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Date : 20170302

Dossier : T-1019-13

Référence : 2017 CF 257

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 mars 2017

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

ASICS CORPORATION

demanderesse

et

9153-2267 QUÉBEC INC.

défenderesse

9279-1292 QUÉBEC INC.

mise en cause opposante

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Dans cette requête, la société mise en cause (9279) demande divers types de mesures en rapport avec l’exécution d’un bref de saisie-exécution (le bref) émis par notre Cour. La société 9279 cherche notamment à faire annuler l’exécution du bref et à se faire déclarer propriétaire unique des biens saisis.

[2]  La demanderesse s’oppose à la présente requête pour le motif que Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar (les deux particuliers) se servent de 9279 dans le but illégitime de faire échec à un jugement (le jugement par défaut) prononcé par notre Cour contre la défenderesse (9153), après qu’il a été jugé qu’elle avait enfreint les droits de la demanderesse à l’égard de certaines marques de commerce, en contravention de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13.

[3]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, la requête de 9279 est rejetée, et le voile social de 9279 sera levé pour permettre à la demanderesse d’exécuter le jugement par défaut rendu contre 9279.

II.  Résumé des faits

[4]  Au mois de décembre 2013, à l’occasion d’une requête ex parte présentée par la demanderesse, notre Cour a prononcé le jugement par défaut contre 9153, faisant affaire sous le nom de « jbloom ».

[5]  Selon les renseignements figurant sur son site Web, jbloom est un détaillant de chaussures et de sacs à main à Montréal, au Québec. Lors du prononcé du jugement par défaut, jbloom avait deux commerces, une boutique [traduction] « phare » située au 1180, rue Sainte‑Catherine Ouest, et une autre boutique, au 1221, avenue du Mont-Royal Est.

[6]  Entre autres choses, le jugement par défaut a déclaré que 9153 avait enfreint les droits de la demanderesse à l’égard de certaines marques de commerce et il a interdit à 9153, ainsi qu’à ses dirigeants, à ses administrateurs, à ses actionnaires, à ses mandataires, à ses préposés, à ses employés, à ses ayants cause, à ses ayants droit et aux parties ayant un lien contractuel avec la défenderesse ou étant sous son contrôle direct ou indirect, d’utiliser ou de contrefaire les marques de commerce en question. Le jugement par défaut a aussi enjoint à la défenderesse de remettre à la demanderesse ou de détruire, dans un délai de 30 jours, tout le matériel en sa possession ou sous son contrôle dont l’utilisation contreviendrait à l’injonction. De plus, le jugement par défaut a accordé à la demanderesse, pour la contrefaçon passée, des dommages-intérêts de 43 500 $, plus la TVH et l’intérêt applicables, ainsi que des dépens de 6 000 $, payables sans délai.

[7]  Le 10 août 2016, notre Cour a délivré le bref, lequel a ensuite été exécuté aux deux locaux mentionnés ci-dessus le 11 août 2016 et le 12 août 2016, respectivement. La société 9153 a occupé ces locaux dans le passé pour la vente de ces produits, et ils sont maintenant occupés par 9279 pour la vente de produits semblables.

[8]  Quelques semaines plus tard, le 7 septembre 2016, 9279 a déposé la présente requête.

[9]  Lorsque la demanderesse a appris l’existence de 9279, elle a déposé une requête distincte, en date du 14 septembre 2016, en vue d’obtenir une ordonnance (l’ordonnance de justification) enjoignant à 9153, aux deux particuliers et à 9279 (collectivement, les auteurs présumés de l’outrage au tribunal) de justifier pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour manquement au jugement par défaut. La requête a été accueillie le 19 septembre 2016, date à laquelle notre Cour a rendu l’ordonnance de justification. À ce moment, la Cour a aussi ajourné, à une date indéterminée, l’audition de la présente requête relativement à l’exécution du bref, dont l’audition était prévue le 27 septembre 2016.

[10]  La requête en justification de la demanderesse a été entendue le 22 novembre 2016. À ce moment, la demanderesse a consenti à une demande de l’avocat des auteurs présumés de l’outrage au tribunal visant à scinder l’audition, afin de permettre à la Cour de se prononcer à l’égard des allégations d’outrage au tribunal formulées contre 9153 et les deux particuliers avant d’examiner les allégations formulées contre 9279. Finalement, il a été décidé d’examiner ces dernières allégations à l’occasion d’une audition distincte prévue le 11 janvier 2017, le même jour que l’audition de la présente requête.

[11]  Cependant, le 9 janvier 2017, quelques jours après que j’ai rendu une ordonnance et ses motifs expliquant les raisons pour lesquelles 9153 et les deux particuliers avaient justifié pourquoi ils ne devaient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour manquement au jugement par défaut (ASICS Corporation c 9153-2267 Québec inc., 2017 CF 5 [ASICS]), la demanderesse a retiré sa demande visant à obtenir une ordonnance pour outrage au tribunal contre 9279. Par conséquent, l’audition tenue le 11 janvier 2017 (l’audition) a porté uniquement sur la présente requête concernant le bref.

III.  Question préliminaire

[12]  Au début de l’audition, la demanderesse s’est objectée à la tentative de 9279 de signifier et de déposer des réponses à un engagement pris par l’avocat de 9279 lors du contre-interrogatoire de M. Joseph Nassar sur l’affidavit (l’affidavit) souscrit par ce dernier et déposé à l’appui de la présente requête en opposition au bref. Cette objection était fondée sur plusieurs motifs, notamment le fait que ces réponses : (i) avaient été déposées la veille de l’audition (ii) étaient volumineuses (comptant près de 100 pages), et (iii) dans certains cas, étaient rédigées en français. De plus, la demanderesse n’avait pas eu l’occasion de les faire traduire pour pouvoir les comprendre, et elle n’avait pas été en mesure d’interroger de nouveau M. Nassar à l’égard de ces documents.

[13]  La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas demandé un engagement de produire les documents en question. Lorsque M. Nassar a comparu pour son contre-interrogatoire le 22 septembre 2016 sans les documents mentionnés dans l’assignation à comparaître du 13 septembre 2016, l’avocat de 9279 a affirmé qu’il était [traduction] « disposé à prendre l’engagement de passer l’assignation en revue et de faire suivre tout ce qui était en leur possession dans les 24 à 48 heures » (l’engagement). La demanderesse a souligné qu’elle n’a consenti qu’à recevoir signification de ces documents dans les 48 heures. Étant donné que cette signification n’a pas eu lieu, la demanderesse a demandé que je : i) ne permette pas le dépôt de ces documents et ii) tire une conclusion défavorable à l’égard de leur contenu.

[14]  La société 9279 a répondu qu’elle n’avait pas produit les documents en question parce qu’elle avait appris le 22 septembre 2016, lorsqu’elle a reçu signification de l’ordonnance de justification, que la Cour avait aussi ajourné la présente requête à une date indéterminée [traduction] « en attendant l’issue de l’audition pour outrage au tribunal ». Elle a soutenu que l’audition pour outrage au tribunal a finalement connu une [traduction] « issue » seulement après que j’ai tranché en faveur de 9153 et des deux particuliers et que la demanderesse a ensuite retiré sa demande visant l’obtention d’une ordonnance pour outrage au tribunal contre 9279, soit le 9 janvier 2017, deux jours avant l’audition. L’avocat de 9279 a aussi soutenu que dans l’attente de l’issue définitive de l’audition pour outrage au tribunal, l’ajournement de la présente requête a eu pour effet de suspendre toutes les étapes prévues concernant la requête. Il a ajouté que jusqu’à l’issue de l’audition pour outrage au tribunal, il ne pouvait être tenu de produire des documents susceptibles d’enfreindre les droits de ses clients contre l’auto-incrimination.

[15]  Je ne suis pas d’accord.

[16]  Pour commencer, la thèse de 9279 selon laquelle l’ajournement de la présente requête accordé par la protonotaire Milczynski a eu pour effet de suspendre toutes les étapes prévues concernant la requête a été soulevée trop tard, puisque 9279 ne l’a mentionnée qu’à l’audition.

