoires, avant de conclure à l’« absence de minimum de fondement » de la demande. Comme il n’entre pas dans les attributions de notre Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, [2009] 1 RCS 339; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 673, au paragraphe 10, [2008] ACF no 864), j’entends aborder brièvement chacun des points soulevés par la Section de la protection des réfugiés et expliquer ce qui me porte à conclure que ses conclusions sont raisonnables dans les circonstances.

A.  Temps passé au Royaume-Uni

[8]  M. Sobolli conteste d’abord les conclusions sur la crédibilité tirées par la Section de la protection des réfugiés concernant le temps qu’il a passé au Royaume-Uni. Il a indiqué, dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile, qu’il avait quitté l’Érythrée le 31 août 2015, qu’il avait fait une escale au Royaume-Uni, et qu’il était arrivé au Canada le même jour. Il a toutefois reconnu dans son témoignage oral qu’il était arrivé au Royaume-Uni en 2006 et qu’il n’était parti pour le Canada qu’en 2015. La Section de la protection des réfugiés a comparé ce témoignage à la déclaration qui se trouve dans le Formulaire de fondement de la demande d’asile, où M. Sobolli a déclaré : [traduction] « les renseignements que j’ai donnés dans la présente demande sont véridiques, complets et exacts, et je fais cette déclaration solennelle la croyant en conscience vraie et sachant qu’elle a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment ». M. Sobolli soutient que son aveu volontaire rend déraisonnable la conclusion défavorable sur la crédibilité tirée par la Section de la protection des réfugiés sur cette question. Je ne suis pas d’accord. Son aveu volontaire ne change rien au fait qu’il a menti dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile afin de pouvoir entrer au Canada.

[9]  M. Sobolli a affirmé qu’il était représenté par un avocat durant les diverses audiences au Royaume-Uni. Il n’a toutefois déployé aucun effort pour communiquer avec son avocat ou les autorités du Royaume-Uni pour obtenir le rapport biométrique le concernant. Il n’a présenté aucun document du Royaume-Uni qui confirmerait son identité. C’est à M. Sobolli qu’il incombe de prendre les mesures appropriées pour obtenir ces documents ou de présenter à la Section de la protection des réfugiés des éléments de preuve clairs et convaincants afin d’expliquer pourquoi ces documents ne seraient pas facilement accessibles (Bagire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 816, au paragraphe 29, [2013] ACF no 866). Je juge qu’il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Sobolli n’a présenté aucun document pour corroborer son témoignage concernant le temps passé au Royaume-Uni.

[10]  En ce qui concerne son travail et son réseau de soutien pendant qu’il se trouvait au Royaume-Uni, M. Sobolli a indiqué dans son témoignage qu’il avait reçu l’aide de son église. Toutefois, dans une lettre de l’église que M. Sobolli a présentée à la Section de la protection des réfugiés, on ne fait aucune mention du fait que l’église l’aurait aidé, financièrement ou de quelque manière que ce soit. En outre, le témoignage de M. Sobolli était vague en ce qui concerne la façon dont il a subvenu à ses besoins pendant neuf ans alors qu’il était « sans emploi ». J’estime qu’il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité de M. Sobolli, puisqu’il n’avait pas réussi à expliquer comment il a subvenu à ses besoins pendant les neuf années qu’il a passées au Royaume-Uni.

[11]  Vu tout ce qui précède, j’estime qu’il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de conclure que M. Sobolli n’était pas crédible en ce qui concerne le temps qu’il a passé au Royaume-Uni.

V.  Le témoin

[12]  M. Sobolli a présenté un témoin qui, selon ce qu’il prétend, confirme son identité (celle de M. Sobolli) et sa nationalité érythréenne. Le témoin a affirmé qu’il a grandi avec M. Sobolli en Érythrée. La Section de la protection des réfugiés ne remet pas en question l’affirmation du témoin selon laquelle il connaissait M. Sobolli; elle a toutefois souligné qu’il n’avait pas été en contact avec M. Sobolli depuis 2004 et qu’il était incapable de témoigner de ses allées et venues depuis ce temps. M. Sobolli et le témoin n’avaient renoué des liens qu’à l’arrivée de M. Sobolli au Canada. Qui plus est, le témoin ne pouvait pas livrer de témoignage sur la prétendue nationalité de M. Sobolli.

