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Date : 20170216


Dossier : IMM-3459-16

Référence : 2017 CF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

IMANOV BELEK

(aussi connu sous le nom de BELEK IMANOV)

(aussi connu sous le nom de IMINOV BAHTIYAR YUNUSOVICE)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi ou la LIPR) d’une décision défavorable rendue le 25 juillet 2016 (les motifs) par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Pour les motifs expliqués ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est un homme de 43 ans originaire de la République kirghize (Kirghizistan). Il demande l’asile au Canada, car il craint les extorqueurs dans son pays natal; il affirme qu’il s’agit d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. Le demandeur affirme avoir été battu par des extorqueurs à trois reprises de 2013 à 2014; il a subi des blessures sérieuses nécessitant une hospitalisation.

[3]  Le demandeur a fui vers le Canada le 7 septembre 2014 et a demandé l’asile, qui a été refusé par la Section de la protection des réfugiés le 26 février 2015. La Section d’appel des réfugiés a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés le 17 juin 2015 (SAR (première décision)). Le demandeur a obtenu le contrôle judiciaire de cette décision devant le juge Zinn dans Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 [Belek]. Le réexamen a mené à un deuxième refus de la Section d’appel des réfugiés, cette fois-ci daté du 25 juillet 2016 (SAR (deuxième décision)).

[4]  La SAR (deuxième décision) a, en partie, examiné de « nouveaux » éléments de preuve, nommément (i) une courte lettre d’un témoin et (ii) des rapports médicaux détaillants les blessures subies par l’épouse et le fils du demandeur lors de l’agression. La SAR, deuxième décision a rejeté cet élément de preuve, cette fois-ci au motif d’un défaut de crédibilité (le juge Zinn avait tranché que la SAR (première décision) avait rejeté cet élément de preuve de façon inadéquate, car elle s’était concentrée sur ce que l’élément de preuve ne corroborait pas plutôt que ce sur ce qu’elle corroborait : Belek, aux paragraphes 21 et 22). La principale question devant notre Cour consiste donc à savoir si le refus de cet élément de preuve par la SAR (deuxième décision) était raisonnable.

[5]  Le tribunal de la SAR (deuxième décision) a reconnu que bien que les éléments de preuve soient admissibles en application du paragraphe 110(4) de la LIPR (aux termes duquel le tribunal de la SAR (première décision) a refusé leur utilisation), la lettre et les rapports médicaux manquaient de crédibilité. Ce facteur a été établi dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] comme pouvant être soupesé par rapport au critère antérieur défini dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13 [Raza].

[6]  Dans sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, la SAR (deuxième décision) a relevé que la lettre du témoin n’avait pas été rédigée sous serment et n’était ni un affidavit ni une déclaration statutaire. Par ailleurs, elle n’offrait aucun renseignement sur le moment de l’incident et ne mentionnait aucunement de détails quant à la confrontation [traduction] « flagrante » et à l’hospitalisation subséquente. La SAR (deuxième décision) a conclu que la lettre n’était pas crédible et a refusé son admission en tant que nouvel élément de preuve.

[7]  Quant aux dossiers de l’hôpital, la Section d’appel des réfugiés a remarqué qu’ils ne comportaient aucun nom d’hôpital ou coordonnées. En outre, seuls les renseignements ministériels figurent sur la lettre. La SAR (deuxième décision) a conclu que les documents hospitaliers présumés n’étaient pas conformes aux autres rapports semblables présentés à l’audience de la Section de la protection des réfugiés (lesquels comprenaient des détails sur l’hôpital et des coordonnées). La SAR (deuxième décision) a soupesé l’affirmation selon laquelle les membres de la famille [traduction] « avaient été effrayés et battus par des Orientaux inconnus », mais n’ont accordé aucune valeur à l’auteur pour celle-ci puisqu’il s’agissait d’une autodéclaration. Malgré (i) les circonstances, les autorités hospitalières auraient été tenues de communiquer avec les autorités; (ii) les commentaires de l’auteur quant aux agresseurs; et (iii) les affirmations figurant dans le formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA) concernant une intervention policière après les agressions; la Section d’appel des réfugiés a remarqué qu’il n’y avait aucune mention d’une communication avec les autorités. La SAR (deuxième décision) a également souligné être [traduction] « entravée » par l’absence de documents originaux.