[17]  Quoi qu’il en soit, un calendrier pour la tenue de l’audition et le dépôt de documents à l’égard de la présente requête a été établi lors d’une séance extraordinaire tenue par téléconférence le 21 décembre 2016 et confirmé dans une directive orale que j’ai prononcée plus tard ce jour-là. À ce moment, les parties se sont entendues pour que la demanderesse dépose son dossier de requête au plus tard le 6 janvier 2017. De plus, l’avocat de 9279 a affirmé qu’il n’avait pas l’intention de déposer d’autres documents concernant la requête. À partir de cette date, il aurait dû être parfaitement clair pour toutes les parties concernées que l’ajournement de la présente requête, que la protonotaire Milczynski a prononcé dans l’ordonnance de justification, avait été levé.

[18]  De plus, après avoir informé les parties que j’avais conclu que 9153 et les deux particuliers avaient justifié pourquoi ils ne devaient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal, j’ai expliqué clairement que la transcription du contre-interrogatoire de M. Nassar serait admissible à l’audition, mais pas à l’audition de la requête en justification à l’égard de 9279. Par conséquent, le droit de quiconque contre l’auto-incrimination ne risquait plus d’être enfreint. Cela s’explique par le fait que j’avais déjà communiqué ma conclusion concernant la requête en justification, dans son application aux deux particuliers, et que j’avais expliqué clairement que la transcription du contre-interrogatoire de M. Nassar et les pièces y afférant ne seraient pas admissibles à l’audition de la requête en justification à l’égard de 9279. Cela sous-entend que toute documentation produite en lien avec l’engagement ne serait pas non plus admissible lors de cette audition (qui n’a finalement pas eu lieu).

[19]  J’ajouterai simplement qu’il est désormais bien établi que le droit à la protection contre l’auto-incrimination énoncé à l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, ne s’étend pas aux sociétés (British Columbia Securities Commission c Branch, [1995] 2 RCS 3, au paragraphe 39).

[20]  Compte tenu de tout ce qui précède, il n’était pas raisonnable pour 9279 d’attendre la veille de l’audition pour déposer les documents qu’elle s’était déjà engagée à fournir, surtout qu’elle savait que l’avocat de 9153 ne parle pas français, et qu’il ne serait donc pas en mesure de comprendre la documentation rédigée dans cette langue. En outre, 9279 aurait dû savoir que le dépôt aussi tardif d’une telle documentation aurait pour effet d’empêcher la demanderesse d’interroger de nouveau M. Nassar sur le contenu y afférant. Pour ces motifs, j’ai décidé de ne pas admettre la documentation relative à l’engagement que 9279 a tenté de déposer en Cour la veille de l’audition.

[21]  Relativement à la conclusion défavorable que la demanderesse m’a demandé de tirer du défaut de 9279 de produire cette documentation dans les 24 à 48 heures suivant le contre-interrogatoire de M. Joseph Nassar, j’ai conclu qu’il n’y a pas lieu de tirer une telle conclusion dans les circonstances.

[22]  Je reconnais que l’assignation à comparaître demandait à M. Nassar d’apporter ces documents à son contre-interrogatoire et que cela n’a pas été fait en raison d’un oubli de la part du « stagiaire » qui travaillait alors au cabinet d’avocats représentant 9279. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’omission involontaire du stagiaire d’informer M. Nassar et son avocat de cette demande ne justifiait pas le défaut de M. Nassar d’apporter ces documents avec lui, ni le défaut de l’avocat de veiller à la production de ces documents au contre-interrogatoire ou, à tout le moins, avant la date de leur production effective.

[23]  Je suis toutefois conscient que l’avocat de 9279 a pris l’engagement avant qu’il n’apprenne que la Cour avait rendu l’ordonnance de justification. Cette ordonnance n’a été signifiée à l’avocat qu’à la fin du contre-interrogatoire de M. Nassar. J’ai déjà fait des observations sur l’iniquité que cela a créée pour 9279 (ASICS, précitée, au paragraphe 13). De plus, le libellé de l’ordonnance de justification pouvait très bien être interprété comme n’ayant pas simplement ajourné l’audition de la présente requête dans l’attente de l’issue de l’audition pour outrage au tribunal, mais comme ayant aussi suspendu les étapes déjà prévues, notamment le dépôt d’une réponse au dossier de requête et le respect des engagements déjà pris. Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour l’avocat d’avoir omis de produire la documentation en question avant la séance extraordinaire tenue par téléconférence le 21 décembre 2016, dont il a été question ci-dessus. Malheureusement, les fêtes de fin d’année sont alors arrivées. Compte tenu de toutes ces circonstances particulières, je ne tirerai pas de conclusion défavorable du fait que l’avocat de 9279 n’a pas produit la documentation en question avant la veille de l’audition.

IV.  Évaluation de la requête de 9279 visant l’annulation de l’exécution du bref

A.  Les biens saisis seraient la propriété de 9279

[24]  La société 9279 demande l’annulation de la saisie effectuée lors de l’exécution du bref pour le motif qu’elle est la propriétaire légitime des biens saisis et qu’elle n’est pas une partie désignée dans le bref. Elle mentionne que le bref n’a ordonné que la saisie des biens de la défenderesse, 9153, en vue de la réalisation des dommages-intérêts, plus l’intérêt, et des dépens adjugés dans le jugement par défaut. Elle soutient qu’aucune des circonstances qui permettraient à notre Cour de lever le voile social afin de permettre l’exécution par la demanderesse du jugement par défaut contre 9279 n’a été établie.

[25]  Pour appuyer sa thèse concernant sa propriété légitime des biens saisis, 9279 affirme ce qui suit :

  1. La société 9279 est une personne morale distincte de ses actionnaires, de ses administrateurs et de 9153.

  2. Contrairement aux affirmations de la demanderesse, 9279 a été constituée en société avant le prononcé du jugement par défaut. Plus précisément, comme le démontrent les documents d’incorporation joints à l’affidavit comme pièces R-1 et R-2, 9279 a été constituée en société le 19 mars 2013, environ neuf mois avant le prononcé du jugement par défaut le 6 décembre 2013.

  3. Le procès-verbal de « saisie-exécution » mobilière que l’huissier a dressé à l’égard des deux commerces de détail où la saisie a été effectuée indiquait que 9153, et non 9279, était la personne dont les biens étaient visés par le bref.

  4. Le bail pour l’emplacement au 1221, avenue du Mont-Royal Est intervenu entre Jean-Pierre Nassar (en tant que sous-locateur) et 9279 (en tant que sous-locataire). Il ne comporte aucune mention de 9153. La durée de ce bail va du 1er juillet 2015 au 31 décembre 2019. Par conséquent, à la date de la saisie (le 12 août 2016), 9279 était la seule occupante légale des lieux. Ce fait est confirmé par le certificat d’occupation, délivré par la Ville de Montréal le 22 mai 2015, avant l’occupation des lieux par 9279. Ce document désigne 9279 comme occupante commerciale du 1221, avenue du Mont-Royal Est, et indique qu’il doit être affiché sur les lieux.

  5. De même, une offre de location concernant le 1184, rue Sainte-Catherine Ouest désigne 9049-5144 Québec inc. comme propriétaire et 9279 comme locataire. La durée de ce bail va du 1er août 2014 au 31 juillet 2017, mais l’occupation commence le 1er mars 2014 afin de permettre l’exécution de travaux de rénovation. Une fois de plus, le certificat d’occupation, délivré le 8 mai 2014, désigne 9279 comme seule occupante des lieux.

  6. De plus, des copies de factures d’électricité d’Hydro-Québec, concernant le 1221, avenue du Mont-Royal Est et le 1180, rue Sainte-Catherine Ouest et couvrant des périodes antérieures aux dates de la saisie effectuée dans ces lieux, sont adressées à 9279.

  7. Des copies de factures pour l’achat de chaussures fournies par 9279 affichent des dates antérieures à celles de la saisie effectuée dans ces lieux.