[13]  M. Sobolli s’appuie sur la décision Husain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 462, [2016] ACF no 505 [Husain] pour demander à la Cour de soupeser de nouveau la valeur probante du témoignage du témoin. Toutefois, les faits dans la décision Husain diffèrent de ceux que la Section de la protection des réfugiés devait examiner en l’espèce. Dans la décision Husain, les appelants ont présenté deux affidavits convaincants qui, selon la Cour, établissaient leur identité. Je suis d’avis que la Section de la protection des réfugiés a agi de manière raisonnable en accordant peu de poids au témoignage du témoin en ce qui concerne la nationalité de M. Sobolli.

VI.  Documents de l’Érythrée

[14]  M. Sobolli a présenté plusieurs documents qui proviennent soi-disant de l’Érythrée afin de contribuer à confirmer son identité. Au nombre de ces documents, notons son baptistaire, les cartes d’identité nationale de ses parents et le passeport de sa mère.

[15]  Le baptistaire indique qu’il a été délivré en 1987, le jour du baptême. À l’audience, M. Sobolli a indiqué dans son témoignage que le certificat avait été délivré un mois avant l’audience. Dans ses observations, M. Sobolli soutient qu’il a tout simplement utilisé le mauvais verbe, en affirmant que cet élément de preuve contradictoire était une « erreur commise de bonne foi ». La Section de la protection des réfugiés a toutefois conclu qu’il [traduction] « n’a pas répondu directement et a éludé la question ». La Section de la protection des réfugiés a observé M. Sobolli pendant qu’il livrait son témoignage et il lui était loisible de conclure que ce témoignage incohérent minait sa crédibilité.

[16]  Les cartes d’identité nationale des parents indiquent que la mère et le père de M. Sobolli sont nés en 1956 et le 26 octobre 1943, respectivement. Dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile, M. Sobolli a indiqué qu’ils étaient nés le 1er janvier 1955 et le 1er janvier 1943, respectivement. Lorsqu’il a été prié d’expliquer ces incohérences, M. Sobolli a affirmé qu’il avait supposé ces dates. Encore une fois, ce témoignage a été livré après que M. Sobolli ait confirmé que son Formulaire de fondement de la demande d’asile était complet, véridique et exact. Il est possible que M. Sobolli ait tenté d’estimer l’âge de ses parents; il était toutefois loisible à la Section de la protection des réfugiés de tirer une conclusion défavorable en raison des incohérences dans les dates de naissance. Je soulignerais aussi, tout comme l’a fait la Section de la protection des réfugiés, qu’il est permis aux demandeurs de donner dans le formulaire l’âge approximatif des personnes. M. Sobolli n’a pas profité de cette possibilité; il a plutôt indiqué des dates exactes qui étaient fausses.

[17]  M. Sobolli a aussi présenté ce qu’il prétendait être le passeport de sa mère en tant qu’élément de preuve pour corroborer sa propre identité. Ce document indiquait que le nom de la titulaire était Letekidan Sium Tesfa, née le 1er janvier 1956. Dans le Formulaire de fondement de la demande d’asile du demandeur, le nom indiqué est Letekidan Seyoum. Même si les deux noms se ressemblent sur le plan phonétique, le nom de famille de la mère n’est pas indiqué dans le Formulaire de fondement de la demande d’asile. Après avoir apprécié le témoignage livré par M. Sobolli et vu les incohérences dans les éléments de preuve documentaire, la Section de la protection des réfugiés n’était pas convaincue que le passeport appartenait à la mère de M. Sobolli. Il m’est impossible de conclure qu’elle a rendu une décision déraisonnable à cet égard.

VII.  Conclusion

[18]  Je suis d’avis que la Section de la protection des réfugiés a étudié l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés, y compris la connaissance qu’avait M. Sobolli de l’Érythrée et sa maîtrise de la langue locale, dans un effort en vue de trancher s’il avait établi ou non son identité et s’il était un citoyen érythréen. Vu les incohérences accablantes et l’absence d’éléments de preuve portant sur les neuf années de sa vie passées au Royaume-Uni, où il affirme qu’il était représenté par un avocat et qu’il a présenté une demande d’asile et a interjeté appel, il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de juger que M. Sobolli n’était pas crédible et de conclure à l’« absence de minimum de fondement » de sa demande d’asile.

[19]  Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens. Aucune question n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :

IMM-2047-16

TSEGAY SOBOLLI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2017

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

Pour le demandeur

Tessa Cheer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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