[8]  À l’instar des déclarations du témoin, la SAR (deuxième décision) a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les documents médicaux n’étaient pas crédibles, ne leur a accordé aucune valeur, et ne les a pas admis en preuve. Étant donné le refus d’admettre de nouveaux éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés a également refusé d’accorder une audience.

[9]  Le demandeur conteste le caractère raisonnable de ces deux conclusions (à savoir le rejet de la preuve et le refus d’une audience).

II.  Discussion

[10]  Je partage l’avis des parties quant à la question A – le rejet de la preuve – voulant que cette conclusion commande la retenue et doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Singh, au paragraphe 29), tout comme la question B – la décision procédurale sur l’audience : voir Ketchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 388, au paragraphe 20 [Ketchen].

A.  Rejet des nouveaux éléments de preuve

[11]  En application du paragraphe 110(4) de la Loi et conformément à la décision de la Cour fédérale dans Singh, au paragraphe 34, la Section d’appel des réfugiés doit accepter « (a) les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile; (b) les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles; ou (c) les éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet ». Cependant, il ne s’agit pas de la fin du processus : la Section d’appel des réfugiés peut également tenir compte de facteurs concernant
la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel définis par l’arrêt Raza concernant les examens des risques avant renvoi [ERAR] : voir l’arrêt Singh, aux paragraphes 39 à 49 et plus particulièrement au paragraphe 44 :

En fait, il m’apparaît difficile de soutenir que les critères énoncés par la juge Sharlow dans l’arrêt Raza ne découlent pas tout aussi implicitement du paragraphe 110(4) que de l’alinéa 113a). […] On voit mal, notamment, comment la SAR pourrait admettre une preuve documentaire qui ne serait pas crédible. De fait, l’alinéa 171a.3) prévoit expressément que la SAR « peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». Il est vrai que l’alinéa 110(6)a) introduit également la notion de crédibilité aux fins de déterminer si une audience peut être tenue. À ce chapitre, cependant, ce n’est pas la crédibilité de la preuve elle-même qui doit être soupesée, mais bien la question de savoir si un élément de preuve par ailleurs crédible « soulève une question importante » relativement à la crédibilité générale de la personne en cause. En d’autres termes, le fait qu’un nouvel élément de preuve soit intrinsèquement crédible ne suffira pas pour justifier la tenue d’une audience devant la Section d’appel des réfugiés : il faudra encore que cet élément de preuve puisse justifier une réévaluation de la crédibilité globale d’un demandeur et de son récit.

[12]  Le seul fait de recevoir de nouveaux éléments preuve ne signifie pas qu’ils devraient être crus ou admis. La Cour d’appel fédérale a conclu que la crédibilité était un motif permettant d’exclure ces éléments de preuve (voir également Issa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 807, au paragraphe 20; et Tuncdemir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 993, aux paragraphes 35 à 37 [Tuncdemir]).

[13]  Comme cela a été remarqué ci-dessus, il est nécessaire de faire preuve d’une retenue considérable envers la Commission lorsqu’il est question d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le sillage de Singh. Ces décisions ne se font pas dans l’abstrait et comprennent sans aucun doute des conclusions concernant la crédibilité. Si la Section d’appel des réfugiés est en mesure, dans le cadre de ses audiences, de recevoir « les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision » (LIPR, alinéa 171(a.3)), elle peut également, a contrario, refuser la preuve qui n’est pas crédible ou digne de foi (Tota c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 890, au paragraphe 44).