  8. Enfin, M. Nassar, président de 9279, a affirmé, aux paragraphes 16 à 21 de l’affidavit déposé à l’occasion de la présente requête, que tous les biens saisis ont été achetés par 9279 et lui appartiennent.

[26]  La société 9279 prétend que les éléments de preuve susmentionnés suffisent pour donner ouverture à une présomption portant qu’elle est la seule propriétaire légitime des biens saisis, et qu’il incombe à la demanderesse de satisfaire au critère strict autorisant la levée du voile social pour permettre l’exécution par la demanderesse du jugement par défaut sur les biens saisis et 9279.

[27]  Je suis du même avis. Toutefois, pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai aussi conclu que la demanderesse a satisfait au critère strict autorisant la levée du voile social contre 9279 dans la présente instance.

B.  Les règles de droit applicables

[28]  Il est acquis de part et d’autre que la levée du voile social ne peut avoir lieu que dans des cas exceptionnels. Au Québec, ces cas se limitent aux situations où la personnalité juridique d’une personne morale est invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public (article 317 CCQ; Gestion André Lévesque inc c Compt’le inc, 1997 CanLII 10424, au paragraphe 15 (QC CA)).

[29]  Dans ce contexte, la « fraude » vise notamment l’acte accompli de mauvaise foi avec l’intention de porter atteinte aux droits ou aux intérêts d’autrui ou d’échapper à l’application d’une loi (Méthot c Banque fédérale de développement du Canada, 2006 QCCA 648, aux paragraphes 75 à 80 [Méthot]). Elle comprend également les actes commis avec un élément de subterfuge ou de dissimulation (Corporation d’hébergement du Québec c Gestion V.S.P. (1982) inc., [2001] JQ no 1834 (QL), au paragraphe 40 (QC CS) [Corp. d’hébergement du Québec]), ainsi que les situations où la société constitue un « trompe-l’œil » ou un véhicule permettant de dissimuler des actes répréhensibles ou une conduite inappropriée de la part d’actionnaires qui sont en mesure de traiter la société comme leur alter ego (Nevsun Resources Ltd. c Delizia Limited, 2016 CF 393, aux paragraphes 44 et 50 [Nevsun]).

[30]  De plus, l’« abus de droit » comprend notamment l’exercice de droits de mauvaise foi, dans l’intention de causer un préjudice à autrui, ainsi que l’exercice de droits de manière excessive ou déraisonnable, notamment la négligence ou l’insouciance (Méthot, précité, aux paragraphes 82 et 83).

[31]  Enfin, les termes « contravention à une règle intéressant l’ordre public » semblent suffisamment larges pour englober les situations où le fait de ne pas lever le voile corporatif aboutirait à un résultat « trop nettement en conflit avec la justice » (Kosmopoulos c Constitution Insurance Co., [1987] 1 RCS 2, au paragraphe 12 [Kosmopoulos]).

C.  Le voile social de 9279 devrait-il être levé pour permettre à la demanderesse d’exécuter le jugement par défaut contre 9279?

[32]  En fonction des faits et des considérations abordés ci-dessous, la demanderesse prétend que 9279 est sous le contrôle absolu de Joseph Nassar et de Jean-Pierre Nassar et qu’elle a été constituée en personne morale dans l’unique but de contourner le jugement par défaut. Par conséquent, la demanderesse prétend que le voile social de 9279 devrait être levé pour permettre l’exécution du jugement par défaut contre 9279.

[33]  Compte tenu des éléments de preuve dont il est question ci-dessous, je conclus que le voile social de 9279 devrait être levé à cette fin. Même si 9279 a été constituée en personne morale avant le prononcé du jugement par défaut, elle n’a été exploitée que bien après la signification du jugement par défaut à Joseph Nassar et à jbloom.

1)  Le nom commercial « jbloom »

[34]  Comme je l’ai déjà noté dans les présents motifs, l’intitulé du jugement par défaut désigne 9153 comme [traduction] « 9153-2267 Québec inc., faisant affaire sous le nom de “jbloom” ».

[35]  Selon le Registraire des entreprises du Québec, 9153 faisait affaire sous les noms ENTREPRISE JBLOOM LTD et ENTREPRISE JBLOOM LTÉE entre février 2006, mois de sa constitution en personne morale, et février 2015, où 9153 a déclaré qu’elle n’utilisait plus ces noms. Malgré cette mention, Joseph Nassar a affirmé au cours de son contre-interrogatoire qu’il croyait que le nom « jbloom » était [traduction] « toujours rattaché » à 9153.

[36]  Selon un autre document imprimé de cette même source, 9279 n’utilise aucun autre nom que sa dénomination numérique. Joseph Nassar a toutefois affirmé durant son contre-interrogatoire que « jbloom » est l’une des marques de commerce utilisées par 9279 et qu’une ou plusieurs de ses boutiques font affaire sous la bannière « jbloom », même si 9279 n’a pas immatriculé ce nom. Il semble que 9279 ait commencé à utiliser ce nom lors du prétendu transfert entre 9153 et 9279, le 1er août 2014, des activités exercées à la boutique de la rue Sainte-Catherine Ouest. Selon l’avocat de 9279, sa cliente était autorisée à commencer à utiliser le nom « jbloom » dès lors que 9153 a déclaré qu’elle ne l’utilisait plus. Cela ne change toutefois pas le fait que 9153 semble toujours détenir un intérêt dans le nom « jbloom », et elle a en fait utilisé ce nom en même temps que 9279 entre 1er août 2014 et le 1er juillet 2015. De plus, jusqu’au 13 septembre 2016 au moins, l’adresse de 9153 qui figurait sur le site Web de jbloom était celle du siège social de jbloom. J’ajouterai simplement au passage que 9279 ne semble pas avoir enregistré le nom « jbloom », comme l’exige la Loi sur la publicité légale des entreprises, RLRQ, c P-44.1.

2)  Structure d’entreprise et adresses

[37]  Les dossiers administratifs de 9153 et de 9279 désignent Joseph Nassar comme président et Jean-Pierre Nassar comme vice-président de chacune de ces sociétés. Ces dossiers désignent aussi ces deux particuliers comme fondateurs et uniques actionnaires des deux sociétés, bien que Joseph Nassar ait affirmé au cours de son contre-interrogatoire qu’un autre frère, Gilbert Nassar, était un actionnaire et partenaire de plein droit de 9153 depuis sa constitution en personne morale jusqu’à sa liquidation au milieu de l’année 2014. Il a aussi déclaré que sa mère avait été une associée et la secrétaire de 9279 à un moment donné. Il ne se souvenait plus du moment ni de la période.

[38]  Les dossiers administratifs de 9153 et de 9279 indiquent aussi que les sièges sociaux de ces sociétés se trouvent dans le même immeuble, au 1414, rue Chomedey, à Montréal, au Québec. La société 9153 occupe l’appartement 351 de cet immeuble et 9279 occupe l’appartement 457. Au cours de son contre-interrogatoire, Joseph Nassar a affirmé être le propriétaire de ces deux appartements et vivre dans l’appartement 457, alors que Jean-Pierre vit dans l’appartement 351 avec leur mère. Avant qu’ils n’emménagent dans ces appartements, chaque société avait pour adresse le 350, rue Prince-Arthur, à Montréal, lieux qui étaient loués par Joseph Nassar, mais habités par sa mère.

3)  Site Web et adresse courriel

[39]  Joseph Nassar a affirmé durant son contre-interrogatoire que l’adresse courriel à laquelle l’avocat de la demanderesse lui a envoyé un message en 2013 est en voie d’être transférée de 9153 à 9279. Il a toutefois reconnu que l’adresse courriel a été utilisée par les deux sociétés entre le moment où 9279 a commencé à exercer ses activités au 1180, rue Sainte-Catherine Ouest, en août 2014, et le moment où elle a commencé à exercer ses activités au 1221, avenue du Mont‑Royal Est, en juillet 2015. Il a ajouté que le transfert de l’adresse courriel de 9153 à 9279 n’est peut-être pas achevé.

[40]  Relativement au site Web, Joseph Nassar a d’abord affirmé qu’il n’avait jamais appartenu à 9153 et qu’il avait toujours été exploité par 9279. Il a ajouté que 9153 et 9279 n’ont jamais vendu les mêmes modèles de chaussures.

[41]  Il a toutefois reconnu par la suite qu’il ne savait pas qui avait enregistré le site Web, qu’il croyait que le site Web avait peut-être été lancé en 2011 (soit bien avant la constitution en personne morale de 9279), et qu’il n’était pas certain si le nom de domaine avait été transféré de 9153 à 9279. Il a aussi admis que l’adresse commerciale indiquée sur le site Web est celle de 9153, quoiqu’il ait affirmé qu’il s’agissait d’une erreur. De plus, il a affirmé que les commandes en ligne étaient traitées aux commerces de détail. Il semble que cela comprenait les commerces exploités par 9153 et 9279, respectivement, entre août 2014 et juillet 2015.

4)  Le bail du 1221, avenue du Mont-Royal Est

[42]  Le [traduction] « contrat de sous-location commercial » de ce commerce de détail indique qu’il est intervenu entre Jean-Pierre Nassar, en tant que sous-locateur, et 9279, à titre de sous-locataire. Il a toutefois été signé par Joseph Nassar et par sa mère. Joseph a signé en son propre nom et au nom de son frère Jean-Pierre. La mention [traduction] « Pour les chaussures jbloom » figure à côté du nom de Jean-Pierre, alors que la mention [traduction] « Pour jbloom » figure à côté du nom de 9279. Il n’est pas très clair pourquoi jbloom était associée à chaque partie au prétendu contrat de sous-location.

[43]  Fait encore plus étrange, Jean-Pierre, Joseph et leur mère étaient chacun désignés comme [traduction] « président », bien qu’il ne soit pas clair de quelle entité ils étaient présidents, d’autant plus que Jean-Pierre semble être le sous-locateur en sa qualité personnelle et que 9279 ne peut avoir qu’un seul président.

[44]  Ce document comporte d’autres irrégularités. Par exemple, le bail principal entre, d’une part, Ming-Yen Huang et Lee Chun (les propriétaires) et, d’autre part, Morshed Yassin (le locataire), autorisait la sous-location, mais interdisait explicitement la sous-sous-location. Un contrat de sous-location a en fait été conclu entre M. Yassin (en tant que bailleur) et Jean‑Pierre Nassar et Gilbert Nassar (en tant que sous-bailleurs). Toutefois, Jean-Pierre a ensuite soi-disant conclu un sous-sous-bail avec 9279, en contravention de l’interdiction contre une telle opération prévue dans le bail principal, et sans aucune participation apparente de son frère Gilbert.

[45]  De plus, même si le contrat de sous-location était notarié, le sous-sous-bail (intitulé [traduction] « Contrat de sous-location commercial ») ne l’était pas.

5)  Factures d’hydroélectricité

[46]  9279 a présenté des factures d’Hydro-Québec pour appuyer sa requête. Ces factures se rapportent à certaines semaines entre mars 2015 et juillet 2015 et entre mai 2016 et juillet 2016. Elles sont toutes adressées à 9279.

[47]  Une facture en date du 28 juillet 2016, concernant le commerce au détail du 1221, avenue du Mont-Royal Est, fait état de services dont la prestation remonte à juillet 2015, mois au cours duquel 9279 allègue avoir remplacé 9153 dans ce local. Une autre facture, en date du 30 juillet 2015, fait toutefois état de services dont la prestation remonte au 4 juin 2013. Selon Joseph Nassar, c’était avant que 9279 commence à exercer ses activités. Le numéro de client figurant sur la première facture est 107 851 064, alors que celui figurant sur la seconde facture est 100 325 811. La raison pour laquelle le numéro de client a changé n’est pas claire, alors que le nom du client figurant sur les deux factures est 9279. Toutefois, les dates coïncident avec la prétendue prise de possession du 1221, avenue du Mont-Royal Est par 9279.

[48]  De même, une facture en date du 13 mai 2016, concernant des services fournis au 1180, rue Sainte-Catherine Ouest, fait état de services dont la prestation remonte au mois de juillet 2015, alors qu’une facture en date du 16 juillet 2015 à l’égard de cette même adresse fait état de services dont la prestation remonte au mois de mai 2013. Là encore, le numéro de client figurant sur la première facture est 107 851 064, alors que celui figurant sur la seconde facture est 100 325 811. Contrairement aux factures à l’égard du local au 1221, avenue du Mont‑Royal Est, la date du changement de numéro de client ne correspond pas au moment où 9279 a repris les activités de 9153 au 1180, rue Sainte-Catherine Ouest, soit le 1er août 2014, selon Joseph Nassar.

6)  Le paiement par 9279 d’une somme adjugée contre 9153

[49]  Comme nous le verrons plus loin, notre Cour a rendu un jugement par défaut contre 9153 au nom d’Adidas AG, en août 2015. Même si le jugement visait 9153, Joseph Nassar a affirmé au cours de son contre-interrogatoire que 9279 a payé les dommages-intérêts adjugés dans ce jugement, après la saisie de certains des éléments d’actif de 9279, conformément à un bref de saisie-exécution.

7)  Liquidation de 9153

[50]  Joseph Nassar a expliqué durant son contre-interrogatoire que les activités de jbloom ont été transférées de 9153 à 9279 parce que son frère Jean-Pierre et lui ne s’entendaient pas avec leur frère Gilbert, qui était présumément un partenaire de plein droit de 9153. Par conséquent, Joseph et Jean-Pierre ont décidé de démarrer [traduction] « une nouvelle entreprise » et de [traduction] « tout liquider » ce qui appartenait à l’ancienne entreprise.

[51]  Aucun élément de preuve présenté dans le dossier de requête ou déposé par la suite n’étayait cette prétention, bien que le nom de Gilbert Nassar figure dans le contrat de sous‑location du 1221, avenue du Mont-Royal, et qu’il était l’une des personnes auxquelles la demanderesse a transmis, par télécopieur, une lettre accompagnée d’une copie du jugement par défaut en mai 2014. La demanderesse admet que Gilbert était alors désigné comme un administrateur de 9153. Toutefois, aucun dossier portant sur la disposition d’éléments d’actif n’a été présenté pour étayer l’affirmation de Joseph Nassar concernant son frère Gilbert et la prétendue liquidation.

[52]  Au départ, Joseph Nassar a expliqué que l’actif total de 9153 a été liquidé et que 9279 avait acheté des stocks entièrement nouveaux et d’autres éléments d’actif. Il a répété plusieurs fois que [traduction] « tout » avait été vendu, remplacé ou changé, notamment les ordinateurs, les coffres-forts, les tablettes, les bancs et les systèmes de sécurité des deux boutiques en question. Il a soutenu que 9279 n’avait acheté aucun des éléments d’actif des deux boutiques en question, et qu’elle avait simplement [traduction] « reçu une boutique vide ». Il a affirmé que Gilbert avait pris certains des éléments d’actif qui se trouvaient précédemment dans les deux boutiques pour les amener dans de nouveaux lieux, où il a démarré une nouvelle entreprise. Ces éléments d’actif comportaient des tablettes, des bancs et des comptoirs, mais pas les stocks, qui ont prétendument été vendus à la clientèle ou donnés à l’Armée du Salut. Il a ajouté que le produit de la vente a servi à payer les fournisseurs, qu’il ne restait aucun produit après cela, et que 90 pour cent du personnel de 9279 est nouveau.

[53]  Toutefois, lorsqu’on a insisté pour qu’il donne des précisions, il s’est contredit relativement au système de surveillance et au comptoir à la boutique de la rue Sainte-Catherine Ouest. Il a aussi affirmé que certaines des tablettes qui étaient à la boutique de l’avenue du Mont-Royal Est lorsqu’elle était exploitée par 9153 étaient restées sur place.