[14]  Il convient de souligner que le demandeur n’a pas contesté les conclusions quant à la crédibilité de la Section d’appel des réfugiés dans l’espèce. Les conclusions quant à la crédibilité des nouveaux documents, lesquels constituent le fond de l’espèce, ont été faites à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris les affidavits et les autres documents au dossier, l’historique du dossier, y compris une demande frauduleuse effectuée à l’étranger et déjà notée (et admise) par la Section de la protection des réfugiés (voir : Tuncdemir, aux paragraphes 35 à 37). Le tribunal de la SAR (deuxième décision) a fait référence au FDA, aux affidavits et à d’autres documents qui avaient déjà été présentés à la Section de la protection des réfugiés et à la SAR (première décision). En résumé, les conclusions du tribunal de la SAR (deuxième décision) n’ont pas été effectuées dans l’abstrait.

[15]  Quant à la lettre du témoin, le demandeur estime que la SAR (deuxième décision) a commis la même erreur susceptible de révision que la SAR (première décision) en se concentrant plutôt sur les omissions de la lettre, que sur son contenu, et en tirant ainsi une conclusion défavorable sur la crédibilité de la lettre. Le défendeur soutient que les éléments de preuve ont été évalués de façon juste, conformément aux facteurs énoncés dans Raza. Je partage cet avis : Singh, au paragraphe 44, énonce explicitement que la crédibilité est un facteur reconnu.

[16]  Même si d’autres décideurs auraient pu rendre une décision différente, j’estime que la SAR (deuxième décision) pouvait raisonnablement conclure que la femme, témoin d’une agression si sérieuse qu’elle a causé les blessures alléguées (soit au crâne et à la poitrine) et nécessité une hospitalisation, en aurait fait mention dans sa lettre.

[17]  De plus, il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés doute de la crédibilité de la lettre, qui mentionne peu le résultat de l’agression et omet l’hospitalisation (ou du moins qu’une ambulance soit venue récupérer les victimes), alors que le reste de la description de l’incident est complet [traduction] : « J’ai été témoin de l’agression de [l’épouse et le fils du demandeur]. Des orientaux inconnus se sont adressés de façon très impolie envers [l’épouse], criant et l’insultant. »

[18]  Bien que je ne sois pas d’accord avec la Section d’appel des réfugiés qui affirme que la lettre est [traduction] « incohérente en elle-même », car elle mentionne une agression, puis des insultes envers l’épouse, je n’estime pas que cette seule conclusion rende l’ensemble de la conclusion quant à la crédibilité déraisonnable. La Section d’appel des réfugiés s’est certainement appuyée sur d’autres motifs pour parvenir à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[19]  J’estime également que la Section d’appel des réfugiés a été raisonnable dans son évaluation des dossiers hospitaliers étant donné les différents défauts de crédibilité qu’ils relevaient, y compris les incohérences avec les premiers dossiers hospitaliers et l’absence de coordonnées et d’originaux. Étant donné l’absence de clarté des nouveaux documents reçus, je considère qu’il est tout à fait raisonnable que le tribunal se soit senti [traduction] « entravé », ce que j’ai compris comme voulant dire « empêché » par l’absence de documents originaux. De façon semblable, les autres conclusions quant à la crédibilité me semblent raisonnables à la lumière des autres éléments de preuve au dossier.

B.  Refus d’accorder une audience

[20]  La Section d’appel des réfugiés peut accorder une audience si le dossier satisfait au critère en trois volets énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR. Les audiences sont l’exception et non la règle. La décision de les accorder ou de les refuser est laissée à la discrétion de la Section d’appel des réfugiés (Biftu Adera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 871, au paragraphe 57). En l’espèce, étant donné le rejet de la preuve pour un motif lié à la crédibilité, le tribunal de la SAR (deuxième décision) ne disposait d’aucune preuve nouvelle justifiant la tenue d’une audience. Par conséquent, cette conclusion était également raisonnable.

III.  Conclusion

[21]  À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3459-16

 

INTITULÉ :

IMANOV BELEK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

Pour le demandeur

 

A. Leena Jaakkimainen

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour lE demandeUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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