8)  Les dates dont il faut tenir compte

[54]  Comme je l’ai mentionné à la partie IV. A ci-dessus des présents motifs, 9279 a été constituée en personne morale le 19 mars 2013, soit environ neuf mois avant le prononcé du jugement par défaut, plus de deux mois avant la date du premier courriel échangé entre la demanderesse et jbloom ou 9153, selon les dires de la demanderesse, et environ trois mois avant la signification à Joseph Nassar de la déclaration déposée dans la présente instance, bien qu’il ait affirmé durant son contre-interrogatoire que ses communications avec l’avocat de la demanderesse ont commencé en 2012.

[55]  Dans l’affidavit, Joseph Nassar a affirmé que 9279 avait entrepris ses activités au mois d’août 2014, au commerce de la rue Sainte-Catherine Ouest. C’était plus de huit mois après le prononcé du jugement par défaut et bien après la signification de ce jugement à 9153 en mai 2014, malgré la délivrance d’un certificat d’occupation à 9279 pour ce commerce le 8 mai 2014, soit la veille de la transmission par télécopieur du jugement par défaut aux deux particuliers et à leur frère Gilbert. Une confirmation de livraison par messagerie FedEx indique que le jugement par défaut a été livré à ce commerce le 12 mai 2014. Une seconde confirmation de livraison à un autre endroit le 16 mai 2014 porte la signature suivante : « J. Nassar ».

[56]  L’affidavit indique aussi que 9279 a commencé à exercer ses activités au 1221, avenue du Mont-Royal Est que le 1er juillet 2015. C’est-à-dire environ six semaines avant la date du prononcé par notre Cour d’un jugement par défaut contre 9153 en faveur d’Adidas AG (Adidas AG v 9153-2267 Québec Inc et al (le 12 août 2015), T-68-15, (CF) [Adidas]). Selon les inscriptions enregistrées auprès de la Cour par la demanderesse, la déclaration dans cette affaire, alléguant la contrefaçon de marques de commerce, a été déposée en janvier 2015 et signifiée le mois suivant. Le 1er mars 2016, le protonotaire Morneau a jugé opportun d’autoriser un huissier saisissant [traduction] « à employer toute la force nécessaire pour procéder à la signification du bref de saisie-exécution, à recourir aux services d’un serrurier et à employer toute la force nécessaire pour procéder à l’exécution du bref » dans cette affaire (Adidas AG v 9153‑2267 Québec Inc et al (le 1er mars 2016), T-68-15, (CF)).

[57]  Il importe aussi de mentionner qu’une autre déclaration a été déposée contre 9153 au cours de cette période. Selon les inscriptions enregistrées auprès de la Cour par la demanderesse, cette déclaration a été déposée en décembre 2013. Ces inscriptions indiquent qu’un affidavit de signification déposé le 20 janvier 2014 confirme la signification de la déclaration à la défenderesse par un huissier des services judiciaires le 21 janvier 2014. Le 9 novembre 2015, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance rejetant la requête en opposition à la saisie présentée par 9279 dans cette affaire, après avoir conclu que 9153 et 9279 étaient en fait une seule et même entité et que le voile social de 9279 devait être levé (Hummel Holdings A/S v 9153-2267 QUÉBEC INC (ENTREPRISE JBLOOOM LTD) D/B/A JBLOOM SHOES (le 9 novembre 2015), T-1988-13, (CF) [Hummel Holdings]). Bien que je ne retienne pas l’observation de la demanderesse selon laquelle la décision du protonotaire Morneau de lever le voile social à l’autorité de la chose jugée aux fins de la présente requête, j’estime néanmoins qu’il importe de mentionner que l’instance était en cours pendant la période de liquidation de 9153.

[58]  De plus, il importe aussi de noter que Joseph Nassar, au cours de son contre-interrogatoire, a soutenu que les [traduction] « anciens » stocks du commerce de détail au 1221, avenue du Mont-Royal Est ont été vendus seulement lorsque 9153 a remis ce local à 9279, le 1er juillet 2015.

9)  Crédibilité de Joseph Nassar

[59]  Un examen de la transcription du contre-interrogatoire de Joseph Nassar par l’avocat de la demanderesse révèle un bon nombre d’incohérences, de revirements de position et un comportement généralement évasif.

[60]  Le témoignage de Joseph Nassar présente d’autres problèmes que ceux que j’ai mentionnés à l’égard du site Web de jbloom et de certains des éléments d’actif conservés par 9279 lors du prétendu transfert de 9153 à 9279 des activités des commerces de la rue Sainte‑Catherine Ouest et de l’avenue du Mont-Royal Est.

[61]  Par exemple, il a déclaré ne pas se souvenir d’avoir reçu un quelque avis relatif à la déclaration déposée dans la présente instance, au moment où les avocats des parties ont échangé un courriel en août 2013. Un affidavit de signification signé par un huissier indique toutefois que la déclaration a été signifiée à Joseph Nassar le 17 juin 2013. Cette signification a été effectuée plusieurs semaines après l’envoi par l’avocat de la demanderesse d’une lettre adressée à [traduction] « entreprise jbloom » au commerce de la rue Sainte-Catherine Ouest et à un autre endroit en mai 2013. Plus long dans son contre-interrogatoire, Joseph Nassar a encore nié avoir reçu une copie de la déclaration et avoir été présent au commerce lorsque le document lui a été livré en personne, selon l’huissier. Il a aussi nié avoir reçu les lettres citées précédemment qui ont été envoyées à jbloom en mai 2013.

[62]  De plus, Joseph Nassar a nié à plusieurs reprises avoir reçu le jugement par défaut, malgré le fait qu’une confirmation de livraison par messagerie FedEx indique que « J. Nassar » a apposé sa signature le 16 mai 2014 pour recevoir le colis expédié par la demanderesse à « Joseph/Jean-Pierre/Gilbert Nassar ». Interrogé à ce sujet, il a soutenu que Gilbert avait peut‑être signé pour recevoir ce colis. Il n’a pas expliqué pourquoi Gilbert n’aurait pas porté le document à son attention, étant donné qu’il (Joseph) était le président de 9153. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de la lettre et du jugement par défaut transmis par télécopieur à jbloom le 9 mai 2014, il a simplement répondu que [traduction] « le télécopieur [de jbloom] ne fonctionne pas toujours ». Toutefois, une page de transmission par télécopieur jointe à l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats représentant la demanderesse confirme la transmission par télécopieur de l’ensemble des 21 pages.

[63]  Joseph Nassar a aussi nié avoir vendu des chaussures de marque « Oliver » sur le site Web de jbloom en juillet 2014, malgré le fait qu’une capture d’écran archivée, du 10 juillet 2014, de ce site Web indique que les trois modèles de chaussures de marque « Oliver » étaient offerts sur ce site Web ce jour-là.

[64]  De plus, après qu’on lui a montré un document officiel indiquant qu’il est le président de 9279, il a corrigé sa déclaration antérieure selon laquelle il était le vice-président de cette entreprise. À cet égard, il a indiqué qu’il ne savait pas qu’il était [traduction] « président », que c’était sans importance puisque son frère et lui sont partenaires de plein droit, et qu’il n’importe donc pas de savoir qui est président et qui est vice-président.

[65]  De façon plus générale, il ressort manifestement d’un examen de la transcription du contre-interrogatoire que la mémoire de M. Nassar est relativement bonne à l’égard des éléments qui étayent sa version des faits, mais qu’elle est immanquablement mauvaise à l’égard des éléments qui pourraient aider la demanderesse. Cette mémoire défaillante porte notamment sur sa réception, en personne ou par télécopieur, de la signification du jugement par défaut, sur d’autres tentatives de communication de la demanderesse ou de ses mandataires, sur le contenu de documents et sur la question de savoir si les chaussures affichées sur le site Web de jbloom étaient offertes en 2014 et en 2015 tant par le commerce exploité par 9279 sur la rue Sainte‑Catherine Ouest que par le commerce exploité par 9153 sur l’avenue du Mont-Royal Est.

[66]  Compte tenu de tout cela, je conclus que Joseph Nassar n’est pas un témoin crédible. J’ai donc accordé peu de poids à son témoignage, sauf dans la mesure où il était corroboré par d’autres éléments de preuve ou comportait des admissions contraires à son intérêt.

10)  Sommaire et analyse

[67]  J’estime que les éléments de preuve précités suffisent pour déplacer la présomption initiale découlant des éléments de preuve de 9279 pour appuyer la légitimité de sa propriété des éléments d’actif saisis. À mon avis, les éléments de preuve établissent en effet, selon la prépondérance des probabilités, que 9279 est l’alter ego de ses dirigeants, Joseph Nassar et Jean‑Pierre Nassar. Ils établissent aussi que l’entreprise jbloom a été transférée de 9153 à 9279 au cours des années 2014 et 2015 dans le but malhonnête et illégitime de contourner le jugement par défaut, et possiblement d’autres jugements, rendus par notre Cour contre 9153 (Corp d’hébergement du Québec et Nevsun, précitées). Je conclus que ce transfert a été effectué de mauvaise foi et de façon à dissimuler certains faits, afin d’empêcher ou d’entraver l’exercice par la demanderesse et possiblement par des tiers de leur droit de recouvrer les sommes qui leur ont été adjugées dans des jugements de notre Cour (Méthot, précité). Autrement dit, j’ai conclu que 9279, qui semblait inactive avant la signification du jugement par défaut, a servi de véhicule pour la commission d’actes répréhensibles, soit d’empêcher l’exécution de ce jugement. À mon avis, le défaut de lever le voile social dans ces circonstances aboutirait à un résultat « trop nettement en conflit avec la justice » (Kosmopolous, précité).

[68]  Pour résumer, les éléments de preuve établissent que 9153 et 9279 sont toutes deux sous le contrôle absolu de Joseph Nassar et de Jean-Pierre Nassar. Ces particuliers sont les seuls propriétaires et dirigeants des deux sociétés, dont les sièges sociaux se trouvent dans le même immeuble, dans deux copropriétés qu’ils habitent respectivement – dans l’un des cas avec leur mère – et ils semblent prendre toutes les décisions importantes relativement à ces entités. Ces deux copropriétés appartiennent à Joseph Nassar.

[69]  Les éléments de preuve établissent aussi un amalgame de la marque de commerce « jbloom », du site Web et de l’adresse courriel de jbloom, utilisés tant par 9153 que par 9279 entre le 1er août 2014 et le 1er juillet 2015 à tout le moins (Setanta Sports Canada Limited c 1053007 Ontario Inc. (Endzone Bar & Grill), 2011 CF 99, au paragraphe 16 [Setanta]). En effet, Joseph Nassar a admis qu’il se pouvait que le site Web et l’adresse courriel appartiennent toujours à 9153. Les éléments de preuve abordés aux paragraphes 46 à 48 ci-dessus en lien avec les factures d’Hydro-Québec suggèrent que les dettes de 9153 et de 9279 sont amalgamées. De plus, l’adresse du siège social de 9153 a été considérée comme étant celle du siège social de jbloom au moins jusqu’au 13 septembre 2016, bien après le prétendu transfert total des activités de jbloom à 9279.

[70]  Ce chevauchement entre les activités des deux sociétés est aussi illustré par le fait que 9279 a payé les dommages-intérêts accordés par notre Cour dans un jugement en faveur d’Adidas AG, dont il est question au paragraphe 49 ci-dessus.

[71]  Il existe aussi des éléments de preuve selon lesquels très peu d’attention est portée à la question de savoir qui signe quels documents et à quel titre, entre Joseph Nassar, Jean Pierre Nassar, leur mère, 9153 et 9279. Le [traduction] « contrat de sous-location commercial », dont j’ai discuté aux paragraphes 42 à 45 ci-dessus, en est la meilleure illustration. Joseph Nassar a aussi admis qu’il n’est pas important de savoir qui, entre Jean-Pierre et lui, possède quel titre dans quelle société, puisqu’ils sont tous deux propriétaires de plein droit des sociétés.

[72]  De plus, je conclus que le moment du prétendu transfert de cette entreprise, à compter du 1er août 2014, quelques mois seulement après la signification du jugement par défaut à « J. Nassar » et bien après la signification de la déclaration dans la présente instance, révèle un but illégitime qui consistait à éviter l’exécution du jugement par défaut (Setanta, précitée, au paragraphe 16).

V.  Conclusion

[73]  Pour les motifs précités, la présente requête est rejetée. La demanderesse peut réaliser les éléments d’actif saisis aux fins de l’exécution du jugement par défaut.

[74]  La demanderesse a notamment sollicité, dans son avis de requête visant l’audience de justification, une ordonnance confiant à un huissier la possession des biens saisis conformément au bref, plutôt que de permettre que ces biens demeurent sur place. Toutefois, au cours de cette audition, la demanderesse a accepté de maintenir le statu quo jusqu’à ce que je statue à l’égard des allégations d’outrage au tribunal contre 9279 et de l’opposition au bref présentée par 9279. Par conséquent, les biens saisis sont demeurés sur place.

[75]  Maintenant que la demanderesse a retiré sa demande en vue d’obtenir une ordonnance pour outrage au tribunal contre 9279 et que j’ai statué à l’égard de l’opposition au bref présentée par 9279, je suis disposé à accueillir la demande de la demanderesse. Ma décision repose sur ma conclusion que Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar, les têtes dirigeantes de 9279, ont démontré par leur conduite antérieure qu’ils ont peu de respect pour les ordonnances de notre Cour. À mon avis, le fait de confier la possession des biens saisis à un huissier aidera grandement la demanderesse à atteindre l’objectif visé par le bref, à savoir de faciliter l’exécution du jugement par défaut.

[76]  Dans ses observations écrites relatives à la présente requête, la demanderesse a sollicité une ordonnance déclarant 9279 et 9153 solidairement responsables de l’ensemble de leurs dettes envers elle et du paiement des jugements rendus en sa faveur. Outre la mention des sommes adjugées en faveur des parties mises en cause dans la décision Adidas, précitée, qui ont été payées selon Joseph Nassar, et dans la décision Hummel Holdings, précitée, aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à des dettes envers la demanderesse, à l’exception des sommes adjugées dans le jugement par défaut. De plus, aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à d’autres jugements rendus en faveur de la demanderesse.

[77]  Dans ces circonstances, j’hésite à rendre une ordonnance formulée dans les termes généraux proposés par la demanderesse. J’ordonnerai plutôt que 9279 soit tenue solidairement responsable avec 9153 concernant les sommes adjugées dans le jugement par défaut. Dans l’intérêt de la justice, et compte tenu des considérations d’équité, et afin de réduire les possibilités de litiges ultérieurs concernant le jugement par défaut, je suis également disposé à étendre la présente ordonnance à Joseph Nassar et à Jean-Pierre Nassar (Méthot, précité, Corp d’hébergement du Québec, précitée; Fidelity Electronics of Canada Ltd v Fuss, [1995] OJ no 4319 (QL), au paragraphe 3 (CA); Setanta, précitée, au paragraphe 17; Gregorio v. Intrans-Corp., [1994] OJ no 1063 (QL), au paragraphe 28 (CA); Island Getaways Inc v Destinaire Airlines Inc, [1996] OJ no 4157 (QL), au paragraphe 58 (C. sup. j. Ont. (Div. gén)).

VI.  Dépens

[78]  Après l’audition, la demanderesse et 9279 ont déposé chacune un mémoire de frais concernant la présente requête de 9279 et la requête en justification de la demanderesse. La demanderesse a aussi déposé un mémoire de frais à l’égard de l’exécution du jugement par défaut. J’examinerai ces mémoires séparément ci-dessous.

A.  Requête en opposition à la saisie

[79]  La demanderesse a demandé des frais judiciaires et des dommages-intérêts punitifs et exemplaires à l’égard de la présente requête. Compte tenu des faits particuliers de l’espèce, j’accueillerai ces demandes.

[80]  Les dépens procureur-client « sont très rarement accordés » et ne le sont généralement que si une partie fait preuve d’une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » ou si ces dépens sont justifiés par des « raisons d’intérêt public » (Québec (Procureur général) c Lacombe2010 CSC 38, au paragraphe 67; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 77; Young c Young, [1993] 4 RCS 3, au paragraphe 134).

[81]  En plus d’être exceptionnels, les dépens procureur-client ne sont généralement accordés que dans le cas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante par l’une des parties en lien avec le litige entre les parties (Apotex Inc. c Canada (Ministre de la santé et du bien-être social), [2000] ACF no 1919 (QL), aux paragraphes 7 et 8 (CAF)).

[82]  Dans la décision Microsoft Corporation c 9038-3746 Québec Inc., 2007 CF 659, au paragraphe 16, le juge Harrington a défini les termes « répréhensible », « scandaleux » et « outrageant » de la manière suivante :

Constitue une conduite « répréhensible » celle qui mérite une réprimande, un blâme. Le mot « scandaleux » est dérivé de scandale, un terme pouvant désigner une personne, un objet, un événement ou une situation qui suscite la colère ou l’indignation publique. Le mot « outrageant » décrit notamment une conduite profondément choquante, inacceptable, immorale et injurieuse (voir le Oxford Canadian Dictionary [relativement aux termes « reprehensible », « scandalous » et « outrageous »]).

[83]  À mon avis, l’introduction par 9279 de la présente requête, après avoir été partie aux actes délibérés et répréhensibles commis par ses dirigeants, Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar, pour éviter l’exécution du jugement par défaut, était outrageante et répréhensible.

[84]  Pendant toute la période pertinente, Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar étaient les têtes dirigeantes tant de 9279 que de 9153. De concert avec 9279 et 9153, ils ont tenté de façon délibérée et flagrante de contourner l’exécution par la demanderesse du jugement par défaut en liquidant les éléments d’actifs de 9153 et en transférant l’entreprise jbloom à 9279, afin de tenter d’échapper à la responsabilité de 9153 à l’égard des dommages-intérêts et des dépens indiqués au paragraphe 5 du jugement par défaut.

[85]  Ensuite, après l’introduction de la présente requête, le comportement de Joseph Nassar lors du contre-interrogatoire sur l’affidavit m’a amené à conclure qu’une bonne partie de son témoignage n’était pas crédible, notamment à l’égard de son déni d’avoir reçu signification du jugement par défaut et de la déclaration de la demanderesse, ainsi qu’à l’égard du site Web de jbloom, de son affirmation initiale selon laquelle l’actif total de 9153 avait été liquidé et de son affirmation selon laquelle il ne savait pas qu’il était le président de 9279. Ces éléments étaient tous d’une grande importance pour la présente requête. Son témoignage semble avoir été guidé par une volonté de présenter une version des faits et des événements lui étant favorable plutôt que par une volonté de respecter son serment de dire la vérité (Microsoft, précitée, au paragraphe 18). La transcription de son contre-interrogatoire révèle que son attitude générale à l’égard du jugement par défaut était méprisante et outrageante (Louis Vuitton Malletier S.A c Yang, 2007 CF 1179, aux paragraphes 58 et 59).

[86]  En conséquence, je conclus qu’il convient d’accorder à la demanderesse le montant total de ses dépens réels de 33 317,49 $, en plus des débours de 6 129,87 $, pour un total de 39 447,36 $.

[87]  Je conclus également qu’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 20 000 $. Cela tient à la nature répétitive et désinvolte des tentatives de 9153 de contourner les ordonnances rendues par notre Cour (Setanta, précitée, au paragraphe 17). En plus d’avoir tenté d’éviter l’exécution du jugement par défaut, 9153 et 9279 ont cherché à contourner le jugement par défaut rendu dans la décision Adidas, précitée. Selon les propres dires de Joseph Nassar, 9279 n’a payé les dommages-intérêts accordés dans ce jugement uniquement parce que [traduction] « nous n’avions pas le choix », étant donné qu’un bref de saisie-exécution avait été délivré à l’égard de l’actif de 9279. La société 9279 a ensuite présenté une requête en opposition de la saisie dans une troisième instance, laquelle a été rejetée après que le protonotaire Morneau a conclu que 9153 et 9279 étaient en fait une seule et même entité et que le voile social de 9279 devait être levé (Hummel Holdings, précitée).

B.  La requête en justification

[88]  Quant à la requête en justification, j’ai reporté ma décision sur les dépens pour la prononcer après avoir rendu ma décision concernant l’audience de justification, puisque cette audition a été scindée et que ma décision ne visait que 9153 et les deux particuliers. J’ai conclu qu’il convenait d’attendre l’issue de la procédure pour outrage au tribunal, puisqu’elle concernait 9279, avant de trancher la question des dépens (ASICS, précitée, au paragraphe 63). Peu avant l’audition de la présente requête présentée par 9279, la demanderesse a toutefois retiré sa demande pour que 9279 soit reconnue coupable d’outrage au tribunal. Je trancherai donc maintenant la question des dépens relativement à la requête en justification.

[89]  L’avocat des auteurs présumés de l’outrage au tribunal a demandé les dépens procureur-client et des dommages-intérêts punitifs concernant la requête en justification présentée par la demanderesse.

[90]  À mon avis, les faits propres à cette requête ne satisfont toutefois pas au critère, dont il est question ci-dessus, pour l’imposition de dépens procureur-client. En résumé, la demanderesse, par l’introduction et la poursuite de cette requête, ne s’est livrée à aucune conduite qui était répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Elle n’a introduit cette requête qu’après avoir reçu la requête en opposition à la saisie en exécution du jugement par défaut présentée par 9279, pour le motif qu’elle (9279) était la propriétaire légitime des éléments d’actif saisis. Avant ce moment, la demanderesse ne savait pas que l’actif de 9153 avait été liquidé et que l’entreprise jbloom avait essentiellement été transférée à 9279. La demanderesse disposait également d’éléments de preuve fiables, fondés sur des captures d’écran du site Web de jbloom en date du 8 mai 2014, qui suggéraient que 9153 avait délibérément enfreint le jugement par défaut, notamment en continuant de contrefaire les marques de commerce de la demanderesse et en ne remettant pas tout le matériel arborant ces marques de commerce.

[91]  Ces éléments de preuve précédaient toutefois de quelques jours la date de la signification du jugement par défaut à 9153. Par conséquent, il n’a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable que les auteurs présumés de l’outrage au tribunal avaient sciemment enfreint le jugement par défaut. Le résultat serait probablement différent si les captures d’écran en question avaient été prises après la signification du jugement par défaut à 9153 effectuée quelques jours plus tard. Quoi qu’il en soit, bien que les éléments de preuve de la demanderesse n’étaient pas suffisants pour que la requête en justification soit accueillie, la demanderesse n’a pas agi de façon répréhensible, scandaleuse ou outrageante en présentant et en poursuivant la requête en justification.

[92]  À mon avis, les auteurs présumés de l’outrage au tribunal ont droit aux dépens calculés conformément à l’échelon médian de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Je suis disposé à me fonder sur leur calcul du montant de 6 208,65 $ (qui comprend la TPS et la TVQ), en plus des débours de 448,07 $, pour un total de 6 657,72 $, lequel semble tout à fait indiqué dans les circonstances.

[93]  Les auteurs présumés de l’outrage au tribunal demandent également des dommages-intérêts punitifs concernant la requête en justification, en raison de la façon dont ils ont informés et ont reçu signification de l’ordonnance de justification. En résumé, ils ont reçu signification à la fin du contre-interrogatoire de Joseph Nassar sur son affidavit. Dans la décision ASICS, précitée, au paragraphe 13, j’ai observé que la façon dont la demanderesse a procédé à cet égard était très contestable et profondément inéquitable. Pour ce motif, j’ai accepté, au début de l’audience de justification, d’accueillir la demande présentée par les auteurs présumés de l’outrage au tribunal visant à exclure la transcription du contre-interrogatoire et les pièces du dossier des deux étapes de cette audition scindée. À mon avis, il s’agissait de la mesure indiquée dans les circonstances. J’estime qu’il ne convient pas d’accorder des dommages-intérêts punitifs pour renforcer la désapprobation de la Cour quant à la manière dont l’avocat de la demanderesse a procédé à la signification de l’ordonnance de justification.

[94]  J’ajouterai simplement que durant cette audition, j’ai appris que l’avocat de la demanderesse avait informé par écrit la protonotaire Milczynski, au moment de lui envoyer le projet d’ordonnance de justification qu’elle avait demandé, qu’il espérait signifier à M. Nassar cette ordonnance, le dossier de la requête en justification et les autres documents énumérés à la date du contre-interrogatoire de M. Nassar. Cela démontre que l’avocat de la demanderesse estimait que l’ajournement n’avait pas eu pour effet de suspendre son contre-interrogatoire de M. Nassar, qu’il a indiqué être prévu le 22 septembre 2016. La protonotaire Milczynski ne semble pas avoir fait part à l’avocat de la demanderesse d’une compréhension différente de l’ordonnance de justification. Je note aussi qu’il était prévu, selon le paragraphe 5 de l’ordonnance de justification, que la demanderesse franchisse au moins une autre étape, à savoir la signification de certains documents. Autrement dit, il ressortait clairement du dispositif de l’ordonnance de justification que les étapes en lien avec à la présente requête n’avaient pas été toutes suspendues.

C.  Exécution du jugement par défaut

[95]  La demanderesse a également demandé le remboursement des frais qu’elle a engagés pour l’exécution du jugement par défaut. Ces frais s’élèvent à 5 642,09 $ lorsqu’ils sont calculés conformément aux colonnes III et V du Tarif B. La demande a droit à ces dépens. Étant donné que j’ai déjà exprimé la désapprobation de la Cour quant à la conduite de 9153, de 9279, de Joseph Nassar et de Jean-Pierre Nassar à l’égard du jugement par défaut, j’estime qu’il ne convient pas de réaffirmer cette désapprobation en ordonnant aussi les dépens procureur-client à l’égard de cet élément de coûts.

D.  Pourparlers de règlement

[96]  Enfin, je dois noter, aux fins du dossier, que je sais qu’il y a eu des pourparlers de règlement entre les parties et que, dans ce contexte, l’avocat de 9153 a mentionné l’introduction possible d’une requête pour outrage au tribunal concernant la façon dont l’ordonnance de justification de la demanderesse a été signifiée aux auteurs présumés de l’outrage au tribunal, comme je l’ai déjà indiqué. Étant donné mes conclusions relativement aux dépens, j’estime qu’il ne convient pas d’accorder d’autres dépens à cet égard. Je reconnais aussi que cette possibilité a été soulevée dans le contexte d’un débat houleux entre les avocats des parties. Je rappelle toutefois aux avocats des parties qu’une telle conduite est inappropriée (Barreau du Québec (syndic ad hoc) c Oberman, 2016 QCCDBQ 40, aux paragraphes 28 à 34 (CanLII); Barreau du Québec (syndic adjoint) c Jurju Bala, 2012 QCCDBQ 21, aux paragraphes 36 à 43 (CanLII).

[97]  Je note également, aux fins du dossier, que 9153 ou 9279 (j’ignore laquelle des deux) a offert de régler le différend entre les parties pour une somme de 35 000 $ [traduction] « qui comprenait le capital, les intérêts, les dépenses, les frais et les dépens ». Cette offre a été faite le 1er décembre 2016, après que la demanderesse a réussi à obtenir le jugement par défaut pour des dommages-intérêts et des dépens totalisant plus de 55 000 $, plus la TVH et l’intérêt, et après qu’elle a engagé des frais importants pour tenter de faire exécuter ce jugement. À mon avis, la somme de 35 000 $ alors offerte n’est pas de nature à justifier un rajustement des dépens que j’ai accordés à la demanderesse dans ce qui précède.

E.  Résumé

[98]  Pour les motifs exposés ci-dessus, 9279, Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar sont solidairement responsables avec 9153 des dépens procureur-client et des débours, ainsi que des dommages-intérêts punitifs à l’égard de la présente requête, présentée par 9279, en opposition à la saisie effectuée conformément au bref. Ces montants totalisent 39 447,36 $ + 20 000 $ = 59 447,36 $.

[99]  De plus, 9279, Joseph Nassar et Jean-Pierre Nassar sont solidairement responsables avec 9153 des autres dépens d’exécution de la demanderesse totalisant 5 642,09 $.

[100]  La demanderesse est responsable des dépens des auteurs présumés de l’outrage au tribunal concernant la requête en justification, pour un total de 6 657,72 $. Ce montant peut être déduit des montants précités, afin que la demanderesse ne soit pas tenue de virer une somme distincte aux auteurs présumés de l’outrage au tribunal.

[101]  La demande de la demanderesse visant l’établissement d’un calendrier de paiement des dommages-intérêts, des dépens adjugés dans le jugement par défaut et des dépens adjugés décrits ci-dessus sera accueillie. Joseph Nassar, 9153, 9279 ou Jean-Pierre Nassar paieront intégralement les montants adjugés dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, à moins qu’ils ne fassent la preuve de leur indigence selon la prépondérance des probabilités dans ce délai. En cas de défaut de leur part de payer les sommes adjugées ou de faire la preuve de leur indigence avant l’expiration du délai prescrit, la demanderesse peut présenter une requête les enjoignant de justifier pourquoi ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La requête en opposition à l’exécution du bref et pour l’obtention de diverses autres mesures présentée par 9279 est rejetée.

  2. Le voile social de 9279 est levé pour permettre l’exécution par la demanderesse du jugement par défaut rendu contre 9279.

  3. Joseph Nassar, Jean-Pierre Nassar et 9279 sont solidairement responsables avec 9153 des sommes adjugées dans le jugement par défaut.

  4. La possession des biens saisis le 11 août 2016 et le 12 août 2016 conformément au bref est confiée à un huissier, plutôt que de permettre que les biens demeurent à leur emplacement actuel.

  5. Joseph Nassar, Jean-Pierre Nassar et 9153 sont solidairement responsables avec 9279 du paiement des dépens procureur-client et des débours (39 447,36 $), ainsi que des dommages-intérêts punitifs de 20 000 $ à l’égard de la requête en opposition à l’exécution du bref de 9279, précitée.

  6. Joseph Nassar, Jean-Pierre Nassar et 9279 sont solidairement responsables avec 9153 des autres dépens d’exécution de la demanderesse totalisant 5 642,09 $.

  7. La demanderesse est responsable des dépens des auteurs présumés de l’outrage au tribunal concernant la requête en justification, pour un total de 6 657,72 $. Ce montant peut être déduit des montants précités supérieurs à 6 657,72 $, afin que la demanderesse ne soit pas tenue de virer une somme distincte aux auteurs présumés de l’outrage au tribunal.

  8. Joseph Nassar, 9153, 9279 ou Jean-Pierre Nassar paieront intégralement les montants indiqués aux paragraphes 3, 5 et 6 précités de la présente ordonnance, moins le montant de 6 657,72 $ indiqué au paragraphe 7 précité, dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, à moins qu’ils ne fassent la preuve de leur indigence selon la prépondérance des probabilités dans ce délai. En cas de défaut de leur part de payer les sommes adjugées ou de faire la preuve de leur indigence avant l’expiration du délai prescrit, la demanderesse peut présenter une requête les enjoignant de justifier pourquoi ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1019-13

 

INTITULÉ :

ASICS CORPORATION c 9153-2267 QUÉBEC INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Matthew Norwood

Christopher D. Langan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Henri Simon

Sophie de Lalonde

POUR LA DÉFENDERESSE ET LA MISE EN CAUSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Henri Simon

Simon Associés

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE ET LA MISE EN CAUSE

 

 

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